Réponse des oiseaux à la fragmentation
Les oiseaux forestiers sont affectés par les activités forestières qui peuvent entraîner l’augmentation de la fragmentation de leur habitat (Imbeau et al. 2001). Pour accéder à une même « quantité » d’habitats, ils doivent traverser des secteurs moins favorables pour leur survie et de longueur variable dépendamment du niveau de fragmentation. Dans le cas d’espèces de forêt mature, les coûts attribués aux déplacements sont significativement plus élevés suite à une augmentation des milieux ouverts (Bélisle 2005).
Toutefois, la sensibilité à la fragmentation, ou du moins à la superficie de leur habitat aux échelles allant du peuplement à la région entière, varie fortement entre les espèces d’oiseaux forestiers du nord-est de l’Amérique du Nord (Desrochers et al. 2010). Ces différents patrons de réponse ont été mis en relation avec des facteurs écologiques tels que le type de végétation (Parker et al. 2005), mais les raisons de ces variations sont encore mal connues. De plus, la quantification du degré de fragmentation pose un sérieux problème pour comparer la réponse de plusieurs espèces. Bien qu’il existe plusieurs indices pour calculer la fragmentation des forêts, comme l’indice de Jaeger (Jaeger 2000), aucun d’eux ne peut proposer une vue d’ensemble de la fragmentation des habitats, car la perception de la fragmentation varient fortement d’une espèce à l’autre. Un indice qui calculerait l’hétérogénéité du paysage donnerait une seule valeur pour un milieu donné. Or, des oiseaux de grandes forêts matures, comme le Grimpereau brun, Certhia americana, (Brand et George 2001), retrouvés dans un milieu hétérogène seraient effectivement pénalisés dans un habitat fragmenté, alors que des espèces opportunistes qui utilisent les bordures de peuplement, comme le Bruant à gorge blanche, Zonotrichia albicollis (Jobes et al. 2004), seraient favorisées dans ce même habitat.
La renaissance de l’écomorphologie
L’écomorphologie permet d’étudier les relations entre la morphologie, l’écologie et le comportement des individus (Cody et Diamond 1975). Cette discipline qui date de plusieurs décennies s’appuie sur le postulat que les différences morphologiques entre les espèces résultent des différences dans la capacité à performer des tâches pertinentes à la survie et à la reproduction (Losos 1990). Dépendamment de l’environnement et de la trajectoire évolutive des espèces, certains traits fonctionnels procurent un meilleur succès et sont sélectionnés. À l’échelle individuelle, ces traits, qui représentent des caractéristiques morphologiques, comportementaux ou physiologiques, affectent les performances de l’individu qui les possède (Violle et al. 2007). Ils peuvent varier considérablement au sein d’une même espèce. Ces variations peuvent ultimement mener à la formation de nouvelles espèces.
Nous assistons dernièrement à une renaissance de l’écomorphologie, sous le vocable anglophone trait-based ecology, tout particulièrement en écologie végétale (Escudero et Valladares 2016, Shipley et al. 2016). Très peu d’études ont utilisé cette approche en écologie animale, mais elle pourrait s’avérer très intéressante pour mieux comprendre l’écosystème et les interactions complexes qui existent entre les différents niveaux trophiques (Schleuning et al. 2015).
Les traits fonctionnels liés au vol chez les oiseaux
Idéalement, une analyse comparative axée sur l’écomorphologie devrait porter sur des taxons ayant subi une importante radiation évolutive, c’est-à-dire formée de plusieurs espèces différentes d’un point de vue morphologique, écologique et comportemental, et dont les relations phylogénétiques sont bien connues. Les oiseaux constituent le plus grand groupe de vertébrés terrestres actuel (Benson et Choiniere 2013). On suppose que leur succès évolutif est principalement dû à leur capacité de voler qui a permis à ce clade de se disperser et d’exploiter une grande variété d’environnements (Rayner 1988).
Bien que la morphologie des ailes soit fortement contrainte par des principes aérodynamiques (Corbin et al. 2013), plusieurs traits de cet organe peuvent varier substantiellement. Parmi ces traits on compte principalement le nombre, la longueur et la forme des rémiges. Les ailes sont allongées lorsque les rémiges secondaires sont nombreuses et courtes et que les primaires (rémiges distales) sont longues. Inversement, un petit nombre de longues rémiges secondaires et des rémiges primaires courtes entraînent une aile plus arrondie. Ces deux formes d’ailes extrêmes ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients. Une aile plus allongée permet un vol long, soutenu et plus rapide, mais une manœuvrabilité réduite (Bowlin et Wikelski 2008), et vice versa (Swaddle et Lockwood 2003)
Facteurs écologiques liés à la morphologie des ailes
La morphologie des ailes des oiseaux résulte principalement des défis posés par la migration et le mode alimentaire (Podulka et al. 2004). Le développement d’un comportement migratoire ou une augmentation de la distance de migration peuvent s’expliquer de différentes manières (Alerstam et Hedenstrom 1998, Boyle 2011, Freshwater et al. 2014), mais dans tous les cas ils entraînent une pression de sélection favorisant les individus qui possèdent une morphologie adaptée au vol long et soutenu (Mönkkönen 1995). Plusieurs études ont permis d’observer, parmi les différents comportements migrateurs au sein d’une même espèce, que les oiseaux qui migrent sur de longues distances ont tendance à avoir l’aile plus allongée que les résidents ou que ceux qui migrent sur de courtes distances (Mulvihill et Chandler 1990, Burns 2003, Peiro 2003, Hall et al.2004, Fiedler 2005, Mila et al. 2008, Baldwin et al. 2010, Rushing et al. 2014). Les études qui traitent du niveau interspécifique (Gaston 1974, Kaboli et al. 2007, Minias et al. 2015 et références citées par ces auteurs) vont dans le même sens, à l’exception d’une étude récente sur les hirondelles, dont le comportement alimentaire aérien contraste fortement avec les autres espèces étudiées (Huber et al. 2016). La relation entre la distance de migration et la forme des ailes des oiseaux nord-américains a longtemps fait l’objet de spéculations (Palmer 1900, Dilger 1956), mais très peu d’études ont posé un regard quantitatif sur cette question (Winkler et Leisler 1992).
La densité de végétation de l’habitat
L’influence de l’habitat sur la morphologie des ailes peut s’expliquer de plusieurs manières. Notamment, la présence de végétation dense, dans le cas d’une importante strate arbustive, obstrue l’habitat rendant les déplacements aériens ardus. Des espèces présentes dans ce type d’habitat doivent avoir une très bonne manœuvrabilité pour y circuler efficacement.
En effet, que ce soit au site d’hivernage ou de reproduction, les passereaux ont à effectuer des vols très courts et énergétiquement coûteux pour accomplir les tâches quotidiennes d’alimentation et de reproduction (Nudds et Bryant 2000). À ce jour, un certain nombre d’études se sont intéressées aux capacités de manœuvrabilité, en lien avec la fuite ou la poursuite, que semblent procurer de petites projections primaires. Certaines d’entre elles se sont basées sur la morphologie d’oiseaux capturés puis bagués (p.ex. Brewer et Hertel 2007, Fernandez et Lank 2007), alors que d’autres ont préféré utiliser des spécimens captifs, en volière (p.ex. Swaddle et Lockwood 2003). D’autre encore ont plus spécifiquement chercher à comprendre le lien entre la morphologie des ailes et le type d’habitat en supposant que les habitats plus encombrés entraînent des pressions de sélection favorable pour des ailes courtes et rondes (Forschler et al. 2008, Vanhooydonck et al.2009). Concernant les passereaux forestiers, Norberg (1979) avait déjà fait des recherches à large échelle sur différents aspects de leur morphologie et les différences écologiques qui les expliquent et était arrivé à des conclusions relativement similaires aux nôtres.
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Table des matières
Introduction générale
Réponse des oiseaux à la fragmentation
La renaissance de l’écomorphologie
Les traits fonctionnels liés au vol chez les oiseaux
Facteurs écologiques liés à la morphologie des ailes
Objectifs
Chapitre 1 : Can we infer avian responses to habitat loss and fragmentation from a trait-based analysis?
Introduction
Materials and methods
Study area
Primary projection of wings
Vegetation density
Breeding population density
Migration distance
Phylogenetic proximity
Statistical analysis
Results
Discussion
Acknowledgements
Conclusion générale
La distance de migration
La densité de végétation de l’habitat
Les limites de l’estimation de l’isolement
Les perspectives de l’écomorphologie
Bibliographie
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