Les plasmas spatiaux
Qu’est-ce qu’un plasma ?
Un plasma est un gaz ionisé constitué de charges positives et négatives en proportions équivalentes. Les plasmas sont des milieux très conducteurs et l’égalité entre les densités de charge positives et négatives assure leur quasi-neutralité. Irving Langmuir est le premier à introduire le terme de « plasma » en 1928 [Langmuir 1928] pour qualifier le gaz quasi-neutre résultant d’une décharge électrique dans des tubes à vapeur de mercure. Faisant suite dans l’échelle des températures aux 3 états solide, liquide et gaz, les plasmas sont souvent qualifiés de « 4ème état de la matière » malgré l’absence de transition de phase entre les gaz et les plasmas . Cet état est généralement produit par un gaz neutre chauffé à plusieurs milliers de degrés ou soumis à de forts champs électriques. Lors des collisions entre particules, les électrons des couches externes sont arrachés aux atomes : le gaz s’ionise. L’état de plasma, naturel ou artificiel, regroupe des milieux très disparates : les échelles de densités et de températures rencontrées varient de plusieurs ordres de grandeur ou dizaines d’ordre de grandeurs
Comportements physiques des plasmas
Dans un gaz neutre, les principales interactions entre particules régissant la dynamique du fluide sont les collisions entre particules neutres, qui sont des interaction à courte portée. Dans un plasma, du fait de la charge des particules, les interactions électromagnétiques apparaissent. Ces interactions coulombiennes à longue portée induisent un comportement collectif des particules du plasma : chacune sera sensible au champ électromagnétique moyen créé par l’ensemble des autres particules chargées. La dynamique des particules dépend donc des champs électromagnétiques moyens et réciproquement. Dans un gaz neutre, la partie électromagnétique et la partie mécanique sont donc découplées : la première décrira la propagation des perturbations électromagnétiques à travers le gaz neutre, et la deuxième décrira la propagation des perturbations liées aux mouvement des particules. La propagation de n’importe quelle information au sein d’un plasma entraine des perturbations mécaniques et électromagnétiques : ce couplage permet l’existence d’une grande variété de modes de propagation..
Où trouve-t-on des plasmas dans le système solaire ?
Il existe peu de sources naturelles de plasma à la surface de la Terre. Le développement de la radio astronomie et de la recherche spatiale a cependant permis de découvrir que les plasmas sont très présents dans le système solaire. On estime désormais que 95% de l’Univers est constitué de matière à l’état de plasma.
Le vent solaire
La source principale de plasma dans le système solaire est le Soleil lui même. La haute atmosphère du Soleil, appelée la couronne, est située à 2000 km d’altitude au dessus de la photosphère . C’est un milieu ténu (Ne ∼ 10¹² m−3 ) comparativement aux couches plus internes du Soleil et la température peut y atteindre plusieurs millions de Kelvin. Les hautes températures régnant dans la couronne solaire confèrent aux électrons du plasma coronal une vitesse supérieure à la vitesse de libération de l’attraction solaire, ce qui leur permet de s’échapper vers le milieu interplanétaire. L’équilibre entre les densités d’électrons et d’ions dans le plasma coronal est alors rompu : celui-ci se charge positivement, entraînant l’apparition d’un champ électrique dirigé vers le milieu interplanétaire. Les ions du plasma coronal sont alors accélérés dans la direction du champ électrique induit, ce qui leur permet à leur tour de s’échapper dans le milieu interplanétaire et de former ainsi le vent solaire.
Le vent solaire, soufflé en permanence par le Soleil à des vitesses supersoniques allant de 400 km.s−1 à 800 km.s−1 , crée donc une « bulle » de plasma coronal (essentiellement composée d’électrons, de protons, et d’ions He2+ dits « particules α»), appelée héliosphère. L’héliopause, frontière de l’héliosphère, sépare le milieu sous l’influence du vent solaire du milieu interstellaire et se situe entre 100 et 200 Unités Astronomiques (UA ), bien au-delà des limites de la ceinture de Kuiper. Toutes les planètes du système solaire sont donc contenues dans l’héliosphère et baignent dans le vent solaire, dont les caractéristiques physiques varient avec la distance au Soleil. La conservation du flux de masse éjectée par le Soleil, en expansion à une vitesse quasi-constante, entraîne une variation de la densité d’électrons inversement proportionnelle au carré de la distance au Soleil. Les mesures montrent que la densité d’électrons du vent solaire au voisinage de l’orbite terrestre est de l’ordre de 7 électrons par cm3 .
Les observations ont également mis en évidence l’existence d’un champ magnétique interplanétaire, dont les lignes de champ forment une spirale d’Archimède centrée sur le Soleil (figure 1.3). L’échappement du plasma coronal se produit dans une région de la couronne où les forces magnétiques ne sont plus suffisantes pour l’entraîner dans la rotation solaire : les lignes de champ magnétique sont gelées dans le plasma coronal et contraintes à le suivre dans son échappement radial. Les pieds des lignes de champ restent cependant solidaires de la photosphère en rotation. Cela conduit à cet enroulement en spirale des lignes de champ magnétique solaire à travers le milieu interplanétaire. L’intensité du champ magnétique interplanétaire, au voisinage de l’orbite terrestre, est de l’ordre de quelques nT. En plus du vent solaire, le milieu interplanétaire contient des poussières, des rayons cosmiques et du gaz neutre d’origine interstellaire. L’existence de conditions physiques variées à travers l’héliosphère font du vent solaire un excellent laboratoire naturel de physique des plasmas.
Les ionosphères planétaires
L’ionosphère est la partie supérieure d’une atmosphère planétaire dont le gaz neutre a été ionisé par les radiations solaires de faibles longueurs d’onde (UV- Extrême UV) et par les impacts de particules énergétiques provenant de la galaxie (rayons cosmiques) ou du Soleil. Une fois arrachés aux atomes neutres, les électrons produits par ces mécanismes d’ionisation peuvent être à nouveau « capturés » par les ions par des mécanismes de recombinaison. Le profil de densité d’électrons de l’ionosphère résulte donc de l’équilibre entre le taux d’ionisation et le taux de recombinaison.
Les magnétosphères planétaires
Tous les objets du système solaire sont autant d’obstacles à la propagation du vent solaire dans l’héliosphère. Ce vent arrive sur ces objets à des vitesses largement supérieures à la vitesse du son dans le plasma. Il se crée alors un choc en amont de l’obstacle, à travers lequel le plasma passe brutalement d’une vitesse supersonique à une vitesse subsonique. Pour les objets ne possédant pas de champ magnétique propre, le vent solaire bute directement sur le corps central ou sa haute atmosphère qui est alors entraînée dans son sillage. Dans le cas des planètes possédant un champ magnétique intrinsèque (Mercure, Terre, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune), c’est ce dernier qui constitue l’obstacle au vent solaire. Une cavité magnétique se creuse alors dans l’écoulement du plasma interplanétaire, abritant la planète et son atmosphère : c’est la magnétosphère. À l’intérieur de ce cocon protecteur, la dynamique des particules chargées est dominée par le champ magnétique planétaire. Il est isolé du milieu interplanétaire par la magnétopause, région limite où la pression magnétique du champ interne s’équilibre avec la pression dynamique du vent solaire. Entre le choc et la magnétopause se trouve la magnétogaine au sein de laquelle le flot du vent solaire est comprimé, ralenti et dévié. La forme de la magnétosphère est modelée par le vent solaire qui la compresse côté jour (on parle de « nez » de la magnétosphère) et l’étire côté nuit, formant ainsi la « queue » de la magnétosphère (figure 1.5). La taille de la magnétosphère dépend aussi bien de l’intensité du champ magnétique planétaire que de la densité du vent solaire à l’orbite de la planète. Les champs magnétiques équatoriaux à la surface de Saturne et de la Terre sont d’intensités comparables, mais la densité du vent solaire est beaucoup faible au niveau de l’orbite de Saturne : la magnétosphère kronienne est donc proportionnellement deux fois plus étendue que celle de la Terre (table 1.1). La forte intensité du champ magnétique de Jupiter et son éloignement du Soleil font de la magnétosphère jovienne la plus étendue du système solaire.
Sources de plasma dans les magnétosphères Bien que séparées du milieu interplanétaire par la magnétopause, les magnétosphères ne sont pas vides de plasma. Il existe différentes sources possibles de plasma magnétosphérique :
Le vent solaire. Dans le cadre de la magnétohydrodynamique (MHD) idéale , la cavité magnétosphèrique est totalement imperméable aux particules du vent solaire s’écoulant autour de la magnétopause. Dans la réalité, de nombreuses observations contredisent cette hypothèse : par exemple, l’activité des aurores terrestres semble fortement corrélée aux variations des paramètres du vent solaire (vitesse, pression dynamique . . .). Le modèle de « magnétosphère ouverte » de Dungey [Dungey 1961] permet de rendre compte qualitativement de ces observations. Ce modèle prédit que les lignes de champs magnétiques planétaires à haute latitude sont ouvertes et peuvent se reconnecter aux lignes de champs interplanétaires à travers la magnétopause. Cette connexion entre champ magnétique planétaire et interplanétaire permet à environ 1% du flux de matière du vent solaire de pénétrer dans la magnétosphère.
Les atmosphères planétaires. Les ionosphères sont des couches de plasma froid dans les hautes atmosphères planétaires. Les particules suffisamment énergétiques peuvent s’échapper de l’attraction gravitationnelle de la planète et venir alimenter le plasma magnétosphérique. La composition du plasma ionosphérique reflète la composition de l’atmosphère planétaire : le plasma ionosphérique terrestre sera essentiellement composé d’ions O+ tandis que celui des planètes géantes gazeuses sera constitué majoritairement d’ions H+.
Les satellites et les anneaux. Les anneaux ainsi que les satellites actifs ou inertes sont des sources importantes de plasma. L’érosion de la surface ou de l’atmosphère des satellites, ainsi que les phénomènes de volcanisme ou de geysers, injectent des particules de gaz neutres dans la magnétosphère. Ces particules sont alors ionisées par photodissociation ou par collisions avec les particules énergétiques du plasma magnétosphérique. Ainsi, le volcanisme d’Io injecte dans la magnétosphère Jupiter environ 10²⁸ ions/s (essentiellement S+ et O+) et autant d’électrons. Le criblage de la surface glacée d’Europe produit environ 10²⁷ ions/s. Dans la magnétosphère de Saturne, le cryovolcanisme d’Encelade, l’érosion de Titan et les anneaux sont les principales sources de plasma interne.
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Table des matières
INTRODUCTION
1 LES ONDES RADIO DANS LES ENVIRONNEMENTS PLANÉTAIRES
1.1 Les plasmas spatiaux
1.1.1 Qu’est-ce qu’un plasma ?
1.1.2 Où trouve-t-on des plasmas dans le système solaire ?
1.2 Les émissions radio naturelles dans le système solaire
1.2.1 Sursauts radio solaires
1.2.2 Émissions aurorales planétaires
1.2.3 Éclairs d’orages
1.3 De l’émission à la détection ?
2 PROPAGATION D’ONDES DANS LES PLASMAS FROIDS HOMOGÈNES
2.1 Cadre général
2.1.1 Différents modèles de plasma
2.1.2 Échelles caractéristiques des plasmas
2.1.3 Propagation des ondes radio dans les plasmas astrophysiques
2.2 Description d’un plasma froid, homogène et illimité
2.2.1 Description « conducteur » du plasma
2.2.2 Description « diélectrique » du plasma
2.2.3 Equivalence des deux approches
2.2.4 Equation du mouvement des particules dans un plasma froid
2.2.5 Limite isotrope d’un plasma non magnétisé
2.3 Ondes dans un plasma froid, homogène, illimité et non magnétisé
2.3.1 Relation de dispersion
2.3.2 Indice de réfraction
2.3.3 Courbes de dispersion
2.3.4 Vitesse de phase – vitesse de groupe
2.4 Ondes dans un plasma froid, homogène, illimité et magnétisé
2.4.1 Relation de dispersion
2.4.2 Indice de réfraction en propagation oblique
2.4.3 Coupures et résonances
2.4.4 Ondes principales
2.4.5 Courbes de dispersion en propagation oblique
2.4.6 Surfaces d’indice de réfraction
3 POLARISATION DES ONDES RADIO DANS LES PLASMAS FROIDS HOMOGÈNES
3.1 Détermination de la polarisation des ondes radio dans les plasmas froids, homogènes et magnétisés
3.1.1 Polarisation dans un plasma non magnétisé
3.1.2 Polarisation dans un plasma magnétisé
3.1.3 Polarisation au voisinage d’une coupure et d’une résonance
3.2 Polarisation des ondes principales
3.2.1 Propagation parallèle θ = 0
3.2.2 Propagation perpendiculaire θ = π2
3.3 Paramètres de Stokes
3.3.1 Ellipse de polarisation
3.3.2 Expressions des paramètres de Stokes
3.3.3 Paramètres de Stokes et rapports de polarisation
4 GONIOPOLARIMÉTRIE DES DONNÉES RADIO ET MAGNÉTIQUES LORS DE LA TRAVERSÉE DES SOURCES DU SKR PAR LA SONDE CASSINI
4.1 Principe des études goniopolarimétriques
4.1.1 Antennes dipolaires
4.1.2 Principe de la goniopolarimétrie
4.2 Goniopolarimétrie et mesure magnétiques
4.2.1 Principes des mesures magnétiques
4.2.2 Détermination des paramètres de Stokes dans le repère lié au plan de polarisation
4.2.3 Application aux données de traversées des sources du SKR par Cassini
4.2.4 Détermination de la direction de propagation
4.3 Conclusion
CONCLUSION