Les organisations intergouvernementales
LA GOUVERNANCE GLOBALE
ยซ Our contemporary world is an organized world ยป (Garsten et Nyqvist, 2013 : 1) : les sociรฉtรฉs de lโรฉpoque moderne sont trรจs reliรฉes ร la notion dโ ยซ organisation ยป, car cโest ร travers ce concept quโelles tentent faire face aux problรจmes transnationaux qui ont crรฉรฉ des situations dโincertitude et confrontรฉ les institutions รฉtatiques ร de nouveaux dรฉfis. En effet, ces problรฉmatiques ont une portรฉe telle quโil paraรฎt รฉvident quโelles ne peuvent pas รชtre rรฉsolues par lโaction individuelle dโun ou de quelques Etats, mais au contraire ยซ all ๏these problems๏ require cooperation of some sort among states and the growing number of nonstate actors ยป (Karns, Mingst, Stiles, 2015 : 1). Cโest sur la base de cette logique que, dans les annรฉes 1990, le concept de ยซ gouvernance globale ยป est nรฉ, visant ร faire face ร ceux qui peuvent รชtre appelรฉs des ยซ trans-boundary problems ยป (ibid : 2) et ร amรฉliorer les capacitรฉs de coopรฉration et de communication des Etats-nations (Bennett et Oliver, 2002). Lโรฉmergence de la notion de gouvernance globale est รฉvidemment strictement liรฉe ร la prise de conscience de plusieurs changements systรฉmiques au niveau mondial: la globalisation, le progrรจs technologique, la fin de la Guerre Froide et la croissance du transnationalisme (Karns, Mingst, Stiles, 2015 : 4). Ces phรฉnomรจnes ont contribuรฉ notamment ร rรฉduire les distances spatiales et temporelles et ร les rendre moins contraignantes, ร faciliter la communication et lโinterconnection entre plusieurs acteurs et ร simplifier le mouvement de personnes, de biens et dโinformations.
La gestion des problรจmes globaux implique le fait que ยซ state authority must coexist with and in some respects contend with other emergent sites of authority ยป (Bennett et Oliver, 2002 : 15). La gouvernance globale est en effet un phรฉnomรจne trรจs complexe qui compte de nombreux acteurs en son sein : les Etats, les organisations internationales, les entreprises multinationales, les rรฉseaux dโexperts et les communautรฉs รฉpistรฉmiques (Karns, Mingst, Stiles, 2015). Tous ces acteurs peuvent agir de maniรจre individuelle mais ils sont รฉgalement toujours reliรฉs et interdรฉpendants ร cause des nombreux rรฉseaux et partenariats dont ils sont membres. Dans le cadre de ce travail, mon attention sera portรฉe sur un acteur spรฉcifique de la gouvernance globale : les organisations internationales (OI). Ces derniรจres se divisent en deux branches : les organisations intergouvernementales (OIG) โ constituรฉes par des Etats membres โ et les organisations internationales non gouvernementales (OING) โ agences privรฉes se distinguant des organisations non gouvernementales (ONG) qui agissent uniquement dans les territoires dโun seul pays (Bennett et Oliver, 2002). Etant donnรฉ que pour mon mรฉmoire jโai dรฉcidรฉ de traiter la question de la gouvernance de la migration forcรฉe, mon รฉtude de cas se focalise sur un acteur incontournable de ce domaine : le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Rรฉfugiรฉs (HCR). Avant de prรฉsenter cette OIG spรฉcifique, il convient dโexpliquer en quoi consistent les OIG en gรฉnรฉral et dโapporter quelques clarifications ร leur propos.
LES ORGANISATIONS INTERGOUVERNEMENTALES
Tout dโabord, je propose une dรฉfinition : ยซ IGOs are organizations that include at least three states as members, that have activities in several states, and that are created through a formal intergovernmental agreement such as a treaty, charter or statute ยป (Karns, Mingst, Stiles, 2015 : 12). Bien que ยซ for most of international history, international organizations have been instruments of and, therefore, affected and shaped by nation-states ยป (Bennett et Oliver, 2002 : 1), dans les dรฉcennies aprรจs la fin de la Seconde Guerre Mondiale les organisations intergouvernementales ont assumรฉ un rรดle toujours plus important dans le contexte international. Sous lโinfluence du courant libรฉral โ qui se rรฉappropriait progressivement de son rรดle dominant dans sa nouvelle forme nommรฉe nรฉolibรฉralisme โ, les OIG ont รฉtรฉ fortement valorisรฉes par la croyance en la fonction fondamentale de ces arรจnes transnationales afin de garder lโordre dans le systรจme international.
En effet, mรชme si les nรฉolibรฉraux reconnaissent explicitement lโintรฉrรชt national comme principe primordial, ils croient รฉgalement que ยซ states nevertheless can work together and can do so especially with the assistence of international institutions ยป (Grieco citรฉ par Karns, Mingst, Stiles, 2015 : 47). Les OIG sont souvent crรฉรฉes pour contribuer ร la recherche de solutions aux problรจmes concernant lโespace international (Barnett et Finnemore, 2004), ร la fois dans un but de rรฉcolte dโinformations, comme fournisseur de services ou tout simplement pour mettre ร disposition un espace diplomatique oรน les Etats peuvent se confronter et nรฉgocier des accords (Karns, Mingst, Stiles, 2015 : 25). Elles ont un donc rรดle central dans la politique globale et sont un acteur intรฉressant ร analyser. Cependant, les OIG nโont officiellement pas de pouvoir contraignant envers les Etats membres. En effet, afin de ne pas mettre en danger la souverainetรฉ รฉtatique de ses adhรฉrents qui est le principe primordial sur lequel se fonde lโorganisation du monde actuel, par dรฉfinition les OIG ยซ operate at the level of consent, recommendation, and cooperation rather than through compulsion or enforcement ยป (Bennett et Oliver, 2002 : 2).
Cela veut dire quโelles ne peuvent pas obliger les Etats ร se soumettre ร leurs volontรฉs, mais elles agissent plutรดt ร travers la production de ยซ soft laws ยป. Ces derniรจres, contrairement aux lois internationales, nโont pas de nature contraignante, ce qui implique que les respecter nโest pas vraiment une obligation lรฉgale. Il sโagit plutรดt de ยซ quasi-legal instruments ยป (Rahman et Amin, 1999 : 902) qui impliquent uniquement une sorte dโengagement moral des Etats qui ne prรฉvoit pas de sanctions lรฉgales en cas de non-respect de cette loi souple. Ces instruments se traduisent par des documents tels que les codes de conduite, les dรฉclarations issues de confรฉrences internationales, certaines rรฉsolutions de lโAssemblรฉe Gรฉnรฉrale des Nations Unies, les recommandations et lignes directrices rรฉdigรฉes par les diffรฉrentes unitรฉs thรฉmatiques ou dรฉpartements des OIG, etc. Lโactivitรฉ de production de ces documents occupe une partie importante de la journรฉe de travail des professionnels des OIG. Cette tendance est trรจs rรฉcurrente dans les institutions de lโaide : ยซ a large proportion of time and expertise of development personnel is organized within reference to writing and negociating texts ยป (Mosse, 2005b : 15). En particulier, dans les annรฉes 1990 on assiste ร une vรฉritable prolifรฉration de lignes directrices et de documents officiels au sein des organisations internationales, dont les Nations Unies reprรฉsentent un exemple significatif : alors que dans les annรฉes 1960 et 1970 les ยซ guidelines ยป disponibles รฉtaient trรจs limitรฉes, ร partir des annรฉes 1990 la crรฉation de ces documents a littรฉralement explosรฉ (Larsen, 2013 : 80).
LES DOCUMENTS PRODUITS PAR LโUNITE DE LโEDUCATION: UNE TYPOLOGIE
La production de documents est une tรขche primordiale du mรฉtier des professionnels de lโรฉducation ร laquelle ils consacrent une part significative de leur temps. Etant donnรฉ quโils jouent un rรดle central dans ce travail, il convient de proposer ici quelques clarifications. Lโunitรฉ de lโรฉducation produit โ en autonomie ou bien en collaboration avec dโautres acteurs appartenant ร lโunivers du HCR ou mรชme avec dโautres institutions โ une grande quantitรฉ de documents. Ces derniers ne possรจdent pas tous les mรชmes caractรฉristiques, bien au contraire ils peuvent prรฉsenter des propriรฉtรฉs diffรฉrentes. Afin de mieux expliciter mon objet dโรฉtude, il est important de retracer la situation gรฉnรฉrale des documents existants afin de comprendre la complexitรฉ du monde du savoir produit par le HCR. Bien รฉvidemment, il aurait รฉtรฉ impossible de dresser une liste exhaustive de tous les documents qui ont รฉtรฉ produits par lโunitรฉ de lโรฉducation depuis quโelle a vu le jour, raison pour laquelle jโai optรฉ pour prรฉsenter briรจvement ceux qui sont utilisรฉs ร lโheure actuelle par les professionnels de lโรฉducation et qui constituent donc une typologie contemporaine.
Tous les documents prรฉsentรฉs dans ce chapitre font partie des documents qui sont gรฉnรฉralement appelรฉs ยซ lois souples ยป. Du moment que les organisations intergouvernementales ne peuvent pas imposer quoi que ce soit en raison de lโabsence de pouvoir contraignant, les documents quโils produisent ont plutรดt le rรดle de recommander, conseiller, tรฉmoigner. De plus, il est aussi important de mentionner quโen fonction du type de document et du rรดle officiel qui lui est attribuรฉ, le public visรฉ peut รชtre de diffรฉrente nature. Ces lois souples visent parfois un public interne, comme les fonctionnaires du terrain ou les autres unitรฉs du siรจge, tandis que dโautres fois elles peuvent avoir comme objectif ultime le contact avec des acteurs externes, comme les autres OIG ou ONG, les gouvernements, les donateurs, ou tout simplement les individus dโun certain pays ou ร lโรฉchelle mondiale. Les diffรฉrentes modalitรฉs dโaccรจs ร ces ressources en sont le reflet : ยซ our documents can serve both an internal and external audience, that is also why a lot of them are available on the internet page of our website, while others are only accessible on the intranet page and for that you need to be part of UNHCRโs staff ยป (Fonctionnaire 5).
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Table des matiรจres
PREMIERE PARTIE
Introduction
1. Delimitation du sujet
2. Intรฉrรชt et portรฉe de la recherche
3. Structure du travail
DEUXIEME PARTIE Mise en contexte
1. La gouvernance globale
2. Les organisations intergouvernementales
3. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les rรฉfugiรฉs
4. Les documents produits par lโunitรฉ de lโรฉducation: une typologie
4.1 Rapports dโaccountability
4.2 Lignes directrices pour programmes spรฉcifiques
4.3 Parties de documents plus larges
4.4 Best practices
4.5 Toolkits et webinars
4.6 Guidance documents
4.6.1 La stratรฉgie de lโรฉducation : une vision ร long terme
4.6.2 Les notes dโinformation : des documents pratiques et opรฉrationnels
TROISIEME PARTIE Problรฉmatique et question de recherche
QUATRIEME PARTIE Etat de la recherche et cadre thรฉorique
1. Studying up
2. Lโanthropologie de lโaide internationale
2.1 Lโinterconnexion de lโaide humanitaire et du dรฉveloppement
2.2 La ยซ development anthropology ยป : une anthropologie appliquรฉe
2.3 Lโ ยซ anthropology of development ยป : les approches discursives
2.4 Lโanthropologie des savoirs experts et des professionnels de lโaide
3. Lโanthropologie des institutions ร lโรฉpoque de la globalisation
4. Les organisations intergouvernementales en tant quโobjets dโรฉtude
4.1 Les approches issues des relations internationales
4.2 Les approches issues des sciences sociales
5. Lโanthropologie des politiques de lโaide
CINQUIEME PARTIE Mรฉthodologie
1. A la recherche de mon objet dโรฉtude : un stage auprรจs du siรจge du HCR
2. La position du chercheur et les dรฉfis รฉpistรฉmologiques
2.1 Lโentrรฉe sur le terrain
2.2 Entre participation observante et observation directe
2.3 Le choix du sujet de recherche
2.4 Posture รฉpistรฉmologique
2.5 La sortie du terrain
3. Stratรฉgie de recherche
4. Echantillonnage et description de la population choisie
5. Entretiens
5.1 Prise de contact
5.2 Typologie dโentretien
5.3 Grille dโentretien
5.4 Situation dโentretiens
6. Stratรฉgie dโanalyse des donnรฉes
6.1 Analyse des entretiens
6.2 Analyse textuelle des guidance documents
SIXIEME PARTIE Prรฉsentation et analyse des rรฉsultats
1. Orienter lโaction des collegues du field
1.1 Faciliter les tรขches des professionnels
1.2 Faciliter les tรขches des fonctionnaires sur le terrain
1.2.1 La pรฉnurie de fonctionnaires spรฉcialisรฉs en รฉducation
1.2.2 La rotation continuelle du staff
1.3 Les moments de production des guidance documents
1.4 Une interprรฉtation instrumentale
2. Enjeux de cohรฉrence et dโenrรดlement
2.1 Entre dรฉpendance et responsabilitรฉ
2.2 Sโengager dans les activitรฉs dโadvocacy et de fundraising
2.3 La lรฉgitimation de lโautoritรฉ
2.3.1 Lโautoritรฉ du HCR et de ses professionnels
2.3.1.1 Autoritรฉ dรฉlรฉguรฉe et institutionnelle
2.3.1.2 Autoritรฉ dรฉrivรฉe de lโexpรฉrience accumulรฉe depuis le 1950
2.3.1.3 Autoritรฉ morale
2.3.1.4 Autoritรฉ lรฉgale-rationnelle
2.3.2 A la recherche dโautoritรฉ lรฉgitimรฉe
2.3.3 Dรฉmontrer lโefficacitรฉ
2.3.3.1 Diffรฉrencier les objectifs globaux des propositions des donateurs
2.3.3.2 Accentuer le sous-financement par rapport aux besoins rรฉels
2.3.3.3 Invisibilisation des dysfonctionnements
2.4 Lโalignement avec les tendances internationales
2.4.1 Produire les documents selon des processus participatifs
2.4.2 Partager la vision internationale de lโรฉducation
2.4.3 Planifier de maniรจre stratรฉgique
2.4.4 Programmer dans une perspective de long-terme
2.4.5 Construire des partenariats pour lโimplรฉmentation de programmes
2.5 Produire de lโunitรฉ institutionnelle
2.5.1 Maintenir lโappartenance ร la DIP
2.5.1.1 Prouver de reprรฉsenter une prioritรฉ pour lโorganisation
2.5.1.2 Justifier son budget au niveau interne
2.5.2 Produire de lโharmonisation et des liens institutionnels
2.6 Le sens que les professionnels confรจrent aux guidance documents
3. Enjeux de reprรฉsentation, pouvoir et domination
3.1 La reprรฉsentation des enfants non scolarisรฉs comme ยซ problรจmes ยป
3.2 La dรฉpolitisation de lโรฉducation
3.3 Un pouvoir lรฉgitimรฉ bien que non dรฉmocratique
3.4 Le pouvoir du HCR comme forme de domination
3.5 Les guidance documents en tant que dispositifs technico-politiques
3.6 Un exemple concret
SEPTIEME PARTIE Conclusion
1. Pour conclure
1.1 Retour sur mes rรฉsultats
1.2 Crรฉation de pathologies institutionnelles
1.3 Lโimportance de la dimension contingente
1.4 La complexitรฉ de la protection des rรฉfugiรฉs
2. Limites et ouverture
HUITIEME PARTIE
Bibliographie
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