Les origines du concept de résilience
La résilience a été précédée par plusieurs autres concepts. En effet, durant les années 1970, Elwyn James Anthony, psychiatre, s’intéresse à la recherche sur le risque. Cette nouvelle discipline scientifique « développait alors son vocabulaire, son approche de recherche et sa population de sujets connue également sous le nom « d’enfants à haut risque ». » (Anthony, 1982, pp.21-24, cité par Theis, dans Manciaux, 2001, pp.33-34). Les recherches liées à cette population consistaient à observer son développement avant qu’émergent certaines pathologies afin de « découvrir de quelle façon et à quel degré leur vie est façonnée par les risques affrontés, les vulnérabilités et immunités qu’ils apportent dans ces situations et les défenses, compétences et capacités à faire face qu’ils se sont forgées pour survivre psychologiquement ». (Anthony cité par Theis, dans Manciaux, 2001 pp.33-34) C’est ainsi que les chercheurs se sont intéressés à la notion de vulnérabilité. En effet, en constatant que les enfants ne sont pas tous égaux face à des situations à haut risque, ils sont considérés comme plus ou moins vulnérables.
Afin de mieux expliquer en quoi consiste le concept de vulnérabilité et de le différencier de la notion de risque, Anthony l’a présentée avec la métaphore de trois poupées toutes soumises au même risque, celui d’un grand coup de marteau. C’est alors que la poupée de verre se brise, celle de plastique laisse apparaitre de grandes traces laissées par le coup et celle d’acier a résisté. Cette analogie rend bien compte du fait que chaque être humain ne présente pas le même niveau de vulnérabilité. Toutefois, il semble important de préciser qu’Anthony avait conscience que l’environnement, s’il avait été pris en compte, aurait joué un rôle important dans le devenir de ses poupées. (Theis, dans Manciaux, 2001, p. 34) De même qu’il s’est rapidement rendu compte qu’il ne pouvait appliquer ce modèle aux enfants étant donné que les composantes telles que « les probabilités génétiques, les différences constitutionnelles, les hasards de la reproduction, les maladies psychiques, les traumatismes dus à l’environnement et les crises développementales » (Anthony cité par Theis, dans Manciaux 2001, p.34) devaient être prises en considération.
Solnit (1982, p.486-487, cité par Theis dans Manciaux, 2001, p.34) a lui aussi fait la distinction entre vulnérabilité et risque au moyen de deux définitions : « La vulnérabilité évoque des sensibilités et des faiblesses réelles et latentes, immédiates et différées. […] l’invulnérabilité […] peut être considérée comme une force, une capacité de résistance au stress, aux pressions et aux situations potentiellement traumatisantes. […] Le risque évoque l’incertitude de l’issue de la confrontation de l’enfant avec un stress environnemental ou intérieur […]»
Les apports de Rutter et Garmezy Michael Rutter et Norman Garmezy sont également reconnus comme étant des pionniers de la résilience. Ils se sont penchés sur des questions liées aux facteurs de risque et de protection dans leurs travaux respectifs. Pour sa part, Rutter s’est intéressé aux facteurs de protection qui pourraient contrer les effets des facteurs de risque. En effet, il a mis en évidence 6 facteurs de risques au travers d’une étude sur les troubles mentaux chez les enfants : « la discorde conjugale, la classe sociale défavorisée, la famille nombreuse, la criminalité paternelle, les désordres psychiatriques maternels et le placement des enfants ». (Tisseron, 2009, p.19) Par ce biais, il a démontré que l’existence d’un facteur de risque n’influence pas les probabilités qu’un enfant développe un désordre mental. Cependant, ces probabilités augmentent si deux facteurs de risque se présentent. (Tisseron, 2009, p.19) Plus tard, il définira quatre critères pour que les facteurs de protection s’avèrent efficients : « diminuer l’impact du risque, réduire la probabilité de réactions négatives en chaine, renforcer l’estime de soi et le sentiment de sa propre compétence, et entrainer des opportunités positives ». (Tisseron, 2009, p.19) Toutefois, si nous transposons ces facteurs de risque à l’heure actuelle et aux valeurs qui s’y rattachent, ces derniers s’avèrent quelque peu discutables. C’est pourquoi il est intéressant de relever qu’en 2009, les travaux de Marie Anaut viennent complémenter et actualiser ce qu’avait pu apporter Rutter autour des facteurs de risques et de protection.
« On peut dire que le processus de résilience est en co-construction permanente. Il résulte d’un échange interactif et multifactoriel, situé au croisement entre l’individu, la famille et l’environnement social. La résilience suppose de s’adapter aux situations fortement délétères, en mettant à contribution des modalités de protection relevant des ressources internes et externes au sujet (l’environnement affectif et social), ce qui permettra de réunir les conditions de la (re)construction psychique et de la reprise d’un développement malgré l’adversité. » (Anaut, pp.71-72) « Le processus résilient prend appui sur trois types de ressources : celles d’ordre interne au sujet (particularités singulières, capacités et aptitudes cognitives, personnalité, modalités défensives…), celles d’ordre familial (contexte psycho-affectif, structure et qualité des relations familiales…); et celles relevant de la périfamille et du contexte socio-environnemental (soutiens communautaires, sociaux, religieux, idéologiques…).Chacun de ces trois piliers peut avoir un rôle plus ou moins prépondérant en fonction des circonstances et du parcours de vie du sujet. » (Anaut, p.72) Ainsi, la résilience ne se conjugue plus uniquement avec des facteurs de risques et de protection mais avec des dimensions en constant mouvement, touchant à la fois l’individu, la famille et le contexte social dans lequel il est inséré. Rutter a donc été le précurseur de travaux tels que ceux d’Anaut. Mais ses apports ne s’arrêtent pas là. En effet, il a également contribué à ce que l’apprentissage de la résilience ne se rattache pas uniquement au jeune âge, mais également à tous les âges de la vie. (Tisseron, 2009, p.19-20)
Sa définition de la résilience constitue également un apport en soi : « La résilience est un phénomène manifesté par des sujets jeunes qui évoluent favorablement, bien qu’ayant éprouvé une forme de stress qui, dans la population générale, est connue comme comportant un risque sérieux de conséquences défavorables. Il s’agit donc, pour un individu, de la capacité à vivre, à réussir, à évoluer favorablement malgré des événements traumatisants vécus dans le passé. » (Rutter, 1993, cité par Maestre, 2013, p.16) Rutter met ici en avant l’accomplissement d’un développement équilibré malgré des circonstances jugées difficiles à surmonter. Nous pouvons toutefois nous demander ce qu’il entend par des « sujets jeunes ». Il est possible que ces termes au sein de sa définition découlent directement de son étude. Si tel n’est pas le cas, il parait important de rappeler l’un des apports de ce chercheur : la résilience n’est pas uniquement liée à l’enfance ou à la jeunesse, mais bien à tous les âges de la vie. Norman Garmezy, quant à lui, a réalisé une étude sur des enfants dont les parents étaient atteints de schizophrénie. Il a démontré que malgré la pathologie de leur(s) parent(s), 90% d’entre eux se sont développés de manière satisfaisante.
Il a également étudié 3 facteurs de protection en lien avec ce type de situation à haut risque : ceux qui sont centrés sur l’enfant, ceux qui ont trait à la configuration familiale et finalement, les facteurs sociaux environnementaux. (Tisseron, 2014 p.20, cité par Roullier, 2015, pp.33-34) C’est à partir de ces trois séries de facteurs de protection que l’individu, lorsqu’il rencontre une difficulté, met en oeuvre une stratégie d’adaptation. (Tisseron, 2009, p.20) Cette étude met en évidence le fait que la plupart des enfants peuvent se développer de façon équilibrée indépendamment de la pathologie de leur(s) parent(s) à condition d’être en lien avec les trois types de facteurs de protection mentionnés par l’auteur. Ces derniers pourraient donc contrebalancer les facteurs de risque initialement présents.
La résilience pour les anglo-saxons, les ressources pour les français Dans le livre de Michel Manciaux (2001, p.36), Amandine Theis précise un point important : si les pays anglo-saxons ont particulièrement axé leurs recherches sur la résilience, ce mot s’avère relativement récent en France. De plus, même si la résilience est plutôt absente dans la littérature scientifique française, c’est la notion de ressources qui apparait le plus souvent. En France, des équipes de protection maternelle et infantile1 ont remarqué des « capacités latentes » chez les enfants et les familles donc elles s’occupent. Elles ont également constaté que l’importance d’un accompagnement « respectueux et bien compris » permet de révéler ces capacités et de faire usage de ces dernières en réponses aux difficultés rencontrées : « Le néologisme de « capacitation » (l’équivalent de l’anglais « empowerment ») traduit bien le rôle de ces professionnels : identifier ces ressources, les révéler à ceux qui les possèdent, souvent sans le savoir, et les aider à les mettre en oeuvre. » (Theis, dans Manciaux, 2001, p.36) L’empowerment semble donc être une piste pertinente dans l’accompagnement sur le chemin de la résilience. De plus, nous pouvons émettre l’hypothèse que le fait que la notion de ressource soit davantage exploitée en France explique ce rapprochement entre « capacitation » et « résilience ».
Essai de définition
Dans la langue française, la définition du mot résilience nous renvoie directement au domaine de la physique des matériaux. En effet, elle est traduite par la « capacité d’un matériau de reprendre sa forme originale après avoir subi un choc ou une pression ». (Brissiaud, 2001, p.102) Bien qu’elle souligne quelques éléments évocateurs, cette définition reprise par Pierre-Yves Brissiaud démontre que la langue française n’associe pas directement une dimension humaine à la résilience. C’est pourquoi il faut s’intéresser à la terminologie anglo-saxonne pour que le mot de résilience s’apparente à la « capacité humaine à résister aux chocs traumatiques » (Brissiaud, 2001, p.102), ou encore à la « robustesse corporelle, la résistance du caractère » (Theis, dans Manciaux, 2001, p.36). Mais la définition issue de l’appréhension anglo-saxonne du terme de résilience qui s’est propagée au-delà-des frontières renvoie à l’idée de rebondir, de prendre de l’élan pour mieux s’élancer après un traumatisme.
En effet, rebondir dont la signification est issue du verbe latin « resilio, re » constitue la base de ce terme tant répandu qu’est devenu la résilience. (Theis, dans Manciaux, 2001, p.36) Malgré cette base largement reconnue, chaque auteur possède sa vision de la résilience et la définit à sa manière. En effet, aucune définition consensuelle n’est connue à l’heure actuelle. Joëlle Lighezzolo et Claude de Tychey (2004, cités par Tisseron, 2009, p.14) qui ont largement exploré les définitions actuelles de la résilience observent bien cette difficulté en disant : « La résilience est-elle à considérer comme un trait (caractéristique de la personnalité), comme un résultat, comme un processus…ou bien relève-t-elle des trois à la fois, comme le souligne très justement J. Lecomte (2002)… ». Ainsi, les façons d’aborder un tel concept semblent très diverses. Cela met en évidence la nécessité de le considérer dans toute sa complexité ainsi que celle de partir à l’exploration des points de vue de différents auteurs.
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Table des matières
Remerciements
Mentions
Résumé
1 Présentation de la thématique
1.1 Choix de la thématique
1.2 Question de départ
1.3 Objectifs de recherche
1.3.1 Objectifs du cadre théorique
1.3.2 Objectifs empiriques
2 Cadre conceptuel
2.1 La résilience
2.1.1 Les origines du concept de résilience
2.1.2 Essai de définition
2.1.3 Résilience et professionnels de la relation d’aide
2.2 L’empowerment
2.2.1 Un peu d’histoire
2.2.2 Essai de définition
2.2.3 De l’empowerment vers la construction d’une approche d’intervention
2.2.4 Définition conceptuelle de l’empowerment
2.3 Le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités
2.3.1 Petit détour linguistique
2.3.2 Une approche basée sur 4 axes
2.3.3 Une invitation à changer de posture professionnelle
2.3.4 Et l’accompagnement dans tout ça ?
2.3.5 Caractéristiques de la posture d’accompagnement
2.4 Synthèse théorique
2.4.1 Pourquoi parler de relation d’accompagnement lorsqu’on travaille avec l’approche DPA-PC ?
2.4.2 Proximités, distinctions entre résilience et DPA-PC sur le plan théorique
2.4.3 Indicateurs de postures repérés dans la littérature
2.4.4 Indicateurs de développement du pouvoir d’agir et/ou de résilience repérés dans la littérature
2.5 Question de recherche
3 Méthodologie
3.1 Terrain, échantillon et population
3.2 Méthodes de collecte des données
3.3 Enjeux éthiques
3.4 Risques spécifiques à la démarche
4 Analyse des données récoltées
4.1 En quoi le concept de développement du pouvoir d’agir des personnes et de collectivité et le concept de résilience se rassemblent-ils ?
4.1.1 Du point de vue des professionnels formés du DPA-PC
4.1.2 Du point de vue des personnes accompagnées
4.2 En quoi se distinguent-ils
4.2.1 La résilience du point de vue des professionnels
4.2.2 La résilience du point de vue des personnes accompagnées
4.2.3 Le DPA-PC du point de vue des professionnels formés à cette approche
4.2.4 Le DPA-PC du point de vue des personnes accompagnées
4.3 Eléments révélés par les entretiens
4.3.1 La feuille blanche
4.3.2 Le temps
4.3.3 Le rythme
4.3.4 L’empathie
4.3.5 L’importance du lien
4.3.6 La démarche d’action conscientisante
4.3.7 Méconnaissance de la résilience de la part des professionnels
4.3.8 La dissonance cognitive, peu utilisée
5 Synthèse
6 Pistes d’action
7 Bilan
7.1 Bilan de la démarche méthodologique
7.1.1 La construction et la mise en oeuvre du guide d’entretien
7.1.2 L’analyse des résultats des entretiens
7.1.3 Les limites du travail de recherche
7.2 Bilan personnel et professionnel
Conclusion
Sources bibliographiques
Table des illustrations
Annexes
Annexe 1
Annexe 2
Annexe 3
Annexe 4
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