Un contexte juridique qui encadre strictement le développement du street art
En France comme au Canada, le street est une pratique très encadrée. Dans leurs lois et règlements, tous abordent le street art et la manière dont il est possible de le développer ou non dans les villes. Il existe des similitudes mais aussi des différences dans le traitement de l’art urbain selon les pays et c’est ce que nous allons pouvoir illustrer avec la comparaison de ces deux pays.
En France, un contexte juridique coercitif pour les artistes urbains
Dans un premier temps nous allons définir les termes fondamentaux du droit de propriété et du droit d’auteur qui sont à l’origine même du caractère légal de la production. Nous verrons ensuite dans quel cas précis une œuvre est ou non légale, avant de terminer par les peines que peuvent aujourd’hui encourir les artistes. Pour cette partie, mes sources sont essentiellement constituées des textes de loi français, à savoir le Code Civil et le Code de la Propriété Intellectuelle.
Le droit de propriété et le droit d’auteur, les deux termes à l’origine de la légalité d’une œuvre urbaine
En France, la notion de légalité est celle sur laquelle tout repose en matière d’art urbain. Il y a deux parties en jeu lorsqu’il y a réalisation d’une œuvre urbaine : le droit de propriété, définissant les droits que possèdent le propriétaire du support de l’œuvre et le droit d’auteur, concernant les droits de celui qui créé l’œuvre urbaine. Le support sur lequel repose l’œuvre peut être visible : mur d’une maison, devanture d’un commerce, moyens de transports (voiture, camion, métro etc.) ou bien dissimulé : pont, tunnel, friche etc. Peu importe le support, il existe toujours un propriétaire qu’il soit privé ou public. Le droit français définit ces deux termes de manière très précise.
Droit de propriété : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » (Art. 544 du Code Civil). Le droit de propriété se caractérise selon trois attributs fondamentaux issus du droit romain. Ils permettent de mieux cerner les droits que possède le propriétaire du support sur l’œuvre :
– Usus : c’est le droit d’utiliser et de contrôler l’utilisation de la propriété, c’est aussi avoir la faculté de pouvoir reprendre possession du bien, le cas échéant. En définitive, cela signifie que le propriétaire du support de l’œuvre urbaine pourra décider qu’un artiste réalise ou non l’œuvre sur son mur. Si toutefois celle-ci est produite sans son accord, il pourra alors choisir de la conserver ou de l’effacer.
– Fructus : c’est le droit de disposer des fruits de ces biens. Cela autorise le propriétaire du support de l’œuvre à faire payer un artiste ou une entreprise pour pouvoir produire une œuvre sur son bien.
– Abusus : ce droit autorise la destruction ou le transfert de la propriété contre de l’argent ou à titre gratuit. Ce droit permet au propriétaire de pouvoir vendre (contre de l’argent) ou donner (à titre gratuit) l’œuvre apposée sur son bien.
Le propriétaire du support d’une œuvre est donc protégé par le droit français. Cette protection lui permet de choisir s’il veut ou non d’une œuvre sur son bien, et à quel prix. Il est de même protégé en aval. Si une œuvre illégale a été réalisée sans son accord, il a tout à fait le droit de l’effacer, la donner ou la vendre. La question du don ou de la vente peut s’avérer complexe et plutôt rare dans le cas des œuvres urbaines, puisqu’il s’agirait pour le propriétaire de se séparer d’une partie de son bien, à savoir, ses murs. Toutefois, avec la reconnaissance accrue de ce mouvement, il devient de plus en plus courant de voir des fragments de murs vendus aux enchères et dans les galeries d’art. Prenons l’exemple de cette œuvre d’art créée par le célèbre Banksy et vendue aux enchères, à Londres, en 2013. Ce phénomène a fait naitre la controverse auprès des artistes mais aussi des habitants. Il pose la problématique de comment un art prévu initialement pour rester dans la rue se retrouve dans les galeries d’art où chez des particuliers. Cependant, ce questionnement donnerait lieu à un tout autre travail de recherche.
Les droits énoncés précédemment s’appliquent donc aussi bien à un propriétaire privé que public. En effet, une œuvre réalisée sur du mobilier urbain (banc, poubelle etc.) ou sur le trottoir d’une rue publique par exemple, sera assujettie aux même règles que pour un propriétaire privé. La commune en question pourra alors décider de vouloir ou non qu’une œuvre soit réalisée. Si cette œuvre est produite de manière illégale, elle dispose alors du droit de la conserver ou de l’effacer. Droit d’auteur : « La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée » (Art. L113-1 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI)) Le droit d’auteur permet à ce dernier de pouvoir jouir de deux privilèges selon le Code de la Propriété Intellectuelle français : le droit moral et le droit patrimonial.
– Le droit moral : « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre » (Art. L121-1 du CPI). Cela signifie que l’auteur de l’œuvre urbaine aura droit de paternité sur sa production et pourra la revendiquer en tant que telle. Cela fait écho aux nombreux surnoms et patronymes que se donnent les artistes (Banksy, JR, C215 etc.) Ces dénominations sont un moyen simple pour eux de signer leurs œuvres afin d’être reconnus parmi tous les artistes.
– Le droit patrimonial : « Le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction » (Art. L122-1 du CPI) Ce droit permet à l’auteur d’avoir la possibilité de divulguer et partager son œuvre comme il le désire. Il peut de même la retirer à tout moment du support ou des supports sur lesquels elle est présente. Il peut s’agir du support physique sur lequel il a réalisé son œuvre (mur, devanture, trottoir etc.) mais aussi des supports dits « virtuels » (internet, réseaux sociaux etc.) où peut être partagée son œuvre. En réalité, il est rare que les artistes revendiquent le partage de leurs œuvres sur les réseaux sociaux puisque c’est très souvent le seul moyen de communication qu’ils possèdent et qui leur permet d’être reconnus.
Cette définition du droit d’auteur s’applique, aux yeux de la loi, lorsque l’œuvre est légale. Il peut alors revendiquer son œuvre comme étant la sienne et peut décider du sort de cette dernière. Toutefois, un autre article du Code de la Propriété Intellectuelle affirme que tout droit d’auteur est retiré lorsque l’œuvre est illégale. L’article L121-1 du CPI, dit, en effet : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Les dispositions ne s’appliquent pas aux agents auteurs d’œuvres dont la divulgation n’est soumis, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable ou l’autorité hiérarchique » (Art. L121-1 du CPI). En résumé, cette seule loi suffit à illustrer que la légalité est le socle de la reconnaissance d’une œuvre urbaine. Nous détenons ici une piste qui justifie de la complexité du statut des artistes urbains lorsqu’ils n’ont pas d’autorisation préalable et qu’ils exercent alors dans l’illégalité. Cette idée de légalité est fondée sur plusieurs critères pouvant rendre l’œuvre acceptable ou non aux yeux des autorités publiques.
Les critères qui font la légalité des œuvres
Mais alors, quels sont les critères qui font qu’une œuvre est illégale et que l’auteur de celle-ci perd tous ses droits sur sa production ? Aux yeux de la loi, l’un des critères principaux pour qu’une œuvre urbaine soit jugée légale est que l’auteur de l’œuvre ait l’accord du propriétaire du support. Cependant, il ne s’agit pas du seul critère nécessaire pour que l’œuvre soit reconnue illégale. Deux autres facteurs entrent en compte :
– Il faut que l’œuvre réalisée respecte les règles d’urbanisme. C’est-à-dire qu’elle ne soit opposée à aucune loi du Code de l’Urbanisme et à aucun article issu du règlement du Plan Local de l’Urbanisme qui régit, par exemple, l’aspect des façades.
– Il faut que l’œuvre respecte les règles de propriété intellectuelle. C’est-à-dire qu’il ne peut s’agir d’une reproduction (sauf si l’artiste a l’accord de l’auteur) et l’œuvre ne doit inciter ni à la haine, ni au racisme, ni à la violence.
Pour que le contexte de légalité soit plus clair, voici un organigramme qui résume les quatre situations possibles dans lesquelles peut se retrouver aujourd’hui une œuvre urbaine, et dans quel cas cette dernière est légale ou illégale.
Mais alors, qu’elle est la plus-value pour un artiste qui va créer son œuvre en toute légalité ? Le fait de produire une œuvre légale permet à l’artiste d’exercer dans un certain confort. En effet, contrairement à la pression que subissent les artistes « vandales », les artistes qui produisent légalement peuvent prendre leur temps pour créer leurs œuvres, sans avoir peur d’être surpris par les autorités policières. Il en est de même, par la suite, lorsque l’œuvre est créée. Un artiste qui aura pris la peine de demander l’autorisation du propriétaire, au préalable, aura plus de chance de voir son œuvre pérenniser dans le temps. Sans autorisation, la production aura plus de risques d’être effacée ou recouverte par les autorités publiques, le propriétaire, mais aussi un autre artiste. L’expérience qu’a vécue une pochoiriste parisienne permet d’illustrer à quel point le contexte juridique peut avoir du poids sur les choix que fait l’artiste urbain. Miss.Tic, poète et artiste née en 1956, produit des œuvres qui défendent l’idée de la femme libre. En 2002, elle est condamnée à payer une amende à hauteur de 4 500€ pour avoir réalisé une œuvre urbaine sans autorisations préalables. Elle avoue avoir fait, au cours de sa jeunesse, plusieurs séjours dans des postes de police pour des préjudices similaires. Aujourd’hui, pour plus de confort et pour être sûre que ses œuvres auront un poids réel dans le paysage urbain, Miss.Tic demande systématiquement l’autorisation du propriétaire du support avant d’y apposer une œuvre. Elle confie : « C’est très contraignant. Avant je ne demandais pas d’autorisation. J’ai passé plusieurs nuits blanches dans les postes avec fouilles au corps et tout le reste. Je préfère être dans la légalité. C’est beaucoup plus agréable. […] C’est une façon de rester présente.» Il faut toutefois noter que cette situation reste très rare dans le milieu de l’art urbain et que, dans la majorité des cas, les œuvres sont illégales par manque d’accord entre les artistes et les propriétaires des différents supports. L’aspect contraignant des œuvres illégales s’appréhende avec le manque de confort que procure cette situation pour les artistes, mais surtout le coût financier qu’il peut en résulter.
|
Table des matières
Introduction
Partie 1. Des contextes juridique et politique qui témoignent d’un rapport de force entre les acteurs de la ville et le street art
1. Un contexte juridique qui encadre strictement le développement du street art
1.1. En France, un contexte juridique coercitif pour les artistes urbains
1.2. Au Québec, un fonctionnement juridique différent du contexte français, cependant basé sur le même critère
2. Les outils et opérations que les villes mettent en œuvre pour limiter le développement du street art
2.1. Des opérations de nettoyage pour limiter l’essor du graffiti illégal
2.2. Des disparités dans le traitement des œuvres urbaines de la part des villes, pour un meilleur contrôle du street art
Partie 2. Un mode d’expression perçu comme un outil de requalification urbaine par la ville et ses acteurs, avec sa prise en compte progressive dans le paysage urbain
1. Un phénomène que s’approprient les acteurs publics dans leurs projets urbains comme un levier à la requalification urbaine
1.1. A Marseille, plusieurs acteurs publics et semi-publics impliqués dans la reconnaissance progressive du street art
1.2. A Montréal, une implication de la ville en faveur de l’art urbain qui s’effectue à plusieurs échelles
2. Une récupération du phénomène du street art par ceux qui le côtoient au quotidien
2.1. Une pratique artistique qui améliore le rapport des habitants à leur environnement
2.2. Quand les commerçants s’approprient un phénomène urbain
Partie 3. Une légitimité accrue du street art qui influe sur sa distribution spatiale et qui participe à la creation d’une identité pour certains quartiers
1. Une évolution dans la reconnaissance et la perception du street art qui influe sur sa distribution spatiale dans la ville
1.1. Un changement de regard progressif sur cette forme d’art
1.2. Quand la légitimé grandissante du street art influe sur sa distribution spatiale
2. Une distribution spatiale requalifiante et qui génère une nouvelle identité pour certains quartiers
2.1. A Marseille comme à Montréal, des quartiers qui se distinguent grâce au street art
2.2. Un processus de requalification urbaine toutefois marginal et ponctuel
Conclusion
Bibliographie