L’étude sur les nouveaux territoires des vins de Chinon est issue des conclusions du projet de recherche Vititerroir. Ce projet de recherche a mis en lumière deux communes (Panzoult et Cravantles-Coteaux) bénéficiant de l’AOC Chinon dont la production viticole s’est très fortement accrue depuis un siècle. Cette tendance s’est accompagnée d’une très forte appropriation patrimoniale de la production viticole. Il s’agit alors de savoir quels facteurs ont permis à ces deux communes de se démarquer fortement tant en termes de production de vin que de l’attachement fort qu’ont pu développer les habitants au fil des ans alors même que Cravant-les Coteaux et Panzoult ne sont pas des communes historiquement viticole. Dans un premier temps, le travail de recherche va retracer l’histoire de la production viticole des communes de Cravant-les-Coteaux et Panzoult et définir le processus de patrimonialisation. Ensuite, pour comprendre les raisons de la nouvelle impulsion de la production viticole, les liens existants entre territoire, patrimoine et développement local et plus précisément le lien entre le paysage (en tant que patrimoine) et le développement local seront étudiés. Enfin, la méthode de travail principale utilisée dans le cadre de cette étude sera la réalisation d’entretiens semi-directifs avec les acteurs clés de la production viticole et de sa valorisation. Ces questionnaires permettront de comprendre de qui vient la nouvelle impulsion dans la production viticole. Après avoir identifiés les acteurs, les entretiens permettront de comprendre comment s’est construit le récit patrimonial autour de l’AOC Chinon.
Le territoire d’étude
L’AOC Chinon
L’AOC Chinon et son vignoble font partie des vignobles du Val de Loire, situé en Touraine le vignoble s’est développé autour de la ville de Chinon et le long de la Vienne. L’appellation d’origine contrôlée Chinon date du décret du 31 juillet 1937 et concernait à l’époque 550 hectares répartis sur cinq communes. En 1996, le décret est modifié : l’aire de l’appellation est étendue à 18 communes d’Indre-et-Loire (Anché, Avoine, Avon-les-Roches, Beaumont-en-Véron, Chinon, Cravant-les Coteaux, Crouzilles, Huismes, l’Ile Bouchard, Ligré, Panzoult, Rivière, Roche Clermault, Saint-Benoît-la-Forêt, Savigny-en-Véron, Sazilly, Tavant, Theneuil) (Légifrance). En 2009, l’aire d’appelation s’étend sur 2 331 hectares et produit 115000 hectolitres de vin. Enfin, en 2016, le comité national de l’INAO intègre huit nouvelles communes dans l’aire d’appellation de l’AOC Chinon (Brizay, Candes Saint-Martin, Cinais, Couziers, Lerné, Saint-Germain-sur-Vienne, Seuilly, Thizay). L’AOC compte alors 26 communes et possède 2 400 hectares de production. Le territoire de l’AOC Chinon s’étend sur les deux rives de la Vienne et à la confluence de la Vienne et de la Loire.
Cravants-les-Coteaux et Panzoult
Cravant-les-Coteaux et Panzoult sont des communes de l’arrondissement de Chinon, dans le département Indre et Loire dans la région Centre- Val de Loire. Elles font parties de l’AOC Chinon depuis le premier décret de 1937. Panzoult et Cravant-les-Coteaux sont toutes deux très rurales, elles ont respectivement 551 et 696 habitants pour une densité de population de 16 hab/km² et 18,2 hab/km² (INSEE, 2015). L’agriculture occupe une part importante des activités des communes : à Panzoult les établissements agricoles, sylvicoles et piscicoles représentent 29,9% des établissements et 54,3% des postes salariés. Cravants-les-Coteaux a 39% de ses établissements et 77% de ses postes salariés dans le domaine de l’agriculture, de la sylviculture et de la pêche (INSEE 2015). L’activité viticole prend une place importante puisque Cravant-les-Coteaux recense 35 vignerons sur son territoire.
Afin de répondre à la question de recherche, il est nécessaire de comprendre les mécanismes inhérents au processus de patrimonialisation. Il faut tout d’abord savoir ce que désigne le patrimoine, sa définition ayant évoluée depuis son sens premier – étymologique- pour recouvrir aujourd’hui une multitude d’objets et de domaines. Il faut aussi comprendre ce qui explique les raisons de l’appropriation patrimoniale. En effet, un objet devient patrimoine grâce à la reconnaissance du groupe. Nous verrons enfin que la notion de patrimoine possède aussi une dimension économique: un objet patrimonialisé peut être un vecteur du développement économique de son territoire.
Etat de l’art
Le processus de patrimonialisation comme processus conscient
Définition du patrimoine
Le mot patrimoine vient du latin patrimonium qui signifie étymologiquement «ensemble des biens, des droits hérités du père» (CNRTL) ; dans son sens premier il désigne alors des biens privés, de famille. Cependant, dans sa définition actuelle, il désigne aussi « ce qui est considéré comme héritage commun d’un groupe » (Larousse dictionnaire). Ainsi, le patrimoine regroupe aussi des biens partagés par une communauté, c’est un héritage que le groupe ne possède pas mais en est dépositaire pour les générations futures (Di Méo, 2008). La notion de transmission est indissociable de la notion de patrimoine, dans la définition de patrimoine collectif c’est « une valeur commune dont on hérite la charge » (François et al., 2006). Le patrimoine crée un lien intergénérationnel pour le groupe social ; en étant composé de biens matériels mais aussi de valeurs, de savoir-faire, de connaissances, il possède alors une « dimension affective et symbolique » pour le groupe qui le lie à son origine et témoigne de valeurs transmises et d’une identité collectivement partagée (Di Méo, 2006). Nous pouvons voir que la définition de ce qui peut être patrimoine s’est élargie au fil du temps. C’est ce que Guy Di Méo désigne comme des « processus de glissements » qui ont permis d’ajouter des dimensions à la définition (Di Méo, 2008). Le premier glissement a déjà été abordé, il s’agit de l’élargissement de la définition ne comprenant plus seulement les biens familiaux mais aussi des objets collectivement reconnus et ayant une valeur symbolique pour la collectivité. Les deuxième et troisième glissements concernent l’élargissement à des objets du quotidien – possédant une valeur car associés à des représentations collectives d’une époque révolue- et à des valeurs immatérielles, idéelles. Les quatrième et cinquième glissements sont fondamentaux pour la définition du patrimoine dans le cadre de cette étude sur les territoires viticoles. Ils concernent l’introduction de la notion de patrimoine dans les territoires et la nature : les valeurs patrimoniales s’étendent spatialement, elles ne sont plus restreintes à des entités mais occupent des espaces de plus en plus étendus ; elles ne concernent non plus des entités créées par l’homme mais aussi l’environnement naturel. Ainsi,concernant le sujet d’étude : « les paysages viticoles et vinicoles ne revêtent leur plein sens patrimonial qu’en regard des organisations géographiques plus globales auxquelles ils participent » (Di Méo, 2008).
La patrimonialisation
Le patrimoine n’existe pas par lui-même, il est issu d’une construction sociale qui érige un objet au rang de patrimoine via la patrimonialisation (François et al.). La patrimonialisation est un processus conscient et volontaire d’identification et de mise en valeur d’objets matériels ou immatériels (valeurs, savoir-faire) qui possèdent aux yeux d’un groupe une certaine valeur (François et al., 2006). Ce processus a pour but de rétablir une continuité entre le présent et un monde passé, il permet d’assurer un lien intergénérationnel et de « (re)contruire un lien avec les hommes du passé » (Davallon, 2002). Il y a alors mobilisation, par un certain groupe, du processus de patrimonialisation, qui cherche par ce moyen à faire valoir un point de vue, à tirer un intérêt. L’enjeu de la patrimonialisation est de construire une ressource. Celle-ci va apporter aux instigateurs du processus une capacité identitaire, de valorisation ou de légitimation. La fonction identitaire va permettre de créer un lien social, de la distinction. La valorisation concerne les aspects économiques et financiers : des retombées monétaires dues à la patrimonialisation. La légitimation donne au groupe une plus grande possibilité d’intervention dans la politique publique grâce à la valeur et à l’appui conféré par l’objet patrimonialisé (Veschambre, 2007). Le processus de patrimonialisation peut être engagé par un acteur extérieur au monde viticole qui voit dans un territoire une capacité de développement et la possibilité de créer une singularité pour se distinguer (Crenn, Téchoueyres, 2005). On parle alors de « prophète patrimonial » (Bensa, 2001) ou de « prophète extérieur » (Di Méo, 1991) qui va déclencher le processus de patrimonialisation. Le but est de valoriser un patrimoine particulier, il faut alors créer de la distinction grâce à l’histoire locale qui pourra être contée. Il s’agit de « construire de la tradition » (Crenn, Téchoueyres, 2005) qui sera présentée à la population. C’est la participation de la population, la reconnaissance locale de l’objet comme patrimoine, qui participe à créer une identité collective et qui va alors légitimer le statut de patrimoine. Pour Gérard Althabe (1990) la population ne participe pas à l’élaboration du patrimoine mais c’est un produit qui leur est imposé et leur choix de le consommer ou non va renforcer la légitimité de ce patrimoine. François, Hirczak et Senil sont en accord sur le fait que le patrimoine est « une construction sociale » et qu’il n’existe que parce qu’un groupe lui a donné du sens et de la valeur. Cependant, pour eux, l’initialisation du processus ne vient pas forcement d’un acteur extérieur au territoire mais est engagée par les acteurs du territoire lorsqu’ils sont capables de « porter un regard neuf sur leur territoire » et de « trouver dans leur histoire, leur culture et leur identité une ressource présente mais non exploitée ». (François et al., 2005) Ils parlent ainsi d’une « révélation » qui va déclencher le processus de mise en valeur et identifient trois facteurs qui vont l’initier:
– Les conditions de départ
– La cause de la révélation
– L’opérateur de la révélation et de la valorisation de la ressource .
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Table des matières
I. Introduction
II. Questions de recherche : hypothèses et objectifs
III. Le territoire d’étude
1. L’AOC Chinon
2. Cravants-les-Coteaux et Panzoult
IV. Etat de l’art
1. Le processus de patrimonialisation comme processus conscient
i. Définition du patrimoine
ii. La patrimonialisation
2. Les raisons d’une forte appropriation territoriale
3. Le patrimoine comme moteur du développement local
4. Le paysage – en tant que patrimoine- comme moteur du développement local
i. Définition du paysage
ii. Le rôle du paysage patrimonialisé
5. Construction du patrimoine : exemples français et des pays du nouveau monde viticole
i. Le cas de la Bourgogne
ii. Amérique Latine : le cas du Chili
V. Etude de cas
1. Présentation du modèle VitiTerroir et de ses résultats
2. Le passé agricole des deux communes
VI. Méthode de collecte des données
1. Choix de la méthode : l’entretien semi-directif
2. Préparation des questionnaires
3. Evolution des questionnaires
VII. Résultats et analyse
1. Les acteurs et raisons de la « nouvelle » production viticole
2. La viticulture dans l’histoire de la commune
3. Les raisons de la forte appropriation patrimoniale
4. Le rôle du paysage dans le développement de l’activité viticole
VIII. Conclusion
IX. Bibliographie
X. Table des illustrations
XI. Annexes
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