Les Opéras en France : des dissemblances majeures sous une apparente uniformité

Les Opéras en France : des dissemblances majeures sous une apparente uniformité 

Systèmes politiques et histoires nationales en matière de soutien aux arts 

Chargées d’une responsabilité de service public, les Opéras sont intégrés à un monde où la structure, qui produit et diffuse les arts de la scène, intervient dans la construction d’une identité politique nationale en même temps qu’elle revendique, à travers une programmation ayant passé le jugement des pairs, à l’échelle des réseaux auxquels appartiennent les professionnels qui la dirigent, un universalisme artistique et administratif supposé la positionner sur un échiquier transnational. Pour ces organisations, cela suppose un important travail partenarial et une gestion de plus en plus « équilibriste », entre les demandes et les idéaux des uns et des autres et leurs propres besoins et intérêts et l’idée qu’elles se font de leur raison d’être. Cette gestion complexe des demandes s’ajoute aux efforts de mise en forme que ces impératifs exigent une fois mis à l’épreuve de la réalité du terrain et en rapport à l’autonomie à laquelle, expertes, elles tiennent. La dispersion et la recherche d’ententes spécifiques et temporalisées entre elles, l’État ou les diverses instances de gouvernance auxquelles elles sont liées, et la logique ascendante de projets imbriqués à divers réseaux et stratégies interorganisationnelles, complexifient encore cette recherche d’autonomie, de légitimité et de spécification de leur raison d’être .

L’histoire politique et le système politique d’un pays qui en découle ont une incidence déterminante sur les politiques culturelles pour lesquelles le pays choisira d’opter et sur le lien qui l’unira aux Opéras dont il aura hérités de son histoire. Aucun modèle n’est transposable ou exportable de façon utile, et aucun ne sied à tous dans les mêmes rapports et les mêmes proportions. Chaque pays se doit de bâtir son propre modèle en demeurant au courant et en prenant leçon de ce qui se fait ailleurs, tout particulièrement dans un monde où ces politiques sont de plus en plus mesurées entre elles et confrontées à la dynamique et aux cadres internationaux. En Europe, dans les opéras financés à 80 % par une ou plusieurs organisations publiques, c’est à ces dernières qu’incombe le choix de la direction générale de la structure. Ainsi, dans la plupart des maisons allemandes financées par des villes ou par des Länder, les maires ou les ministres chargés de la culture dans les Länder assurent ces choix (Agid & Tarondeau 2010).

Le modèle allemand, essentiellement « princier » (Mulcahy 1998 : 248-249) par son histoire et son choix de compter sur des subsides locaux, donne aux Länder indépendants qui composent son territoire et dans lesquels se trouvent aujourd’hui des municipalités qui leur sont indépendantes, avec une marge de manœuvre complète en matière de compétence culturelle. L’État, particulièrement décentralisé, qui compte plusieurs ministères de la culture, a inscrit à sa constitution la qualité «sous nationale », c’est-à-dire régionale, des affaires culturelles et de l’éducation. L’hégémonie nationale y est grande, mais le rôle du gouvernement central dans les affaires culturelles demeure faible.

L’Allemagne compte à ce jour près de 90 théâtres dans lesquels sont présentés des spectacles d’opéra. En matière d’opéra, le pays jouit de la plus forte densité géographique au monde et produit un nombre conséquent (plus que tout autre pays européen) de jeunes chanteurs, qui y étudient et s’y forgent des carrières internationales magistrales, en plus de s’attirer les plus grandes voix. Le contexte politique des XVIIIe et XIXe siècles ayant morcelé le paysage théâtral laisse ce dernier moins structuré qu’en France. La musique y trône en reine, depuis les chapelles de la cour de Saxe, il y a 350 ans. Il n’existe pas de théâtre privé dédié à l’opéra en Allemagne et la confédération ne possède pas elle-même de théâtre musical ou d’opéra permanent . Aujourd’hui, plus de 130 orchestres symphoniques (70 consacrés au théâtre, les autres sont radiophoniques) jouent habituellement en Allemagne devant un public en augmentation. Après l’effondrement de la monarchie, l’État a pris en charge les structures théâtrales existantes. À l’heure actuelle, l’État, la ville ou la commune sont les gestionnaires majoritaires des théâtres et des opéras.

L’État britannique, de type mécène et aux ancêtres puritains réfractaires à l’idée d’établir des liens entre le gouvernement et les arts (jugés frivoles et immoraux), gère quant à lui les interventions gouvernementales en matière culturelle en sous contractant auprès d’instances spécialisées situées « at arm’slenght » (Ridley 1987), c’est-à-dire à distance de son pouvoir. Ce modèle est par ailleurs bien connu des Canadiens et des Québécois, leurs gouvernements s’étant largement inspirés de ces formes pour organiser la gouvernance du secteur culturel. C’est ce qui explique qu’à la Royal Opera House (ROH) de Londres, le choix du directeur général (Chief executive) soit communiqué au président du Conseil des arts (Arts Council of England). Le Royaume-Uni utilise par ailleurs depuis fort longtemps la déductibilité fiscale pour les particuliers qui financent des organisations « charitables » soit directement soit par l’intermédiaire de fondations ou de trusts familiaux. Ainsi, 17 à 20 % des ressources annuelles de Covent Garden proviennent de dons, de contributions et ressources similaires entre 2006 et 2008, soit 15,3 à 16,2 millions de £ sur un budget total de 90,4 millions de £ en moyenne au cours de cette même période (Agid & Tarondeau 2010).

Aux États-Unis, la décentralisation porte un autre visage : les institutions, instances et prérogatives locales sur l’éducation, la culture et les affaires sociales priment, mais cette dissociation du pouvoir provient ici d’une crainte historique d’un État centralisateur dont l’interventionniste serait perçu comme de l’ingérence. Cette crainte érige des barrières entre l’État central et les gouvernements locaux et maintient le pouvoir entre les mains du mécénat corporatif et individuel et autres initiatives privées et locales. Dons et  contributions privées proviennent de quatre sources principales : les versements effectués directement par les particuliers, par des sociétés, par des fondations d’entreprises, et par des trusts et fondations gérant des patrimoines familiaux. Le recrutement du directeur général appartient au Conseil d’administration de l’établissement ; les trustees engagent leurs fortunes personnelles (près de 50 % du budget des opéras, l’autre moitié provenant de revenus propres) dans le soutien de ces opéras et il est dans leur intérêt de veiller à la qualité des recrutements (Agid & Tarondeau 2010). Aucune instance politique n’est impliquée, au sens où on l’entend en Europe. Le pouvoir politique l’est uniquement au travers des déductions fiscales auxquelles ont droit les donateurs aux organismes à but non lucratif (telles les structures culturelles, en concurrence avec les établissements de santé, d’assistance sociale et d’éducation…) et les fonds de dotation (qui sont considérés comme des revenus de source privée). Les revenus des fonds de dotations (endowments) entrent dans cette catégorie.

La France a pris ou plutôt conservé pour modèle un système dit « royaliste », qui trouve ses fondements historiques dans une période qui remonte à Louis XIV, monarque ayant accueilli l’opéra en France. Dans ce modèle, l’État, qui possède un seul ministère de la Culture, fixe les objectifs et donne les moyens de les atteindre. La responsabilité de l’État en matière de ce que nous appelons aujourd’hui la politique culturelle date de la Déclaration des Droits et Devoirs de 1795 qui affirme que le « droit des citoyens à former des établissements d’enseignement et des sociétés libres pour concourir au progrès des sciences, des lettres et des arts ». L’idéal républicain présuppose au départ l’universalité de la valeur artistique et la nécessité de la délectation esthétique offerte non seulement aux érudits, mais à l’ensemble des citoyens. Les Opéras français sont appelés à assumer le rôle de pôles artistiques majeurs et d’« équipements culturels » au service des citoyens, du développement urbain, par le biais, en ce qui les concerne, de nouvelles formes de gouvernance, et de dispositifs en concurrence avec l’offre culturelle globale, les nouvelles technologies et l’industrie culturelle.

Cadres juridiques, catégories d’emplois, produits et charges : état des lieux depuis 2006 

En 1997, un colloque sur l’avenir de l’opéra au XXIe siècle présentait en synthèse pour l’avenir des orientations nouvelles autour de trois thèmes : les problèmes institutionnels des Opéras de région ; donner les moyens d’accroître les publics de l’art lyrique sur le territoire national en inscrivant les opéras dans une logique d’outil de développement culturel au service d’une ville et d’une région, et se conclue sur le rôle de l’État et des politiques culturelles qui doit s’accompagner d’une réflexion sur la possibilité d’élargir les publics. C’est à partir de l’ensemble de ces réflexions et de ces propositions que l’État a souhaité construire avec les structures et avec les collectivités territoriales, un paysage lyrique cohérent, constitué de pôles nationaux de référence, de théâtres lyriques à vocation régionale, de festivals et de structures de diffusion très décentralisées. Il était question d’une politique du XXIe siècle à établir, afin que, d’un point de vue lyrique, « la France ne devienne pas un désert culturel ». Et quelle ville prétendrait au statut de métropole européenne sans disposer d’une maison d’opéra, donc d’un véritable outil de production lyrique ?

En France, les cadres juridiques des théâtres lyriques se sont diversifiés et les dissemblances structurelles majeures malgré une apparente uniformité. Les statuts font partie de cette économie de l’opéra. Les cadres juridiques des théâtres d’opéra français sont en réalité multiformes, complexes et donnent lieu à des déséquilibres notamment financiers. La majorité fonctionne en régie municipale, qu’elle soit directe (Rennes, Saint-Étienne, Nice, Limoges), autonome (Caen, Avignon, Tours, Capitole de Toulouse), personnalisée EPA (Bordeaux, Nancy), ou communautaire (Metz) ; deux sont des syndicats mixtes (Angers-Nantes) ; trois sont des associations loi 1901 (Lyon, Chorégies d’Orange, Montpellier) ; cinq sont des établissements publics de coopération culturelle (Lille, Rouen, Toulon) ou à caractère industriel et commercial (Opéra de Paris) ; deux sont des SARL en délégation de service public (Reims). On trouve aussi des syndicats intercommunaux (Opéra du Rhin, partagé entre Strasbourg, Colmar et Mulhouse). Cette panoplie diversifie grandement les modes de gestion et les possibilités de développement.

Chacun se distingue des autres par le bassin de population concernée, les moyens financiers et le degré d’engagement des collectivités à son égard, ses effectifs (et leur statut), la multiplicité des compétences, la composition de son outil de production (ballet, chœur, orchestre, ateliers), le cadre juridique, le mode de gestion, le nombre de productions et de levers de rideaux, le nombre de salles à disposition et la jauge. La diversité des situations est telle qu’il a toujours été difficile d’obtenir un état des lieux sur la base d’indicateurs partagés et comparables.

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Table des matières

I. INTRODUCTION
I. 1. La recherche et son objet
I. 2. Organisation du mémoire de thèse : plan de lecture
II. LE PASSAGE D’UN SPECTACLE POUR QUELQUES-UNS À UN GENRE ARTISTIQUE VOUÉ À DEVENIR UN PRODUIT CULTUREL POUR TOUS
II. 3. Les Opéras en France : des dissemblances majeures sous une apparente uniformité
II. 4. L’opéra : des histoires en continu
III. CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE POUR UNE DÉMARCHE INDUCTIVE ET CRITIQUE
III. 5. Ancrage théorique et conceptuel
III. 6. Méthodologie appliquée
IV. LA LABELLISATION : DE L’ACTION ADMINISTRATIVE À L’INSTRUMENTATION
IV. 7. Un art collectif dans une structure organisationnelle conventionnelle sédimentée
IV. 8. L’attribution d’un label de « qualité » sur les Opéras en région
IV. 9. Le label opéra national : ni une simple mesure ni une simple technologie de pouvoir
V. CONCLUSION
Long Abstract
Références citées dans la thèse
Autres références consultées
Liste des figures
Liste des tableaux
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