La question de la religion, occupe une place trรจs importante et clairement dรฉfinie dans la pensรฉe de Marx. Il est aujourdโhui dโusage, de rรฉduire la critique marxiste de la religion, ร une conception trรจs figรฉe et avec une spontanรฉitรฉ, presque naturelle sous la formule suivante : ยซ la religion est lโopium du peuple ยป et ce, avec tout un schรจme de connotation nรฉgative quโon lui affecte.
Il nโest certes pas faux, quโen tant que matรฉrialiste, Marx est un adversaire irrรฉconciliable de la religion car, comme lโaffirme Lรฉnine : ยซ le marxisme est un matรฉrialisme. A ce titre, il est aussi implacablement hostile ร la religion que le matรฉrialisme des encyclopรฉdistes du XVIIe siรจcle ou le matรฉrialisme de Feuerbachยป. Par lร , on voit que au delร mรชme de Marx, la critique de la religion, obรฉit avant tout, ร une logique inhรฉrente au matรฉrialisme.
Cependant, il serait plus judicieux, de se poser les questions de savoir, ce qui caractรฉrise vรฉritablement cette critique de la religion dans la pensรฉe de Marx ? Faut il, comme le veut lโopinion, y voir toujours une chose nรฉgative c’est-ร -dire, une lutte acharnรฉe de Marx contre la religion quโil perรงoit dans sa totalitรฉ, comme un mal en soi ? La religion ne peut elle pas, ร lโencontre de ce qui est aujourdโhui connu du grand public, avoir un aspect positif dans la pensรฉe de Marx? Et quโest ce qui, du point de vu mรฉthodologique sรฉpare Marx de ses prรฉdรฉcesseurs sur la question de la religion?
LES ORIGINES DE LA CRITIQUE MARXISTE DE LA RELIGION
La nรฉgation de Dieu comme logique inhรฉrente au matรฉrialisme
Dans lโhistoire de la philosophie, aussi loin que lโon remonte le temps, on verra que la question du rapport entre la matiรจre et lโesprit, a toujours รฉtรฉ au cลur des prรฉoccupations philosophiques. En effet, la question fondamentale, de savoir entre la matiรจre et lโesprit, quel est lโรฉlรฉment qui engendre lโautre, a souvent suscitรฉ des attitudes et opinions contre versรฉes voire, qui sโauto exclu. De la rรฉponse apportรฉe ร cette question, dรฉcoulera la naissance de deux courants philosophiques, que tout oppose dans leur principe. Dโune part nous avons le courant idรฉaliste qui pose lโantรฉrioritรฉ des reprรฉsentations abstraites par rapport ร la matiรจre. Dโautre part, nous nous avons le courant matรฉrialiste qui pose la matiรจre, comme lโรฉlรฉment primordial qui engendre tout. Cependant, compte tenu de nos prรฉoccupations, nous comptons dans cette partie de notre travail, mettre en perspective, ce qui caractรฉrise vรฉritablement le matรฉrialisme en tant que courant philosophique en faisant une petite incursion dans son passรฉ.
Nous nous sommes dans lโantiquitรฉ grecque, lorsque les premiers philosophes matรฉrialistes (on les appelait aussi des physiciens, du fait de leur attachement aux รฉlรฉments de la phusis ou nature pour expliquer les phรฉnomรจnes) firent leur apparition, vers le VI e siรจcle avant Jรฉsus. En adoptant une dรฉmarche radicalement diffรฉrente de celles des thรฉologiens et poรจtes, ces philosophes matรฉrialistes de lโantiquitรฉ sโรฉtaient fixรฉs comme tรขche de parvenir comme leurs prรฉdรฉcesseurs, ร donner une explication des phรฉnomรจnes de la nature. Cependant, ร lโencontre de leurs prรฉdรฉcesseurs ร savoir les mythologues et les poรจtes, ils tenteront de dissiper les nuages de la mythologie et du merveilleux pour bรขtir une explication des phรฉnomรจnes de la nature, sur les seules bases de la raison et de lโobservation rigoureuse. En effet, ils partirent de lโidรฉe selon laquelle, que lโhomme, grรขce sa raison, peut saisir et comprendre les phรฉnomรจnes de la nature. Pour se faire, ils relรฉguรจrent au second plan toutes les tentatives dโexplication des mythologues or, cela ne pouvait sโeffectuer quโร lโaide dโune approche matรฉrialiste des phรฉnomรจnes de la nature dโautant plus quโils partaient du postulat selon lequel, si les objets extรฉrieurs sont les plus proches de notre conscience naturelle, alors ils sont les plus exempts, ร nous renseigner sur la nature vรฉritable des phรฉnomรจnes de la nature.
Par ce qui prรฉcรจde, on voit que le matรฉrialisme n’est pas une invention rรฉcente, bien au contraire, il prend racine chez les anciens philosophes grecs, qui face au spectacle quโoffrait le cosmos, tentรจrent de donner un sens au monde, explication, qui pour se faire, exigeait de partir de la matiรจre, comme seule rรฉalitรฉ pour comprendre monde. Thalรจsย de Milet, Anaximรจne , Anaximandre furent les premiers ร cette รฉpoque ร dรฉfendre ce point de vue. Il faut, cependant rappeler, que cette conception des premiers philosophes matรฉrialistes qui sโattachaient ร poser la matiรจre comme รฉlรฉment primordial, connaรฎtra une รฉvolution dans la pensรฉe de suivant immรฉdiats qui abonderont dans la mรชme perspective matรฉrialiste.
Retenons de faรงon gรฉnรฉrale, que dans le matรฉrialisme, on suppose que la matiรจre constitue la rรฉalitรฉ fondamentale et premiรจre. Et dans cette logique, il n’existe pas de rรฉalitรฉs immatรฉrielles car, seule la matiรจre existe et ce, par elle-mรชme, cette matiรจre est la cause premiรจre de tout ce qui existe dans l’univers et rien en dehors dโelle, ne possรจde une existence effective. On voit par lร que le matรฉrialisme philosophique dans ses origines a succรฉdรฉ la religion et les mythes qui jusque lร , servait de principe explicatif ร lโhomme, qui face aux phรฉnomรจnes de la nature sโรฉtonnait et se posait un certain nombre de questions. Cโest dire que la naissance du matรฉrialisme philosophique nโa pas manquรฉ dโengendrer un conflit entre la philosophie et la religion. Autrement dit, nous avons lร , le conflit entre la matiรจre et les reprรฉsentations abstraites.
Cependant, en posant lโantรฉrioritรฉ de la matiรจre sur tout ce qui existe, c’est du mรชme coup niรฉ lโexistence de toute autre rรฉalitรฉ qui serait indรฉpendante dโelle. Et cโest dans cette logique, que Marx, plusieurs siรจcles aprรจs, affirmera sous la formule suivante que cโest lโhomme qui fait la religion et non le contraire. En dโautres termes, cโest dans une logique purement matรฉrialiste que dโaffirmer que la matiรจre est premiรจre et les idรฉes secondes, une maniรจre de dire dโune certaine faรงon que lโhomme est antรฉrieur ร la religion. Cependant lโhomme tel que Marx le conรงoit, et comme il lโa dโailleurs affirmรฉ dans la thรจse six sur Feuerbach est incarnรฉ dans une rรฉalitรฉ sociale, dans laquelle il entre en interaction non seulement avec son milieu, mais aussi et surtout, avec les autres individus dans ce que Marx appelle ร proprement parler, le commerce social, commerce qui en derniรจre instance est dรฉterminรฉ par le facteur รฉconomique.
Selon Marx en effet, le facteur dรฉterminant et qui est ร la base de l’histoire humaine est l’รฉconomie. Car, dans la lutte pour sa survie, lโhomme sโoccupe avant tout dโabord des choses matรฉrielles, comme la nรฉcessitรฉ de manger, de se vรชtir, de se loger pour pouvoir rester en vie, ce qui ne peut se faire, que par le biais du travail qui inclus nรฉcessairement les รฉchanges c’est-ร -dire, le facteur รฉconomique. Marx montre quโau dรฉbut, les gens ont travaillรฉ ensemble dans l’unitรฉ et quโร une telle รฉpoque, le travail recouvrait sa vรฉritable signification c’est-ร -dire, quโil รฉtait pour lโhomme une source de rรฉalisation et dโรฉpanouissement. Mais ร mesure quโil รฉvolue, l’homme a progressivement dรฉveloppรฉ l’agriculture, lโรฉlevage pour ne citer que ceux lร et par ce biais, la notion de propriรฉtรฉ dans un premier temps collective fit son apparition, et plus tard celle de propriรฉtรฉ privรฉe. A partir de lร , on assistera a une division du travail et une sรฉparation des classes fondรฉe sur le pouvoir et la richesse, ce qui, sera plus tard, ร la base des conflits sociaux.
Ainsi, voyons- nous, quโune telle approche de lโhomme posรฉ comme crรฉateur de la religion, exige dโune certaine faรงon, une comprรฉhension de la critique marxiste de la sociรฉtรฉ de son รฉpoque. Car comme nous venons de le voir, selon Marx, la religion tout comme les autres institutions sociales, dรฉpend des rรฉalitรฉs รฉconomiques de la sociรฉtรฉ dans laquelle elle รฉmane. Somme toute, la religion est donc le reflet du monde dans la mesure oรน elle est l’expression de rรฉalitรฉs matรฉrielles et l’injustice รฉconomique.
Lโinfluence de la philosophie de Feuerbach : un divorce consommรฉ avec lโhรฉgรฉlianisme
Souvent prรฉsentรฉ pour รชtre celui qui a rรฉtablit le matรฉrialisme dans ses droits au 19e siรจcle, Feuerbach passe aussi, pour รชtre lโunique philosophe, parmi les membres de la gauche hรฉgรฉlienne , qui soit parvenu, ร poser un acte concret, dans le dรฉpassement de Hegel. Cโest dire que lโoriginalitรฉ de la pensรฉe de feuerbachienne, rรฉside dans son effort de rรฉhabiliter le matรฉrialisme dans ses droits, chose qui nรฉcessairement, passe par une critique de la philosophie de Hegel, qui a reprรฉsentรฉe le sommet de la philosophie spรฉculative. En effet, comme lโatteste ces propos de Marx : ยซ Feuerbach est le seul qui ait une attitude sรฉrieuse, critique, envers la dialectique hรฉgรฉlienne et qui ait fait de vรฉritables dรฉcouvertes dans ce domaine ; il est en somme le vrai vainqueur de lโancienne philosophie. ยป .
Mais, pour bien comprendre lโinfluence que Feuerbach a eu sur la pensรฉe marxiste, il est nรฉcessaire, de le situer d’abord au milieu de la rรฉalitรฉ qui sรฉvissait en Allemagne dans le contexte prรฉcis du 19e siรจcle. Rappelons en effet, quโau 19e siรจcle, lโAllemagne, รฉtait fortement marquรฉe par une domination de la philosophie de Hegel qui prรฉtendait recenser lโensemble des connaissances de son temps et mรชme au de lร , cette philosophie systรฉmatique comme le prรฉsente son auteur, reprรฉsentait ainsi, de par son caractรจre un immense espoir pour la jeunesse allemande rรฉvolutionnaire , avide de changement et sโinspirant entres autres, des rรฉgimes politiques franรงais et anglais . Ainsi, la philosophie hรฉgรฉlienne, suscitait au sein de la jeunesse allemande, un immense espoir pour lโabandon de lโabsolutisme monarchique, qui รฉtouffait la libre expression de la raison et dont le poids devenait de plus en plus pesant.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
I/ PREMIERE PARTIE : LES ORIGINES DE LA CRITIQUE MARXISTE DE LA RELIGION
I.1/ La nรฉgation de Dieu comme logique inhรฉrente au matรฉrialisme
I.2/ Lโinfluence de la philosophie de Feuerbach : un divorce consommรฉ avec lโhรฉgรฉlianisme
I.3/ Le matรฉrialisme rรฉhabilitรฉ dans ses droits
II/ DEUXIEME PARTIE : LA RELIGION AROME OU OPIUM
II.1/ La religion comme expression dโune aliรฉnation humaine
II.2/ La religion comme soutien de lโordre รฉtablit
II.3/ La religion comme protestation contre la misรจre
CONCLUSION