La découverte et la compréhension du monde dans lequel nous vivons s’est toujours faite à travers l’observation et la métrologie de notre environnement. La notion du temps, de par sa nature abstraite, a amené l’homme à chercher un référentiel sur lequel se baser. Historiquement, l’observation des astres comme le Soleil, en leur qualité d’horloge, a permis de mesurer le temps avec précision. Au fur et à mesure, avec les progrès techniques et scientifiques, la précision et la stabilité des horloges ont progressé très rapidement, passant de l’horloge astronomique à l’horloge mécanique, puis à l’horloge atomique. Actuellement, la mesure du temps est si précise que l’on définit les autres grandeurs physiques à partir de ce dernier. Par exemple, la mesure d’une longueur s’effectue par la mesure du temps écoulé lors de la propagation de la lumière sur cette distance. Cependant, les différentes références de fréquence existantes ne possèdent pas la même stabilité à court et long terme. En effet, selon les applications, la stabilité requise n’est pas la même .
De nombreux travaux de recherche ont été réalisés pour améliorer ces références de fréquence. Le développement des oscillateurs électroniques comme ceux basés sur des résonateurs à quartz a permis l’obtention de signaux ultra stables basses fréquences jusqu’au GHz. D’autres sources ont pris le relai à plus haute fréquence (gamme micro-ondes), comme les oscillateurs à résonateurs diélectriques (DRO). Un résonateur diélectrique réalisé dans un monocristal de saphir a même été utilisé pour atteindre une très haute pureté spectrale. Toutefois, l’essor de nouvelles applications à plus haute fréquence, notamment dans le domaine des télécommunications, requiert de nouvelles références de fréquence. En effet, la multiplication de fréquence à partir de sources stables basses fréquence ainsi que la dégradation du facteur de qualité des résonateurs diélectriques lors de la montée en fréquence discréditent l’utilisation de ces technologies pour l’obtention de sources ultra stables à 30 GHz et au-delà.
Les faibles pertes par propagation dans les fibres ont amené l’utilisation de longues lignes à retard dans les oscillateurs micro-ondes. Les progrès des composants photoniques ont fourni une alternative pour la réalisation d’oscillateurs micro-ondes à haute fréquence notamment grâce à la réalisation de résonateurs optique à très haut facteur de qualité. Dès le début des années 1990, le premier oscillateur optoélectronique (OEO) a vu le jour au sein du Jet Propulsion Laboratory (JPL). Ce système présente l’avantage majeur de voir ses performances principalement déterminées par les composants optiques le constituant, et donc d’être indépendantes de la fréquence. Les performances requises par les différentes applications convergent vers une faible consommation, un dispositif compact et un bruit de phase minimal. Dès lors, de nombreuses architectures différentes ont émergé afin de répondre aux diverses attentes. La meilleure stabilité court terme pour un OEO a été obtenue à partir d’un OEO dont le retard était constitué de 16 km de fibre. Cependant, un tel système est volumineux et engendre de nombreux modes parasites, problème rédhibitoire pour les applications radars par exemple. Plusieurs alternatives sont alors apparues pour filtrer ces modes parasites. Dans un second temps, l’utilisation de résonateurs passifs a été proposée pour conserver une très haute pureté spectrale et filtrer ces modes parasites. Cependant, les multiples perturbations extérieures (vibrations, température…) impliquent de verrouiller le laser sur le résonateur, complexifiant le système.
A la fin des années 1990, l’équipe de recherche du JPL a proposé une architecture innovante : le système laser résonateur est remplacé par un résonateur fibré actif, un laser à blocage de modes. L’oscillation optoélectronique est donc couplée à l’oscillation optique : on parle d’oscillateur optoélectronique couplé (COEO). Cette architecture présente de nombreux avantages. En effet, le laser étant intégré au résonateur, aucun verrouillage laserrésonateur n’est nécessaire. De plus, comparé à un OEO à ligne à retard, le résonateur actif permet l’utilisation de fibres plus courtes pour un facteur de qualité équivalent identique. L’étude du COEO constitue la motivation principale de cette thèse.
Les oscillateurs optoélectroniques
L’essor des télécommunications et des détections radars ces dernières décennies a accru la nécessité d’obtention de signaux ultra stables utilisés comme références de fréquence dans un dispositif plus complexe, comme un synthétiseur de fréquence. Dès les années 1960, les sources micro-ondes connaissent une évolution de l’oscillateur simple à cavité vers des sources synthétisées, c’est-à-dire verrouillées sur des références basses fréquences très stables. Ces références de fréquence sont des oscillateurs utilisant une résonance piézoélectrique dans le volume d’une lame de quartz. Le fort coefficient de qualité de la résonance piézoélectrique et sa grande stabilité en température conduisent à des références de fréquence très fiables. Les meilleurs oscillateurs de ce type sont les OCXO (Oven Controlled Crystal Oscillators), dont les fréquences fondamentales se situent autour de 10 MHz ou 100 MHz [1]. Dans le système permettant la synthèse micro-onde à partir d’une référence à quartz, basé sur une boucle à verrouillage de phase et des multiplicateurs et/ou des diviseurs de fréquence, le bruit de phase de la source de référence est multiplié par la différence de fréquence entre la référence et la fréquence micro-onde. Par exemple, une synthèse à 10 GHz à partir d’un quartz à 10 MHz conduit à une dégradation de 60 dB du spectre de bruit de phase de la source de référence. Une solution consiste alors à filtrer le bruit loin de la porteuse en verrouillant sur la référence à quartz un oscillateur micro-onde de bonne pureté spectrale et en ajustant au mieux la bande de verrouillage entre les deux sources. Les meilleurs oscillateurs micro-ondes utilisables à cet effet sont les oscillateurs à résonateurs diélectriques (DRO). Ils mettent en œuvre une résonance électromagnétique dans un matériau diélectrique constitué d’une céramique ayant à la fois des propriétés de faibles pertes (donc fort coefficient de qualité) et une très bonne stabilité en température. Cependant, ces sources ne sont utilisables que dans une gamme de fréquence relativement étroite : à basse fréquence (ex : 1 GHz), le résonateur est trop volumineux et à haute fréquence, les pertes dans le matériau céramique augmentent et rendent ses performances moins intéressantes (le coefficient de qualité des résonateurs diélectriques est à peu près inversement proportionnel à la fréquence). Cette technologie est donc principalement utilisée entre 4 GHz et 20 GHz environ [2]. Une alternative au résonateur céramique est le résonateur réalisé dans un monocristal de saphir [3]. Les très faibles pertes de ce matériau diélectrique permettent l’obtention de résonateurs à très fort coefficient de qualité (Q à vide de l’ordre de 10⁵ à 10 GHz) et les oscillateurs à base de résonateurs saphir ont longtemps représenté l’état de l’art des sources micro-ondes en ce qui concerne la stabilité court terme (bruit de phase). Ces sources présentent néanmoins plusieurs défauts qui les rendent peu compétitives pour certaines applications : les résonateurs saphir, de par leur faible permittivité diélectrique, doivent fonctionner sur des modes élevés (modes de galerie) et être confinés dans une cavité métallique. Ils sont donc particulièrement volumineux. De plus, aucune compensation de la variation de la fréquence de résonance avec la température n’est possible dans un cristal (contrairement à la céramique) et la dérive en température de ces oscillateurs est le principal point faible de cette technologie (qui peut être résolu par l’utilisation de la cryogénie [4], mais avec un coût et un volume élevé). Enfin, tout comme pour les résonateurs céramiques, leurs performances se dégradent lorsqu’on monte en fréquence vers la gamme millimétrique. Or, la croissance importante des télécommunications ces dernières décennies a entraîné une saturation progressive des différentes bandes de fréquence allouées à chaque application. La montée en fréquence des dispositifs est devenue un enjeu important. Etant donné que le coefficient de qualité des résonateurs diélectriques diminue avec l’augmentation de la fréquence, ils ne peuvent répondre à ce besoin. Le manque de sources à haute pureté spectrale générées ou bien multipliées dans les gammes de fréquence supérieures à la bande X a motivé la génération de micro-ondes par l’optique. En effet, l’optique permet l’obtention de résonances présentant des coefficients de qualité très élevés (de l’ordre de 10⁹ , et plus), ou encore des retards sans pertes de plusieurs microsecondes ou dizaines de microsecondes. Transposés en hyperfréquences, ces retards ou ces coefficients de qualité permettent l’obtention de performances très supérieures aux approches micro-ondes, avec néanmoins un inconvénient : le bruit ajouté par la conversion micro-onde-optique et optique micro onde nécessaire à l’utilisation de ces dispositifs. Les premiers oscillateurs optoélectroniques sont apparus dans les années 1990 au laboratoire Jet Propulsion Laboratory (JPL) [5]. Ils étaient tout d’abord basés sur des lignes à retard fibrées, puis des dispositifs à résonateurs optiques et des dispositifs utilisant des lasers à blocage de modes ont été proposés.
L’oscillateur
Principe et notions de bruit
Un oscillateur est un dispositif qui émet une onde périodique. Les oscillateurs harmoniques produisent des ondes périodiques sinusoïdales de fréquence fixe ou variable. Ils sont couramment utilisés dans les systèmes radars et plus globalement dans chaque système nécessitant un signal de référence, une horloge.
Un oscillateur est composé d’un élément d’amplification, un transistor dans le cas d’un oscillateur électronique ou un amplificateur optique dans le cas d’un laser ; une boucle de rétroaction sur l’amplificateur constituée d’un filtre résonnant ainsi que d’un déphaseur permet l’oscillation. Initialement, le gain de l’amplificateur est supérieur aux pertes introduites par le résonateur et les autres éléments passifs du système. La puissance intracavité va ainsi augmenter jusqu’à ce que le gain de l’amplificateur sature sous l’effet de l’intensité du champ et ainsi diminue jusqu’à compenser les pertes totales sur un tour de cavité. Par ailleurs, pour que l’oscillation ait lieu, le signal généré doit être en phase (modulo 2π) après avoir parcouru un tour de cavité. Cette condition de phase est assurée par le déphaseur.
La technique la plus couramment utilisée [6] pour mesurer la densité spectrale de fluctuation de phase d’une source consiste à la comparer à une source de référence de même fréquence (donc accordable en fréquence), les deux sources étant verrouillées l’une sur l’autre à l’aide d’une boucle à verrouillage de phase (PLL) à bande étroite. A la sortie du détecteur de phase et au-delà de la fréquence de coupure de la PLL, le signal délivré correspond à la somme des densités spectrales de fluctuation de phase des deux sources. Il est également possible de corriger l’effet de la PLL pour accéder à des données correspondant à des fréquences situées à l’intérieur de la bande de verrouillage. Bien évidemment, la source de référence doit être la plus pure possible, c’est-à-dire que son spectre de fluctuation de phase doit être très inférieur à celui de la source sous test. C’est donc le bruit propre de la référence qui fixe le plancher de mesure. Pour abaisser ce plancher, il est possible de dédoubler la source de référence, ainsi que l’étage de détection de phase, et d’effectuer une détection par corrélation, ce qui élimine le bruit propre des deux références de fréquence qui ne sont pas corrélées entre elles. Le système de mesure que nous avons utilisé pour caractériser nos oscillateurs, l’analyseur de signal Keysight E5052B, est basé sur ce principe.
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Table des matières
Introduction Générale
Chapitre I Les oscillateurs optoélectroniques
I.1 Introduction
I.2 L’oscillateur
I.2.a Principe et notions de bruit
I.2.b Bruit de phase résiduel et modèle de Leeson
I.3 Le laser à blocage de modes
I.3.a Principe
I.3.b Lasers à blocage de modes régénératif
I.4 Les oscillateurs optoélectroniques
I.4.a OEO à ligne à retard
I.4.b Les résonateurs passifs
I.4.c Les oscillateurs optoélectroniques couplés (COEO)
I.5 Génération micro‐ondes par peignes de fréquences optiques
I.5.a Les peignes par effet Kerr dans les résonateurs WGM
I.5.b Stabilisation de peignes pour la génération micro-ondes
I.6 Vers la génération millimétrique
I.7 Conclusion
I.8 Références
Chapitre II Le COEO 10 GHz
II.1 Introduction
II.2 Bruit de phase des amplificateurs optiques
II.2.a Caractérisation des amplificateurs optiques
II.2.b Conversion amplitude-phase du bruit dans la liaison
II.2.c Etude de la saturation des amplificateurs optiques
II.2.d Choix de l’amplificateur pour le COEO
II.3 COEO à 10 GHz
II.3.a Etude de la topologie du dispositif
II.3.b Impact de la longueur et de la dispersion totale de la cavité optique
II.3.c COEO à partir d’un EDFA
II.4 Etude du bruit de phase du COEO par fonction de transfert
II.4.a Modélisation du COEO
II.4.b Mesure du facteur qualité du COEO
II.4.c Bruit de phase résiduel à 10 GHz des amplificateurs
II.4.d Résultats du modèle
II.5 Conclusion
II.6 Références
Chapitre III Modélisation numérique du laser à blocage de modes
III.1 Contexte
III.2 Le laser à blocage de modes actif
III.2.a Filtre optique
III.2.b Modulateur Mach Zehnder
III.2.c Propagation dans les fibres
III.2.d Amplification dans le SOA
III.2.e Photodétection du signal en sortie
III.3 Résultats de la modélisation du laser à blocage de modes
III.3.a Train d’impulsion en régime stabilisé
III.3.b Etude de l’influence de la dispersion chromatique sur le régime stabilisé
III.3.c Photodétection et puissance RF générée à 10 GHz
III.4 Conclusion
III.5 Références
Chapitre IV Vers la génération en gamme millimétrique
IV.1 Introduction
IV.2 Multiplication de fréquence à partir d’un laser à blocage de modes
IV.3 COEO à 30 GHz
IV.3.a Topologie du COEO
IV.3.b Mesures expérimentales
IV.4 Génération harmonique à 90 GHz
IV.4.a Montage expérimental
IV.4.b Etude de la polarisation DC du MZM
IV.4.c Compression d’impulsions pour la génération harmonique
IV.4.d Bruit de phase du système
IV.5 Conclusion
IV.6 Références
Conclusion Générale