Le neutrino, après avoir été postulé par W. Pauli en 1930 pour expliquer le spectre continu de la désintégration radioactive β, ne fut découvert qu’en 1956 par C. Cowan et F. Reines. Cette longue attente s’explique par le fait que ces neutrinos ont un caractère très fantomatique : une épaisseur d’une année-lumière de plomb suffit à peine pour arrêter la moitié des neutrinos de basse énergie la traversant ; un détecteur de plusieurs (kilo-)tonnes n’est donc qu’une simple passoire pour eux. Depuis, l’existence de trois saveurs de neutrinos (électronique, muonique et tauique) et des anti-neutrinos correspondants a été confirmée, ils viennent donc parfaitement compléter le Modèle Standard de la physique des particules. La physique des neutrinos aurait pu s’arrêter à ce moment, mais l’Univers en a décidé autrement. Les neutrinos, non contents d’être produits avec une saveur donnée, peuvent changer de saveur entre leur production et leur détection : il s’agit du phénomène d’oscillation. Mais, alors que le Modèle Standard s’accommodait de neutrinos de masse nulle, les oscillations imposent que ceux-ci aient une masse, même si celle-ci est environ un million de fois plus petite que celle de l’électron. Il est donc nécessaire d’étendre d’une certaine façon le Modèle Standard afin d’expliquer ces masses. Ce problème fait encore se questionner les théoriciens et les expérimentateurs et n’a, jusqu’à ce jour, pas trouvé de réponse définitive.
L’une des propositions les plus acceptées consiste à introduire trois nouveaux états de neutrinos dits lourds, qui permettrait d’expliquer naturellement la masse des neutrinos légers par un mécanisme de seesaw (« de balançoire »). De plus, l’un d’eux pourrait être un parfait candidat pour la matière noire, une autre des énigmes auxquelles l’Univers ne nous a pas dévoilé de réponse définitive pour le moment. Enfin, des neutrinos lourds avec une masse comprise entre 0.1 et 100 GeV/c² pourraient expliquer pourquoi l’Univers est en grande majorité constitué de matière plutôt que d’antimatière, ou de manière plus métaphysique, pourquoi nous sommes là, à la place d’un Grand Vide. La réponse résiderait dans l’existence de phases de violation de la symétrie Charge-Parité (CP) dans le secteur des leptons, combinée avec le couplage très faible des neutrinos lourds, ce qui leur permettrait de se trouver hors de l’équilibre thermique, condition nécessaire pour la génération de l’asymétrie.
Physique des neutrinos
La connaissance scientifique possède en quelque sorte des propriétés fractales : nous aurons beau accroître notre savoir, le reste – si infime soit-il – sera toujours aussi infiniment complexe que l’ensemble de départ. Isaac Asimov .
Les neutrinos dans le Modèle Standard
Le neutrino est une particule élémentaire, sans structure interne et sans charge électrique, uniquement sensible aux interactions faible et gravitationnelle. Leur description, ainsi que celle de leurs oscillations et de leurs interactions, sont particulièrement détaillée dans notre modèle actuel de la physique des particules. Leurs propriétés ont également été mesurées et mises en avant expérimentalement à maintes reprises.
La découverte des neutrinos
Historique
L’existence du neutrino fut suggérée pour la première fois en 1930 par W. Pauli [1] afin d’expliquer le spectre en énergie de la désintégration radioactive β, observé par J. Chadwick dès 1914. L’état de l’art de l’époque laissait supposer qu’il s’agissait d’une simple désintégration à deux corps n → p + e⁻ et donc que l’électron était émis avec une énergie fixe E0 ; or, il fut observé que son spectre était continu avec 0 < Ee < E0.
Afin de ne pas renoncer au principe de conservation de l’énergie et de l’impulsion, Pauli proposa l’existence d’une particule de masse très faible (supposée nulle), de charge nulle et de spin 1/2, et interagissant très faiblement avec la matière, qui serait également émise lors de la désintégration β. Elle doit son nom à E. Fermi, «neutrino » signifiant « petit neutron » en italien, le neutron tel qu’on le connaît aujourd’hui ayant été découvert en 1932 par J. Chadwick. Il a fallu attendre vingt cinq ans, jusqu’en 1956, pour que Cowan et Reines [2] observent pour la première fois le neutrino, par la désintégration bêta inverse νe+p → e⁺+n dans une grande cuve contenant 4200 litres de liquide scintillant, placée près du réacteur nucléaire de Savannah River (USA), ce qui valut le prix Nobel à Reines en 1995. Le signal était clairement identifié par la détection à quelques µs d’intervalle de deux photons de 511 keV issus de l’annihilation du positron d’une part et d’un signal de la capture du neutron après diffusion multiple dans le liquide d’autre part.
Trois saveurs de neutrinos furent graduellement découvertes : le neutrino électronique νe (1956), le neutrino muonique νµ (expérience de Brookhaven [3], 1962) et le neutrino tauique ντ . Les expériences auprès du LEP au CERN ont montré qu’il n’y avait pas plus de trois saveurs de neutrinos (d’une masse inférieure à mZ/2) se couplant au boson Z dans le Modèle Standard : on s’arrêtera donc à trois neutrinos actifs.
Les oscillations des neutrinos
Découverte
Après la première observation des neutrinos en 1956, ceux-ci n’avaient pas encore fini de surprendre les physiciens de la fin du XXe siècle. A la fin des années 60, l’expérience Chlorine [7] (mine d’Homestake, Dakota du Sud, USA) se dédia à la mesure du flux des neutrinos électroniques produits dans le Soleil (lors des réactions de fusion), en utilisant un réservoir de 400 m3 de C2Cl4 et la réaction bêta inverse sur le Chlore (Cl + νe → Ar + e⁻). Le flux de neutrinos était estimé en comptant le nombre d’atomes radioactifs d’Argon dans le réservoir après une exposition typique de 60-70 jours. L’expérience mesura trois fois moins de neutrinos électroniques que prédit par le modèle standard solaire :
φmesuré ∼ 0.3 × φattendu
Cette observation est à l’origine de ce qui fut appelé par la suite le problème des neutrinos solaires. Elle fut confirmée par les expériences suivantes : Gallex [8], Sage [9], Kamiokande [10]… L’hypothèse selon laquelle le modèle du Soleil était erroné fut rejetée par les avancées en physique solaire (en particulier en héliosismologie). Une des explications restantes consistait donc en l’existence d’un phénomène d’oscillation des neutrinos de la saveur électronique vers une autre saveur (non détectables par les expériences précédentes) lors de leur trajet entre leur point de production dans le Soleil et leur détection sur Terre.
Interactions des neutrinos avec la matière
La découverte des oscillations et les mesures de précision actuelles sont rendues possibles grâce à l’interaction des neutrinos avec la matière et en particulier avec des noyaux atomiques. Il est possible de distinguer les interactions par courant chargé (où un lepton chargé de même saveur que celle du neutrino est émis) et les interactions par courant neutre (où le neutrino est encore présent dans l’état final). Il existe différents régimes d’interaction selon l’énergie du neutrino Eν. Plus son énergie est élevée, plus le neutrino pourra sonder des structures fines de la matière :
➢ Eν < 0.1 GeV : le neutrino peut interagir avec un noyau atomique dans sa globalité
➢ Eν ∼ 0.1 − 20 GeV : il pourra interagir avec un (ou plusieurs) des nucléons du noyau
➢ Eν > quelques GeV : le neutrino a suffisamment d’énergie pour résoudre les quarks individuels d’un nucléon et donc éventuellement briser ce dernier .
Dans le cadre de l’expérience T2K et donc de cette thèse, le faisceau de neutrinos utilisé est principalement composé d’(anti-)neutrinos muoniques avec une énergie entre 0.1 et 10 GeV. Le signal recherché dans le détecteur consiste dans la majorité des cas à l’identification d’un muon.
|
Table des matières
Introduction
1 Physique des neutrinos
1 Les neutrinos dans le Modèle Standard
1.1 La découverte des neutrinos
1.2 Les oscillations des neutrinos
2 Interactions des neutrinos avec la matière
2.1 Diffusion quasi-élastique neutrino-noyau
2.2 Production résonnante de pion
2.3 Production cohérente de pion
2.4 Diffusion profondément inélastique
2.5 Effets nucléaires
2.6 Résumé des interactions des neutrinos
2.7 Différences entre les interactions des neutrinos et des antineutrinos
3 Masse et nature des neutrinos
3.1 Neutrino de Dirac
3.2 Neutrino de Majorana
3.3 Comparaison des termes de Dirac et de Majorana
3.4 Contraintes expérimentales
4 Neutrinos lourds
4.1 Motivations théoriques et expérimentales
4.2 Le mécanisme de seesaw
4.3 Les neutrinos au GeV et le modèle νMSM
4.4 Contraintes expérimentales actuelles
5 Futur de la physique des neutrinos
5.1 Questions ouvertes
5.2 Les expériences futures
5.3 Prospectives pour la recherche de neutrinos lourds
2 L’expérience T2K
1 Introduction
2 Le faisceau de neutrinos
2.1 Principe de fonctionnement
2.2 Réalisation
2.3 Simulation du flux et incertitudes
2.4 Performances
3 Le détecteur proche sur l’axe : INGRID
4 Le détecteur proche hors de l’axe : ND280
4.1 Réalisation et composition
4.2 Les chambres à projection temporelle (TPC)
4.3 Performances globales de ND280
5 Le détecteur lointain : Super-Kamiokande
6 Mesure des paramètres d’oscillation des neutrinos
3 Étude de la mise à niveau du détecteur proche ND280
1 Introduction
1.1 Le futur de T2K
1.2 Le nouveau détecteur proche
2 Simulation et reconstruction
2.1 Simulation du détecteur
2.2 Pseudo-reconstruction
3 Premières études
3.1 Sélection d’interactions de νµ par courant chargé
3.2 Identification du mode d’interaction par séparation en topologie
3.3 Sélections des muons contenus dans la cible
4 Études complémentaires
4.1 La nouvelle cible doit-elle contenir de l’eau ?
4.2 Quelle résolution pour les compteurs de temps de vol ?
5 Conclusion
4 Interactions dans les murs des TPCs
1 Introduction
1.1 Motivations
1.2 Les murs des TPCs
1.3 Stratégie
1.4 Variables cinématiques transverses
1.5 Objectifs de l’analyse
2 Sélection
2.1 Coupures
2.2 Systématiques
2.3 Efficacité et pureté de la sélection
2.4 Performances en terme de résolution
3 Résultats
4 Conclusion et prospectives
Conclusion