Les Origines intellectuelles du Romantisme français 

L’hellénisme dans le philochristianisme des romantiques

Dès l’Antiquité tardive, les Pères de l’Église tentèrent d’établir que toute la philosophie grecque était simplement un plagiat de celle de Moïse . Sans pour autant avancer les mêmes arguments rhétoriques que ces derniers, les romantiques eurent cette même intention de démontrer une certaine supériorité intellectuelle du christianisme sur l’hellénisme, jouissant pourtant du privilège de renfermer la littérature sapientielle, les vérités de la Raison . C’est dans cet état d’esprit que Chateaubriand écrivit Génie du christianisme, comparant la mythologie grecque avec la poésie chrétienne du Tasse, de Dante, de John Milton, concluant sur la supériorité de ces derniers face à l’aède de l’Antiquité : Chateaubriand comparant tout particulièrement Homère et la Bible et jugeant cette dernière supérieure sur l’Iliade. Dans le domaine philosophique également, Chateaubriand proclame la cohorte des métaphysiciens chrétiens qu’il cite, Bacon, Newton, Bayle, Clarke, Leibniz, Grotius, Pascal, Arnauld, Nicole, Malebranche, Bossuet, La Bruyère, supérieure à Platon ; bien qu’on lût encore la métaphysique de ce dernier « parce qu’elle est colorée par une imagination brillante. »

La place et le rôle de la littérature romantique dans l’aube d’une société nouvelle

« Ne prenez part aux révolutions matérielles que par les révolutions intellectuelles », recommandait Hugo. — « les révolutions transforment tout, excepté le cœur humain . » —Ce dernier, en 1852 envisageait contre Louis-Bonaparte de « construire une citadelle d’écrivains et de libraires d’où nous bombarderons le Bonaparte ». Dans le combat idéologique mené tantôt par Chateaubriand contre l’Empire , tantôt par Victor Hugo contre le Second Empire, les romantiques ont conscience de l’importance des publications écrites, de la puissance idéologique de la littérature et de la presse sur les masses . Surtout dans un pays tel que la France où remporter la bataille de la culture devient un impératif politique majeur en raison de cette citoyenneté qui noue intimement l’êthosavec l’ethnos. Être français c’est être investi politiquement, et par conséquent être réceptif aux nouvelles politiques pour en débattre. Dès lors, le poète doit convaincre les foules. Dans sa Note sur la Grèce, Chateaubriand conseille de.

LA RELIGIOSITÉ ROMANTIQUE FACE À SON IMAGE DU DÉCLIN

La religion des romantiques est un sujet qui intéresse depuis longtemps l’historiographie. Souvent incomprise, cette religiosité reste encore reléguée dans les sphères de la pensée contre-révolutionnaire. Quoique l’image d’un déclin ressorte aussi dans la philosophie maistrienne et bonaldienne, le déclin chez les romantiques se distingue par sa dimension sociologique. Les romantiques expliquent la Révolution par la décadence de la France, par un déclin d’origine culturelle et non par la vision eschatologique des ultras, songeant que la France dut être éprouvée par le Mal afin d’être sauvée par la restauration de la monarchie légitimiste et ultramontaine ; l’épreuve étant considérée ici comme une étape nécessaire de la salvation chez les ultras. Nous verrons alors comment chez les romantiques s’articule leur image du déclin avec leur religiosité qui semble si difficile à cerner : un déclin et une religiosité romantiques ayant été les dynamiques principales de la conceptualisation romantique de la France.

La conceptualisation romantique d’un déclin français

La guerre d’indépendance grecque offrit aux romantiques l’occasion de projeter sur un autre pays des sentiments qu’ils appliquaient au leur. Laisser mourir la Grèce revenait à laisser mourir la France, mais pourquoi donc ? C’est que ce parti pris pour la cause grecque cachait en réalité une crainte plus profonde, que l’on retrouve dans l’ensemble de l’œuvre romantique : la peur du déclin. La France, exsangue des guerres napoléoniennes et de la Révolution dont les remous intellectuels s’étaient propagés sur toute l’Europe, cette France inquiète Chateaubriand, qui se voit comme à son chevet et dont il espère la régénérescence.
Ce n’est pas tant l’Islam en soi ni la cause grecque qui préoccupent le romantique et ses pairs mais les mœurs de son temps, les idées politiques de ses compatriotes, leur envie de se rassembler en dḗmosau détriment de l’union culturelle historique de l’ethnosfrançais. C’est à l’aune d’un monde tombé en déliquescence, du royaume de France déchu, que Chateaubriand positionne l’image de la France vis-à-vis de l’étranger. Observer l’étranger, c’est aussi porter un regard sur soi ; un regard sans doute plus intéressant qu’il extirpe l’observateur d’un espace social  où le conformisme peut étouffer ses sentiments. Mais à travers le voyage, dans son odyssée, lereflet que lui renvoie le miroir de l’altérité effraie davantage Chateaubriand.
Et de Paris à Jérusalem, en passant par la Grèce, Constantinople, l’Égypte, voyant errer sur les ruines des mondes anciens des peuples nouveaux Chateaubriand en est encore plus tourmenté. L’Orient offre une physionomie particulière de l’histoire où celle-ci règne partout, grave, solennelle, dramatique, sanglante. Plus que jamais Chateaubriand pense qu’une civilisation est mortelle. Où qu’il pose son regard une ruine vient renforcer l’idée que chacune de ces civilisations a dû son essor parce qu’elle avait en son temps enraciné les bases de son ethnos dans sa religiosité. C’est ce dont témoignent ces temples et ces tombeaux encore debout, l’efflorescence fanée des cultures anciennes et que le présent, honni, irréligieux, regarde comme des curiosités ; tandis que leur vue est édifiante dans l’âme romantique.

La question de l’hérédité de la noblesse dans le déclin romantique

Autant la démocratie est le choix évident, logique, pour l’empirisme, autant dans l’esprit romantique, où les hommes et les femmes diffèrent par leur degré de moralité, la question de l’isonomie, du dḗmos, de la citoyenneté, se pose de façon plus impérieuse.
Le legs rationaliste véhicule l’idée que la connaissance appartient à une élite, et ce non pas qu’en raison d’iniquités sociales mais aussi du désintérêt naturel des masses à l’encontre du savoir. Descartes écrivait que « la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées . » C’est la tour d’ivoire contre la plèbe qui l’entoure à son pied, pataugeant dans son ignorance qu’elle entretient. Car entendons-nous bien, la pensée politique du Romantisme s’inscrit dans un système moniste : les romantiques ont le souci d’instaurer un gouvernement juste et beau, capable de tirer l’humanité vers le haut. Ce n’est jamais par pragmatisme ou par cynisme, en se contentant de l’idée que la somme de tous les égoïsmes individuels donne naissance à un État médiocre mais acceptable, que les romantiques veulent édifier l’État idéal de la France. Leur pensée est moniste. La philosophie politique du Romantisme se fonde dans la religiosité chrétienne, dans un système qu’elle cherche à rendre cohérent : Lamartine écrivant, début des années 1830 « La charité, c’est le socialisme », et 178 concluant que « tu reconnaîtras un droit au-dessus du droit de propriété, le droit d’humanité !Voilà la justice et la politique ; c’est une même chose . »
Pour être un acteur moral de la politique faut-il donc au préalable être moral. Dès la naissance de la littérature française s’est affirmée l’idée que les masses n’étaient pas aptes à gouverner ; légitimant ainsi le rôle joué par la noblesse au sein de la société des Trois Ordres. Dans le Roman d’Alexandre, considéré comme le premier roman de la littérature française , dont les vers de douze pieds auront tant marqué par leur harmonie que celui-ci fut dès lors surnommé « alexandrin », justifie cette division morale de la société où, comme le rapporte Georges Duby, citant Gérard de Cambrai « Il appartient aux rois de réprimer les séditions par leur virtus . »
Le normand, Alexandre de Bernay, affirme au XIIe siècle que « Ne doit terre tenir joenes hom recreüs . » (un chevalier indigne ne doit pas gouverner une terre !). « Sachiés que mainte terre est sovent apovrie par malvais avoué qu’en a la segnorie . » (Sachez que 183 mainte terre est souvent appauvrie par le mauvais prince qui la gouverne.) ; « Ne sui pas li vilains qui la veut envoier Et la hue son chien ou il n’ose aprochier . » (Je ne suis pas 184 comme le vilain qui envoie son chien là où il n’ose aller lui-même !) L’idée, très prégnante, qui se dégage est la nécessité d’un gouvernant vertueux dont répond l’image du prince :
Ha ! gentieus chevaliers, de nobile pooir,
Sages, preus et cortois, humeles et dous por voir,
Car onques a nul jor ne me poi percevoir
Que orgeus vos creüst pr richece d’avoir
Ne soufraite meïst vostre oevre en nonchaloir.
Alexandre le Grand et ses barons offrant, par anachronisme, l’image idéale du gouvernant : « Larges fu et hardis et molt preus et cortois. » (Il [le roi Alexandre] est généreux et hardi, preux et courtois.) Et c’est ce prince, véritable évergète, qui, par sa virtus, redistribue les richesses qu’un vilain eût gardé pour lui : « Gentieus sire, fait il, qui tant m’eüstes chier, Sor toutes riens avés amé bon chevalier, Ne onques a nul jor ne convint a proier Un povre home le riche por envers vos aidier, Car a chascun donastes ce dont il ot mestier . » (Noble seigneur, dit-il, vous qui avez eu tant d’amitié pour moi, vous qui aimez 187 tant les bons chevaliers, jamais, pour faire partie des vôtres, un pauvre homme n’a dû prier le riche, car vous avez donné à chacun selon ses besoins.)

LA FRANCE ROMANTIQUE ET LA RÉVOLUTION DE 1830

La nation française est tout l’enjeu de la révolution de 1830. À ses débuts, la révolution de 1789 s’était déroulée sous les auspices de la monarchie constitutionnelle et du concept naissant de citoyenneté, intégré dès la rédaction de la première constitution française. En cela, 1830 diffère de l’état d’esprit de 1789 et même de 93 où la république n’était pas une évidence aux yeux de tous les Français. 1830 c’est la consécration du peuple français, et Louis-Philippe lui-même ne pouvait échapper à cette conceptualisation d’une France de plus en plus républicaine. Louis-Philippe, roi-citoyen, non pas sacré en la cathédrale de Reims, mais proclamé roi des Françaispar le peuple français, marchant non plus sous les drapeaux fleurdelisés mais sous le drapeau tricolore et non plus auprès des Françaisde la Charte de 1814 mais des citoyens français de la nouvelle Charte de 1830, tandis que Vive Henri IVn’est plus l’hymne national mais le devient La Parisienne de Casimir Delavigne.

Le bouleversement idéologique de 1830 dans la philosophie politique du Romantisme

Chateaubriand écrivit que « les septembriseurs et les terroristes de 1792 et de 1793 étaient des démocrates plébéiens. » Quelques années après la révolution de 1830, Lamartine concluait avec gravité lors de son Voyage en Orient : « Le peuple est maître, mais il n’est pas capable de l’être » ; quant à Victor Hugo : « Ne demandez pas de droits pour le peuple tant 349 que le peuple demandera des têtes . » Marcel Arland préfaçant les Poèmes antiques et 350 moderneset Les Destinées illustrait la pensée d’Alfred de Vigny en résumant que pour ce dernier : « Les peuples sont des enfants qu’il faut guider […] Les nations se cherchent et se déchirent dans la nuit ; les peuples (qui ont détrôné les rois et oublié Dieu !) sont des enfants perdus . » Guider pour protéger les masses d’elles-mêmes, pour les préserver de leur hubrispar un roi paternel, chrétien, 1830 a chamboulé ce schème idéologique.
Démocratie, monarchie, république, constitution, charte, suffrage censitaire ou universel sont alors autant de mots qui obsèdent les mentalités dans une époque en ébullition. Déçus par la dynastie des Bourbons, ne parvenant pas à penser la religion autrement que par le catholicisme, 1830 marque un tournant définitif autant du point de vue historiographique actuel que dans la conscience de ses protagonistes. Les romantiques comprennent que les choses ne pourront jamais plus revenir en arrière. Staël, Chateaubriand, Lamartine, Vigny et Hugo avaient rêvé une France romantique où la royauté eût renoué avec saint Louis et Charlemagne puis avec tous ces chevaliers dans les châteaux gothiques des romans courtois, où la religion chrétienne eût retrouvé un essor spirituel et esthétique comparable au temps des cathédrales. Les romantiques ont tous eu en commun ce rêve en 1814 ; et le réaliser politiquement revenait à faire le choix, évident, de Louis XVIII et de l’Église catholique. 1830 est une gifle idéologique. Ce choix politique fait en 1814 ne produisit pas l’effet escompté ;  malgré tous les efforts du Romantisme, toute sa ferveur mise au service de son camp politique, les règnes de Louis XVIII et de Charles X ont laissé un sentiment amer de médiocrité, au point que 93, la démocratie, la république et même l’Empire de Napoléon sont vus sous un autre regard, plus positif, presque empreint de nostalgie.
Partout de nouvelles formes de gouvernement émergent dans les pensées, l’imaginaire s’étend vers de nouveaux horizons. L’expérience historique de la démocratie en France est alors quasi-nulle. Sa compréhension même est toute théorique. Mais elle se forme à l’aune d’un savoir, celui de la Grèce antique, ainsi qu’à l’aide de représentations que l’on se fait de pays étrangers comme l’Angleterre ou les États-Unis. Habitué à ce que la France fût « monarchique », avec toutes les nuances idéologiques que cette image pouvait susciter, cette représentation de la France était néanmoins, à divers degrés, socialement rejetée, ou du moins peu recommandable pour l’avenir. Hormis le camp ultra anti-Charte, tous les courants de pensée aspiraient à autre chose, à une métamorphose politique et pérenne de la France, en rupture avec les iniquités sociales de l’Ancien Régime.

Du peuple-enfantsous tutelle monarchique au peuple-maîtrelibre de lui-même

Avec 1830, le Romantisme politique se divise donc : d’un côté Chateaubriand et Vigny, continuant d’écrire, mais sans être en accord avec le monde politique et le chemin que celuici donne à la France ; Chateaubriand espérant encore en une troisième Restauration ; puis, Alfred de Vigny, se concentrant sur l’idée d’une malédiction implacable frappant toute âme véritablement sensible au sein de la société. Leur image romantique de la France reste donc en marge de la réalité du monde mortel, enfermé dans un imaginaire de plus en plus coupé de cette triste réalité. Restent donc en lices Victor Hugo et Lamartine. Hugo comme Lamartine constatent eux aussi un déclin de la société française, mais ceuxci pensent que la royauté et l’Église ne sont plus des solutions politiques. Reste donc le peuple et la spiritualité que le poète, seul, émancipé de la parole du clerc, peut insuffler dans les âmes. Or, ces âmes veulent-elles de ce souffle religieux, inséparable de toute politique vertueuse ? Le rationalisme de Hugo et de Lamartine souffrira de ce dilemme entre une royauté impossible à réaliser et un peuple qui ne réunirait pas les conditions morales pour être investi de la puissance démocratique. Les romantiques s’interrogeaient à l’instar des philosophes grecs sur l’origine de cette vertu, sur l’origine du Bien et du Mal ; et c’est une question qui prendra alors un essor considérable après 1830. Le rapport du peuple au Bien et au Mal sera la grande préoccupation intellectuelle de Hugo et de Lamartine, et ce dans tous les genres littéraires auxquels ils s’intéresseront, de la poésie au roman, jusqu’à l’historiographie mêmechez Lamartine, où l’auteur a le souci de juger moralement la politique des États.
Enfin, comme nous l’avons remarqué précédemment, sans en être véritablement conscients, en se penchant sur de tels thèmes de réflexion, les romantiques reprenaient les  mêmes problématiques rencontrées par les Lumières , par Voltaire et Rousseau, par les rationalistes et les empiristes, par Platon et Aristote.
Défaite de la tutelle monarchique des Bourbons, la France se pense désormais autrement que par la royauté, la royauté héréditaire ; elle se pense par le peuple, mais un peuple dont l’émancipation politique seule ne suffit pas. La capacité du peuple à devenir absolument maître de lui-même devient l’obstacle que Hugo et Lamartine veulent surmonter. Et c’est là le drame de 1830 chez les romantiques : soit les individus naissent psychiquement semblables par nature, et par conséquent cette égalité de nature justifie l’isonomie politique, en somme l’instauration d’une démocratie ; soit une part de la population ne doit pas exercer de pouvoir politique en raison du manque de cette vertu. Chateaubriand aurait pu justifier la monarchie et la noblesse héréditaires par le lieu commun ultra que ces vertus étaient justement transmises par l’hérédité, notamment dans la famille royale. Une croyance que Chateaubriand n’avait pas cependant, préférant avancer l’argument que la royauté était naturelle à la culture française, et qu’elle apportait une certaine stabilité à la vie politique. Dans les mentalités le désenchantement de la monarchie allait de pair avec l’idée que l’homme est bon par nature ; si l’homme est bon par nature la notion de noblesse devient d’emblée superflue, sinon odieuse. Si « Tout homme naît bon, pur, généreux, juste, probe, Tendre, et [que] toute âme éclôt étoile aux mains de Dieu », alors la noblesse humaine est universelle et doit être contenue dans chaque citoyenneté. Car, contrairement à la citoyenneté, la royauté donne d’abord des droits à celui ou à celle qui le mériterait, qui serait possesseur de vertu, qui se distinguerait par son mérite. D’où la nécessité dans le système de pensée idéaliste d’inclure l’idée qu’une partie de la population ne le mérite pas, ou n’est pas vertueuse. Car, n’oublions pas qu’à l’instar de Platon les romantiques pensent toujours la France à l’aune d’une idée du Juste : il est absolument inenvisageable que la France soit une tyrannie ou une oligarchie, ou encore une démocratie sur le modèle libéral anglais où le peuple serait barbare, mais dont la constitution démocratique contenterait la majorité des opinions . La grande difficulté rencontrée par Hugo et Lamartine, qui refusent de penser que la France serait condamnée à la décadence, est leur certitude que la royauté n’est plus une solution. De façon empirique, la Restauration l’a prouvé. Ils se retrouvent alors dans la même situation qu’en 1814, lorsque Chateaubriand, grand héraut du Romantisme, conceptualisait l’image très noire d’un déclin présent et à venir, mais pas encore irréméable.

CONCLUSION

Toute l’histoire du Romantisme est traversée par une inquiétude : le déclin. Ce déclin, c’est le présent, les XVIIIeet XIXe siècles : l’image d’une France déchue derrière laquelle s’élève son lumineux fantôme : celle du passé, triomphante, glorieuse, cette France d’or dont les romantiques admirent le reflet dans les limbes de l’histoire. C’est même de cette représentation dichotomique de la France que naît le Romantisme, dès Germaine de Staël avec sa critique de la France devant le miroir de l’Allemagne. Pour ces raisons, le Romantisme fut souvent considéré comme réactionnaire et amalgamé à la philosophie contrerévolutionnaire, à tort. Car ce n’est pas une France empirique, une France d’Ancien Régime que les romantiques gardent en mémoire et qu’ils regrettent. Non, au contraire, c’est une vision plus lointaine encore, qu’il faut situer dans le Moyen Âge et qui réside entièrement dans l’imaginaire.
Par l’ensemble de ses travaux, Georges Duby démontra combien l’imaginaire est indissociable de la culture. Car c’est d’abord dans l’imaginaire que la culture se meut, et non dans la pierre, dans cette richesse matérielle des morts que l’imaginaire des vivants peut s’approprier autrement. C’est l’imaginaire qui attribue une valeur, une notion, permissive ou approbatrice, à un comportement ou à une architecture ; c’est l’imaginaire qui régit les conceptions de chacun et anime la vie matérielle d’une société. Les romantiques auraient voulu que leurs compatriotes partagent leur vision du monde et de l’existence, que les Français désirent renouer avec des conceptions et des pratiques culturelles alors éteintes. Faire ce constat reflétait un mode de pensée profondément marqué par son intellectualisme et son rationalisme philosophique. En cela, le Romantisme s’inscrit dans la théorie du Pragmatisme de William James : de Germaine de Staël à Victor Hugo, ce mouvement intellectuel n’aura réuni essentiellement que des individus à l’esprit tendre, opposés à une société empiriste, se sécularisant, tournée vers une économie utilitariste, s’éloignant d’une institution religieuse catholique qui aura profondément rebuté le monde intellectuel. Et c’est dans le rationalisme que le Romantisme aura cherché une échappatoire aux scories philosophiques de la doctrine catholique, sans pour autant avoir abandonné les formes du christianisme et même son fonds intellectuel, qui ne fut pas en contradiction avec la religiosité que les romantiques ont développée.
Enfin, la destinée du Romantisme n’est pas seulement marquée par cette dichotomie de l’identité. Avec ces deux France, l’une sombrant pendant que l’autre s’élève indéniablement vers la sphère irréméable des civilisations éteintes, il a germé dans le cœur des romantiques une volonté indéfectible, extraordinaire, se traduisant par un projet politique : celui du combat pour la restauration de cette image romantique de la France. Mais la philosophie politique qui découla de l’idéologie des romantiques fut beaucoup plus précaire, même incohérente.
Cette incohérence trouve son explication dans l’inconscient des romantiques : entre la confusion du catholicisme et de leur christianisme rationaliste, entre la noblesse héréditaire qu’ils côtoyaient et l’idéal chevaleresque incarné par une noblesse tout idéalisée, empreinte des valeurs courtoises de la chevalerie d’antan ; des valeurs que les romantiques attribuaient à tout un chacun qui eût possédé ces qualités humaines. La classe sociale n’interférait pas dans la valeur que les romantiques accordaient à un individu. Et pourtant, ils se sont retrouvés à défendre une certaine classe sociale défendant une sociologie fondée sur ce système de castes d’Ancien Régime. À une époque où les idéologies étaient radicales, où la Charte ne convenait guère aux ultras, nostalgiques de l’Ancien Régime, où les libérauxne portaient pas non plus dans leur cœur l’idée de monarchie chrétienne sans pour autant combattre la monarchie constitutionnelle qui venait d’être instituée avec 1814, les romantiques se sont donc rangés aux côtés de ces ultras. Et, par la même occasion, ils se sont faits les avocats de la cause catholique, de l’Église qui leur paraissait légitime comme la dynastie des Bourbons pour le trône de France.
C’est vraiment dans l’inconscient romantique qu’il faut situer le nœud de ce paradoxe.
Avant 1830, les romantiques ne sont pas parvenus à traduire leurs convictions profondes dans leur philosophie politique : il leur était impossible de penser le christianisme autrement que par le catholicisme sans avoir l’impression de tomber dans le protestantisme, dans cette réformation, ayant causé à leurs yeux le désenchantement religieux en Europe ; et cela quand bien même si leur idéologie entrait en contradiction avec la doctrine catholique. De la même façon, penser la noblesse personnelle, qu’ils ne cessèrent de valoriser à travers leurs héros ou des personnages historiques, fut impossible à théoriser politiquement vis-à-vis de la sociologie de leur temps, face à cette classe sociale née noble, et dont la plupart gouttaient peu aux rêveries du Romantisme, ne s’attachant aux mieux qu’à sa rare terminologie catholique empruntée à Maistre et à ses quelques évocations angéliques. 1830, mettant les romantiques au pied du mur, Chateaubriand, Vigny, Hugo et Lamartine se diviseront tous politiquement. Plus un seul d’entre eux n’aura une idéologie politique tout à fait similaire à celle de ses pairs. Seule restera une image encore plus trouble de cette France idéalisée, passée, médiévale, gothique. Victor Hugo découvre en Napoléon un nouveau Charlemagne, Lamartine repousse ce tyran. Vigny écrit Chattertonet Stellooù toute âme poète, qu’elle fût en démocratie, en aristocratie ou en monarchie, est condamnée à souffrir de la méchanceté humaine, à être incomprise des masses ; sa destinée étant d’éclairer telle une étoile éphémère l’espace d’un court instant les sociétés déchues, perdues dans les ténèbres. Chateaubriand appelle, lui, à l’union de toutes les forces pour faire tenir coûte que coûte la Charte, qu’il tient à bout de bras, acceptant même l’abdication de Charles X car Henri V est là, futur souverain, qu’il faudrait éduquer comme l’on élevait autrefois les rois et les chevaliers : auprès du peuple, à s’exercer aux métiers des armes, aux rudes travaux qui ennoblissent l’âme, dans la glèbe, loin des lambris dorés des cours doucereuses de l’Ancien Régime que la Restauration a trop copié. Chateaubriand imagine même l’élection, divine, du roi en faisant appel au peuple français. Une élection qui ne contrarierait pas la conjonction entre la monarchie et le divin, car ce roi eût été tout de même sacré en la cathédrale de Reims.
Enfin, malgré tous ses efforts, rien ne se passe. Chateaubriand se retire dans l’ombre de sa popularité déjà démodée : en 1830, le Romantisme est républicain et marqué par une jeunesse citadine se tournant vers des figures plus pionnières, sporadiquement incarnées par les Jeunes-France et les romantiques frénétiques. 1830 est la queue de comète de l’enthousiasme romantique, de son innocence politique.

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Table des matières
Introduction 
Les Origines intellectuelles du Romantisme français 
a. Les conditions intellectuelles de la conceptualisation romantique de la France
b. L’hellénisme dans le philochristianisme des romantiques
c. La place et le rôle de la littérature romantique dans l’aube d’une société nouvelle
La Religiosité romantique face à son image du déclin
a. La conceptualisation romantique d’un déclin français
b. La question de l’hérédité de la noblesse dans le déclin romantique
c. Le christianisme dans la conception romantique de la France
La France romantique et la révolution de 1830 
a. Le bouleversement idéologique de 1830 dans la philosophie politique du Romantisme
b. Du peuple-enfant sous tutelle monarchique au peuple-maître libre de lui-même
c. Le Romantisme et le socialisme naissant : un héritage romantique dans l’essor des socialismes ?
Conclusion 
Annexes 
Bibliographie 

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