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Les nucléosides dans la thérapie antivirale
Les nucléosides modifiés
Depuis la fin du XIXe siècle, des avancées spectaculaires ont été accomplies dans le traitement des infections virales. Jusque dans les années soixante, la stratégie prépondérante de lutte contre les infections virales reposait sur la vaccination qui permit d’endiguer les épidémies de rage, de poliomyélite et de variole.
Toutefois, la vaccination reste plutôt un mode de prévention, puisque dans la plupart des cas, elle ne peut pas servir pour traiter une infection. C’est dans ce contexte que la chimiothérapie antivirale a connu un intérêt grandissant ces trente dernières années, essentiellement avec le développement des analogues de nucléosides. En effet, plusieurs nucléosides modifiés sont aujourd’hui utilisés comme médicament notamment dans le traitement des maladies causées par le virus herpes simplex (HSV), le cytomégalovirus (CMV), le virus varicella zoster (VZV), le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), de l’hépatite B (VHB) et C (VHC). Toutefois, l’émergence de souches résistantes aux traitements existants, liée au caractère mutagène des virus, constitue aujourd’hui un sérieux problème pour l’avenir de la chimiothérapie antivirale.
C’est pourquoi la conception et la synthèse de nouveaux analogues de nucléosides restent toujours
d’actualité.
Les analogues de nucléosides stoppent la réplication virale sous leur forme triphosphate en inhibant la polymérase virale ou par effet terminateur de chaîne (Figure 4). En tant qu’unité structurale des acides nucléiques, les nucléosides triphosphates (NTP) sont substrats des enzymes polymérases qui catalysent leur polymérisation. La biosynthèse des NTPs est contrôlée par les kinases. Ainsi, la prise en compte des paramètres structuraux requis pour assurer l’interaction avec ces différentes enzymes est donc cruciale dans la conception des analogues de nucléosides. La base hétérocyclique constitue un site de choix pour préparer des nucléosides modifiés, car elle met en jeu de nombreuses interactions avec les kinases et les polymérases. Ainsi, les nucléobases modifiées peuvent fortement perturber le fonctionnement des enzymes impliquées dans la réplication virale. D’autre part, la partie ribose du nucléoside offre également de nombreuses possibilités dans le design de nucléosides à visée antivirales. Toutes ces modifications visent, d’une manière générale, à préparer des composés toujours plus sélectifs des enzymes virales afin de réduire les effets secondaires engendrés par la toxicité. Les nucléosides modifiés peuvent être classés dans différentes catégories en fonction du type de modification qui est apporté à leur nucléobase ou à leur partie osidique. Ci-dessous, les Figures 5 à 9 donnent un aperçu des nombreuses modifications apportées aux nucléosides à travers quelques exemples sélectionnés.
Les nucléosides à nucléobase modifiée et C-nucléosides
L’intérêt porté aux nucléosides modifiés remonte à la découverte du premier nucléoside aux propriétés antivirales par William Prussof, la 5-iodo-2′-déoxyuridine 1 (IDU) (Figure 5).4 À ce titre, les composés pyrimidiques présentant une modification en C5 forment aujourd’hui une famille particulièrement importante d’anti-herpétiques très actifs tel que le BVdU 2 (Brivudine). Cette famille sera développée plus en détail par la suite (Partie A : chapitre 2, p. 99). Les nucléosides peuvent également accueillir des bases azotées non naturelles. La ribavirine 3, par exemple, possède un noyau 1,2,4-triazole qui agit comme un analogue de la guanine. Ce composé est actuellement utilisé dans le traitement de l’hépatite C chronique en combinaison avec l’interféron α.5
La base hétérocyclique est habituellement reliée au ribose par une liaison N-glycosidique carbone-azote.
Dans le cas des C-nucléosides (4, 5) cette dernière est remplacée par une liaison carbone-carbone. Les Cnucléosides possèdent une plus grande stabilité physiologique, car ils ne sont pas affectés par les enzymes responsables de la coupure de la liaison N-glycosidique. De plus, cette famille de nucléoside n’est pas seulement d’origine synthétique puisque certains C-nucléosides tels que la pseudouridine6 4 et la showdomycine7 5 ont été isolés respectivement d’ARN humain et bactérien (Streptomyces showdoensis).
Bien que la pseudouridine et ses analogues synthétiques n’aient pas montré d’intérêt en tant qu’agent thérapeutique, ce C-nucléoside pourrait être utilisé comme biomarqueur dans le dépistage de certains cancers. 8 D’autre part, la showdomicine 5, possédant un cycle maléimide, présente des propriétés antibiotiques. Son activité serait associée à une inhibition du transport des nucléosides dans la cellule.9
Les nucléosides en série 2′,3′-déoxy
Les nucléosides en série 2′,3′-déoxy-ribosyle représentent une famille très développée parmi les nucléosides modifiés. Ils sont généralement associés à une activité antivirale par effet terminateur de chaîne du fait de l’absence de fonction hydroxyle en position 3′. Cette famille regroupe de nombreux inhibiteurs de transcriptase inverse qui sont notamment utilisés dans le traitement contre le VIH. Ainsi, on peut citer la zalcitabine 6 (2′,3′-didéoxy-cytidine, ddC), la zidovudine 7 (3‘-azido-3‘-déoxythymidine, AZT) substituée en 3′ par un groupement azido et la stavudine 8 (2′,3′-didehydro-2′,3′-dideoxythymidine, d4T) possédant une insaturation en 2′-3′ (Figure 6).
Les nucléosides à partie osidique modifiée
La partie osidique peut également accueillir diverses substitutions. À titre d’exemple, l’introduction d’un atome de fluor sur la position 2′ a produit une variété d’agents antiviraux tels que le FMAU 9 et plus récemment le Sofosbuvir 10 (Figure 7). Initialement connu pour son une activité anti-herpétique10, le FMAU a également révélé une activité anti-VHB significative.11 Le Sofosbuvir, quant à lui, est un puissant inhibiteur de la polymérase NS5B du VHC.12 Initiallement développée par Pharmasset, puis rachetée Giléad, cette molécule sous forme prodrogue phosphoramidate est actuellement en attente d’une autorisation de mise sur le marché en Europe et aux États-Unis (dépôt avril 2013) pour le traitement de l’hépatite C chronique en combinaison avec la ribavirine.
La transformation du cycle furanose en cycle à 3, 4 ou 6 chaînons a également donné des composés possédant des activités biologiques intéressantes. L’oxetanocin A 11 (OXT-A) est un antibiotique naturel produit par Bacillus megaterium qui possède la particularité d’inhiber l’infection des cellules T par le VIH-1 in vitro.13
Les carbanucléosides
Les carbanucléosides, autrement appelés nucléosides carbocycliques, forment une famille d’analogues de nucléosides dont l’oxygène du furanose est remplacé par un groupement méthylène. De la même façon que pour les C-nucléosides, cette modification contribue à la stabilité métabolique de la structure par une résistance face aux hydrolases. De plus, le changement conformationnel important occasionné par la disparition de l’effet anomérique n’empêche pas la phosphorylation des carbanucléosides par les kinases.
Les analogues carbocycliques possèdent des propriétés pharmacologiques très variées. La néplanocine A 13 est un analogue carbocyclique insaturé naturel isolé de Ampullariella regularis. Il possède un grand spectre d’activité antivirale et antitumorale notamment par inhibition de la SAH-hydrolase (voir p25) (Figure 8).14
D’autres dérivés carbocycliques tels que l’Abacavir 14 ou l’Entécavir 15 sont utilisés respectivement dans le traitement des infections virales liées au VIH et au VHB.
Les dérivés cyclohexènyles tels que le composé 15 sont également classés parmi les carbanucléosides. Les études de modélisation moléculaire et l’évaluation biologique ont démontré que ce type de noyau pouvait effectivement être considéré comme isostère du noyau furanose.15 Ces dérivés présentent une activité significative sur HSV-1, HSV-2, VZV, HCMV et VHB.
Les L-nucléosides
Les L-nucléosides sont les énantiomères synthétiques des D-nucléosides naturels. Longtemps négligé, le potentiel thérapeutique des L-nucléosides a été révélé par les travaux de Coates et al.16
et Schinazi et al.17 En effet ces derniers découvrirent que l’énantiomère L du 3TC 16 était plus actif et surtout moins toxique que le mélange racémique (Figure 9). Cette faible toxicité est due au fait que l’énantiomère L n’est pas un bon substrat des ADN polymérases cellulaires contrairement à l’énantiomère D. Ainsi, le mélange racémique est 650 fois plus actif sur les polymérases cellulaires que l’énantiomère L.18 De plus, cet énantiomère non naturel n’est pas reconnu par la deoxycitidine déaminase, qui est vraisemblablement responsable de l’activité anti- VIH réduite de l’énantiomère D.19 Toutefois, la supériorité de l’énantiomère L est loin d’être généralisable puisqu’à titre d’exemple, l’énantiomère L de l’AZT est 10 000 fois moins actif que l’énantiomère naturel D.20
Les acyclonucléosides
Les acyclonucléosides sont des analogues de nucléosides dont la partie osidique est remplacée par une chaîne acyclique. (Figure 10). L’émergence des structures acyclique a été sentie comme une nouvelle ère dans la thérapie antivirale après la découverte de l’acyclovir 18 (Zovirax©) par Gertrude Ellion, qui lui valut le prix Nobel de Médecine en 1988 (Figure 10). L’activité et la sélectivité sans précédent de cette structure acyclique pour le HSV, et d’autres virus à ADN21, ont été à l’origine de l’engouement qui a mené à la synthèse de divers autres acyclonucléosides. On peut notamment citer le Gancyclovir 19 et son analogue carbocyclique, le Pencyclovir 20, qui sont actuellement commercialisés pour le traitement des infections liées aux virus herpétiques (HSV, VZV, CMV). Toutefois ces composés acycliques souffrent d’une biodisponibilité orale relativement faible avec 20-25 % pour l’acyclovir et 2-7 % pour le Ganciclovir et le Pencyclovir.22 D’autre part, le (S)-DHPA 21, commercialisé sous forme de gel sous le nom Duvira©, est un analogue acyclique de l’adénosine qui est utilisée dans le traitement local de l’herpès labial (HSV-1).
Figure 10. Exemples d’acyclonucléosides approuvés.
La similarité structurale de cette famille avec les nucléosides naturels est nettement moins marquée. Du fait de leur flexibilité, les acyclonucléosides peuvent subir des arrangements stériques au contact de leur cible pour adopter la configuration requise par les enzymes. Le mécanisme d’action des acyclonucléosides est parfaitement identique à celui des nucléosides osidiques. Activés par les kinases sous leur forme triphosphate, les acyclonucléosides vont stopper la réplication de l’ADN par effet terminateur de chaîne ou par inhibition de la polymérase.
Les acyclonucléosides phosphonates (ANPs)
Le contournement de la première étape de phosphorylation, qui constitue l’étape limitante de la synthèse de la forme active nucléoside triphosphate, a longtemps été exploré notamment par la préparation des nucléosides modifiés sous la forme de sels 5′-mono ou 5′-triphosphate. Toutefois, cette stratégie s’est avérée infructueuse en raison de la dégradation rapide des composés par les phosphatases, mais aussi à cause de leur caractère polaire rendant difficile le passage de la membrane phospholipidique de la cellule.
Les recherches d’un motif isostère de la fonction phosphate, qui serait résistant à la dégradation par les enzymes, ont abouti en 1986 par la découverte des AcycloNucléosides Phosphonates (ANPs) par Antonin Holý.23,24 La structure des premiers ANPs est caractérisée par la présence d’un groupement phosphonate qui est lié à la chaîne acyclique via une liaison carbone-phosphore formant ainsi un acyclonucléoside méthoxyphosphonate 23 (Figure 11).
Contrairement aux liaisons esters des phosphates, la fonction phosphonate est très stable chimiquement et résiste aux estérases. Les ANPs, mimant la forme monophosphate, sont capables de contourner l’étape limitante de 1ère phosphorylation. Ainsi, ils nécessitent seulement deux phosphorylations pour obtenir la forme active diphosphate phosphonate équivalent à un triphosphate. Ce dernier est alors incorporé à l’ADN en cours d’élongation puis agit souvent comme terminateur de chaîne (Figure 12).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE A INTRODUCTION : NUCLEOS(T)IDES EN THERAPIE ANTIVIRALE
I. STRUCTURE ET MODE D’ACTION DES VIRUS
II. LES NUCLEOSIDES DANS LA THERAPIE ANTIVIRALE
1. Les nucléosides modifiés
2. Les acyclonucléosides
3. Les acyclonucléosides phosphonates (ANPs)
III. LES ANPS : 3 GRANDES FAMILLES
1. Les dérivés (S)-[3-hydroxy-2-(phosphonométhoxy)propyle (HPMP)
2. Les dérivés 2-(phosphonométhoxy)éthyle (PME)
3. Les dérivés (R)-2-(phosphonométhoxy)propyle (PMP)
IV. MODIFICATION DE LA CHAINE ACYCLIQUE
V. LES DAPYS : UNE NOUVELLE CLASSE D’ANPS
VI. LES CIBLES THERAPEUTIQUES
1. Les nucléosides phosphates kinase (NPKs).
2. Les polymérases
3. Autres cibles
VII. L’APPROCHE PRONUCLEOTIDE
CHAPITRE 1 : SYNTHESE D’ALKENYLES ACYCLO PHOSPHONONUCLEOSIDES
I. LES ALKENYLES ACYCLO PHOSPHONONUCLEOSIDES
1. La synthèse des alkényles acyclo phosphononucléosides
2. Les ANPs éthènyles
3. Les ANPs butènyles
4. Les ANPs pentènyles
II. TRAVAUX DU LABORATOIRE
III. NOS OBJECTIFS
IV. RAPPELS SUR LA METATHESE CROISEE
1. La réaction de métathèse
2. Mécanisme réactionnel
3. Présentation des catalyseurs au ruthénium
4. Modèle de sélectivité
5. La synthèse des oléfines tri-substituées
V. DEPROTECTIONS CHEMO-ENZYMATIQUES
VI. NOTRE TRAVAIL
1. Synthèse de 3′-hydroxyméthyl-butèn-2-yl phosphonates
2. Synthèse de dérivés 3′-méthyl-butèn-2-yl phosphonate portant une pyrimidine
3. Synthèse de dérivés 3′-méthyl-butèn-2-yl phosphonates portant une purine
VII. CONCLUSION ET PERSPECTIVES
CHAPITRE 2 : SYNTHESE ET EVALUATION ANTIVIRALE DE DERIVES C5-(1,3-DIYNE)-2′ DEOXYURIDINES
I. LES DERIVES PYRIMIDIQUES C5-SUBSTITUES
II. PRODUCTIONS DU LABORATOIRE
III. NOTRE OBJECTIF
IV. LES COUPLAGES ACETYLENIQUES DE TYPE 1,3-DIYNE : HOMO- ET HETEROCOUPLAGES
1. Couplages acétyléniques catalysés au cuivre
2. Couplages acétyléniques pallado-catalysés en présence de cuivre
3. Couplage acétylénique catalysé au nickel en présence de cuivre
V. LE MOTIF 1,3-DIYNE DANS LA CHIMIE DES NUCLEOSIDES
VI. NOTRE TRAVAIL : SYNTHESE DE DERIVES C5-(1,3-DIYNE)-2′-DEOXYURIDINES
1. Préparation de l’intermédiaire C5-éthynyle
2. Synthèse des analogues C5-(1,3-diyne) par hétérocouplage acétylénique
3. Évaluation antivirale
VII. CONCLUSION ET PERSPECTIVES
PARTIE B INTEGRASE DU VIH ET INHIBITEURS
I. L’INTEGRASE DU VIH
II. INHIBITEURS DE L’INTEGRASE ET Β-DICETOACIDES
1. Inhibiteurs de l’intégrase comme agent anti-VIH
2. L’inspiration par les dérivés β-dicétoacides
SYNTHESE DE DIHYDROPYRIMIDINES Β-DICETOACIDES CIBLANT L’INTEGRASE DU VIH
I. NOS OBJECTIFS
II. LES DIHYDROPYRIMIDINES (DHPMS) : VOIE D’ACCES ET POTENTIEL THERAPEUTIQUE
1. La réaction de Biginelli
2. Potentiel thérapeutique des DHPMs
III. NOTRE TRAVAIL
1. Schéma de rétrosynthèse
2. Synthèse des DHPMs
3. Aromatisation oxydante des DHPMs
4. Alkylation des dérivés aromatisés avec une aryle cétone
5. Développement de la série 2-thio
6. Synthèse des dérivés β-dicétoacides
7. Évaluation antivirale
IV. CONCLUSION ET PERSPECTIVES
CONCLUSION GENERALE
PARTIE EXPERIMENTALE
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ARTICLES ET COMMUNICATIONS DE L’AUTEUR
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