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Les premières heures : neutrinos et interaction faible
La première observation des phénomènes induits par interaction faible remonte à la décou-verte de la radioactivité naturelle par Henri Becquerel en 1896 [3], découverte qui est à l’origine de nombreuses études sur les rayonnements émis — α, β et γ — dans les années suivantes. James Chadwick démontre en 1914 que le spectre d’énergie des électrons émis est continu [4], contrastant avec les spectres discrets d’énergies quantifiées des rayonnements α et γ. Comprise alors comme une décroissance à deux corps, la radioactivité β pose un problème théorique de taille, si bien que Niels Bohr ira jusqu’à émettre l’hypothèse que la conservation de l’énergie ne serait que statistique [5]. D’autres expliquent ce phénomène par l’émission d’un rayonnement γ non détecté — hypothèse écartée par les travaux de Lise Meitner et de Otto Hahn —, ou par des diffusions secondaires de l’électron dans le noyau.
En 1930, afin de résoudre ce problème vieux d’une vingtaine d’années, Wolfgang Pauli émet l’hypothèse dans une célèbre lettre ouverte [1] que deux particules seraient émises lors d’une désintégration β : un électron et un fermion neutre qu’il baptise neutron. Ce neutron aurait la particularité d’être de faible masse et d’interagir très peu avec la matière.
Après la découverte par James Chadwick de ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de neutron [6], Enrico Fermi renomme neutrino la particule de Pauli. Octobre 1933 marque la première mention du neutrino dans un document publié, les rapports du septième congrès Solvay.
En 1934, Fermi pose avec sa théorie de la décroissance β [7] le premier jalon vers une théorie de l’interaction faible ; il y intègre le neutrino. La décroissance du muon, découvert en 1937 [8, 9], conduira Bruno Pontecorvo à proposer l’extension de la théorie de Fermi aux muons en 1947 [10]. Cette universalité de la théorie de Fermi, développée par bien des auteurs dans les années suivantes, peut être considérée comme l’origine du concept des familles de leptons repris par le modèle standard.
Il faudra attendre 1956 pour observer la première détection expérimentale d’un neutrino, même si le succès indéniable de la théorie de Fermi laissait peu de place au scepticisme.
Mise en évidence expérimentale et développements
L’estimation de la faible probabilité d’interaction du neutrino avait convaincu certains de la possibilité qu’on puisse ne jamais l’observer [11]. Cependant, poussés entre autres par Ponte-corvo, Frederick Reines et Clyde Cowan cherchent au début des années cinquante à réaliser la détection des neutrinos. Leur choix se porte sur une réaction prédite par la théorie de Fermi, la réaction β inverse, ν¯ + p → n + e+, dont la faible section efficace constitue un défi pour les expérimentateurs. Après avoir imaginé utiliser l’explosion d’une bombe nucléaire comme source de neutrinos, ils s’installent finalement auprès du réacteur de Savannah River. Leur détecteur, segmenté, est constitué de volumes d’eau et de chlorure de cadmium entourés par du liquide scintillant équipé de tubes photo-multiplicateurs. La coïncidence entre la détection du positon et celle du neutron — par capture radiative sur le noyau de cadmium — permet d’identifier l’interaction d’un neutrino par la réaction β inverse. Ce concept sera promis à un grand avenir et constitue encore la base de beaucoup d’expériences actuelles. La comparaison entre les don-nées acquises pendant les périodes d’arrêt puis de fonctionnement du réacteur leur permet de conclure à la détection d’un flux de neutrinos [12, 13].
Dans le même temps, MM. Lee et Yang apportent les premiers la preuve que l’interaction faible viole la conservation de la parité [14], non seulement dans les désintégrations de kaons où cela avait déjà été observé, mais également dans les décroissances β, ce qui sera observé l’année suivante [15]. Cette violation de la parité conduit à la publication de nombreux travaux, dont ceux de Feynman [16] ou Landau [17], établissant une théorie dans laquelle les neutrinos ont une chiralité gauche tandis que les antineutrinos ont une chiralité droite, les deux étant non massiques. Cette hypothèse est immédiatement confortée par les résultats de MM. Goldhaber, Grodzins et Sunyar [18] qui mesurent la polarisation du neutrino dans la capture électronique de l’europium 152, 152Eu + e− → 152Sm∗ + ν, grâce à celle du photon dans la décroissance qui lui succède : 152Sm∗ → 152Sm + γ.
L’absence d’observation de certaines réactions conduit MM. Konopinski et Mahmoud à dé-finir un nombre leptonique L qui doit être conservé. Les leptons se caractérisent par un nombre L = 1 tandis que leurs antiparticules par L = −1. La violation de ce nombre leptonique n’a jamais pu être observée à ce jour. Cependant, cela ne suffit pas à expliquer l’absence d’autres ré-actions. Un second nombre leptonique est alors introduit caractérisant chaque famille de lepton, ce qui conduit Pontecorvo à postuler l’existence d’un second neutrino νµ, associé au muon [19]. Cette particule est observée en 1962 à Brookhaven [20] dans ce que l’on peut considérer comme la première expérience de neutrinos auprès d’accélérateurs.
L’année 1967 voit la définition du modèle standard appelé à durer : Weinberg [21] et Sa-lam [22] introduisent dans le modèle de Glashow [23] le mécanisme de Higgs [24, 25]. Ce modèle décrit les interactions fortes, faibles et électromagnétiques dans le cadre de la théorie quantique des champs. Les décennies qui suivent consacrent le succès du modèle standard par la découverte successive des différentes particules — quarks, leptons et bosons — qu’il avait prédites : en par-ticulier, pour ce qui concerne les neutrinos, de l’interaction par courant neutre [26], des bosons W± [27] et Z [28], du neutrino tau [29] ; jusqu’à l’observation récente d’un boson répondant à certaines propriétés du Higgs [30, 31].
D’autre part en 1989 la mesure au LEP de la largeur de désintégration du Z0 a permis de fixer à trois le nombre de neutrinos légers se couplant avec ce dernier [32].
En 1998, l’expérience Super-Kamiokande apporte la preuve de l’oscillation des neutrinos [33]. La première théorie de cette oscillation remonte à Pontecorvo en 1957 [34, 35], mais ce sont MM. Maki, Nakagawa et Sakata qui les premiers décrivent les leptons neutres comme un mé-lange d’états propres de masse [36], ouvrant la porte à une juste compréhension du phénomène dans les années suivantes. L’oscillation des neutrinos, associée aux résonances de l’effet de ma-tière — effet MSW pour Mikheev-Smirnov-Wolfenstein [37, 38] —, permet d’expliquer le déficit des neutrinos solaires observé depuis Homestake [39] dans les années soixante-dix et dans les ex-périences qui suivirent. Les paramètres des oscillations sont rapidement mesurés, à l’exception de l’angle de mélange θ13 dont l’expérience Chooz donne une limite supérieure en 2002 [40].
Dans le cadre de l’expérience Double Chooz, destinée à effectuer une mesure de précision de θ13, des travaux sont menés afin d’améliorer la prédiction des flux de neutrinos émis par la fission [41]. Ces résultats conduisent à la réanalyse des expériences effectuées auprès de ré-acteurs dans les décennies précédentes, révélant un déficit du taux de neutrinos détectés [42] ; déficit compatible avec celui observé lors de l’étalonnage du détecteur Gallex [43, 44] dans les années quatre-vingt-dix. Ceci peut être interprété comme une oscillation vers une quatrième saveur de neutrino, qui ne se couplerait pas avec l’interaction faible. En outre, les données et mo-dèle cosmologiques montrent une préférence pour un neutrino stérile léger, avec une contrainte supérieure pour sa masse de l’ordre de l’électronvolt [45].
Au-delà de l’existence d’éventuels neutrinos stériles, nombre de questions restent en suspens quant à la nature des neutrinos — particule de Dirac ou de Majorana — et à leur masse. De nombreuses expériences et de nombreux développements théoriques tentent actuellement d’y répondre.
Les neutrinos et le modèle standard de la physique des particules
Le modèle standard décrit les neutrinos comme des particules sans masse. Les expériences récentes ont montré, grâce à l’observation du phénomène d’oscillation, que cela n’était pas le cas. Après l’introduction du modèle standard, certaines extensions « minimales » seront présentées, extensions qui permettent de donner une masse aux leptons neutres.
Le modèle standard de la physique des particules
Le modèle standard constitue une théorie des interactions forte, faible et électromagnétique unifiant la mécanique quantique et la relativité restreinte. Il décrit les particules élémentaires et leurs interactions dans le cadre de la théorie quantique des champs. Au secteur de jauge « minimal » , qui définit ces interactions, est ajouté le secteur de Higgs qui rend compte de la masse des particules (cf. section 1.2.2).
Le modèle standard consiste en une théorie de jauge reposant sur le groupe local de symé-trie SU(3)C × SU(2)L × U(1)Y, où C, L et Y désignent respectivement la couleur, la chiralité gauche 1 et l’hypercharge. Ce groupe de jauge détermine les interactions et le nombre de leurs médiateurs, les bosons de jauge. Aux huit générateurs de SU(3)C correspondent huit gluons non massiques, vecteurs de l’interaction forte. Dans le modèle standard, interactions forte et électro-faible peuvent être étudiées séparément : la symétrie du groupe SU(3)C de la chromodynamique quantique n’est pas brisée et il n’y a pas de mélange avec le secteur électrofaible SU(2)L×U(1)Y, unifiant interactions faible et électromagnétique. En effet, les générateurs des groupes SU(2)L et U(1)Y forment quatre bosons non massiques qui, par la brisure spontanée de symétrie causée par le mécanisme de Higgs (cf. section 1.2.2), génèrent les trois bosons massiques W± et Z0 médiateurs de l’interaction faible et le photon, sans masse, responsable de l’interaction électro-magnétique.
Le modèle standard distingue les fermions, constituant la matière usuelle, des bosons. Les premiers sont des particules de spin demi entier qui obéissent à la statistique de Fermi-Dirac et au principe d’exclusion de Pauli. Les seconds sont de spin entier et obéissent à la statistique de Bose-Einstein. Les bosons se trouvent toujours dans un état symétrique vis-à-vis de l’échange de particule ; à l’inverse, les fermions ne peuvent s’y trouver que dans un état antisymétrique.
Les fermions se divisent en deux catégories : les quarks, qui sont soumis à toutes les inter-actions, et les leptons qui ne sont pas soumis à l’interaction forte. Les quarks ne peuvent être observés isolément, il sont confinés dans les hadrons dont les états de valence sont soit de trois quarks (baryon), soit d’un quark et d’un antiquark (méson). Trois familles composent les fer-mions, on parle de saveurs. Elles partagent des caractéristiques identiques à l’exception de la masse. Dans le secteur électrofaible, les particules élémentaires forment des doublets pour les champs de chiralité gauche et des singulets pour les champs de chiralité droite, de sorte que les fermions d’hélicités droite n’interagissent pas avec les bosons de jauge.
Les bosons de jauges sont de spin 1 tandis que le boson de Higgs a un spin nul. Le champ de Higgs est responsable de la masse des bosons de jauge de l’interaction faible comme de celle des fermions. Les états propres de saveurs des quarks — membres des doublets d’isospin faible — ne correspondent pas aux états propres de masse. La rotation permettant de passer d’une base d’états propres à l’autre a été formalisée par MM. Kobayashi et Maskawa [46], étendant le mécanisme à deux saveurs de M. Cabibbo [47]. Il est représenté par la matrice CKM à l’aide de trois angles de mélange et d’une phase qui constituent des paramètres libres du modèle qu’il faut déterminer par l’expérience.
Outre ces quatre paramètres, les trois constantes de couplage des groupes SU(3)C, SU(2)L et U(1)Y constituent aussi des paramètres libres. La violation de CP de l’interaction forte, est également associée à un tel paramètre. Les masses des fermions, quarks et leptons chargés — la masse des neutrinos est considérée nulle —, ne sont également pas déterminées. Enfin, le secteur de Higgs comprend deux paramètres : la masse du boson et la constante de couplage.
Le modèle standard, associé au mécanisme de Higgs, comporte donc dix-neuf paramètres libres qu’aucun principe fondamental ne contraint. Ils doivent être déterminés par des mesures expérimentales.
Malgré tous ses succès, le modèle standard ne constitue qu’une théorie effective. Il ne rend pas compte de la masse des neutrinos, bien que des extensions « minimales » puissent l’y inté-grer. En outre, l’unification avec la relativité générale reste à réaliser.
Masse des particules dans le modèle standard
Une théorie quantique des champs relativistes de jauge ne peut contenir de terme de masse, qui viendrait briser la symétrie de jauge. Un mécanisme spécifique doit donc lui être ajouté afin de donner une masse aux bosons et, par le couplage de Yukawa, aux fermions, ce que réclament les observations expérimentales. Ce mécanisme associé au modèle standard est le mécanisme de Higgs.
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Table des matières
I De la physique des neutrinos
1 Du postulat au renouveau de la physique des neutrinos
1.1 Historique
1.2 Les neutrinos et le modèle standard de la physique des particules
1.3 Oscillation des neutrinos
2 Situation expérimentale : masses et paramètres de mélange
2.1 Paramètres des oscillations de saveurs
2.2 Masses absolues et hiérarchie
2.3 Neutrinos stériles
II Double Chooz à la recherche de θ13
1 De la source au signal
1.1 Principes de l’expérience Double Chooz
1.2 Détecteurs
1.3 Analyse de l’expérience Double Chooz
2 Reconstruction des événements et simulation du détecteur
2.1 Chaîne d’analyse des données et reconstructions
2.2 Étalonnage
2.3 Simulations Monte-Carlo
3 Candidats ¯e et bruits de fond
3.1 Sélection des candidats ¯νe
3.2 Bruit lumineux généré par les photo-multiplicateurs
3.3 Bruits de fond accidentels
3.4 Bruits de fond corrélés
3.5 Mesure du bruit de fond lors des périodes d’arrêt des réacteurs
4 Incertitudes liées à la physique du neutron
4.1 Efficacité de détection et effets de bord
4.2 Évaluation des systématiques associées
4.3 Conclusion et perspectives
4 Sommaire
5 Ajustement du paramètre de mélange 13
5.1 Prédiction des spectres ¯νe des réacteurs
5.2 Incertitudes
5.3 Définition du χ2
5.4 Résultats de l’ajustement de
III Projet Stereo
1 Genèse du projet
1.1 Travaux autour de l’anomalie réacteur
1.2 Stratégie de mise en évidence expérimentale d’éventuels neutrinos stériles
1.3 Potentiel de découverte de Stereo
2 Caractérisation du site de l’Institut Laue-Langevin
2.1 Site du réacteur de l’Institut Laue-Langevin
2.2 Bruits de fond : mesures sur site
3 Développement du projet
3.1 Détecteur Stereo
3.2 Perspectives
Conclusion
Bibliographie
A Acronymes
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