LES ORIGINES DE LA VISION PLATONICIENNE DU MONDE SENSIBLE

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Lโ€™injustice

Lโ€™injustice est dรฉfinie dans Le Grand Larousse comme caractรจre de quelquโ€™un, de quelque chose qui est injuste : une sociรฉtรฉ fondรฉe sur lโ€™injustice ; actes ou dรฉcision contraires ร  la justice : รชtre victime dโ€™une injustice.
En effet, nous prรฉcisons que la justice et lโ€™injustice sont deux mots diamรฉtralement opposรฉs lโ€™un ร  lโ€™autre, mais ces deux mots prรฉoccupent Platon dans sa philosophie. Voici la distinction que Platon nous a montrรฉe dans ses deux concepts : ยซ La justice, dis-je, ressemble donc ร  lโ€™homme sage et bon et lโ€™injustice ร  lโ€™homme mรฉchant et ignorant ยป2.
On peut dire par lร  que Platon comme tout le monde aime la justice par rapport ร  lโ€™injustice. Cโ€™est lร  dโ€™ailleurs le thรจme que nous allons dรฉvelopper, Platon considรจre lโ€™injustice comme fruit de lโ€™ignorance. Lโ€™homme injuste a le mรชme caractรจre que celui qui est ignorant. Ce dernier est mรฉchant et nuisible. Il est comme un sauvage car il possรจde les mรชmes caractรจres que lโ€™animal sauvage. Un animal est mรฉchant car il ne connaรฎt pas la sagesse. Surel plan de lโ€™ignorance, lโ€™homme est รฉgal ร  un animal. Lโ€™injustice selon Platon est un vice. Quelquโ€™un qui agit par rapport ร  ses vices, il ne fait que ce quโ€™il veut. Lโ€™homme injuste provoque dans la citรฉ la haine entre lui et les autres. Platon dit :ยซ Lโ€™injustice fait naรฎtre entre les hommes des dissensions, des haines et des รฉlitesโ€ฆ ยป1.
Lโ€™injustice introduit des dรฉsaccords entre les hommes de la citรฉ. Sโ€™il y a un dรฉsaccord rien ne va. Cโ€™est pour cela que Platon ne cesse, dโ€™une maniรจre ferme, de blรขmer lโ€™injustice. Cette derniรจre est aussi qualif iรฉe dโ€™ignorance. Lโ€™homme injuste qui correspond ร  un ignorant, conduit son รขme vers diff รฉrentes sortes de maladies : mรฉchancetรฉ, vice, etc.
Nul nโ€™est permis de faire lโ€™injustice ou de juger injustement. Cโ€™est ce que les sophistes ont fait. Dans ce cas, Socrate dit : ยซ On ne doit donc pas non plus rรฉpondre ร  lโ€™injustice par lโ€™injustice, puisquโ€™il nโ€™est jamais permis dโ€™รชtrenjustei ยป2.
Ainsi, Platon a dรฉmontrรฉ que lโ€™injustice rรฉgnait dans la citรฉ athรฉnienne en prenant lโ€™exemple de la condamnation ร  mort de son maรฎtre Socrate. Nous rappelons que ce dernier nโ€™รฉtait pas un philosophe de mรฉtier. Il nโ€™รฉtait pas aussi comme les sophistes qui enseignent aux citoyens moyennaient finance. Nous prรฉcisons que dans cette pรฉriode, la citรฉ athรฉnienne avait commerรฉgime la dรฉmocratie. Socrate se promรจne en discutant avec les citoyens comme tout le monde le faisait, mais le rรฉgime en place voit mal ce caractรจre et il lโ€™a condamnรฉ. Socrate รฉtait un citoyen simple et modeste. Evoquant cette origine modeste de Socrate. Emile TAKIDY รฉcrit : ยซ Il ne sโ€™agit pas dโ€™un professeur dans une classe de cours, mais dโ€™un homme pauvre, sans souliers, sans manteau, sans chapeau, qui consacre tout son temps ร  circuler dans la vill e, entre dans nโ€™importe quelle maison, interpelle les gens dans la rue : Arrรชte-toi un peu, oรน vas-tu ? Que cherches-tu ? Est-ce le vrai Bien ? ยป3.
Nous voyons ici que Socrate nโ€™a commis aucune faute ni agit ร  lโ€™encontre de la loi ou du rรฉgime en place. Socrate entendait conscientiser les Athรฉniens de son รฉpoque. Malgrรฉ tout cela, les sophistes ont mal compris lร  oรน Socrate voulait en venir. Dโ€™oรน sa peine de mort. Faisant courageusemen t face ร  cette condamnation, Socrate dรฉclare : ยซ Ma meilleur dรฉfense sera de nโ€™avoir jamais commis aucune injustice dans ma vie. Au reste, si je suis condamnรฉ, je mourrai de bon grรขce ; car on ne craint pas la mort, quand on est pur de tout crime ยป1.
Faudrait-il rappeler ici que le dossier dโ€™accusation de Socrate รฉtait composรฉ de quelques points principaux ร  savoir : la corruption de la jeunesse, lโ€™impiรฉtรฉ ร  lโ€™รฉgard des dieux Grecs, mรฉpris de la dรฉmocratie.
En fait, lโ€™accusation lancรฉe contre Socrate est une injustice dans la justice. Socrate a le mรชme droit comme les autres de sโ€™expri mer partout oรน il se trouve. Mais puisquโ€™il a รฉtรฉ simple et sans autre protection que sa parole, il nโ€™a pas รฉchappรฉ ร  la condamnation. Le rรฉgime en place a dรฉcidรฉ de le supprimer pour libรฉrer lโ€™injustice. ร€ propos de cette dรฉcision Socrate dit : ยซ Lโ€™Etat nous a fait de lโ€™injustice, il a mal jugรฉnotre procรจs ยป2.
Concrรจtement, cette injustice รฉtait matรฉrialisรฉe par lโ€™obligation pour Socrate de boire la ciguรซ. Et la ciguรซ รฉtait de deux catรฉgo ries : celle qui est mortelle et lโ€™autre qui ne lโ€™est pas. Mais le tribunal a dรฉcidรฉ de lui donner la premiรจre. Et selon le tribunal Socrate a commis une faute trรจs grave, cโ€™est pour cela quโ€™il est condamnรฉ ร  mort. Nous sommes convaincus que cette peine de mort est la plus forte punition pour quelquโ€™un qui est coupable.
Socrate a donc bu la ciguรซ pour libรฉrer son รขme. Il a acceptรฉ lโ€™injustice faite par les gouvernants puisquโ€™il se sent innocent. Il sait trรจs bien quโ€™il nโ€™a rien fait du mal, mais il nโ€™avait pas le choix. Dans cette perspective Socrate dit : ยซ [โ€ฆ] quโ€™il vaut mieux subir lโ€™injustice que de la commettreโ€ฆ ยป3.
Assumant jusquโ€™au bout son choix, Socrate annonce : ยซ Voici quโ€™il est lโ€™heure de nous quitter, moi vers la mort, vous vers la vie. Qui de vous ou de moi, sโ€™en va vers la meilleure affaire ?
Cโ€™est le secret de la divinitรฉ seule ! ยป
Selon lui la vie et la mort sont les mรชmes. Il ne v oit pas la diffรฉrence, partageant ainsi le mรชme point de vue quโ€™Epicure. C โ€™est pour cela que ce dernier a dit : ยซ si la mort est lร , il ne sera plus lร  et vice versa ยป. A quoi bon avoir peur de quelque chose dโ€™absent ?
Dโ€™autre part, signalons que cette รฉlimination de Socrate est une victoire du mensonge sur la vรฉritรฉ et de lโ€™injustice sur la justice. Cโ€™est pourquoi Platon tente de trouver une autre forme de gouvernement qui respectera dโ€™abord les citoyens de la citรฉ, puis qui respectera aussi la loi et la justice. Que chacun reste ร  sa place sans empiรฉter sur affaires des autres.
En terme dรฉfinitif, cโ€™est ce qui concerne lโ€™injustice et maintenant on va aborder le concept du dรฉsordre social qui est le dernier sous-titre du deuxiรจme chapitre de la premiรจre partie.

Le dรฉsordre social

Rappelons que Platon a pensรฉ ร  une รฉducation profonde du citoyen, pour pouvoir sauvegarder la citรฉ de tout ce qui est nuisible ร  lโ€™homme. En effet, comme on lโ€™a briรจvement soulevรฉ dans lโ€™introduction, la citรฉathรฉnienne souffrait de deux maux, ร  savoir du cรดtรฉ moral au sein de la sociรฉtรฉ, et delโ€™autre celui de la politique dans le cadre de lโ€™Etat souverain en place. Du cรดtรฉ moral au sein de la sociรฉtรฉ car le juste et le bien, รฉtant le fondement de la philosophie athรฉnienne, ne sont pas observรฉs. Et du cรดtรฉ politique de lโ€™Etat souverain en place, il y alโ€™absence dโ€™hommes dโ€™Etat ร  la fois compรฉtents et intรจgres. Ces deux calamitรฉs transforment la citรฉ en un lieu de malaise gรฉnรฉral pour les citoyens athรฉniens. Platonprendra ces problรจmes comme point dโ€™appui ร  sa thรฉorie pour trouver une solution efficace pour tous les citoyens de la citรฉ. Il comprend que les maux dont souffrent lโ€™Etat et la sociรฉtรฉ ne sont curables quโ€™au moyen dโ€™une rรฉforme radicale de la sagesse et du cadre รฉtatique. Le philosophe prรฉcise : ยซ Pour Platon, en tout cas, le dรฉsordre(โ€ฆ) porte at teinte ร  la citรฉ. Il devient impossible ร  celle-ci de vivre tranquille selon ses lois, quand les citoyens mรจnent une existence dโ€™oisifs et sโ€™adonnent ร  la dรฉbauche ยป1.
Normalement tant quโ€™un pays nโ€™est pas stable, automatique rien ne marche. Nous remarquons aussi que les maux de la citรฉ basรฉs sur deux diffรฉrentes crises ne seront pas rรฉsolus sans changer dโ€™abord les hommes. Ces derniers ne sont que les responsables de cet Etat. Nous prรฉcisons encore que ces responsables ne sont que les sophistes qui enseignent de citรฉ en citรฉ, et contre une somme dโ€™argent en รฉchange dโ€™un travail.
Or, ce nโ€™est pas le cas de Socrate ni de Platon qui refusaient tout enseignement payant. La mรฉthode sophistique est comparative de ce quโ€™on appelle actuellement la corruption. Et aussi, les sophistes mรฉlangent les affaires privรฉes et publiques. Tout cela nous renvoie ร  un dรฉsordre.
Dโ€™aprรจs tout ce quโ€™on a parlรฉ dans la premiรจre partie, maintenant on va aborder la deuxiรจme partie de notre travail qui est la vision platonicienne du monde.

LA VISION PLATONICIENNE DU MONDE

LES ORIGINES DE LA VISION PLATONICIENNE DU MONDE SENSIBLE

Thalรจs de Milet et origine du monde

Le monde de la philosophie nโ€™est pas un monde clos mais un monde ouvert ร  notre interrogation, ร  nos questions, ร  notre avenir. Ceci est aussi vrai pour lโ€™histoire de la philosophie que pour la civilisation humaine dans son ensemble. Comprendre nโ€™est pas seulement expliquer ; comprendre, cโ€™est prendre avec soin ce passรฉ humain qui nous prรฉcรจde, qui nous faรงonne, qui nousfait vivre. En effet, retourner ร  lโ€™Antiquitรฉ grecque, cโ€™est retourner ร  la source de la philosophie, non pas seulement pour comprendre le passรฉ mais aussi et surtout pour nous ressourcer et atteindre son intรฉrioritรฉ afin que nous puissions saisir le sens des รฉvรจnements de notre philosophie. Le miracle de la philosophie franchit les limites de lโ€™espace et du temps. Il chevauche dans un univers en extension ร  mesure de lโ€™engagement quโ€™il a de capter les multiples messages lancรฉs par les hommes dโ€™autrefois.
Thalรจs de Milet : ยซ (vers 625-vers545 avant Jรฉsus-Christ) est un philosophe prรฉsocratique ionien de lโ€™รฉcole de Milet, considรฉrรฉ comme le premier des prรฉsocratiques et, en un sens, comme le pรจre de la philosophie. Les connaissances de Thalรจs touchaient tous les domaines. Il est lโ€™auteur dโ€™une thรฉorie ยซ physique ยป, mais aussi dโ€™explications astronomiques (il se rendit cรฉlรจbre en prรฉvoyant lโ€™รฉclipse de -585), de dรฉcouvertes mathรฉmatiques (le fameux thรฉorรจme de Thalรจs), etc. La lรฉgende le prรฉsente comme objet des moqueries dโ€™une servante, parce quโ€™il serait tombรฉ dans un puits en observant les astres (premiรจre image du philosophe perdu dans les nuages). Cependant, on raconte aussi que cโ€™est sa connaissance des astres qui lui permit de faire fortune. En effet, ayant prรฉvu grรขce ร  ses รฉtudes mรฉtรฉorologiques une excellente rรฉcolte dโ€™olives pour lโ€™annรฉe suivante, il se serait assurรฉ le monopole sur toutes les passions ร  huile de la rรฉgionโ€ฆ ยป 1.
Ainsi, lโ€™un des grands mรฉrites philosophiques de Thalรจs est dโ€™รชtre le premier ร  avoir mis au point une cosmologie oรน les explicatio ns naturelles se substituent aux explications mythologiques. Comme il est le premier vรฉritable philosophe, il affirme que le cosmos peut รชtre connu : ยซ Il emploie un modรจle et considรจre un รฉlรฉment fondamental ร  la base de toute chose : lโ€™eau. Selon lui, lโ€™eau se transforme en terre comme lorsque le Nil se retire des terres en laissant de la boue et lโ€™eau peut se transformer en air comme lorsquโ€™elle est en รฉbullition. Le cosmos รฉtant un tout, ce tout doit possรฉder des caractรฉristiques dโ€™unicitรฉ. Pour cela, il faut un รฉlรฉment fondamental. Sa faรงon de traiter les questions est le propre des philosophes ยป 2.
Selon Thalรจs, lโ€™univers est nรฉ ร  partir dโ€™une substance primordiale, lโ€™eau. Cette eau par un processus physique engendre la terre, lโ€™air, le feu. Ces deux derniers seraient lโ€™exhalaison de lโ€™eau et sโ€™en nourrit :
ยซ Thalรจs voit la terre plate flottant sur lโ€™eau avec une bulle dโ€™air de forme hรฉmisphรฉrique au-dessus, puis une qualitรฉ infinie dโ€™eau ailleurs dans le cosmos. Il explique avec ce modรจle les phรฉnomรจnes naturels sans le besoin dโ€™intervention divine. Les tremblements de terre se comprennent mieux si lโ€™on pense quโ€™elle flotte ร  la rรฉbellion des Titans enfermรฉs dans le Tatare sous terre ยป3.
Dโ€™aprรจs Thalรจs, en effet, la terre flotte sur lโ€™eau, ce qui fournit, entre autres, une explication ร  des รฉvรจnements mystรฉrieux comme esl tremblements de terre : ceux-ci ne doivent plus รชtre prรฉsentรฉs comme rรฉsultant de lโ€™humeur des divinitรฉs. De mรชme, les mouvements des astres sont soumis ร  des l ois de rรฉgularitรฉ qui nโ€™ont rien de divin, mรชme si, par ailleurs, une telle constata tion nโ€™empรชche pas Thalรจs dโ€™affirmer que lโ€™univers est ยซ peuplรฉ de divinitรฉ ยป.4 Il a donc remplacรฉ lโ€™explication mythique de lโ€™origine de lโ€™univers par une explication physique. Il est mathรฉmaticien, gรฉomรจtre, astronome selon la tradition.
Malgrรฉ ses efforts sur lโ€™origine du monde, Platon a constatรฉ que ce monde dont parle Thalรจs rรฉside dans le sensible. Le monde sensible est selon Platon celui dans lequel nous vivons, effectue par le changement et la dรฉgradation. Il nโ€™est que lโ€™imitation du modรจle reprรฉsentรฉ par les formes, enquelque sorte sa copie ou le paraรฎtre. Dans ce monde sensible, lโ€™homme imagine dโ€™ailleurs une infinitรฉ de maniรจre de paraรฎtre, issue dโ€™une multiplicitรฉ de sensations.Ce qui fait que ces sensations rendent toute chose incomprรฉhensible ร  cause de son mouvement, de son changement, de son instabilitรฉ infinie.
En plus, le problรจme de la connaissance sensible du monde permet ร  Platon de lutter contre le relativisme de Protagoras selon lequel ยซ lโ€™homme est la mesure de toute chose ยป. Ce relativisme anรฉantit, dรฉtruit la connaissance de lโ€™homme en la faisant dรฉpendre dโ€™un รฉtat subjectif et empirique de lโ€™individu. On constate par lร  quโ€™ici le monde sensible est mรฉpris. Cโ€™est sous cet angle quโ€™on voit la relativitรฉ des sensations. Ces derniรจres varient suivant lโ€™individu, dans lโ€™apprรฉhension des choses. Socrate dit : ยซ Crois-tu quโ€™il en soit ainsi des รชtres et que leur essence soit relative ร  chaque individu, comme le disait Protago ras, quand il affirmait que lโ€™homme est la mesure de toute chose et que par consรฉquent tels ils me paraissent ร  moi, tels ils sont pour moi, et que tels ils te paraissent ร  toi, tels ils sont pour toi ; ou bien crois-tu quโ€™ils ont en eux-mรชmes et dans leurs essence quelque chose de permanent ? ยป1.
Prenons un exemple, une mรชme chaleur ou une fraรฎcheur ne donne pas les mรชmes impressions. Dans cette perspective, ce qui e st frais ou chaud pour certains ne le sera pas pour dโ€™autres. Le monde sensible est un monde dโ€™illusion qui emprisonne la vรฉritรฉ. Dans le mythe de la caverne, Platon dit quโ€™il faut libรฉrer lโ€™homme du joug de la connaissance sensible qui lโ€™aveugle.
Autrement dit, Platon ne priorise pas le monde sensible ร  cause du changement, de la multiplicitรฉ incessante, qui sโ€™y dรฉroulent parce quโ€™il nโ€™y a pas de science exacte, si celle-ci est en mouvement. Cโ€™est dans cet angle que Platon dit : ยซ Les yeux soient douรฉs de la facultรฉ de voir, que celui qui possรจde cette facultรฉ sโ€™efforce de sโ€™en servir, etque les objets auxquels
il applique soient colorรฉs, sโ€™il nโ€™intervient pas un troisiรจme รฉlรฉment, destinรฉ prรฉcisรฉment ร  cette fin, tu sais que la vuene percevra rien et que les couleurs seront invisibles ยป 1.
Platon nous prรฉcise que les yeux de lโ€™homme ne sont pas efficaces. Avec ces yeux inefficaces, lโ€™homme nโ€™arrive pas ร  trouver la vรฉritรฉ. Pour que lโ€™homme arrive ร  dรฉterminer la vรฉritรฉ, il faut la participation de โ€™idรฉel. Ainsi, grรขce ร  lโ€™idรฉe qui est dโ€™ailleurs invisible que lโ€™homme peut sโ€™entretenir lui seul jusquโ€™ร  percevoir ou contempler les vรฉritables des choses du monde intelligible. Pourtant, les choses du monde sensible sont multiples, diverses. Donc, toutes choses qui sont multiples ne sont que trompeuses selon la conception de Platon. Selon ce dernier, il nโ€™existe pas de vรฉritรฉ dans la multiplicitรฉ, la vรฉritรฉ est identique et unique.
Ensuite, le monde sensible est un monde de mensonge, car il nโ€™est ni stable, ni fixe, il est toujours en devenir (justice et injustice, bon et mauvais). Il existe toute sorte de mensonges. A ce propos, Platon รฉcrit : ยซ Il en est de mรชme de la justice et de lโ€™injustice , du bon et du mauvais et de toutes les autres formes : chacune dโ€™elles, prise en soi, est une ; mais du fait quโ€™elles entrent en communautรฉ avec les actions, des corps, et entre elles apparaissent partout, et chacune semble multiple ยป 2.
Platon constate que, les sens que lโ€™homme possรจde, sont parmi les causes primordiales qui le conduisent ร  la diversitรฉ de la multiplicitรฉ des choses sensibles. Dโ€™ailleurs, on appelle le monde terrestre, le monde sensible (le monde de la multiplicitรฉ), car ce dernier reprรฉsente diffรฉrentes sortes de sensations. Lโ€™homme que je vois aujourdโ€™hui, ne sera pas le mรชme le lendema in. Il y a toujours une transposition qui surgit non seulement dans ses affaires, mais encore sur lui-mรชme. Cโ€™est la raison pour laquelle Platon ne privilรฉgie pas le monde sensible, puisquโ€™il est rempli de changements. Et cโ€™est dans ce monde-lร  que le mensonge et lโ€™ignorance rรฉsident. Voici en fait, ce que Platon dit : ยซ Les premiers, rรฉpondis-je, dont la curiositรฉ est toute dans les yeux et dans les oreilles, aiment les belles voix, les belles couleurs, les belles figures et tous les ouvrages oรน il entre que lque chose de semblable, mais leur intelligence est incapable de voire et dโ€™aimer la nature du beau lui-mรชme ยป 1.
Enfin, lโ€™homme tente de juger les choses sensibles en utilisant son opinion. Elle est considรฉrรฉe comme une de nos facultรฉs dont la principale fonction est de nous rendre capables de juger les aspects des choses sensibles. Mais nโ€™oubliรฉ pas que lโ€™opinion a pour rรดle de juger les apparences, lesquelles sโ€™identifient ร  lโ€™immรฉdiatetรฉ. Ainsi, lโ€™opinion ne connaรฎt que lesmultiples apparences de la beautรฉ. Cโ€™est dans ce sujet que Platon affirme : ยซ Ainsi ceux qui promรจnent leurs regards sur la multitude des belles choses, mais nโ€™aperรงoivent pas le beau lui-mรชme et ne peuvent suivre celui qui le voudrait conduire ร  cette contemplation, qui voient la multitude des choses justes sans avoir la justice mรชme et ainsi du reste, ceux-lร , dirons-nous, opinent sur tout mais ne connaissent rien des choses sur lesquelles ils opinent ยป 2.
A ce propos, il est ร  signaler que lโ€™opinion est la maniรจre de penser la plus rรฉpandue dans une sociรฉtรฉ. Elle est le fil de ce qui nous relie de ce que nous voyons ร  ceux que nous pensons. Mais quand lโ€™opinion ne concerne pas non plus lโ€™ignorance, lโ€™injustice ; alors elle sโ€™applique ร  des objets bien dรฉterminรฉs.
Suite ร  ce dialogue avec Thalรจs, nous abordons maintenant un autre auteur :
Hรฉraclite avec sa thรฉorie de mouvement.

Hรฉraclite dโ€™ร‰phรจse et la philosophie du mouvement

La pensรฉe dโ€™Hรฉraclite est une pensรฉe du devenir, duchangement et de la transformation. Il a vรฉcu ร  Ephรจse en Ionie ยซ vers576-480 avant Jรฉsus-Christ. Probablement dโ€™origine aristocratique, il aurait รฉtรฉ contemporain de la chute des grandes citรฉs prospรจres dโ€™Asie Mineure (Milet, Ephรจse) et de la poussรฉe perse vers la Grรจce, au dรฉbut des guerres mรฉdiques. De son ล“uvre, il ne subsiste que quelques fragments ยป 1.
En effet, comme les philosophes de lโ€™รฉcole de Milet (ร  laquelle il est postรฉrieur), Hรฉraclite conรงoit un principe naturel unique pour la gรฉnรฉration des choses. La prรฉdilection de sa pensรฉe est dโ€™รชtre gรฉnรฉrale avec des formes frappantes et concises. Il a fait du feu le principe primordial du rรฉel ; le fait quโ€™il le nomme parfois de faรงon plus abstraite ยซ lโ€™un ยป ou ยซ chose sage ยป. En vertu de ce principe, les choses et les รชtres sont sans cesse menacรฉs de disl ocation. Hรฉraclite pense que le feu est le principe primordial du rรฉel ; parce que le feu, ร  ses yeux, possรจde les attributs de la matiรจre la plus subtile et la moins corporelle. Voici ce que le philosophe a dit : ยซ Ce monde-ci, proclame-t-il, a toujours รฉtรฉ et ilest et il sera un feu toujours vivant, sโ€™alimentant avec mesure et sโ€™รฉteignant avec mesure ยป2.
Ainsi, Hรฉraclite a connu la gloire ร  la fin de VIรจme siรจcle avant Jรฉsus-Christ. Son traitรฉ De la nature est perdu ; il ne nous en reste que des fragments. Son รฉtude est un exposรฉ de physique, de politique et de thรฉologie. Son idรฉe centrale est celle de lโ€™รฉcoulement, du devenir, du mouvement : ยซ Tout sโ€™รฉcoule ยป . Cโ€™est ce que lโ€™on a appelรฉ le ยซ mobilisme universel ยป4. Hรฉraclite voyait que dans le mobilisme universel, le conflit des contraires est lโ€™origine et la substance mรชme de toutes choses. Or, dans la multiplicitรฉ mouvante la raison dรฉcouvre lโ€™un et le permanent. Voici quelques prรฉcisions de George PASCAL : ยซ Il faut savoir que la guerre est universelle, que la justice est une lutte et que tout arrive ร  lโ€™existence par la d iscorde et la nรฉcessitรฉ. [โ€ฆ] Les contraires se mettent dโ€™accord, des sons va riรฉs rรฉsulte la plus belle harmonie et tout est engendrรฉ par la lutte ยป .
Selon Hรฉraclite, lโ€™ordre du monde rรฉsulte ainsi dโ€™un รฉquilibre instable entre les contraires. Voici deux idรฉes qui semblent, dans cette philosophie, fondamentales : la guerre cโ€™est-ร -dire lโ€™รฉquilibre conflictuel des contraires, qui est au cล“ur du monde et lโ€™instabilitรฉ des choses. Dโ€™oรน cette phrase dโ€™Hรฉraclite : ยซ On ne se baigne jamais deux fois dans le mรชme fleuve ยป2.
En plus, les choses sont en perpรฉtuel mouvement, cโ€™est-ร -dire que ce que je suis maintenant, je ne le serai demain. Cโ€™est dans cette perspective que Platon conteste cette thรฉorie. Comment monsieur A devient monsieur B le lendemain ? Pourtant Hรฉraclite voit que dans ce mouvement se repรจrent la naissance et la disparition des choses quโ€™il appelle, ยซ le devenir cosmique ยปauquel on a affaire aussi bien au cosmos quโ€™ร  la vie humaine, et mรชme ร  la pe nsรฉe. Hรฉraclite explique aussi les tensions de lโ€™รขme humaine et les conflits de la citรฉ, c’est-ร -dire quโ€™il a une dรฉpendance entre le monde et lโ€™homme : ยซ Je fus aussi peut-รชtre le premier Philosophe ร  proposer non seulement une thรฉorie du monde (cosmologie), mais aussi une thรฉorie de lโ€™homme (anthropologie) ยป3.
Cependant, le concept du devenir est ร  concevoir dโ€™une maniรจre dialectique, dans ce sens quโ€™il est un changement dans la contradiction interne des choses. Ici les choses se prรฉsentent diffรฉremment ร  chaque moment. Il est en mรชme temps fondement dynamique dโ€™รฉquilibre entre le rรฉel dont les champs dโ€™action sont lโ€™univers et ses รฉlรฉments : lโ€™air, la terre, lโ€™eau et le feu.Cโ€™est dans cette condition quโ€™Hรฉraclite dit : ยซ On ne peut pas descendre deux fois dans le mรชme f leuve ni toucher deux fois une substance pรฉrissable car elle se disperse et se rรฉunit de nouveau dans le mรชme รฉtat, par la promptitude et la rรฉalitรฉ de sa mรฉtamorphose : la matiรจre sans commencer ni finir en mรชme temps naรฎt et disparaรฎtยป.
Dans ce fragment 105, Hรฉraclite insiste sur lโ€™importance de la mรฉtamorphose universelle des รฉlรฉments du monde. Dโ€™aprรจs la thรฉorie du devenir universel chez Hรฉraclite, aucune chose ne demeure identique ร  elle-mรชme, mais est soumise ร  un changement perpรฉtuel. Hรฉraclite dit ceci :
ยซ Le monde nโ€™est un et commun que pour ceux qui sont รฉveillรฉs mais pendant le sommeil chacun possรจde un monde ร  p art ยป2.
Si devenir, pour une chose, cโ€™est passer dโ€™un รฉtat ร  un autre, alors, il faut non seulement que celle-ci, en devenant, devienne ce quโ€™elle nโ€™est pas encore c’est-ร -dire autre chose que ce quโ€™elle est, mais encore quโ€™elle devienne, c’est-ร -dire dโ€™une certaine maniรจre quโ€™elle se conserve. Voici cette doctrine : ยซ La pensรฉe dโ€™Hรฉraclite est lโ€™extrรชme opposรฉe de lโ€™รฉlรฉatisme. En effet, pour Parmรฉnide, lโ€™unitรฉ de lโ€™รชtre rend impossible la dรฉduction du devenir et de la multiplicitรฉ ; pour Hรฉraclite, au contraire lโ€™รชtre est รฉternellement en devenir. Hรฉraclite nie ainsi lโ€™รชtre parmรฉnidien. Les choses nโ€™ont pas de circonstance, et tous se meut sans cesse : nulle chose ne demeure ce quโ€™elle est, et tout passe en son contraire ยป 3.
Nous constatons, que cโ€™est ร  partir du Vรจme siรจcle que se manifestait dans tout son รฉclat cette nouvelle civilisation dont la rรฉflexion philosophique apparut comme la configuration systรฉmatique. Les philosophes, comme Hรฉraclite, mรฉditaient sur lโ€™univers et sur lโ€™homme. Leur rรฉflexion nโ€™รฉtai que des germes mais cette floraison donne encore ses reflets dans le dessein de lโ€™humanitรฉ qui ne cesse de porter un regard rรฉtrospectif pour dรฉcouvrir dans el lointain les rรจgles et les principes qui ont bรขti la civilisation grecque devenue patrim oine de toute lโ€™humanitรฉ. Cela veut dire que chaque philosophe contribue ร  cette civilisation. Hรฉraclite a bien montrรฉ dans son ouvrage son apport : ยซ Voici maintenant comment ses thรฉories sont exposรฉes dans chaque partie de son livre. Le feu est lโ€™รฉlรฉment et tout se fait par des transformations du feu, soit quโ€™il se relie, soit quโ€™il devienne plus dans(โ€ฆ) il nโ€™explique rien trรจs clairement : ainsi dit-il que tout se fait par lโ€™opposition des contraires, et que tout coule comme un fleuve. Lโ€™univers, selon lui, est limitรฉ, et il nโ€™y a quโ€™unmonde, qui a รฉtรฉ crรฉรฉ par le feu, et qui retournera au feu aprรจs certaines pรฉriodes, รฉternellement. Cโ€™est le destin qui le veut ainsi ยป 1.
Entre contraires, il y a une lutte dans ce monde qui aboutit ร  la crรฉation, cโ€™est ce quโ€™on appelle la guerre et la querelle ; lโ€™autre aspect du feu qui aboutit ร  lโ€™embrassement, sโ€™appelle la concorde ou la paix. Le mouvement du feu selon Hรฉraclite prend une double direction dans la crรฉation du monde : ยซ Le feu en se condensant devient liquide, lโ€™eau en se condensant se change en terre, et voilร  pour le mouvement vers le bas.
En sens inverse, dโ€™autre part, la terre fond et se change en eau, et dโ€™elle se forme tout le reste, car il rapporte presque tout ร  lโ€™รฉvaporation de la mer. Voilร  donc comment se fait le mouvement vers le haut. Il y a donc des รฉvaporations venant de la terre et de la mer, dont les unes sont claires et pures, et les autres obscures. Le feu tire sa substance des premiรจres et lโ€™eau des secondes. Quant ร  lโ€™air, il nโ€™explique pas la nature ยป 2.
Cette thรฉorie hรฉraclitienne sur la crรฉation du monde a eu par la suite beaucoup dโ€™adeptes. Cโ€™est le cas du roi Darius qui a soutenu lโ€™idรฉe dโ€™Hรฉraclite. Selon lui, Hรฉraclite a bien expliquรฉ lโ€™origine du monde. Darius voit que lโ€™explication du monde par Hรฉraclite nโ€™est pas seulement sensible, car les actions quโ€™il รฉvoque sโ€™expliquent par un mouvement divin. Voici comment le roi Darius, fils dโ€™Hystaspis, salue Hรฉraclite dโ€™Ephรจse, le sage : ยซ Vous avez รฉcrit un livre de la nature difficile ร  comprendre et ร  expliquer. Si on explique mot ร  mot, il semble contenir une รฉtude du monde, de lโ€™univers et des phรฉnomรจnes qui se produisent en lui, phรฉnomรจnes qui sโ€™expliquent par un mouvement divin. Mais la plupart des passages sont interrompus, si bien que ceux-lร  mรชmes qui ont une parfaite connaissance du grec, sont dans le doute sur la vรฉritable et juste interprรฉtation de ce que vous avez รฉcritโ€ฆ Car les Grecs, avec leur habitude de ne pas respecter suffisamment les philosophes, mรฉprisent les belles doctrines quโ€™ils leur enseignentโ€ฆ ยป 1.
Ainsi, avant Socrate, la pensรฉe philosophique est encore mal assurรฉe. Elle tรขtonnait en sโ€™attaquant ร  des problรจmes trop vaste s eus รฉgard au dรฉveloppement et ร  lโ€™รฉtat de connaissance de lโ€™รฉpoque. Mais elle futdรฉjร  une pensรฉe qui se frayait un chemin ; bien que lโ€™union intime de la science et de la philosophie demeurรขt encore sa caractรฉristique fondamentale. Naturellement, lโ€™homme รฉtait portรฉ ร  rรฉflรฉchir sur ce quโ€™il aperรงut de lui, sur ses propres sentiments, sur le monde qui lโ€™enserra, lโ€™intrigua et quโ€™il cherche gauchement une explication plutรดt que de se fier ร  des puissances secrรจtes, ou ร  des explications purement mythico-religieuses. Emboรฎtant le pas ร  Darius, Hippolyte se fait lโ€™exรฉgรจte du fragment 66: ยซ โ€ฆle feu surgissant fera le tri et saisira toutes chosesโ€ฆ ยป2.
Dans son exรฉgรจse Hippolyte aurait pris ce feu pour un grand incendie, ou lโ€™enfer destinรฉ ร  accomplir le jugement dernier puisque le feu de lโ€™enfer consume les mรฉchants. Ici on a bien compris que le feu รฉvoquรฉ par Hippolyte dans sa citation est opposรฉ au feu dont parle Hรฉraclite. Les grecs avaient la coutume de brรปler des aromates dans les temples. On pense donc facilement quโ€™Hรฉraclite ait appris en grandissant ร  lโ€™ombre des temples ร  nommer le dieu dโ€™aprรจs le parfum flottant dans le temple. Tout cela pousse Hรฉraclite ร  dire : ยซ Le dieu est nuit et jour, hiver et รฉtรฉ, guerre etpaix, famine et abondance (tous les caractรจres, tel est le sens) ; mais il se change, tel un feu mรฉlangรฉ dโ€™aromates, on le nomme ร  la valeur de chacun ยป3.
Dans cette perspective, Hรฉraclite dรฉmontre que le dieu se manifeste sous des formes opposรฉes ร  lโ€™expรฉrience. Le dieu est toujours un et le mรชme, malgrรฉ la diversitรฉ de ses noms. En effet, ajoute Hรฉraclite, ce dieu est : ยซ Un feu sous un bouquet de parfums, un dieu sous u n bouquet de noms ยป 1.
Bref, selon Hรฉraclite, le feu sert ร  expliquer les phรฉnomรจnes naturels, comme par exemple la lumiรจre du soleil qui existe grรขce ร  une รฉvaporation brillante, claire et pure ; le feu, par opposition ร  lโ€™eau, est une รฉvaporation obscure. Par la suite les traducteurs dโ€™Hรฉraclite et certains philosophes ont assimilรฉ le feu dโ€™Hรฉraclite au Logos considรฉrรฉ par ces derniers comme la raison gouvernant le monde.
Du point de vue gnosรฉologique, le problรจme majeur soulevรฉ par la thรฉorie hรฉraclitienne du monde est celui de lโ€™opposition entre la sensation et la connaissance objective, entre la vรฉritรฉ et lโ€™opinion, le monde sensible รฉtant considรฉrรฉ comme source dโ€™erreurs et dโ€™illusions. Cโ€™est par ce biais que Platon va sโ€™attaquer ร  la thรฉorie hรฉraclitienne quโ€™il voit comme un ยซ monstre ร  double tรชte ยป. Pour ce faire, Pythagore va servir dโ€™inspirateur au fondateur de lโ€™Acadรฉmie.

LES SOURCES PLATONICIENNES DU MONDE INTELLIGIBLE

La thรฉorie pythagoricienne de lโ€™immortalitรฉ deโ€™รขmel

Aprรจs avoir vu les origines du monde sensible chez Platon, maintenant on va entamer les sources de sa thรฉorie sur le monde intelligible, entre autres Pythagore. Pythagore a vรฉcu ร  Samos (582-500 avant Jรฉsus-Christ), en Asie Mineure. Il sโ€™installe ร  Creton (Italie du Sud) pour y fonder une communautรฉ ร  la fois intellectuelle et religieuse ร  caractรจre initiatique. Ainsi, avec les pythagoriciens, ce nโ€™est plus du cรดtรฉ matiรจre que lโ€™on se tourne, maison se met en quรชte des rรฉalitรฉs immatรฉrielles. Avec eux aussi, la philosophie sโ€™engage dans la recherche de la sagesse. Une rรฉflexion รฉthique se prรฉcise. Voici letรฉmoignage de Proclus :
ยซ Lโ€™รฉcole ionienne sโ€™occupe de la physique. [โ€ฆ] Les philosophes dโ€™Italie se sont principalement occupรฉs des choses qui sont les espรจces intelligibles. [โ€ฆ] Disons que lโ€™Ionie est le symbol e de la nature, tandis que lโ€™Italie est celui de lโ€™essence intellectuelle ยป1.
A ce propos, et du point de vue de la pratique de la philosophie, faudrait-il rappeler que: ยซ Pythagore est peut-รชtre lโ€™inventeur du mot ยซ philosophie ยป. Il enseigne que lโ€™รขme, distincte du corps, est immorte lle et se rรฉincarne dans des existences sensibles successives. Cette thรจse influencera Platon (cf. le Phรฉdon) ยป .
Non seulement il employa un mot nouveau, mais il enseigna une doctrine originale. Il vint ร  Philonthe oรน il sโ€™entretient l onguement et doctement avec Lรฉon, le tyran de Philonthe, qui, admirant son esprit et son รฉloquence, lui demanda quel art lui plaisait le plus.
En revenant sur la thรจse de Pythagore relative ร  lโ€™immortalitรฉ de lโ€™รขme, Platon, lui aussi a embrassรฉ cette idรฉe. Dโ€™abord lโ€™immortalitรฉ de lโ€™รขme est avant tout une hypothรจse mรฉtaphysique, cโ€™est-ร -dire au-delร  du monde physique, qui concerne lโ€™รขme et que soutient lโ€™ensemble des philosophes sp iritualistes depuis lโ€™Antiquitรฉ. Partant dโ€™une dรฉfinition, lโ€™รขme est le principe susceptible dโ€™animer la matiรจre, cโ€™est-ร -dire toutes les matiรจres qui ont besoin nรฉcessairement dโ€™une vie pour se dรฉvelopper, ou mรชme changer en une autre forme.
Nous rappelons que les Egyptiens et les pythagoriciens croient en lโ€™existence de lโ€™รขme. Platon nโ€™a pas mรฉprisรฉ leur thรจse pour renforcer ses analyses quand il souligne que lโ€™รขme est une partie de Dieu. Lorsque lโ€™รขme est tombรฉe dans le corps, elle a oubliรฉ tous les savoirs. Cโ€™est dans cette perspective que Platon dit : ยซ Lโ€™รขme se souvient de ce quโ€™elle a vu dans une vie antรฉrieure, avant dโ€™รชtre tombรฉe dans le corps, alors que faisant partie du cortรจge de Dieu, il lui รฉtait donnรฉ de connaรฎtre directemen les essences immuables des choses ยป 1.
Dans cet angle, Platon voulait expliquer sa thรฉorie en sโ€™appuyant sur le cรฉlรจbre mythe de la caverne. Ce mythe nโ€™est pas une image mythique, il est la montรฉe de lโ€™รขme vers lโ€™intelligible. A lโ€™aide de la connaissance mathรฉmatique, lโ€™homme est prรฉparรฉ ร  la dialectique, laquelle est considรฉrรฉe comme la vraie science qui lui permet dโ€™accรฉder ร  la vรฉritรฉ รฉternelle, cโ€™est-ร -dire au monde intelligible. Cโ€™est dans ce sens que Platon montre le rรดle prรฉparatoire de la science mathรฉmatique pour la formation des philosophes. Dโ€™oรน cette affir mation : ยซ Les sciences qui relรจvent du pur raisonnement, lโ€™arithmรฉtique, la gรฉomรฉtrie, lโ€™astronomie, lโ€™harmonie sont les plus propres ร  nous familiariser avec le monde intelligible. Cโ€™est alors quโ€™intervient la dialectique ยป2.
Selon Platon, la dialectique reรงoit une valeur positive dans laquelle elle se dรฉfinit comme la dรฉmarche ascendante de lโ€™esprit qui, par sa rรฉflexion rationnelle, sโ€™รฉlรจve des apparences sensibles aux concepts de la science et parvient ร  la contemplation des idรฉes mรฉtaphysiques suprรชmes qui sont les principes du monde intelligible. Voici ce que le philosophe dit : ยซ Quand donc, dit Socrate, lโ€™รขme atteint-elle la vรฉ ritรฉ ? En effet, lorsquโ€™elle entreprend dโ€™รฉtudier une question avec lโ€™aide du corps, elle est complรจtement abusรฉe par lui, cela est รฉvident.Tu dis vrai. Donc, si jamais la rรฉalitรฉ dโ€™un รชtre apparaรฎt ร  lโ€™รขme, cโ€™est รฉvidemment dans lโ€™acte mรชme de la pensรฉe que cela a lieu ? Oui ยป 1.
Ainsi, comme lโ€™รขme connaissait toutes les choses av ant de sโ€™attacher au corps, il est certain que lโ€™รขme habite dans un autr e endroit avant de venir dans le corps. En dโ€™autres termes, Platon pensait que lโ€™รขme a existรฉ avant de venir rejoindre le corps. Autrefois, elle รฉtait dans le monde des Idรฉes, monde invisible et divin. Cโ€™est ร  ce sujet que Platon dit : ยซ Lโ€™argument que je viens de donner, et dโ€™autres, nous oblige donc ร  conclure que lโ€™รขme est immortelle. Mais pour bien connaรฎtre sa vรฉritable nature nous ne devons pas la considรฉrer, comme nous faisons, dans lโ€™รฉtat de dรฉgradation oรน la mettre son union avec le corps et dโ€™autres misรจres ; il faut la contempler attentivement avec les yeux de lโ€™esprit telle quโ€™elle est quand elle est pure ยป2.
A lโ€™issue de sa pรฉrรฉgrination ร  travers un corps matรฉriel, lโ€™รขme doit revenir ร  sa source originelle. Et pour les philosophes spiritualistes, elle se rรฉincarne pour subir le chรขtiment de ses fautes lors dโ€™une vie ant รฉrieure et pour passer un jugement. Cโ€™est justement dans ce sens que Raymon Mody affirme : ยซ Selon Platon, peu aprรจs la mort, lโ€™รขme est soumis e ร  un jugement au cour duquel un personnage divin fait dรฉfiler devant elle toutes les actions bonnes ou mauvaises quโ€™elle a accomplies durant son existence terrestre, elle oblige ร  les affronte r de face ยป3.
Dans cette mรชme optique, Platon ajoute encore que q uand lโ€™รขme sโ€™engage dans la mรฉtempsychose, cโ€™est-ร -dire lorsquโ€™elle est sรฉparรฉe du corps, elle aspire ร  retrouver son รฉtat initial. Il faut savoir encore que lโ€™รขme est trรจs diffรฉrente du corps pรฉrissable. Ce qui fait que lโ€™รขme sera toujours รฉternelle et immortelle. Cโ€™est pour cela que Platon dit : ยซ Si tel est donc son รฉtat, elle se dirige vers ce qui lui ressemble, vers ce qui est invisible, ce qui est divin, immortel, sage, vers le lieu oรน lui est rรฉservรฉ de trouver le bonheur, loin dโ€™erreur, de dรฉraison, de terreurs, de brutales amours, loin de tous les autres maux de lโ€™espรจce humaine ; et, comme on le dit des initiรฉs, elle passe vรฉritablement dans la compagnie des dieux tout le reste de son temps ยป 1.
Vivre dans lโ€™รฉternitรฉ en compagnie des dieux, telle est la destinรฉe de lโ€™รขme : ยซ De mรชme lโ€™รขme qui entre dans le corps et y apporte toujours la vie, ne recevra jamais le contraire de ce quโ€™elle apporte, cโ€™est-ร -dire lamort. Elle est donc immortelle et par suite indestructible ยป2.
En dโ€™autres termes, et face au corps pรฉrissable quโ€™elle commande, lโ€™รขme jouit du privilรจge de lโ€™รฉternitรฉ : ยซ โ€ฆ Cโ€™est lโ€™รขme qui commande, le corps qui obรฉit. P ar lร , lโ€™รขme ressemble au divin, qui est fait pour commander, et le corps ressemble ร  ce qui est mortel et fait pour obรฉir. [โ€ฆ] Si elle sโ€™est bien dรฉtachรฉe du corps pendant la vie, on peut croire quโ€™elle sโ€™en ira vers ce qui est divin et passera son existence avec les dieux ยป3.
Cโ€™est prรฉcisรฉment parce que lโ€™รขme nโ€™est pas matรฉrielle quโ€™elle peut accรฉder au monde des Idรฉes ; dโ€™oรน le dรฉsir de retrouver sa vraie demeure. En effet, รฉcrit Platon : ยซ Partie de lโ€™รขme universelle, lโ€™รขme humaine est c omme elle, non seulement immortelle, mais รฉternelle ยป4.
Accidentellement liรฉe au corps, la mort est donc pour lโ€™รขme une dรฉlivrance, une occasion pour retrouver la source originelle : ยซ Alors on la verra infiniment plus belle et lโ€™on d iscernera plus clairement la justice et lโ€™injustice, et toutes les choses dont nous venons de parler. Ce que nous avons dit lโ€™รขme est vraie pa r rapport ร  son รฉtat prรฉsent ยป1.
Telle est donc pour Platon la consรฉquence de la thรฉorie pythagoricienne relative ร  la nature de lโ€™รขme. Mais une autre sourc e servira aussi dโ€™appui ร  Platon : Parmรฉnide.

Lโ€™immobilisme universel de Parmรฉnide

Aprรจs avoir รฉtudiรฉ dans ses dรฉtails la thรฉorie pythagoricienne de lโ€™immortalitรฉ de lโ€™รขme, on va maintenant terminer ce chapitre par lโ€™immobilisme universel de Parmรฉnide. Parmรฉnide a vรฉcu en Italie du Sud, ร  Elรฉe, environ 540-450 avant Jรฉsus-Christ. Il est le reprรฉsentant le plus รฉminent des Elรฉates. Auteur dโ€™un poรจme philosophique, De la nature, dont il reste quelques fragments, il a eu une influence importante sur Platon qui a intitulรฉ Parmรฉnide lโ€™un de ses dialogues, dont le meneur de jeu nโ€™est pas Socrate mais lโ€™ยซรฉtranger dโ€™Elรฉe ยป .
Ainsi, Parmรฉnide est lโ€™adversaire dโ€™Hรฉraclite ; ilrejette le sensible et le devenir du cรดtรฉ du non-รชtre. Selon lui, lโ€™รชtre est immuable , immobile et indivisible. Cโ€™est dans ce sens que Platon รฉcrit : ยซ Seul lโ€™รชtre est, et le non-รชtre nโ€™est pas : tellest la double tautologie qui semble rรฉsumer la philosophie de Parmรฉnide (cf. Prรฉsocratique) ยป .
Il est ร  prรฉciser que la philosophie de Parmรฉnide prรดne deux voies pour la recherche de la vรฉritรฉ. Son poรจme souligne dโ€™abordlโ€™opposition entre lโ€™รชtre et le non-รชtre. Le premier, cโ€™est-ร -dire lโ€™รชtre est la voie d e la vรฉritรฉ tandis que le non-รชtre est le sentier qui ne conduit absolument ร  rien, cโ€™est-ร -dire nulle part. Voici ce que Parmรฉnide nous a dit ร  propos de ce point : ยซ La premiรจre voie, lโ€™รชtre est et il est impossiblequโ€™il ne soit pas, est le chemin auquel il faut se fier car cโ€™est le chemin de la vรฉritรฉ ; la seconde voie, lโ€™รชtre nโ€™est pas et le non-รชtre est รฉcessaire,n ce nโ€™est quโ€™un sentier, je te dis, oรน lโ€™on ne trouve rien ร  quoi se fier. Car on ne peut ni connaรฎtre ce qui nโ€™est pas, cโ€™est impossible, ni lโ€™รฉnoncer en un discours ยป1.
Ainsi, la philosophie de Parmรฉnide conduit ce dernier ร  affirmer en toute rigueur que lโ€™รชtre peut รชtre pensรฉ, cโ€™est-ร -dire ce qui nโ€™est pas ne peut รฉvidemment exister ni en pensรฉe, ni en rรฉalitรฉ. Donc nous voyons par lร  que le mouvement nโ€™existe pas, que lโ€™รชtre est unique et quโ€™il nโ€™y a que de lโ€™รชtre ; enfin, que rien ne naรฎt ni ne meurt. En somme, on voit bien que ce qui est ici sacrifiรฉ au nom de cette vรฉritรฉ tautologique de Parmรฉnide cโ€™est le monde sensible, la diversitรฉ et le devenir. Pour Parmรฉnide, le monde sensible est du cรดtรฉ du non-รชtre ; la rรฉalitรฉ que nos sens nous prรฉsentent comme une donnรฉe รฉvidente est aussi du cรดtรฉ du non-รชtre. Et lโ€™on voit tout aussi clairement quelle est la principale victime de ce monisme de lโ€™รชtre immobile : cโ€™est le mobilisme radical dโ€™Hรฉraclite. Avec cette dรฉmonstration, nous avons bien compris pourquoi Parmรฉnide sโ€™oppose toujours au mobilisme dโ€™Hรฉraclite, et par consรฉquent nie la possibilitรฉ du mouvement, ou de la dualitรฉ.
Si Parmรฉnide affirme que lโ€™รชtre est, cโ€™est nier la diffรฉrence, cโ€™est-ร -dire la possibilitรฉ que quelque chose dโ€™autre que lโ€™existan par excellence puisse aussi exister. Signalons que Parmรฉnide nie aussi lโ€™existence du vide, car, pour lui, il ne peut รชtre que le non-รชtre. Il nโ€™existe pas et ne pe ut mรชme pas รชtre pensรฉ. Ainsi, lโ€™รชtre est un et il nโ€™y a que de lโ€™รชtre. De cela, il dรฉcoule que lโ€™รชtre est immobile, car pour que le mouvement soit possible, il aurait fallu aussi quโ€™il y ait du vide. Or, Parmรฉnide affirme que le vide nโ€™existe pas, que lโ€™รชtre est pl ein, inaltรฉrable, รฉternel, et enfin, que rien ne naรฎt de rien, ou, comme il lโ€™รฉcrit aussi, ยซni rien ne naรฎt, ni rien ne meurt ยป. Et Parmรฉnide ajoute : ยซ Lโ€™arrรชt en la matiรจre stipule simplement : il estabsolument ou il nโ€™est pas ยป2.
Comme aucun mouvement nโ€™est ici envisageable, lโ€™รชtr e ne peut donc engendrer quoi que ce soit car pour quโ€™il y ait de la gรฉnรฉration, il faut du mouvement. Ceux qui pensent autrement soutiennent en quelque sorte quโ€™ร  partir de lโ€™รชtre, ce qui nโ€™est pas vient ร  lโ€™existence. Lโ€™รชtre, on conviendra de cela sans difficultรฉ, ne peut contenir du non-รชtre. Dans cette perspective, comme nt expliquer que le non-รชtre, cโ€™est-ร -dire ce qui nโ€™est pas encore nรฉ, puisse venir ร  lโ€™รชtre ? Cela est impossible, et pour Parmรฉnide, cโ€™est impensable. Lโ€™รชtre est totalement achevรฉ. Il nโ€™a pas de partie, ne contient pas de vide, est plein et continu, immuable, immobile. Bref, tout ceci revient ร  affirmer quโ€™il nโ€™y a pas de passage possible de lโ€™รชtre au non-รชtre ; donc, pour Parmรฉnide la voie de lโ€™รชtre est la seule voie vรฉritable ; lโ€™รชtre ne pouvant provenir en rien du non-รชtre. Il est inengendrรฉ, impรฉrissable, complet, immobile et sans fin. Voici ce que Platon dit : ยซ Si donc la connaissance porte sur lโ€™รชtre, et lโ€™ig norance, nรฉcessairement, sur le non-รชtre, il faut chercher, pour ce qui tient le milieu entre lโ€™รชtre et le non-รชtre, quelque intermรฉ diaire entre la science et lโ€™ignorance, supposรฉ quโ€™il existe quelque chose de tel ยป 1.
Cโ€™est dans tous les caractรจres de lโ€™รชtre parmรฉnidien que Platon a puisรฉ en partie sa thรฉorie des idรฉes du monde intelligible. Il parvint, non seulement ร  crรฉer un systรจme qui assimile de maniรจre trรจs judicieuse unegrande partie de la philosophie prรฉsocratique ร  partir des interrogations socratiques, mais aussi, ร  construire une pensรฉe qui eut des rรฉpercussions comme aucune autre dans lโ€™histoire occidentale de lโ€™esprit. Cโ€™est pour cela que Jules LAGNEAU รฉcrit : ยซ le monde intelligible nโ€™est pas une sorte de reproduction ou exemplaire, au sens propre, du monde sensible, mais ce monde vu par lโ€™esprit ร  travers lui-mรชme, cโ€™est-ร -dire รฉclairรฉ ร  la lumiรจre morale, prenant un sens et une rรฉalitรฉ supรฉrieure par lerapport oรน il est mis avec le Bien, conรงu, voulu et posรฉ comme le seul รชtre digne de ce nom, indรฉpendant, fondรฉ sur soi ยป.
La thรฉorie des Idรฉes chez Platon suppose un empire hypothรฉtique dโ€™essences immuables, immatรฉrielles et รฉternelles, le monde des Idรฉes. Dโ€™aprรจs Platon, les Idรฉes sont les archรฉtypes de la rรฉalitรฉ. Elles existent en gรฉnรฉral de maniรจre objective, puisquโ€™elles existent indรฉpendamment de notre aptitude ร  les connaรฎtre ou de notre mode de pensรฉe. Les idรฉes ne rรฉsultent donc pas dโ€™une disposition particuliรจre de notre entendement, mais peuvent รชtr e connues par lui. Cโ€™est dans cette perspective quโ€™on peut qualifier la position de Platon comme un idรฉalisme objectif. Explicitant sa pensรฉe, Platon รฉcrit : ยซ Ces idรฉes dont nous parlons sont ร  titre de modรจles, de paradigmes dans lโ€™รฉternitรฉ de la nature ; quant aux objets, ils leur ressemblent et en sont des reproductions ; et cette participation que les autres objets ont aux idรฉes ne consiste en rien dโ€™autre quโ€™ร  รชtre fait ร  leur image ยป 1.
Ainsi, les Idรฉes confรจrent donc aux choses leur intelligibilitรฉ, mais aussi leur stabilitรฉ puisque, pour les รชtres, elles constituen t leur fond de rรฉalitรฉ immuable. Sans elles, rien dโ€™organisรฉ nโ€™existerait. En fait, les Idรฉes sont les seules rรฉalitรฉs. Et pour Platon qui croit au monde des Idรฉes, ils dรฉvient enfin possible de juger de ce qui est moral et de ce qui ne lโ€™est pas.
Autrement dit, le seul monde vรฉritable est celui de la permanence, donc le monde des idรฉes. Cโ€™est dans ce monde que la rรฉalitรฉde lโ€™รชtre est affective. Cโ€™est cette unique condition qui permet ร  la pensรฉe de saisir la vรฉritรฉ. De ce fait, elle apparaรฎt comme le seul monde favorable ร  tout savoir, en dehors duquel celui-ci demeure impossible, et cโ€™est la raison pour laquelle Platon dรฉclare : ยซ Le monde intelligible cโ€™est celui qui dispense et procure la vรฉritรฉ et lโ€™intelligence, et quโ€™il faut le voir pour se conduire avec sagesse, soit dans la vie privรฉe, soit dans la vie publique ยป 2.
Dans cette perspective, Platon voudrait nous faire comprendre que la rรฉalitรฉ des choses se trouve uniquement dans lโ€™Idรฉe. Lโ€™Idรฉeest la seule capable de nous faire dรฉvoiler la vรฉritรฉ. Ainsi, lโ€™Idรฉe sโ€™entretien avec lโ€™intelligence et la rรฉalitรฉ des choses. Dโ€™oรน cette affirmation : ยซ Cโ€™est en vertu des idรฉes auxquelles elles correspondent que les choses sont ce quโ€™elles sont, sont dรฉnommรฉes etdรฉfinies ; que les belles revรชtent le caractรจre de la Beautรฉ, les pieuses de la Piรฉtรฉ, les justes de la Justice, etc. ยป1.
Enfin, chez Platon, le fondement de toutes nos connaissances et de toutes nos actions vรฉritables se trouve dans lโ€™Idรฉe, dont les plus รฉminentes restent celles du Bien, du Beau, du Vrai, lesquels sont lโ€™objet des sciences.
Faudrait-il rappeler que le point central de la philosophie de Platon est cette idรฉe du Bien. En effet, lโ€™idรฉe platonicienne du bien dรฉpasse de trรจs loin la notion dโ€™รฉthique, puisquโ€™elle occupe une position clรฉ comme but et commencement de tout รชtre, aussi bien dans la thรฉorie de la connaissance quโ€™en ontologie.
Cโ€™est ร  partir du Bien que dรฉcoulent les idรฉes dโ€™รชtre et de valeur, et avec lui le monde tout entier, le Bien crรฉe lโ€™ordre, la mesure et lโ€™unitรฉ du monde. Ainsi le Bien est prรฉsentรฉ comme le principe radical de toutes les idรฉes et se situe au-dessus dโ€™elles. Lโ€™idรฉe du bien est le chemin de la vรฉritรฉ .En effet, ยซ Ce qui communique la vรฉritรฉ aux objets connaissables et ร  lโ€™esprit la facultรฉ de connaรฎtre, tient pour assure que cโ€™est lโ€™idรฉe du Bien ยป 2.
Dโ€™autre part, il convient de signaler que la connaissance se prรฉsente toujours comme une nรฉcessitรฉ vitale pour lโ€™รชtre humain, car elle est la base de son existence. En effet, celle-ci demeure le bien suprรชme que lโ€™ho mme poursuit. Aussi, elle est la lumiรจre et donc son essence, une clartรฉ qui illumine son รชtre. Cโ€™est pourquoi, chez Platon, la place du Bien ร  lโ€™intรฉrieur du pensable est comparรฉe au soleil dans le domaine du visible.
Cโ€™est ici que la dialectique trouve exactement sa place. En effet, la dialectique de Platon est une mรฉthode dโ€™examen et de discussion qui permet dโ€™aboutir ร  la vรฉritรฉ. Bref, la dialectique est, pour Platon, la voie royale par laquelle, si les jeunes sโ€™y conforment, suivant les lois, de ladite dialectique, rendra la citรฉ heureuse et organisรฉe. Ainsi, si la dialectique, moyen privilรฉgiรฉ pour lโ€™รฉducation des jeunes, est alliรฉe ร  la musique et ร  la gymnastique, la citรฉ ne pourra quโ€™en tirer profit ; ce qui donnera naissance ร  la ยซ citรฉ juste ยป ou ยซ idรฉale ยป .

LA CITE IDEALE REVEE PAR PLATON

Lโ€™EDUCATION

La musique

Aprรจs la dรฉcadence de la citรฉ athรฉnienne, Platon apensรฉ reconstruire la citรฉ en se basant sur une รฉducation de tous les enfants athรฉniens. Cette รฉducation รฉtait basรฉe sur la musique et sur la gymnastique. La premiรจre qui est le titre de cette sous-partie consiste ร  dรฉvelopper la mรฉmoire. La musique est une รฉtude qui nous ramรจne ร  des mรฉlodies et des paroles. Les mรฉlodies et les paroles ne doivent pas se contredire. Car si les unes contredisent les autres, cela signifie quโ€™on a perdu lโ€™harmonie. La musique est donc composรฉe dโ€™harmonie et de rythme. Il faut que lโ€™harmonie et le rythme aboutissent ร  la chorรฉe. Voici ce que Platon nous dit : ยซ Lโ€™ordre du mouvement sโ€™appelait rythme, celui de la voix, quand le grave et lโ€™aigu se mรชlent, portait le nom dโ€™harmonie et lโ€™ensemble se nommait chorรฉe ยป1.
Pour Platon, cette รฉducation musicale doit รชtre rรฉservรฉe aux petits enfants avec des chants qui plaisaient ร  ces derniers. Ce seront des chansons faciles ร  apprendre et ร  chanter. Dans cette perspective, leur รฉducation sera alors rรฉalisรฉe : ยซ Quand les enfants auront รฉtรฉ de bonne heure soumis ร  la rรจgle dans leur jeu et que la musique aura fait entrer dans leur cล“ur lโ€™amour de la loi dans toutes les circonstances de la vie, quโ€™ils ne cessent de garantir et quโ€™ils redressent tout ce qui a pu tomber de la vieille discipline ยป 2
Mais ici, il faut signaler que Platon invite les รฉducateurs ร  choisir non seulement des chansons qui plaisent aux enfants, mais aussi qui parlent des belles choses. Cโ€™est ร  partir de ces chants que sโ€™acquerra le sens de lโ€™honneur des citoyens. Ce quโ€™on leur a appris dans leur enfance restera jusquโ€™ร  lโ€™รขge adulte. Autrement dit, cโ€™est une telle รฉducation qui donnera naissance ร  des dirigeants capables de bien gรฉrer la citรฉ. Ici apparaรฎt dรฉjร  ne filigrane lโ€™image chรจre ร  Platon, celle du ยซ philosophe-roi ยป ou du ยซ roi-philosophe ยป. En effet, le ยซ philosophe-roi ยป ou le ยซ roi-philosophe ยป est celui qui est : ยซ Capable de distinguer entre celle qui est de bonne qualitรฉ et celle qui est malsaine, capable par consรฉquent dโ€™avoir opรฉrรฉ une sรฉlection entre celles qui sont ร  la ressemblance dโ€™une รขme bonne et celles qui sont ร  la ressemblance dโ€™une รขme dont lโ€™ รฉtat est contraire ยป .
Dโ€™autre part, il faut que les chants incitent aux bonnes actions, ร  la pratique de la vertu. Dans ce sens, la musique et la gymnastique devront obรฉir aux lois รฉlaborรฉes par la citรฉ et auxquelles devront se soumettre les compositeurs. Dโ€™oรน cette affirmation de Platon : ยซ Dรจs lors, lร  oรน il existe ou existera dans lโ€™ave nir des lois heureusement รฉtablies en ce qui concerne lโ€™รฉducation musicale et les jeux, estimerons-nous, loisible aux compositeurs, toutes les fois que, dans la composition, ils trouvent eux-mรชmes du char me ร  un รฉlรฉment qui tient au rythme , ร  lโ€™air ou aux paroles de lโ€™enseigner aussi dans les chล“urs aux jeunes fils de bons citoyens ยป 2.
Ainsi, la musique sert ร  former des hommes courageux. Ces derniers consistent ร  protรฉger la citรฉ contre les ennemis. Cโ€™est ce que Platon a consacrรฉ pour les futurs gardiens. Un gardien ne doit pas รชtre fa ible ; il ne doit rien craindre, mรชme la mort. Cโ€™est ainsi que les textes ร  faire apprendre aux jeunes doivent รชtre rigoureusement choisis. En cas de besoin, les vers et tout รฉcrit jugรฉ pernicieux pour la jeunesse doivent รชtre bannis de la citรฉ, y compr is les fables sur lโ€™Hadรจs (dieu des enfers). Et Platon de dรฉclarer : ยซ Nous effacerons par consรฉquent, repris-je, ร  commencer par ces vers, toutes les assertions de ce genre ยป 1.
En effet, la grande affaire consiste ici ร  savoir bien choisir ce quโ€™il faudra faire apprendre aux jeunes afin de les habituer ร  lโ€™acquisition de bonnes habitudes et de rester dans le droit chemin. Dโ€™oรน cette affirmation :
ยซ En toutes choses, la grande affaire est le commen cement, principalement et pour tout รชtre jeune et tendre, p arce que cโ€™est ร  ce moment quโ€™on faรงonne et quโ€™on enfonce le mieux lโ€™empreinte dont on veut marquer un individu ยป 2.
Et le meilleur moyen pour y parvenir cโ€™est le bon exemple car, ยซ Il nโ€™y a pas aussi imitateur que lโ€™homme, surtout dans son enfance, [โ€ฆ]. Et lโ€™enfant est beaucoup plus apte ร  singer que le singe le plus avancรฉ. Il imite en effet, les actes en rapport avec ses intรฉrรชts et ses dรฉsirs, par affection ou admiration ยป .
Selon Platon, les citoyens qui ont reรงu une bonne รฉducation musicale auront des รขmes vertueuses. Et comme ils sont ainsi, ils a uront de bonnes tรชtes pour la direction des affaires de lโ€™ร‰tat. Pour parvenir ร  ce but, ยซ [โ€ฆ], il faut quโ€™ils ne fassent et nโ€™impliquent ri en dโ€™autre ; sโ€™ils imitent, que ce soient les qualitรฉs qui leur convient dโ€™acquรฉrir dรจs lโ€™enfance : le courage, la tempรฉrance, la saintetรฉ, la libรฉralitรฉ et les autres vertus du mรชme genreโ€ฆ ยป 4.
En dโ€™autres termes, la musique tient une place importante dans le systรจme รฉducatif platonicien. Signalons ici que si la musique favorise lโ€™harmonie du corps, elle sโ€™intรฉresse surtout ร  lโ€™รขme en entraรฎnant lโ€™enfantau respect de la discipline. Cโ€™est ainsi que Platon dรฉclare : ยซ Ce nโ€™est pas, ร  mon avis, le corps, si bien const ituรฉ quโ€™il soit, qui par sa vertu rend propre lโ€™รขme bonne, mais au c ontraire lโ€™รขme qui lorsquโ€™elle est bonne, donne au corps, par sa vertu propre, toute la perfection dont il est capable ยป 1.
Dโ€™autre part, ร  chaque sexe correspond un type de musique bien dรฉterminรฉ : il existe des chants rรฉservรฉs aux garรงons ; et dโ€™autres pour les filles. Pour les filles les chants doivent leur donner le sens de la simplicitรฉ et pour les garรงons le sens de lโ€™endurance et du courage, cโ€™est pourquoi : ยซ Il conviendra aussi de sรฉparer les chants suivant quโ€™ils conviennent aux femmes ou aux hommes, en les distinguant par quelque caractรจre gรฉnรฉral ยป.
Il est ร  prรฉciser que dans son systรจme รฉducatif, Platon a choisi la musique avant la gymnastique. La raison de ce choix a รฉtรฉ dictรฉe par lโ€™influence que la musique exerce sur lโ€™รขme. En effet, cโ€™est avec la q ualitรฉ mรฉlodique de la musique que lโ€™รขme se forme dans des conditions bonnes et ha rmonieuses : ยซ Lโ€™รฉducation musicale est souveraine parce que le rythme et lโ€™harmonie ont au plus haut point le pouvoir de pรฉnรฉtrer dans lโ€™รขme et de la toucher fortement, apportant avec eux la grรขc e et la confรฉrant, si lโ€™on a รฉtรฉ bien รฉlevรฉ, sinon le contraire. ยป.
Autrement dit, la musique dont Platon parle est formatrice. Cette musique forme la jeunesse de la citรฉ. Platon a pensรฉ ร  lโ€™รฉducation des enfants dโ€™Athรจnes sans exception. Elle forme non pas seulement un bon esprit, mais aussi des รขmes vertueuses. Ainsi, cette propriรฉtรฉ particuliรจre dela musique pourrait รฉradiquer ou tout au moins rรฉduire รฉnormรฉment la dรฉlinquance juvรฉnile. Cette voie permettrait ainsi de trouver des bons gouvernants dans la citรฉ athรฉnienne car la musique dรฉveloppe le sens de lโ€™ordre et de lโ€™harmonie chez les citoyens.
A cette discipline fondamentale quโ€™est la musique sโ€™ajoute une autre discipline non moins fondamentale : la gymnastique. Ce sera le thรจme de notre prochaine sous-partie.

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Table des matiรจres

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LE CONTEXTE POLITIQUE AU TEMPS DE PLATON
CHAPITRE I: LES DIFFERENTS REGIMES POLITIQUES
1.- La tyrannie
2. Lโ€™oligarchie
3. La dรฉmocratie
CAPITRE II : LE SOPHISME DE PROTAGORAS
1. L’ignorance
2. L’injustice
3. Le dรฉsordre social
DEUXIENE PARTIE: LA VISION PLATONICIENNE DU MONDE
CHAPITRE I: LES ORIGINES DE LA VISION PLATONICIENNE DU MONDE SENSIBLE
1.- Thalรจs de Milet et origine du monde
2.-Hรฉraclite dโ€™Ephรจse et la philosophie du mouvement
CHAPITRE II : LES SOURCES PLATONICIENNES DU MONDE INTELLIGIBLE
1.-La thรฉorie pythagoricienne de lโ€™immortalitรฉ de lโ€™รขme
2.-Lโ€™immobilisme universel de Parmรฉnide
TROISIEME PARTIE : LA CITE IDEALE REVEE PAR PLATON
CHAPITRE I: Lโ€™EDUCATION
1. La musique
2. La gymnastique
3- La musique et la gymnastique
CHAPITRE II : L’ORDRE SOCIAL
1. Le philosophe roi
2. Lโ€™aristocratie
3.-La justice
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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