Repères généraux sur la philosophie et de la jeunesse
Qu’est-ce que la philosophie ?
La philosophie est traditionnellement définie à travers son étymologie : φιλοσοφἰα (philosophia), dérivant de φιλεiν (philein) : (aimer), et de σοφία (sophia) : la sagesse, donnant ainsi à la philosophie la définition d’ « amour de la sagesse » employée par Platon.
La vision populaire de cette activité est souvent empreinte d’un sentiment de flou, de mépris voir de moquerie provoquées chacune par les difficultés à se représenter ce qu’elle englobe réellement.
La pluralité des thèses et des courants philosophiques rendent en effet ardue sa définition, même au sein d’un ouvrage de référence comme le Dictionnaire technique et critique de la philosophie de A. Lalande.
Une des raisons invoquée pour expliquer cette vision parfois négative est la place qu’occupe la philosophie au sein de notre société. Elle est souvent rencontrée la première fois comme une matière scolaire, abordée en fin d’études secondaires lors de l’année de terminale, ou parfois plus rarement dès la première dans les sections littéraires. Le peu de temps pour se familiariser avec la discipline avant l’examen du baccalauréat empêche une appropriation de la réalité sous-jacente qu’elle désigne. Celle-ci se trouve alors facilement réduite à un ensemble de théories qu’il s’agit de connaître et d’articuler entre elles.
Philosopher devient ainsi bien souvent « réfléchir », sans savoir exactement sur quoi. Deux grands cas de figures, problématiques, peuvent alors se présenter lorsqu’un adulte appréciant la discipline souhaite la pratiquer en classe : il peut en voir l’intérêt et y être sensible, mais ne pas savoir réellement comment s’y prendre pour l’aborder. Dans un autre cas, contraire, l’envie peut-être suscitée de développer une conception précise de la philosophie, mais qui risquerait d’être plus de l’ordre de la doxa, de l’opinion, que du véritable questionnement. Le philosopher en classe pourrait être ainsi assimilée à une leçon de morale.
Nous ne donnerons pas pour l’instant de définition de la philosophie, choisissant de suivre la pensée de Bergson pour qui l’idée était l’arrêt de la pensée. Si la philosophie se définie avant tout par son activité, abordons son versant dynamique avant de lui envisager des limites définitionnelles, susceptibles de nous en cacher sa portée. Pour comprendre ce qu’est la philosophie, observons donc ceux qui ont aidé à l’amener en France auprès de la jeunesse.
Développement de la philosophie pour la jeunesse en France
Alors que la philosophie était encore le privilège des classes de terminales, dès 1996-98 celle-ci à commencé à sortir de l’enceinte du lycée pour atteindre certaines classes de collèges et de primaire.
Les acteurs ayant participé à cette sortie des murs furent nombreux et issus de divers domaines: en effet, une grande impulsion vint d’enseignants du premier degré qui avaient une formation initiale en philosophie (comme A. Lalanne, P. Sonzogni, J.-C. Pettier) ou qui travaillaient dans des réseaux associatif (ex : l’Agsas de J. Lévine), mais aussi d’enseignants d’IUFM qui ont rencontré lors de colloques des intervenants étrangers -surtout canadiens- qui utilisaient alors l’approche du philosophe américain de M. Lipman (comme M. Bailleul à Caen, E. Auriac-Peyronnet à Clermont Ferrand) et qui ont commencé à animer des actions de formation continue d’enseignants. D’autres,des diplômés de philosophie intéressés (comme les intervenants philosophes dans les Segpa travaillant avec la Fondation 93), des fois animateurs de café philo (ex : J.-F. Chazerans à Poitiers, O. Brenifier à Paris), mais aussi des enseignants de philosophie et/ou de sciences de l’éducation à l’université (F. Galichet à Strasbourg, S. Solère-Queval à Lille, M. Tozzi à Montpellier).
Cette innovation a rapidement pris de l’ampleur en s’organisant en réseaux sur internet, en listes de diffusion et colloques (dans certains CRDP et CDDP). Elle est alors répertoriée dans la revue internationale de didactique de la philosophie Diotime l’Agora, et dans des ouvrages de CRPD (Montpellier, Rennes) relayés par les CNDP. Les maisons d’éditions privéescommencent à orienter leur littérature de jeunesse vers la philosophie (ex : Acte Sud junior), avec des collections ad hoc(« Lesgouters philosophiques » chez Milan, « L’apprenti philosophe » chez Nathan, etc.)
Les IUFM s’organisent afin de mettre en place des formations, avec des mémoires professionnels pour les professeurs stagiaires. Les stages et regroupements pédagogiques sur ce thème se multiplient dans les circonscriptions.
Le secteur de la recherche est alors lui aussi touché, avec des communications (huit à la Biennale de l’éducation en 2002, douze au colloque de Montpellier sur ladiscussion en mai 2003), des symposiums (colloque de Lille par l’AECSE en septembre 2001 ; deMontpellier en mai 2003), et desthèses soutenues dans le domaine.
Le programme européen Daphné (lutte contre la violence) a choisi en France l’entrée de la discussion philosophique à l’école primaire (S. Brel). L’université populaire de M. Onfray à Caen choisi d’ouvrir un atelier philosophie avec les enfants (animé par G. Geneviève).
Les Assises de l’enseignement catholique de décembre 2001 ont fait du développement du questionnement philosophique à l’école primaire et au collège une de leurs huit orientations prioritaires.
En 2002, l’UNESCO inaugure le premier colloque pour la journée de la philosophie, qui a désormais lieu chaque année. Au cours de ces journées, des spécialistes de divers domaines (M. Tozzi en philosophie pour la jeunesse, ) côtoient des conseillers en insertion professionnelle, professeurs de primaire, etc., dans le but de faire un état des lieu des nouvelles pratiques philosophiques et d’être un carrefour d’échange sur celles-ci. Des ateliers auprès d’enfants de collège et de primaire y ont souvent lieux.
Le colloque de Balaruc, en mars 2003, s’est interrogé en compagnie du bureaudes innovations du Ministère de l’Inspection générale de la philosophie, sur l’objectif de cette pratique : s’agissait-il bien de « philosophie » ou, compte tenu des ces exigences, d’un simple éveil à la réflexivité ? Une troisième position parlait de pratique à visée philosophique, l’apprentissage de processus de pensée restant « l’idéal régulateur » (pour Kant) des échanges avec les élèves.
Les organismes de réflexion et de développement des nouvelles pratiques philosophiques se sont étendu aux salons du livre comme ceux de Paris, de Genève, la 25ème heure au Mans, ainsi qu’au sein des colloques sur la philosophie (les Rencontres de Sophie à Nantes), où apparaissent régulièrement des stands de philosophie pour la jeunesse et/ou des ateliers philosophiques. Les IUFMproposent enfin au sein de leur cursus une sensibilisation au ateliers réflexifs en classe de primaire.
Programmes officiels et philosophie à l’école
Bien que l’enseignant souhaitant créer des moments de réflexion philosophique bénéfice d’une importante liberté pédagogique lors de la préparation de ses cousret de ses séances, celui-ci reste avant tout un fonctionnaire de l’état, astreint au respect des règles juridiques régissant sa pratique. Nous devons donc enraciner notre réflexion dans un cadre législatif. Ainsi, la liberté pédagogique est elle même encadrée par la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, L. n° 2005-380du 23-4-2005. JO du 24-4-2005.
Les différents courants de philosophie pour la jeunesse
Maintenant que le cadre institutionnel a été identifié, nous pouvons nous pencher sur les méthodes envisageables pour mettre en œuvre des séances de réflexion avec les élèves ; Pour ce faire, le travail de S. Connac nous est d’un grand secours, puisqu’il a réalisé dans le cadre de sa thèse un tableau récapitulatif des différentes approches existantes. Nous choisissons de le faire figurer comme tel, car considérant qu’il synthétise de façon admirable les données essentielles.
Les ouvrages à visée philosophique sur le marché de l’édition jeunesse
Si les méthodes des ateliers philosophiques sont le reflet d’une certaine conception de la philosophie qu’elles reflètent, les supports utilisés, et en particulier les ouvrages de littérature jeunesse, le sont tout autant. Ils sont le reflet d’une vision de l’enfant et de façon dont on souhaite les faire entrer dans le monde de la réflexion. Presque toutes vont mettre l’enfant en situation de réflexion en faisant appel à des expériences de penser proches de leur expérience personnelle, ou en mettant en scène des scénarios favorisant leur identification au protagoniste principal.
Les petits phioZenfants chez Nathan choisissent une entrée par questionnement, qui est le titre du livre (comme par exemple Dis maman, pourquoi j’existe ?). Ils mettent en scène Phil, un petit garçon, accompagné de son doudou Zof qui va jouer un rôle semblable à celui d’un Socrate. A partir de sa question, Phil va être relancé par Zof à chaque impasse, celui-ci le guidant vers de nouvelles personnes à interroger pour obtenir des réponses.
→ Destiné à un public jeune, dès 3 ans, ces ouvrages écrits par O. Brenifier placent l’enfant dans un cadre connu, celui de sa maison, de l’école etc., et lui permettent de s’identifier facilement à Phil. A travers les réponses peu satisfaisantes qu’obtient Phil, l’ouvrage amène progressivement la légitimité du questionnement auprès de l’enfant en essayant de lui montrer que certaines choses apparemment sûres ne sont pourtant pas si claires lorsque l’on s’y penche.Ici, ce sont les certitudes du jeune enfant qu’il s’agit d’ébranler.
Les philoZenfants, toujours chez Nathan et destiné à un public plus âgé, à partir de 7 ans, choisi également la même approche par questionnement, mais abandonne l’aspect romancé. A partir d’un thème comme les sentiments ( Les sentiments, c’est quoi?), il dégage plusieurs sous-catégories (la jalousie, l’amour, les conflits), et suit toujours la même approche : exposition d’une question, de sa réponse attendue, puis des questions amenant la limite de cette réponse.
→ L’approche est semblable à celle destinée aux plus petits, mais délaissant l’aspect romancé, l’enfant plus âgé est considéré comme plus apte à réfléchir sans fiction.L’absence d’histoire permet une utilisation libre en classe, de type débat, et fourni à l’enseignant des questions clés à poser aux élèves afin de le relancer, ce qui lui fait souvent défaut. Ici, la problématisation est donnée et n’est pas à travailler comme point de départ : l’exercice consiste plus à mobiliser l’imagination et le vécu afin d’argumenter une position.
Les goûters philo, publié chez Milan et destinés à des enfants de 8/9 ans, choisissent eux une entrée par thème et non plus questionnement. L’ouvrage est divisé en différents chapitres, commençant presque toujours par une courte fiction, mettant en scène le thème abordé et son concept contraire ou opposé (bien/mal, justice/injustice). S’en suit une courte analyse critique qui vise à expliciter les enjeux conceptuels et les tensions à l’oeuvre au sein de la fiction.
→ Elle permet une approche extrêmement flexible : l’enfant peut le lire en autonomie et bénéficier pour autant d’une analyse critique permettant la metacognition. Toutefois, il nous semble que l’utilisation la plus pertinente, et la plus souvent utilisée, consiste à lire la fiction, et à débattre autour de celle-ci. Elle fournit la fiction mais en son sein, aucune problématique n’est donnée : des situations mobilisant des conceptions opposées sont souvent utilisées, mais le problème reste à dégager par l’ élève, ou est à amener par l’enseignant. L’analyse critique est plus une explication de la situation qu’une vraie mise en problème.
La collection des petits albums de philosophie Ninon, d’O. Brenifier et publiée chez Autrement jeunesse, mettent en scène la jeune fille éponyme au sein de scènettes de type bande-dessinée. Face à des situations problématiques (Ninon doit-elle toujours dire la vérité même si elle doit faire mal à ses amis?), la jeune fille va aller de discussion en discussion, afin de répondre à ses questions. La référenceà des mythes traditionnels est parfois utilisée.
→ De part sa forme « bande-dessinée », l’ouvrage est facilement lisible en autonomie par l’élève. L’enfant peut s’identifier à Ninon, de par son âge, mais aussi par les situations qu’elle vit et que l’enfant peut régulièrement être amené à vivre. Comme tous les ouvrages de Brenifier, l’accent est mit sur les cas que l’enfant connait et qu’il peut incarner. La réflexion ne s’ancre que dans l’expérience concrète, et les situations font écho à des questions que l’enfant est susceptible de se poser réellement.
Chouette ! Penser chez Gallimard jeunesse s’adresse des enfants à partir de 10 ans. En son sein, le narrateur est l’auteur. Nulle fiction n’est amenée : le récit est un discours de l’auteur sur un thème ou une question. Il s’adresse au lecteur en l’incluant parfois dans dans un « nous», mais ne pose jamais de question directe. Le récit est celui d’un itinéraire de pensée,s’appuyant sur des références à la culture traditionnelle : pour illustrer sa réflexion, l’auteur peut être amené à citer d’autres auteurs, comme Merleau-Ponty, Rousseau, etc. Le modèle est assez proche de celui de la dissertation, et les exigences intellectuelles sont parfois très hautes.
→ Proposant à la fois réflexion structurée et précise, exemples culturellement forts, la collection reste toutefois très exigeante. Elle est un pas significatif vers les ouvrages de philosophie « canoniques », et semble tendre vers, mais nécessite l’accompagnement de l’enseignant à la fois pour s’assurer de l’intérêt de l’élève, mais aussi de sa bonne compréhension. La mise à distance de l’expérience immédiate de l’élève lui permet de se confronter à une vision du monde, à des exemples qu’il n’a pas encore rencontré (textes de Victor Hugo, etc.).
Les édition du Cheval Vert prend le parti de ne pas mettre en scène un enfant confronté à des problèmes, comme chez Brenifier, mais d’utiliser le corpus traditionnel de la philosophie pour amener l’élève à réfléchir. Le texte est une adaptation des mythes platoniciens, sans autre appareil critique. Les ouvrages de Platon regorgent de mythes, comme l’anneau de Gygès, l’allégorie de la caverne, etc., qui sont autant de supports fictionnels au travers desquels chacun peut rentrer , en s’épargnant la difficulté d’un langage philosophique technique.
→ Les mythes présentent des expériences de pensée, qui possèdent le triple avantage d’être significatifs culturellement, d’être fécond au niveau du questionnement, et abordables par tous. Ceux-ci mettent en scène des situations imaginaires, qui ont le mérite de rendre accessibles des tensions conceptuelles fortes (le bien et le mal à travers l’exemple de l’anneau de Gygès), au travers d’unehistoire compréhensible. Mais contrairement aux Goûters philo qui peuvent ponctuellement reprendre ces mythes, ils ne sont pas ici reliés directement au vécu de l’enfant pour lui simplifier une appropriation. Le chapitre Vive madame Gertrude ! n’est par exemple qu’une reprise du mythe del’anneau de Gygès. La collection du Cheval Vert met ainsi l’accent sur un décentrement plus fort, en obligeant l’élève à se confronter initialement à une pensée plus éloignée de la sienne. L’altérité nécessaire à la prise de distance par rapport aux certitudes et à l’expérience immédiate n’est ainsi plus la parole d’un autre élève, ou une situation que l’enfant a pu vivre, mais une situation totalement imaginaire. Cette étape significative permet de progresser vers l’universalité de la pensée que vise la philosophie. Mais elle est également la garante d’une pensée a-personnelle: celui qui porte l’anneau de Gygès n’est plus l’élève, ni un enfant, mais un personne imaginaire. L’enfant peut ainsi exprimer sa pensée en parlant de l’homme et non de lui : il n’a pas à craindre le jugement de ses pairs, et libère donc sa parole de toute forme de timidité et de honte.
A noter que le site de la maison d’édition propose des fiches pédagogiques pour utiliser les albums en classe.
Nous pouvons conclure de cela que les entrées dans le philosopher sont diverses, mais présentent souvent une approche basée sur l’expérience concrète de l’enfant, sur des situations qu’il a pu vivre ou qu’il pourrait vivre.
Les références à la philosophie canonique sont utilisées, mais souvent « de l’extérieur », comme un objet mobilisé pour faire comprendre un propos, ou pour amener un point de vue nouveau.
Lorsqu’elle est amenée comme telle, la philosophie est présentée comme une démarche de questionnement, à laquelle peut prendre part l’enfant, le transformant ainsi lui-même en philosophe. Il s’agit de glisser l’enfant dans la peau du philosophe. Face à ces approches, abordons maintenant la collection qui nous intéresse afin d’en dégager l’originalité.
Une identité naissant de la diversité
Bien que ces éléments assurent une certaine cohérence au sein de la collection, afin de rester dans « l’esprit petits Platons » comme aime le souligner J.P. Mongin, l’histoire se modèlant sur les fictions spécifiques des auteurs implique que chacune sera différente des autres : « du fait de ces différents statut de la fiction, les clés d’entrées sont différentes. Donc je doute fortement qu’il y ait une approche qui soit universalisable à l’ensemble de la collection ». J.P. Mongin affirme que l’objectif des ouvrages est de mener à la rencontre de l’auteur et de sa philosophie : « l’ambition principale c’est vraiment d’amener les enfants à rencontrer ces figures et donc à être suscité à une unité de leur propre pensée». Pour exprimer l’unité de ces pensées singulières, trois dispositifs sont utilisés :
→ trouver les fictions dans l’oeuvre de l’auteur et développer sa pensée
→ l’utilisation d’auteurs parfois différents pour parler des philosophes (notons cependant que J.P. Mongin a lui même écrit une grande quantité de livres au sein de sa collection, et que certains auteurs sont également auteurs de plusieurs titres). Cette réutilisation des auteurs est rendue nécessaire suite aux difficultés de trouver des textes satisfaisant pour être publiés. Aujourd’hui, neuf auteurs assurent les histoires des petits Platons.
→ chaque philosophe est illustré par un graphiste différent. Seul Socrate est illustré à travers ses différents albums par le même illustrateur, afin de conserver l’unité de sa pensée. Bien que tous différents, ces univers sont « complémentaires, d’une manière un peu leibnizienne : c’est la multiplicité des perspectives qui permet aux enfants d’appréhender quelque chose de ce qu’est la philosophie. », comme nous le précise l’éditeur. D’une manière plus large, cette conception s’étend à l’intégralité des ouvrages de philosophie à destination de la jeunesse : ils apportent tous une approche spécifique qui, par multiplication des points de vues et des entrées, permet desaisirtoujours un peu plus ce que représente la philosophie. Toutefois, ici c’est la singularité de la rencontre et le plongeon dans la pensée particulière de l’auteur qui est visée. Ce qui unit les différentes approches,et donc les différents albums de la collection, c’est l’émotion provoquée par cette rencontre, qui va pour reprendre l’expression de Bergson, teinter de son voile, comme un filtre, notre perception du monde.
Un postulat fort
Parmi les seize points communs aux démarches philosophiques que M. Tozzi a pu dégager, figure celui du postulat de l’éducabilité philosophique. Dans un dispositif comme celui de Lévine, l’enfant est pour une grande part laissé en autonomie par une discussion libre avec ses pairs, sans intervention de l’enseignant. Cette approche témoigne d’un postulat fort : l’enfant est déjà quelque part philosophe, et il progresse en partie par la discussion avec ses camarades. L’éducabilité philosophique démarre par une attitude philosophique originelle. J.P. Mongin, s’oppose clairement à cette conception : « Je ne pense pas que, comme on le dit souvent bêtement, les enfants soient philosophes parce qu’ils sont curieux », tout comme Y. Marchant: « Il peut y avoir une maturité insuffisante pour traiter certains domaines mais j’observe des questionnements et des théories à partir de 4 ans. Elles sont souvent héritées. Ce sont des balises culturelles. En conséquence, il ne s’agit pas de questions innées, mais apprises. Et les théories qu’ils développent ne sont pas innées, mais apprises (ou induites) également.
Les stoïciens auraient parlé de prénotions. Donc naturellement, ou spontanément plutôt, les enfants ne pensent pas, ils répètent ».
La forme interrogative n’est pas garante de l’acte du questionnement : elle se situe plus dans l’acte mimétique de répétition que dans celui du positionnement actif face à un problème existentiel. Il s’agit donc s’émanciper de la répétition pour entrer, selon Y. Marchand, des méthodes d’interrogation des savoirs préalables. La confrontation à une conception du monde radicalement nouvelle, comme celle présentée dans chaque petit Platon, permet une mise à distance de cette doxa.
Une collection personnelle et non conçue pour l’école
De l’aveu de l’éditeur, ses ouvrages « sont des ouvrages qui n’ont jamais été pensés comme des supports pédagogiques », et de préciser : « je n’ai jamais théorisé la façon dont je parle aux enfants : je parle aux enfants comme j’aime leur parler ». Un des obstacles majeurs à l’utilisation des petits Platons en classe est qu’ils n’ont donc pas initialement été pensé pour l’être. L’éditeur souhaite simplement retrouver « quelque chose de la saveur de [ses] lectures enfantines ou de ce qui réjouissait [ses] lectures enfantines ». Aucune piste n’est donc donnée d’emblée pour les utiliser en classe.
La relative nouveauté de la maison d’édition (2009) implique par ailleurs qu’il n’y a pas encore suffisant d’exploitations pédagogiques en primaire afin d’avoir un retour riche, et de croiser ces pratiques pour en dégager des axes forts.
Outre ce problème de manque de retour, un second point peut être amené à se poser en tant qu’obstacle : l’approche des petits Platons est d’amener à une rencontre singulière. Lorsque J.P. Mongin effectue un atelier, sa pratique ne possède qu’une seule approche pédagogique : « ma pédagogie, s’il en est une, c’est d’être totalement présent à ces rencontres ». Deux objections peuvent être soulevées : → amener à une rencontre, c’est amener l’élève sur le terrain de l’affectif, et donc s’éloigner du domaine des compétences scolaires, du savoir et du savoir-faire à travailler selon les instructions officielles . Si c’est l’esprit critique, les capacités de définition, d’imagination et de raisonnement qui doivent être abordées, quelle place reste-t-il pour l’émotion de la rencontre, pourtant moteur de la collection et donc de l’approche ? Cette objection nous paraît facilement dépassable, puisque cette émotion et cette conversion du regard sont rendues possibles par les singularités de l’album qu’il s’agit de faire saisir à l’enfant : la bienveillance de Ricoeur et sa tranquillité sont ainsi déployées à travers la multiplication de l’évocation de ses souvenirs, et de l’utilisation d’un champs lexical très sensoriel : « petit train à vapeur », « micheline qui lançait son appel », « c’était pour moi le signal d’aller dormir ». En cet aspect, l’étude littéraire de l’ouvrage ne saurait être mieux abordée et mise au service de la compréhension de l’auteur, mise en perspective avec les illustrations.
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Table des matières
Introduction
Parcours et motivation
Questionnement et objet d’étude
Les contraintes et la méthode
Plan d’étude
Partie I – Repères généraux sur la philosophie pour la jeunesse
Qu’est-ce que la philosophie ?
A- Développement de la philosophie pour la jeunesse en France
B Programmes officiels et philosophie à l’école
C- Les différents courants de la philosophie pour la jeunesse
D- Les ouvrages à visée philosophique sur le marché de l’édition jeunesse
Partie II – Les petits Platons
1 – Du point de vue de la collection
A- La rencontre des philosophes
B- Le principe des petits Platons
C- Une identité naissant de la diversité
D- Un postulat fort
E- Une collection personnelle et non conçue pour l’école
F- Une collection plurielle
G- Conclusion
2- Les spécificités de la collection au travers de quelques ouvrages
A- Choix du corpus
B- La Folle Journée du Professeur Kant et la fiction philosophique
a- Qu’est-ce que la fiction ? .
b- Le statut de la fiction philosophique
c- Une expérience limite de fiction
d- La fiction comme moteur du plaisir
e- Conclusion
C- Le Malin Génie de Monsieur Descartes et l’importance de l’illustration
a- Une illustration non décorative
b- La signification de l’univers graphique
c- L’immaturité du Malin Génie de Monsieur Descartes
d- Quelques exemples d’univers graphiques au sein des petits Platons
D- Socrate et la fidélité philosophique
a- Place de la fiction par rapport à l’Histoire de la philosophie
b- La fidélité au corpus de l’oeuvre
c- Socrate et le rapport au maître
Conclusion
Bibliographie
Annexe 1 : Entretien avec Jean-Paul Mongin
Annexe 2 : Questionnaire adressé à Yan Marchand