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L’injustice
L’injustice est définie dans Le Grand Larousse comme caractère de quelqu’un, de quelque chose qui est injuste : une société fondée sur l’injustice ; actes ou décision contraires à la justice : être victime d’une injustice.
En effet, nous précisons que la justice et l’injustice sont deux mots diamétralement opposés l’un à l’autre, mais ces deux mots préoccupent Platon dans sa philosophie. Voici la distinction que Platon nous a montrée dans ses deux concepts : « La justice, dis-je, ressemble donc à l’homme sage et bon et l’injustice à l’homme méchant et ignorant »2.
On peut dire par là que Platon comme tout le monde aime la justice par rapport à l’injustice. C’est là d’ailleurs le thème que nous allons développer, Platon considère l’injustice comme fruit de l’ignorance. L’homme injuste a le même caractère que celui qui est ignorant. Ce dernier est méchant et nuisible. Il est comme un sauvage car il possède les mêmes caractères que l’animal sauvage. Un animal est méchant car il ne connaît pas la sagesse. Surel plan de l’ignorance, l’homme est égal à un animal. L’injustice selon Platon est un vice. Quelqu’un qui agit par rapport à ses vices, il ne fait que ce qu’il veut. L’homme injuste provoque dans la cité la haine entre lui et les autres. Platon dit :« L’injustice fait naître entre les hommes des dissensions, des haines et des élites… »1.
L’injustice introduit des désaccords entre les hommes de la cité. S’il y a un désaccord rien ne va. C’est pour cela que Platon ne cesse, d’une manière ferme, de blâmer l’injustice. Cette dernière est aussi qualif iée d’ignorance. L’homme injuste qui correspond à un ignorant, conduit son âme vers diff érentes sortes de maladies : méchanceté, vice, etc.
Nul n’est permis de faire l’injustice ou de juger injustement. C’est ce que les sophistes ont fait. Dans ce cas, Socrate dit : « On ne doit donc pas non plus répondre à l’injustice par l’injustice, puisqu’il n’est jamais permis d’êtrenjustei »2.
Ainsi, Platon a démontré que l’injustice régnait dans la cité athénienne en prenant l’exemple de la condamnation à mort de son maître Socrate. Nous rappelons que ce dernier n’était pas un philosophe de métier. Il n’était pas aussi comme les sophistes qui enseignent aux citoyens moyennaient finance. Nous précisons que dans cette période, la cité athénienne avait commerégime la démocratie. Socrate se promène en discutant avec les citoyens comme tout le monde le faisait, mais le régime en place voit mal ce caractère et il l’a condamné. Socrate était un citoyen simple et modeste. Evoquant cette origine modeste de Socrate. Emile TAKIDY écrit : « Il ne s’agit pas d’un professeur dans une classe de cours, mais d’un homme pauvre, sans souliers, sans manteau, sans chapeau, qui consacre tout son temps à circuler dans la vill e, entre dans n’importe quelle maison, interpelle les gens dans la rue : Arrête-toi un peu, où vas-tu ? Que cherches-tu ? Est-ce le vrai Bien ? »3.
Nous voyons ici que Socrate n’a commis aucune faute ni agit à l’encontre de la loi ou du régime en place. Socrate entendait conscientiser les Athéniens de son époque. Malgré tout cela, les sophistes ont mal compris là où Socrate voulait en venir. D’où sa peine de mort. Faisant courageusemen t face à cette condamnation, Socrate déclare : « Ma meilleur défense sera de n’avoir jamais commis aucune injustice dans ma vie. Au reste, si je suis condamné, je mourrai de bon grâce ; car on ne craint pas la mort, quand on est pur de tout crime »1.
Faudrait-il rappeler ici que le dossier d’accusation de Socrate était composé de quelques points principaux à savoir : la corruption de la jeunesse, l’impiété à l’égard des dieux Grecs, mépris de la démocratie.
En fait, l’accusation lancée contre Socrate est une injustice dans la justice. Socrate a le même droit comme les autres de s’expri mer partout où il se trouve. Mais puisqu’il a été simple et sans autre protection que sa parole, il n’a pas échappé à la condamnation. Le régime en place a décidé de le supprimer pour libérer l’injustice. À propos de cette décision Socrate dit : « L’Etat nous a fait de l’injustice, il a mal jugénotre procès »2.
Concrètement, cette injustice était matérialisée par l’obligation pour Socrate de boire la ciguë. Et la ciguë était de deux catégo ries : celle qui est mortelle et l’autre qui ne l’est pas. Mais le tribunal a décidé de lui donner la première. Et selon le tribunal Socrate a commis une faute très grave, c’est pour cela qu’il est condamné à mort. Nous sommes convaincus que cette peine de mort est la plus forte punition pour quelqu’un qui est coupable.
Socrate a donc bu la ciguë pour libérer son âme. Il a accepté l’injustice faite par les gouvernants puisqu’il se sent innocent. Il sait très bien qu’il n’a rien fait du mal, mais il n’avait pas le choix. Dans cette perspective Socrate dit : « […] qu’il vaut mieux subir l’injustice que de la commettre… »3.
Assumant jusqu’au bout son choix, Socrate annonce : « Voici qu’il est l’heure de nous quitter, moi vers la mort, vous vers la vie. Qui de vous ou de moi, s’en va vers la meilleure affaire ?
C’est le secret de la divinité seule ! »
Selon lui la vie et la mort sont les mêmes. Il ne v oit pas la différence, partageant ainsi le même point de vue qu’Epicure. C ’est pour cela que ce dernier a dit : « si la mort est là, il ne sera plus là et vice versa ». A quoi bon avoir peur de quelque chose d’absent ?
D’autre part, signalons que cette élimination de Socrate est une victoire du mensonge sur la vérité et de l’injustice sur la justice. C’est pourquoi Platon tente de trouver une autre forme de gouvernement qui respectera d’abord les citoyens de la cité, puis qui respectera aussi la loi et la justice. Que chacun reste à sa place sans empiéter sur affaires des autres.
En terme définitif, c’est ce qui concerne l’injustice et maintenant on va aborder le concept du désordre social qui est le dernier sous-titre du deuxième chapitre de la première partie.
Le désordre social
Rappelons que Platon a pensé à une éducation profonde du citoyen, pour pouvoir sauvegarder la cité de tout ce qui est nuisible à l’homme. En effet, comme on l’a brièvement soulevé dans l’introduction, la citéathénienne souffrait de deux maux, à savoir du côté moral au sein de la société, et del’autre celui de la politique dans le cadre de l’Etat souverain en place. Du côté moral au sein de la société car le juste et le bien, étant le fondement de la philosophie athénienne, ne sont pas observés. Et du côté politique de l’Etat souverain en place, il y al’absence d’hommes d’Etat à la fois compétents et intègres. Ces deux calamités transforment la cité en un lieu de malaise général pour les citoyens athéniens. Platonprendra ces problèmes comme point d’appui à sa théorie pour trouver une solution efficace pour tous les citoyens de la cité. Il comprend que les maux dont souffrent l’Etat et la société ne sont curables qu’au moyen d’une réforme radicale de la sagesse et du cadre étatique. Le philosophe précise : « Pour Platon, en tout cas, le désordre(…) porte at teinte à la cité. Il devient impossible à celle-ci de vivre tranquille selon ses lois, quand les citoyens mènent une existence d’oisifs et s’adonnent à la débauche »1.
Normalement tant qu’un pays n’est pas stable, automatique rien ne marche. Nous remarquons aussi que les maux de la cité basés sur deux différentes crises ne seront pas résolus sans changer d’abord les hommes. Ces derniers ne sont que les responsables de cet Etat. Nous précisons encore que ces responsables ne sont que les sophistes qui enseignent de cité en cité, et contre une somme d’argent en échange d’un travail.
Or, ce n’est pas le cas de Socrate ni de Platon qui refusaient tout enseignement payant. La méthode sophistique est comparative de ce qu’on appelle actuellement la corruption. Et aussi, les sophistes mélangent les affaires privées et publiques. Tout cela nous renvoie à un désordre.
D’après tout ce qu’on a parlé dans la première partie, maintenant on va aborder la deuxième partie de notre travail qui est la vision platonicienne du monde.
LA VISION PLATONICIENNE DU MONDE
LES ORIGINES DE LA VISION PLATONICIENNE DU MONDE SENSIBLE
Thalès de Milet et origine du monde
Le monde de la philosophie n’est pas un monde clos mais un monde ouvert à notre interrogation, à nos questions, à notre avenir. Ceci est aussi vrai pour l’histoire de la philosophie que pour la civilisation humaine dans son ensemble. Comprendre n’est pas seulement expliquer ; comprendre, c’est prendre avec soin ce passé humain qui nous précède, qui nous façonne, qui nousfait vivre. En effet, retourner à l’Antiquité grecque, c’est retourner à la source de la philosophie, non pas seulement pour comprendre le passé mais aussi et surtout pour nous ressourcer et atteindre son intériorité afin que nous puissions saisir le sens des évènements de notre philosophie. Le miracle de la philosophie franchit les limites de l’espace et du temps. Il chevauche dans un univers en extension à mesure de l’engagement qu’il a de capter les multiples messages lancés par les hommes d’autrefois.
Thalès de Milet : « (vers 625-vers545 avant Jésus-Christ) est un philosophe présocratique ionien de l’école de Milet, considéré comme le premier des présocratiques et, en un sens, comme le père de la philosophie. Les connaissances de Thalès touchaient tous les domaines. Il est l’auteur d’une théorie « physique », mais aussi d’explications astronomiques (il se rendit célèbre en prévoyant l’éclipse de -585), de découvertes mathématiques (le fameux théorème de Thalès), etc. La légende le présente comme objet des moqueries d’une servante, parce qu’il serait tombé dans un puits en observant les astres (première image du philosophe perdu dans les nuages). Cependant, on raconte aussi que c’est sa connaissance des astres qui lui permit de faire fortune. En effet, ayant prévu grâce à ses études météorologiques une excellente récolte d’olives pour l’année suivante, il se serait assuré le monopole sur toutes les passions à huile de la région… » 1.
Ainsi, l’un des grands mérites philosophiques de Thalès est d’être le premier à avoir mis au point une cosmologie où les explicatio ns naturelles se substituent aux explications mythologiques. Comme il est le premier véritable philosophe, il affirme que le cosmos peut être connu : « Il emploie un modèle et considère un élément fondamental à la base de toute chose : l’eau. Selon lui, l’eau se transforme en terre comme lorsque le Nil se retire des terres en laissant de la boue et l’eau peut se transformer en air comme lorsqu’elle est en ébullition. Le cosmos étant un tout, ce tout doit posséder des caractéristiques d’unicité. Pour cela, il faut un élément fondamental. Sa façon de traiter les questions est le propre des philosophes » 2.
Selon Thalès, l’univers est né à partir d’une substance primordiale, l’eau. Cette eau par un processus physique engendre la terre, l’air, le feu. Ces deux derniers seraient l’exhalaison de l’eau et s’en nourrit :
« Thalès voit la terre plate flottant sur l’eau avec une bulle d’air de forme hémisphérique au-dessus, puis une qualité infinie d’eau ailleurs dans le cosmos. Il explique avec ce modèle les phénomènes naturels sans le besoin d’intervention divine. Les tremblements de terre se comprennent mieux si l’on pense qu’elle flotte à la rébellion des Titans enfermés dans le Tatare sous terre »3.
D’après Thalès, en effet, la terre flotte sur l’eau, ce qui fournit, entre autres, une explication à des évènements mystérieux comme esl tremblements de terre : ceux-ci ne doivent plus être présentés comme résultant de l’humeur des divinités. De même, les mouvements des astres sont soumis à des l ois de régularité qui n’ont rien de divin, même si, par ailleurs, une telle constata tion n’empêche pas Thalès d’affirmer que l’univers est « peuplé de divinité ».4 Il a donc remplacé l’explication mythique de l’origine de l’univers par une explication physique. Il est mathématicien, géomètre, astronome selon la tradition.
Malgré ses efforts sur l’origine du monde, Platon a constaté que ce monde dont parle Thalès réside dans le sensible. Le monde sensible est selon Platon celui dans lequel nous vivons, effectue par le changement et la dégradation. Il n’est que l’imitation du modèle représenté par les formes, enquelque sorte sa copie ou le paraître. Dans ce monde sensible, l’homme imagine d’ailleurs une infinité de manière de paraître, issue d’une multiplicité de sensations.Ce qui fait que ces sensations rendent toute chose incompréhensible à cause de son mouvement, de son changement, de son instabilité infinie.
En plus, le problème de la connaissance sensible du monde permet à Platon de lutter contre le relativisme de Protagoras selon lequel « l’homme est la mesure de toute chose ». Ce relativisme anéantit, détruit la connaissance de l’homme en la faisant dépendre d’un état subjectif et empirique de l’individu. On constate par là qu’ici le monde sensible est mépris. C’est sous cet angle qu’on voit la relativité des sensations. Ces dernières varient suivant l’individu, dans l’appréhension des choses. Socrate dit : « Crois-tu qu’il en soit ainsi des êtres et que leur essence soit relative à chaque individu, comme le disait Protago ras, quand il affirmait que l’homme est la mesure de toute chose et que par conséquent tels ils me paraissent à moi, tels ils sont pour moi, et que tels ils te paraissent à toi, tels ils sont pour toi ; ou bien crois-tu qu’ils ont en eux-mêmes et dans leurs essence quelque chose de permanent ? »1.
Prenons un exemple, une même chaleur ou une fraîcheur ne donne pas les mêmes impressions. Dans cette perspective, ce qui e st frais ou chaud pour certains ne le sera pas pour d’autres. Le monde sensible est un monde d’illusion qui emprisonne la vérité. Dans le mythe de la caverne, Platon dit qu’il faut libérer l’homme du joug de la connaissance sensible qui l’aveugle.
Autrement dit, Platon ne priorise pas le monde sensible à cause du changement, de la multiplicité incessante, qui s’y déroulent parce qu’il n’y a pas de science exacte, si celle-ci est en mouvement. C’est dans cet angle que Platon dit : « Les yeux soient doués de la faculté de voir, que celui qui possède cette faculté s’efforce de s’en servir, etque les objets auxquels
il applique soient colorés, s’il n’intervient pas un troisième élément, destiné précisément à cette fin, tu sais que la vuene percevra rien et que les couleurs seront invisibles » 1.
Platon nous précise que les yeux de l’homme ne sont pas efficaces. Avec ces yeux inefficaces, l’homme n’arrive pas à trouver la vérité. Pour que l’homme arrive à déterminer la vérité, il faut la participation de ’idéel. Ainsi, grâce à l’idée qui est d’ailleurs invisible que l’homme peut s’entretenir lui seul jusqu’à percevoir ou contempler les véritables des choses du monde intelligible. Pourtant, les choses du monde sensible sont multiples, diverses. Donc, toutes choses qui sont multiples ne sont que trompeuses selon la conception de Platon. Selon ce dernier, il n’existe pas de vérité dans la multiplicité, la vérité est identique et unique.
Ensuite, le monde sensible est un monde de mensonge, car il n’est ni stable, ni fixe, il est toujours en devenir (justice et injustice, bon et mauvais). Il existe toute sorte de mensonges. A ce propos, Platon écrit : « Il en est de même de la justice et de l’injustice , du bon et du mauvais et de toutes les autres formes : chacune d’elles, prise en soi, est une ; mais du fait qu’elles entrent en communauté avec les actions, des corps, et entre elles apparaissent partout, et chacune semble multiple » 2.
Platon constate que, les sens que l’homme possède, sont parmi les causes primordiales qui le conduisent à la diversité de la multiplicité des choses sensibles. D’ailleurs, on appelle le monde terrestre, le monde sensible (le monde de la multiplicité), car ce dernier représente différentes sortes de sensations. L’homme que je vois aujourd’hui, ne sera pas le même le lendema in. Il y a toujours une transposition qui surgit non seulement dans ses affaires, mais encore sur lui-même. C’est la raison pour laquelle Platon ne privilégie pas le monde sensible, puisqu’il est rempli de changements. Et c’est dans ce monde-là que le mensonge et l’ignorance résident. Voici en fait, ce que Platon dit : « Les premiers, répondis-je, dont la curiosité est toute dans les yeux et dans les oreilles, aiment les belles voix, les belles couleurs, les belles figures et tous les ouvrages où il entre que lque chose de semblable, mais leur intelligence est incapable de voire et d’aimer la nature du beau lui-même » 1.
Enfin, l’homme tente de juger les choses sensibles en utilisant son opinion. Elle est considérée comme une de nos facultés dont la principale fonction est de nous rendre capables de juger les aspects des choses sensibles. Mais n’oublié pas que l’opinion a pour rôle de juger les apparences, lesquelles s’identifient à l’immédiateté. Ainsi, l’opinion ne connaît que lesmultiples apparences de la beauté. C’est dans ce sujet que Platon affirme : « Ainsi ceux qui promènent leurs regards sur la multitude des belles choses, mais n’aperçoivent pas le beau lui-même et ne peuvent suivre celui qui le voudrait conduire à cette contemplation, qui voient la multitude des choses justes sans avoir la justice même et ainsi du reste, ceux-là, dirons-nous, opinent sur tout mais ne connaissent rien des choses sur lesquelles ils opinent » 2.
A ce propos, il est à signaler que l’opinion est la manière de penser la plus répandue dans une société. Elle est le fil de ce qui nous relie de ce que nous voyons à ceux que nous pensons. Mais quand l’opinion ne concerne pas non plus l’ignorance, l’injustice ; alors elle s’applique à des objets bien déterminés.
Suite à ce dialogue avec Thalès, nous abordons maintenant un autre auteur :
Héraclite avec sa théorie de mouvement.
Héraclite d’Éphèse et la philosophie du mouvement
La pensée d’Héraclite est une pensée du devenir, duchangement et de la transformation. Il a vécu à Ephèse en Ionie « vers576-480 avant Jésus-Christ. Probablement d’origine aristocratique, il aurait été contemporain de la chute des grandes cités prospères d’Asie Mineure (Milet, Ephèse) et de la poussée perse vers la Grèce, au début des guerres médiques. De son œuvre, il ne subsiste que quelques fragments » 1.
En effet, comme les philosophes de l’école de Milet (à laquelle il est postérieur), Héraclite conçoit un principe naturel unique pour la génération des choses. La prédilection de sa pensée est d’être générale avec des formes frappantes et concises. Il a fait du feu le principe primordial du réel ; le fait qu’il le nomme parfois de façon plus abstraite « l’un » ou « chose sage ». En vertu de ce principe, les choses et les êtres sont sans cesse menacés de disl ocation. Héraclite pense que le feu est le principe primordial du réel ; parce que le feu, à ses yeux, possède les attributs de la matière la plus subtile et la moins corporelle. Voici ce que le philosophe a dit : « Ce monde-ci, proclame-t-il, a toujours été et ilest et il sera un feu toujours vivant, s’alimentant avec mesure et s’éteignant avec mesure »2.
Ainsi, Héraclite a connu la gloire à la fin de VIème siècle avant Jésus-Christ. Son traité De la nature est perdu ; il ne nous en reste que des fragments. Son étude est un exposé de physique, de politique et de théologie. Son idée centrale est celle de l’écoulement, du devenir, du mouvement : « Tout s’écoule » . C’est ce que l’on a appelé le « mobilisme universel »4. Héraclite voyait que dans le mobilisme universel, le conflit des contraires est l’origine et la substance même de toutes choses. Or, dans la multiplicité mouvante la raison découvre l’un et le permanent. Voici quelques précisions de George PASCAL : « Il faut savoir que la guerre est universelle, que la justice est une lutte et que tout arrive à l’existence par la d iscorde et la nécessité. […] Les contraires se mettent d’accord, des sons va riés résulte la plus belle harmonie et tout est engendré par la lutte » .
Selon Héraclite, l’ordre du monde résulte ainsi d’un équilibre instable entre les contraires. Voici deux idées qui semblent, dans cette philosophie, fondamentales : la guerre c’est-à-dire l’équilibre conflictuel des contraires, qui est au cœur du monde et l’instabilité des choses. D’où cette phrase d’Héraclite : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve »2.
En plus, les choses sont en perpétuel mouvement, c’est-à-dire que ce que je suis maintenant, je ne le serai demain. C’est dans cette perspective que Platon conteste cette théorie. Comment monsieur A devient monsieur B le lendemain ? Pourtant Héraclite voit que dans ce mouvement se repèrent la naissance et la disparition des choses qu’il appelle, « le devenir cosmique »auquel on a affaire aussi bien au cosmos qu’à la vie humaine, et même à la pe nsée. Héraclite explique aussi les tensions de l’âme humaine et les conflits de la cité, c’est-à-dire qu’il a une dépendance entre le monde et l’homme : « Je fus aussi peut-être le premier Philosophe à proposer non seulement une théorie du monde (cosmologie), mais aussi une théorie de l’homme (anthropologie) »3.
Cependant, le concept du devenir est à concevoir d’une manière dialectique, dans ce sens qu’il est un changement dans la contradiction interne des choses. Ici les choses se présentent différemment à chaque moment. Il est en même temps fondement dynamique d’équilibre entre le réel dont les champs d’action sont l’univers et ses éléments : l’air, la terre, l’eau et le feu.C’est dans cette condition qu’Héraclite dit : « On ne peut pas descendre deux fois dans le même f leuve ni toucher deux fois une substance périssable car elle se disperse et se réunit de nouveau dans le même état, par la promptitude et la réalité de sa métamorphose : la matière sans commencer ni finir en même temps naît et disparaît».
Dans ce fragment 105, Héraclite insiste sur l’importance de la métamorphose universelle des éléments du monde. D’après la théorie du devenir universel chez Héraclite, aucune chose ne demeure identique à elle-même, mais est soumise à un changement perpétuel. Héraclite dit ceci :
« Le monde n’est un et commun que pour ceux qui sont éveillés mais pendant le sommeil chacun possède un monde à p art »2.
Si devenir, pour une chose, c’est passer d’un état à un autre, alors, il faut non seulement que celle-ci, en devenant, devienne ce qu’elle n’est pas encore c’est-à-dire autre chose que ce qu’elle est, mais encore qu’elle devienne, c’est-à-dire d’une certaine manière qu’elle se conserve. Voici cette doctrine : « La pensée d’Héraclite est l’extrême opposée de l’éléatisme. En effet, pour Parménide, l’unité de l’être rend impossible la déduction du devenir et de la multiplicité ; pour Héraclite, au contraire l’être est éternellement en devenir. Héraclite nie ainsi l’être parménidien. Les choses n’ont pas de circonstance, et tous se meut sans cesse : nulle chose ne demeure ce qu’elle est, et tout passe en son contraire » 3.
Nous constatons, que c’est à partir du Vème siècle que se manifestait dans tout son éclat cette nouvelle civilisation dont la réflexion philosophique apparut comme la configuration systématique. Les philosophes, comme Héraclite, méditaient sur l’univers et sur l’homme. Leur réflexion n’étai que des germes mais cette floraison donne encore ses reflets dans le dessein de l’humanité qui ne cesse de porter un regard rétrospectif pour découvrir dans el lointain les règles et les principes qui ont bâti la civilisation grecque devenue patrim oine de toute l’humanité. Cela veut dire que chaque philosophe contribue à cette civilisation. Héraclite a bien montré dans son ouvrage son apport : « Voici maintenant comment ses théories sont exposées dans chaque partie de son livre. Le feu est l’élément et tout se fait par des transformations du feu, soit qu’il se relie, soit qu’il devienne plus dans(…) il n’explique rien très clairement : ainsi dit-il que tout se fait par l’opposition des contraires, et que tout coule comme un fleuve. L’univers, selon lui, est limité, et il n’y a qu’unmonde, qui a été créé par le feu, et qui retournera au feu après certaines périodes, éternellement. C’est le destin qui le veut ainsi » 1.
Entre contraires, il y a une lutte dans ce monde qui aboutit à la création, c’est ce qu’on appelle la guerre et la querelle ; l’autre aspect du feu qui aboutit à l’embrassement, s’appelle la concorde ou la paix. Le mouvement du feu selon Héraclite prend une double direction dans la création du monde : « Le feu en se condensant devient liquide, l’eau en se condensant se change en terre, et voilà pour le mouvement vers le bas.
En sens inverse, d’autre part, la terre fond et se change en eau, et d’elle se forme tout le reste, car il rapporte presque tout à l’évaporation de la mer. Voilà donc comment se fait le mouvement vers le haut. Il y a donc des évaporations venant de la terre et de la mer, dont les unes sont claires et pures, et les autres obscures. Le feu tire sa substance des premières et l’eau des secondes. Quant à l’air, il n’explique pas la nature » 2.
Cette théorie héraclitienne sur la création du monde a eu par la suite beaucoup d’adeptes. C’est le cas du roi Darius qui a soutenu l’idée d’Héraclite. Selon lui, Héraclite a bien expliqué l’origine du monde. Darius voit que l’explication du monde par Héraclite n’est pas seulement sensible, car les actions qu’il évoque s’expliquent par un mouvement divin. Voici comment le roi Darius, fils d’Hystaspis, salue Héraclite d’Ephèse, le sage : « Vous avez écrit un livre de la nature difficile à comprendre et à expliquer. Si on explique mot à mot, il semble contenir une étude du monde, de l’univers et des phénomènes qui se produisent en lui, phénomènes qui s’expliquent par un mouvement divin. Mais la plupart des passages sont interrompus, si bien que ceux-là mêmes qui ont une parfaite connaissance du grec, sont dans le doute sur la véritable et juste interprétation de ce que vous avez écrit… Car les Grecs, avec leur habitude de ne pas respecter suffisamment les philosophes, méprisent les belles doctrines qu’ils leur enseignent… » 1.
Ainsi, avant Socrate, la pensée philosophique est encore mal assurée. Elle tâtonnait en s’attaquant à des problèmes trop vaste s eus égard au développement et à l’état de connaissance de l’époque. Mais elle futdéjà une pensée qui se frayait un chemin ; bien que l’union intime de la science et de la philosophie demeurât encore sa caractéristique fondamentale. Naturellement, l’homme était porté à réfléchir sur ce qu’il aperçut de lui, sur ses propres sentiments, sur le monde qui l’enserra, l’intrigua et qu’il cherche gauchement une explication plutôt que de se fier à des puissances secrètes, ou à des explications purement mythico-religieuses. Emboîtant le pas à Darius, Hippolyte se fait l’exégète du fragment 66: « …le feu surgissant fera le tri et saisira toutes choses… »2.
Dans son exégèse Hippolyte aurait pris ce feu pour un grand incendie, ou l’enfer destiné à accomplir le jugement dernier puisque le feu de l’enfer consume les méchants. Ici on a bien compris que le feu évoqué par Hippolyte dans sa citation est opposé au feu dont parle Héraclite. Les grecs avaient la coutume de brûler des aromates dans les temples. On pense donc facilement qu’Héraclite ait appris en grandissant à l’ombre des temples à nommer le dieu d’après le parfum flottant dans le temple. Tout cela pousse Héraclite à dire : « Le dieu est nuit et jour, hiver et été, guerre etpaix, famine et abondance (tous les caractères, tel est le sens) ; mais il se change, tel un feu mélangé d’aromates, on le nomme à la valeur de chacun »3.
Dans cette perspective, Héraclite démontre que le dieu se manifeste sous des formes opposées à l’expérience. Le dieu est toujours un et le même, malgré la diversité de ses noms. En effet, ajoute Héraclite, ce dieu est : « Un feu sous un bouquet de parfums, un dieu sous u n bouquet de noms » 1.
Bref, selon Héraclite, le feu sert à expliquer les phénomènes naturels, comme par exemple la lumière du soleil qui existe grâce à une évaporation brillante, claire et pure ; le feu, par opposition à l’eau, est une évaporation obscure. Par la suite les traducteurs d’Héraclite et certains philosophes ont assimilé le feu d’Héraclite au Logos considéré par ces derniers comme la raison gouvernant le monde.
Du point de vue gnoséologique, le problème majeur soulevé par la théorie héraclitienne du monde est celui de l’opposition entre la sensation et la connaissance objective, entre la vérité et l’opinion, le monde sensible étant considéré comme source d’erreurs et d’illusions. C’est par ce biais que Platon va s’attaquer à la théorie héraclitienne qu’il voit comme un « monstre à double tête ». Pour ce faire, Pythagore va servir d’inspirateur au fondateur de l’Académie.
LES SOURCES PLATONICIENNES DU MONDE INTELLIGIBLE
La théorie pythagoricienne de l’immortalité de’âmel
Après avoir vu les origines du monde sensible chez Platon, maintenant on va entamer les sources de sa théorie sur le monde intelligible, entre autres Pythagore. Pythagore a vécu à Samos (582-500 avant Jésus-Christ), en Asie Mineure. Il s’installe à Creton (Italie du Sud) pour y fonder une communauté à la fois intellectuelle et religieuse à caractère initiatique. Ainsi, avec les pythagoriciens, ce n’est plus du côté matière que l’on se tourne, maison se met en quête des réalités immatérielles. Avec eux aussi, la philosophie s’engage dans la recherche de la sagesse. Une réflexion éthique se précise. Voici letémoignage de Proclus :
« L’école ionienne s’occupe de la physique. […] Les philosophes d’Italie se sont principalement occupés des choses qui sont les espèces intelligibles. […] Disons que l’Ionie est le symbol e de la nature, tandis que l’Italie est celui de l’essence intellectuelle »1.
A ce propos, et du point de vue de la pratique de la philosophie, faudrait-il rappeler que: « Pythagore est peut-être l’inventeur du mot « philosophie ». Il enseigne que l’âme, distincte du corps, est immorte lle et se réincarne dans des existences sensibles successives. Cette thèse influencera Platon (cf. le Phédon) » .
Non seulement il employa un mot nouveau, mais il enseigna une doctrine originale. Il vint à Philonthe où il s’entretient l onguement et doctement avec Léon, le tyran de Philonthe, qui, admirant son esprit et son éloquence, lui demanda quel art lui plaisait le plus.
En revenant sur la thèse de Pythagore relative à l’immortalité de l’âme, Platon, lui aussi a embrassé cette idée. D’abord l’immortalité de l’âme est avant tout une hypothèse métaphysique, c’est-à-dire au-delà du monde physique, qui concerne l’âme et que soutient l’ensemble des philosophes sp iritualistes depuis l’Antiquité. Partant d’une définition, l’âme est le principe susceptible d’animer la matière, c’est-à-dire toutes les matières qui ont besoin nécessairement d’une vie pour se développer, ou même changer en une autre forme.
Nous rappelons que les Egyptiens et les pythagoriciens croient en l’existence de l’âme. Platon n’a pas méprisé leur thèse pour renforcer ses analyses quand il souligne que l’âme est une partie de Dieu. Lorsque l’âme est tombée dans le corps, elle a oublié tous les savoirs. C’est dans cette perspective que Platon dit : « L’âme se souvient de ce qu’elle a vu dans une vie antérieure, avant d’être tombée dans le corps, alors que faisant partie du cortège de Dieu, il lui était donné de connaître directemen les essences immuables des choses » 1.
Dans cet angle, Platon voulait expliquer sa théorie en s’appuyant sur le célèbre mythe de la caverne. Ce mythe n’est pas une image mythique, il est la montée de l’âme vers l’intelligible. A l’aide de la connaissance mathématique, l’homme est préparé à la dialectique, laquelle est considérée comme la vraie science qui lui permet d’accéder à la vérité éternelle, c’est-à-dire au monde intelligible. C’est dans ce sens que Platon montre le rôle préparatoire de la science mathématique pour la formation des philosophes. D’où cette affir mation : « Les sciences qui relèvent du pur raisonnement, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, l’harmonie sont les plus propres à nous familiariser avec le monde intelligible. C’est alors qu’intervient la dialectique »2.
Selon Platon, la dialectique reçoit une valeur positive dans laquelle elle se définit comme la démarche ascendante de l’esprit qui, par sa réflexion rationnelle, s’élève des apparences sensibles aux concepts de la science et parvient à la contemplation des idées métaphysiques suprêmes qui sont les principes du monde intelligible. Voici ce que le philosophe dit : « Quand donc, dit Socrate, l’âme atteint-elle la vé rité ? En effet, lorsqu’elle entreprend d’étudier une question avec l’aide du corps, elle est complètement abusée par lui, cela est évident.Tu dis vrai. Donc, si jamais la réalité d’un être apparaît à l’âme, c’est évidemment dans l’acte même de la pensée que cela a lieu ? Oui » 1.
Ainsi, comme l’âme connaissait toutes les choses av ant de s’attacher au corps, il est certain que l’âme habite dans un autr e endroit avant de venir dans le corps. En d’autres termes, Platon pensait que l’âme a existé avant de venir rejoindre le corps. Autrefois, elle était dans le monde des Idées, monde invisible et divin. C’est à ce sujet que Platon dit : « L’argument que je viens de donner, et d’autres, nous oblige donc à conclure que l’âme est immortelle. Mais pour bien connaître sa véritable nature nous ne devons pas la considérer, comme nous faisons, dans l’état de dégradation où la mettre son union avec le corps et d’autres misères ; il faut la contempler attentivement avec les yeux de l’esprit telle qu’elle est quand elle est pure »2.
A l’issue de sa pérégrination à travers un corps matériel, l’âme doit revenir à sa source originelle. Et pour les philosophes spiritualistes, elle se réincarne pour subir le châtiment de ses fautes lors d’une vie ant érieure et pour passer un jugement. C’est justement dans ce sens que Raymon Mody affirme : « Selon Platon, peu après la mort, l’âme est soumis e à un jugement au cour duquel un personnage divin fait défiler devant elle toutes les actions bonnes ou mauvaises qu’elle a accomplies durant son existence terrestre, elle oblige à les affronte r de face »3.
Dans cette même optique, Platon ajoute encore que q uand l’âme s’engage dans la métempsychose, c’est-à-dire lorsqu’elle est séparée du corps, elle aspire à retrouver son état initial. Il faut savoir encore que l’âme est très différente du corps périssable. Ce qui fait que l’âme sera toujours éternelle et immortelle. C’est pour cela que Platon dit : « Si tel est donc son état, elle se dirige vers ce qui lui ressemble, vers ce qui est invisible, ce qui est divin, immortel, sage, vers le lieu où lui est réservé de trouver le bonheur, loin d’erreur, de déraison, de terreurs, de brutales amours, loin de tous les autres maux de l’espèce humaine ; et, comme on le dit des initiés, elle passe véritablement dans la compagnie des dieux tout le reste de son temps » 1.
Vivre dans l’éternité en compagnie des dieux, telle est la destinée de l’âme : « De même l’âme qui entre dans le corps et y apporte toujours la vie, ne recevra jamais le contraire de ce qu’elle apporte, c’est-à-dire lamort. Elle est donc immortelle et par suite indestructible »2.
En d’autres termes, et face au corps périssable qu’elle commande, l’âme jouit du privilège de l’éternité : « … C’est l’âme qui commande, le corps qui obéit. P ar là, l’âme ressemble au divin, qui est fait pour commander, et le corps ressemble à ce qui est mortel et fait pour obéir. […] Si elle s’est bien détachée du corps pendant la vie, on peut croire qu’elle s’en ira vers ce qui est divin et passera son existence avec les dieux »3.
C’est précisément parce que l’âme n’est pas matérielle qu’elle peut accéder au monde des Idées ; d’où le désir de retrouver sa vraie demeure. En effet, écrit Platon : « Partie de l’âme universelle, l’âme humaine est c omme elle, non seulement immortelle, mais éternelle »4.
Accidentellement liée au corps, la mort est donc pour l’âme une délivrance, une occasion pour retrouver la source originelle : « Alors on la verra infiniment plus belle et l’on d iscernera plus clairement la justice et l’injustice, et toutes les choses dont nous venons de parler. Ce que nous avons dit l’âme est vraie pa r rapport à son état présent »1.
Telle est donc pour Platon la conséquence de la théorie pythagoricienne relative à la nature de l’âme. Mais une autre sourc e servira aussi d’appui à Platon : Parménide.
L’immobilisme universel de Parménide
Après avoir étudié dans ses détails la théorie pythagoricienne de l’immortalité de l’âme, on va maintenant terminer ce chapitre par l’immobilisme universel de Parménide. Parménide a vécu en Italie du Sud, à Elée, environ 540-450 avant Jésus-Christ. Il est le représentant le plus éminent des Eléates. Auteur d’un poème philosophique, De la nature, dont il reste quelques fragments, il a eu une influence importante sur Platon qui a intitulé Parménide l’un de ses dialogues, dont le meneur de jeu n’est pas Socrate mais l’«étranger d’Elée » .
Ainsi, Parménide est l’adversaire d’Héraclite ; ilrejette le sensible et le devenir du côté du non-être. Selon lui, l’être est immuable , immobile et indivisible. C’est dans ce sens que Platon écrit : « Seul l’être est, et le non-être n’est pas : tellest la double tautologie qui semble résumer la philosophie de Parménide (cf. Présocratique) » .
Il est à préciser que la philosophie de Parménide prône deux voies pour la recherche de la vérité. Son poème souligne d’abordl’opposition entre l’être et le non-être. Le premier, c’est-à-dire l’être est la voie d e la vérité tandis que le non-être est le sentier qui ne conduit absolument à rien, c’est-à-dire nulle part. Voici ce que Parménide nous a dit à propos de ce point : « La première voie, l’être est et il est impossiblequ’il ne soit pas, est le chemin auquel il faut se fier car c’est le chemin de la vérité ; la seconde voie, l’être n’est pas et le non-être est écessaire,n ce n’est qu’un sentier, je te dis, où l’on ne trouve rien à quoi se fier. Car on ne peut ni connaître ce qui n’est pas, c’est impossible, ni l’énoncer en un discours »1.
Ainsi, la philosophie de Parménide conduit ce dernier à affirmer en toute rigueur que l’être peut être pensé, c’est-à-dire ce qui n’est pas ne peut évidemment exister ni en pensée, ni en réalité. Donc nous voyons par là que le mouvement n’existe pas, que l’être est unique et qu’il n’y a que de l’être ; enfin, que rien ne naît ni ne meurt. En somme, on voit bien que ce qui est ici sacrifié au nom de cette vérité tautologique de Parménide c’est le monde sensible, la diversité et le devenir. Pour Parménide, le monde sensible est du côté du non-être ; la réalité que nos sens nous présentent comme une donnée évidente est aussi du côté du non-être. Et l’on voit tout aussi clairement quelle est la principale victime de ce monisme de l’être immobile : c’est le mobilisme radical d’Héraclite. Avec cette démonstration, nous avons bien compris pourquoi Parménide s’oppose toujours au mobilisme d’Héraclite, et par conséquent nie la possibilité du mouvement, ou de la dualité.
Si Parménide affirme que l’être est, c’est nier la différence, c’est-à-dire la possibilité que quelque chose d’autre que l’existan par excellence puisse aussi exister. Signalons que Parménide nie aussi l’existence du vide, car, pour lui, il ne peut être que le non-être. Il n’existe pas et ne pe ut même pas être pensé. Ainsi, l’être est un et il n’y a que de l’être. De cela, il découle que l’être est immobile, car pour que le mouvement soit possible, il aurait fallu aussi qu’il y ait du vide. Or, Parménide affirme que le vide n’existe pas, que l’être est pl ein, inaltérable, éternel, et enfin, que rien ne naît de rien, ou, comme il l’écrit aussi, «ni rien ne naît, ni rien ne meurt ». Et Parménide ajoute : « L’arrêt en la matière stipule simplement : il estabsolument ou il n’est pas »2.
Comme aucun mouvement n’est ici envisageable, l’êtr e ne peut donc engendrer quoi que ce soit car pour qu’il y ait de la génération, il faut du mouvement. Ceux qui pensent autrement soutiennent en quelque sorte qu’à partir de l’être, ce qui n’est pas vient à l’existence. L’être, on conviendra de cela sans difficulté, ne peut contenir du non-être. Dans cette perspective, comme nt expliquer que le non-être, c’est-à-dire ce qui n’est pas encore né, puisse venir à l’être ? Cela est impossible, et pour Parménide, c’est impensable. L’être est totalement achevé. Il n’a pas de partie, ne contient pas de vide, est plein et continu, immuable, immobile. Bref, tout ceci revient à affirmer qu’il n’y a pas de passage possible de l’être au non-être ; donc, pour Parménide la voie de l’être est la seule voie véritable ; l’être ne pouvant provenir en rien du non-être. Il est inengendré, impérissable, complet, immobile et sans fin. Voici ce que Platon dit : « Si donc la connaissance porte sur l’être, et l’ig norance, nécessairement, sur le non-être, il faut chercher, pour ce qui tient le milieu entre l’être et le non-être, quelque intermé diaire entre la science et l’ignorance, supposé qu’il existe quelque chose de tel » 1.
C’est dans tous les caractères de l’être parménidien que Platon a puisé en partie sa théorie des idées du monde intelligible. Il parvint, non seulement à créer un système qui assimile de manière très judicieuse unegrande partie de la philosophie présocratique à partir des interrogations socratiques, mais aussi, à construire une pensée qui eut des répercussions comme aucune autre dans l’histoire occidentale de l’esprit. C’est pour cela que Jules LAGNEAU écrit : « le monde intelligible n’est pas une sorte de reproduction ou exemplaire, au sens propre, du monde sensible, mais ce monde vu par l’esprit à travers lui-même, c’est-à-dire éclairé à la lumière morale, prenant un sens et une réalité supérieure par lerapport où il est mis avec le Bien, conçu, voulu et posé comme le seul être digne de ce nom, indépendant, fondé sur soi ».
La théorie des Idées chez Platon suppose un empire hypothétique d’essences immuables, immatérielles et éternelles, le monde des Idées. D’après Platon, les Idées sont les archétypes de la réalité. Elles existent en général de manière objective, puisqu’elles existent indépendamment de notre aptitude à les connaître ou de notre mode de pensée. Les idées ne résultent donc pas d’une disposition particulière de notre entendement, mais peuvent êtr e connues par lui. C’est dans cette perspective qu’on peut qualifier la position de Platon comme un idéalisme objectif. Explicitant sa pensée, Platon écrit : « Ces idées dont nous parlons sont à titre de modèles, de paradigmes dans l’éternité de la nature ; quant aux objets, ils leur ressemblent et en sont des reproductions ; et cette participation que les autres objets ont aux idées ne consiste en rien d’autre qu’à être fait à leur image » 1.
Ainsi, les Idées confèrent donc aux choses leur intelligibilité, mais aussi leur stabilité puisque, pour les êtres, elles constituen t leur fond de réalité immuable. Sans elles, rien d’organisé n’existerait. En fait, les Idées sont les seules réalités. Et pour Platon qui croit au monde des Idées, ils dévient enfin possible de juger de ce qui est moral et de ce qui ne l’est pas.
Autrement dit, le seul monde véritable est celui de la permanence, donc le monde des idées. C’est dans ce monde que la réalitéde l’être est affective. C’est cette unique condition qui permet à la pensée de saisir la vérité. De ce fait, elle apparaît comme le seul monde favorable à tout savoir, en dehors duquel celui-ci demeure impossible, et c’est la raison pour laquelle Platon déclare : « Le monde intelligible c’est celui qui dispense et procure la vérité et l’intelligence, et qu’il faut le voir pour se conduire avec sagesse, soit dans la vie privée, soit dans la vie publique » 2.
Dans cette perspective, Platon voudrait nous faire comprendre que la réalité des choses se trouve uniquement dans l’Idée. L’Idéeest la seule capable de nous faire dévoiler la vérité. Ainsi, l’Idée s’entretien avec l’intelligence et la réalité des choses. D’où cette affirmation : « C’est en vertu des idées auxquelles elles correspondent que les choses sont ce qu’elles sont, sont dénommées etdéfinies ; que les belles revêtent le caractère de la Beauté, les pieuses de la Piété, les justes de la Justice, etc. »1.
Enfin, chez Platon, le fondement de toutes nos connaissances et de toutes nos actions véritables se trouve dans l’Idée, dont les plus éminentes restent celles du Bien, du Beau, du Vrai, lesquels sont l’objet des sciences.
Faudrait-il rappeler que le point central de la philosophie de Platon est cette idée du Bien. En effet, l’idée platonicienne du bien dépasse de très loin la notion d’éthique, puisqu’elle occupe une position clé comme but et commencement de tout être, aussi bien dans la théorie de la connaissance qu’en ontologie.
C’est à partir du Bien que découlent les idées d’être et de valeur, et avec lui le monde tout entier, le Bien crée l’ordre, la mesure et l’unité du monde. Ainsi le Bien est présenté comme le principe radical de toutes les idées et se situe au-dessus d’elles. L’idée du bien est le chemin de la vérité .En effet, « Ce qui communique la vérité aux objets connaissables et à l’esprit la faculté de connaître, tient pour assure que c’est l’idée du Bien » 2.
D’autre part, il convient de signaler que la connaissance se présente toujours comme une nécessité vitale pour l’être humain, car elle est la base de son existence. En effet, celle-ci demeure le bien suprême que l’ho mme poursuit. Aussi, elle est la lumière et donc son essence, une clarté qui illumine son être. C’est pourquoi, chez Platon, la place du Bien à l’intérieur du pensable est comparée au soleil dans le domaine du visible.
C’est ici que la dialectique trouve exactement sa place. En effet, la dialectique de Platon est une méthode d’examen et de discussion qui permet d’aboutir à la vérité. Bref, la dialectique est, pour Platon, la voie royale par laquelle, si les jeunes s’y conforment, suivant les lois, de ladite dialectique, rendra la cité heureuse et organisée. Ainsi, si la dialectique, moyen privilégié pour l’éducation des jeunes, est alliée à la musique et à la gymnastique, la cité ne pourra qu’en tirer profit ; ce qui donnera naissance à la « cité juste » ou « idéale » .
LA CITE IDEALE REVEE PAR PLATON
L’EDUCATION
La musique
Après la décadence de la cité athénienne, Platon apensé reconstruire la cité en se basant sur une éducation de tous les enfants athéniens. Cette éducation était basée sur la musique et sur la gymnastique. La première qui est le titre de cette sous-partie consiste à développer la mémoire. La musique est une étude qui nous ramène à des mélodies et des paroles. Les mélodies et les paroles ne doivent pas se contredire. Car si les unes contredisent les autres, cela signifie qu’on a perdu l’harmonie. La musique est donc composée d’harmonie et de rythme. Il faut que l’harmonie et le rythme aboutissent à la chorée. Voici ce que Platon nous dit : « L’ordre du mouvement s’appelait rythme, celui de la voix, quand le grave et l’aigu se mêlent, portait le nom d’harmonie et l’ensemble se nommait chorée »1.
Pour Platon, cette éducation musicale doit être réservée aux petits enfants avec des chants qui plaisaient à ces derniers. Ce seront des chansons faciles à apprendre et à chanter. Dans cette perspective, leur éducation sera alors réalisée : « Quand les enfants auront été de bonne heure soumis à la règle dans leur jeu et que la musique aura fait entrer dans leur cœur l’amour de la loi dans toutes les circonstances de la vie, qu’ils ne cessent de garantir et qu’ils redressent tout ce qui a pu tomber de la vieille discipline » 2
Mais ici, il faut signaler que Platon invite les éducateurs à choisir non seulement des chansons qui plaisent aux enfants, mais aussi qui parlent des belles choses. C’est à partir de ces chants que s’acquerra le sens de l’honneur des citoyens. Ce qu’on leur a appris dans leur enfance restera jusqu’à l’âge adulte. Autrement dit, c’est une telle éducation qui donnera naissance à des dirigeants capables de bien gérer la cité. Ici apparaît déjà ne filigrane l’image chère à Platon, celle du « philosophe-roi » ou du « roi-philosophe ». En effet, le « philosophe-roi » ou le « roi-philosophe » est celui qui est : « Capable de distinguer entre celle qui est de bonne qualité et celle qui est malsaine, capable par conséquent d’avoir opéré une sélection entre celles qui sont à la ressemblance d’une âme bonne et celles qui sont à la ressemblance d’une âme dont l’ état est contraire » .
D’autre part, il faut que les chants incitent aux bonnes actions, à la pratique de la vertu. Dans ce sens, la musique et la gymnastique devront obéir aux lois élaborées par la cité et auxquelles devront se soumettre les compositeurs. D’où cette affirmation de Platon : « Dès lors, là où il existe ou existera dans l’ave nir des lois heureusement établies en ce qui concerne l’éducation musicale et les jeux, estimerons-nous, loisible aux compositeurs, toutes les fois que, dans la composition, ils trouvent eux-mêmes du char me à un élément qui tient au rythme , à l’air ou aux paroles de l’enseigner aussi dans les chœurs aux jeunes fils de bons citoyens » 2.
Ainsi, la musique sert à former des hommes courageux. Ces derniers consistent à protéger la cité contre les ennemis. C’est ce que Platon a consacré pour les futurs gardiens. Un gardien ne doit pas être fa ible ; il ne doit rien craindre, même la mort. C’est ainsi que les textes à faire apprendre aux jeunes doivent être rigoureusement choisis. En cas de besoin, les vers et tout écrit jugé pernicieux pour la jeunesse doivent être bannis de la cité, y compr is les fables sur l’Hadès (dieu des enfers). Et Platon de déclarer : « Nous effacerons par conséquent, repris-je, à commencer par ces vers, toutes les assertions de ce genre » 1.
En effet, la grande affaire consiste ici à savoir bien choisir ce qu’il faudra faire apprendre aux jeunes afin de les habituer à l’acquisition de bonnes habitudes et de rester dans le droit chemin. D’où cette affirmation :
« En toutes choses, la grande affaire est le commen cement, principalement et pour tout être jeune et tendre, p arce que c’est à ce moment qu’on façonne et qu’on enfonce le mieux l’empreinte dont on veut marquer un individu » 2.
Et le meilleur moyen pour y parvenir c’est le bon exemple car, « Il n’y a pas aussi imitateur que l’homme, surtout dans son enfance, […]. Et l’enfant est beaucoup plus apte à singer que le singe le plus avancé. Il imite en effet, les actes en rapport avec ses intérêts et ses désirs, par affection ou admiration » .
Selon Platon, les citoyens qui ont reçu une bonne éducation musicale auront des âmes vertueuses. Et comme ils sont ainsi, ils a uront de bonnes têtes pour la direction des affaires de l’État. Pour parvenir à ce but, « […], il faut qu’ils ne fassent et n’impliquent ri en d’autre ; s’ils imitent, que ce soient les qualités qui leur convient d’acquérir dès l’enfance : le courage, la tempérance, la sainteté, la libéralité et les autres vertus du même genre… » 4.
En d’autres termes, la musique tient une place importante dans le système éducatif platonicien. Signalons ici que si la musique favorise l’harmonie du corps, elle s’intéresse surtout à l’âme en entraînant l’enfantau respect de la discipline. C’est ainsi que Platon déclare : « Ce n’est pas, à mon avis, le corps, si bien const itué qu’il soit, qui par sa vertu rend propre l’âme bonne, mais au c ontraire l’âme qui lorsqu’elle est bonne, donne au corps, par sa vertu propre, toute la perfection dont il est capable » 1.
D’autre part, à chaque sexe correspond un type de musique bien déterminé : il existe des chants réservés aux garçons ; et d’autres pour les filles. Pour les filles les chants doivent leur donner le sens de la simplicité et pour les garçons le sens de l’endurance et du courage, c’est pourquoi : « Il conviendra aussi de séparer les chants suivant qu’ils conviennent aux femmes ou aux hommes, en les distinguant par quelque caractère général ».
Il est à préciser que dans son système éducatif, Platon a choisi la musique avant la gymnastique. La raison de ce choix a été dictée par l’influence que la musique exerce sur l’âme. En effet, c’est avec la q ualité mélodique de la musique que l’âme se forme dans des conditions bonnes et ha rmonieuses : « L’éducation musicale est souveraine parce que le rythme et l’harmonie ont au plus haut point le pouvoir de pénétrer dans l’âme et de la toucher fortement, apportant avec eux la grâc e et la conférant, si l’on a été bien élevé, sinon le contraire. ».
Autrement dit, la musique dont Platon parle est formatrice. Cette musique forme la jeunesse de la cité. Platon a pensé à l’éducation des enfants d’Athènes sans exception. Elle forme non pas seulement un bon esprit, mais aussi des âmes vertueuses. Ainsi, cette propriété particulière dela musique pourrait éradiquer ou tout au moins réduire énormément la délinquance juvénile. Cette voie permettrait ainsi de trouver des bons gouvernants dans la cité athénienne car la musique développe le sens de l’ordre et de l’harmonie chez les citoyens.
A cette discipline fondamentale qu’est la musique s’ajoute une autre discipline non moins fondamentale : la gymnastique. Ce sera le thème de notre prochaine sous-partie.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LE CONTEXTE POLITIQUE AU TEMPS DE PLATON
CHAPITRE I: LES DIFFERENTS REGIMES POLITIQUES
1.- La tyrannie
2. L’oligarchie
3. La démocratie
CAPITRE II : LE SOPHISME DE PROTAGORAS
1. L’ignorance
2. L’injustice
3. Le désordre social
DEUXIENE PARTIE: LA VISION PLATONICIENNE DU MONDE
CHAPITRE I: LES ORIGINES DE LA VISION PLATONICIENNE DU MONDE SENSIBLE
1.- Thalès de Milet et origine du monde
2.-Héraclite d’Ephèse et la philosophie du mouvement
CHAPITRE II : LES SOURCES PLATONICIENNES DU MONDE INTELLIGIBLE
1.-La théorie pythagoricienne de l’immortalité de l’âme
2.-L’immobilisme universel de Parménide
TROISIEME PARTIE : LA CITE IDEALE REVEE PAR PLATON
CHAPITRE I: L’EDUCATION
1. La musique
2. La gymnastique
3- La musique et la gymnastique
CHAPITRE II : L’ORDRE SOCIAL
1. Le philosophe roi
2. L’aristocratie
3.-La justice
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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