Les origines du mal : une brève histoire du conflit casamançais

Les origines du mal : une brève histoire du conflit casamançais 

Les questions de l’enclave et de la marge sont toutes deux liées à celle du conflit casamançais. Aujourd’hui, l’État sénégalais travaille, d’après certaines de ses annonces, au « désenclavement de la région », témoignant là d’une difficulté, pour lui, d’imposer dans cette zone son hégémonie. La faiblesse actuelle des infrastructures de communication perturbe en effet la « construction du monopole étatique sur son territoire, notamment la monopolisation de la contrainte physique » (KEUTCHEU, 2013 : 74). Ce processus de désenclavement, passant entre autre par une amélioration des voies maritimes reliant Dakar à Ziguinchor ou encore des négociations avec l’État gambien pour la construction d’un pont sur le fleuve Gambie, permettrait ainsi « de réduire la distance entre le point d’impulsion du pouvoir politique et les espaces géographiques dévolus à son emprise » (Idem). Toute la question réside dans le processus de légitimation de la présence de l’État sénégalais en Casamance. Ce processus reste idéelle et théologique (BOURDIEU, 2012), mais passe avant tout par une mise en actes de l’État. Ce n’est que par ses actes que l’État apparaît à sa population de façon tangible (Idem). Pour reprendre les mots d’Edgar MORIN « l’État, la Patrie n’existent pas de façon sensible, mais se manifestent de façon sensible » (MORIN, 2012 : 49). Or, la situation d’enclave produit une zone grise, un lieu où l’État peine à se manifester de façon sensible, éprouvant des difficultés à se réaliser en acte et donc à asseoir son hégémonie.

L’État colonial, déjà, éprouve cet enclavement et sa présence en la région, loin d’être légitimé par l’œuvre civilisatrice, n’ayant pour unique finalité qu’imposer un contrôle sur les voies marchandes traversant la Casamance (FANCHETTE, 2001). Hormis Ziguinchor et Karaban, l’État colonial n’impose ainsi que très peu sa marque, s’attachant bien plus à la mise en valeur du territoire nord-sénégalais. Ainsi, sous la colonisation, la Casamance échappe déjà au processus de modernisation – à attendre dans une perspective d’imposition des modalités de gouvernance modernes (FOUCAULT : 2001, 2004). Pour Dominique DARBON, dans « Le culturalisme bas casamançais » (1984), cette situation d’enclave était due à deux faits, l’un géographique, l’autre culturel :

« La Basse-Casamance a toujours constitué une région en marge du Sénégal. L’origine et les traditions culturelles des Diola sont très proches de celles des groupes a-étatiques – sinon anti-étatiques – de Guinée Bissau (Papel, Diola, Mancagne, Mandjack) et valorisent l’individualisme, la xénophobie, l’esprit de groupe et la méfiance ; autant de valeurs qui se trouvent aujourd’hui confrontées avec l’islam et l’administration. Cette spécificité, préservée et renforcée par la grande difficulté de pénétration de la région et l’absence de relations historiques avec les royaumes sénégalais du nord, a été amplifiée par les conditions mêmes de la colonisation. Tandis que les autorités françaises ont longtemps hésité sur le statut à attribuer à cette région (un statut spécifique lui étant réservé jusqu’en 19341) la constitution de l’enclave gambienne créait un isolement physique de la région, qui renforçait encore le sentiment de marginalité » (DARBON, 1984 : 127). 

Dans la première décennie de l’indépendance du Sénégal, la situation n’évolue guère. La Casamance reste une région isolée du reste du pays, n’attirant aucun investissement. Ce n’est qu’à partir des années 1970, et après avoir traversé une crise économique et une importante sécheresse que l’État sénégalais s’intéresse à la région, se tournant ainsi vers la Casamance pour ses richesses halieutiques, forestières, agricoles et touristiques. La région attire alors les devises étrangères et les investissements. Mais cet apport de richesses ne profite pas aux Casamançais (MARUT : 2010). Seuls les administrateurs, venus du nord du pays, profitent de la manne. Cet état de fait crée un fort sentiment d’abandon et d’injustice auprès des populations casamançaises. Ce problème d’ordre économique se lie par ailleurs à un problème d’ordre social et culturel. Alors que la Nation sénégalaise aplanit les différences culturelles en rendant le Wolof (en plus du français, langue officielle au Sénégal) langue véhiculaire, elle nie l’existence même du joola (majoritairement parlé en Casamance), entre autres langues présentes sur son territoire national. De plus, en donnant aux Wolofs un accès plus facile aux postes de direction (de l’appareil administratif et commercial), elle crée une situation de paupérisation des populations casamançaises qui ne trouvent pas d’emploi dans la région. Le tout générant ainsi, d’une part un sentiment fort d’exclusion, d’autre part une « situation sociale exceptionnelle » (MARUT, 2002), corollaire à des conflits sociaux visant à l’accès aux richesses menant, d’une certaine manière, à ce qui pourrait être nommé un conflit de classes (Idem).

À l’appel du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC), le 26 décembre 1982 est organisée une marche pacifique, à Ziguinchor, pour manifester le mécontentement de la population casamançaise face à cette situation. Arrivés à la gouvernance, les manifestants retirent le drapeau sénégalais. Ce geste est alors réprimé par l’armée qui tire dans la foule, faisant plusieurs morts, et emprisonne plusieurs manifestants, dont l’abbé DIAMACOUNE, le leader et fondateur du MFDC. Ainsi, le conflit de classes s’arme, des membres du MFDC prennent le maquis.

Approches théoriques 

Je vais désormais présenter quelques-unes des approches théoriques m’ayant permis d’appréhender et d’analyser la construction de la légitimité de l’État à Élinkine. Ces approches seront plus amplement détaillées dans le corps de thèse, mais il convient d’en dresser la genèse et d’en présenter les usages.

La subjectivité dans le choix d’une épistémologie 

La base épistémologique à laquelle je me réfère dans ce travail est l’épistémologie marxiste. J’ai opéré ce choix analytique dans la mesure où elle m’est apparue, dès mon second terrain (août-octobre 2012), pertinente. Lors du premier terrain (avril-juin 2012), je fus confronté à la mise en place de la Couverture Universelle. Mes observations ethnographiques et mes débuts d’analyses – réalisés entre ces deux terrains – m’ont permis de mesurer toute la complexité des rapports sociaux à Élinkine. La multiplicité des appareils communautaires et des communautés, l’hétérogénéité des modes et rapports de productions, et la disparité des structures politiques m’ont donné à voir un champ d’études complexe. Je n’arrivais pas à me figurer l’organisation sociale faisant tenir les individus ensemble autrement qu’en un paysage explosé et confus. Dans mon esprit se superposaient des données, rendant l’analyse obscure. Il me fallait alors les figer, dans l’abstraction, pour fabriquer un ensemble cohérent et lisible, en considérant cet ensemble comme une image inscrite dans la temporalité de l’enquête et pouvant être débordé par les actions des individus pris dans les structures sociales.

Ainsi, me penchant, par curiosité politique dans un premier temps, sur les travaux de MARX et ENGELS, l’analyse matérialiste prenant comme accroche première l’analyse économique des sociétés me parut être un outil adapté à une compréhension anthropologique du village. Bien que la doxa locale lisait les rapports inter-individuels en termes identitaires et ethniques, il me semblait nécessaire de quitter ces considérations, pour ne pas sombrer dans l’écueil de l’analyse ethniciste. Je ne voulais pas à mon tour réifier des identités ethniques comprises comme essentielles. Or, le premier des constats que je pus faire, en discutant avec les habitants d’Élinkine, m’amena à comprendre l’organisation communautaire du village comme intrinsèquement liée à la structuration économique du village. Par ailleurs, localement, l’une des raisons invoquée concernant une compréhension du conflit casamançais touchait toujours à un sentiment de pillage économique orchestré par les Nord-Sénégalais au détriment des Casamançais. L’analyse en termes ethniques apparaissait alors toujours comme secondaire, venant en un sens entériner cette situation. Le paradigme marxiste – l’infrastructure détermine la superstructure – me semblait alors à propos pour m’extraire de la considération identitaire des relations inter-individuelles (sans nécessairement l’occulter).

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
Les origines du mal : une brève histoire du conflit casamançais
Problématique
Approches théoriques
Méthodologies d’enquête
Déontologie
I. La mise en place de la Couverture Universelle : L’État, la Communauté et la population
I. 1. Présentation de l’événement
A. Le projet
B. Financements et logistiques : à qui appartient le pouvoir sur la vie ?
I. 2. Description de l’événement
A. Ethnographie
B. Synthèse
I. 3. Un révélateur des dysfonctionnements structuraux
A. Populations « fautives » et « motivation » des agents de santé
B. Réseaux de désinformation
C. Synthèse
I. 4. La présence fugace de l’État et sa disqualification
A. La visibilité de l’État en question
B. Analyse de la performativité du discours en contexte casamançais
C. Subalternité, territoire et modernité
II. Les formes de l’État
II. 1. Une histoire bio-politique de la médecine coloniale et de la lutte contre le paludisme
A. La construction biomédicale du sujet
B. La construction bio-politique du pouvoir colonial
C. Les seuils d’intervention
D. Évolution des savoirs et des pratiques durant la période post-coloniale
E. L’importance d’une analyse historique
F. Le contexte casamançais et son impact sur la lutte contre le paludisme
II. 2. Définir l’État : État étau, État périphérique ou État tête-de-pont ?
A. Approches conceptuelles et diachroniques de l’État sénégalais
B. La visibilité de l’État à Élinkine
II. 3. La lutte contre le paludisme et l’État
A. La pyramide sanitaire et la question de l’État périphérique
B. Description physique du Poste de santé
D. Mots et gestes ordinaires du soin au Poste de santé
E. La prise en charge sanitaire à la Base militaire
F. Idéologie et bienveillance dans l’espace de soin
II. 4. Les agents exogènes et l’État tête de pont
A. Situation de l’aide
B. Idéologie et aide humanitaire
C. Le remplacement de l’État
D. À qui s’adresse l’aide ? USAID et Africare
II. 5. Vers une lecture du conflit casamançais
III. Enjeux politiques locaux dans la gestion de la santé
III. 1. Ce qu’est la « communauté » à Élinkine
A. La fabrique de l’autochtonie
B. Histoire récente d’Élinkine : une modification radicale de l’espace social
C. Le rôle du conflit dans la fabrique de la communauté
D. Les différents degrés d’autochtonie et leur influence dans l’espace politique
E. Synthèse : le rôle du conflit dans la fabrique de l’hétérogénéité politique et de l’éclatement de la communauté villageoise
III. 2. La « communauté » et sa santé
A. La santé comme « bien commun » : détour par la cité salubre
B. Considérations populaires sur la santé
C. Le mythe de la santé pour tous et par tous : la cité salubre en question
III. 3. La segmentation du pouvoir : de l’acéphalie idéalisée à l’étiolement du pouvoir réel
A. Antagonismes des appareils de pouvoirs légaux
B. Segmentation des pouvoirs et entraide
Conclusion
L’efficacité de la lutte contre le paludisme
La genèse de l’État et ses fonctions
Le système étatique et l’effondrement de la théologie
Le paradoxe d’un État faible qui pourtant soigne : ouvertures vers de nouvelles recherches
Bibliographie
Ouvrages et articles
Littérature grise et archives
ANNEXES

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *