Les nématodes des sols
Ecologie des nématodes
Les nématodes sont des eucaryotes multicellulaires (métazoaires triploblastiques pseudo coelomates) de petite taille, généralement de 0,25 à 3 mm (Siddiqi, 1986) qui vivent dans les films d’eau entourant les particules du sol (Arpin et al., 1980; Nicholas, 1975). Les nématodes sont des petits vers ronds, à symétrie bilatérale (Nicholas, 1975), incolores et généralement transparents (Peters, 1955), et dont le corps est recouvert par une cuticule (Goodey, 1951). Les nématodes ont toujours une reproduction sexuée (amphimictique, parthénogénétique ou par hermaphrodisme) et un cycle de vie constitué d’un stade œuf suivi par quatre stades juvéniles séparés par des mues et un stade adulte (Byerly et al., 1976). Ils peuvent être ovipares, ovovivipares ou vivipares. Ils ne présentent pas de systèmes respiratoire ni circulatoire.
Ils représentent un groupe monophylétique très diversifié comptant environ 28 000 espèces décrites et une richesse spécifique estimée entre 100 000 et 500 000 espèces, ce qui en fait l’un des groupes les plus diversifiés du règne animal sur terre (Lambshead, 1993). Les nématodes ont colonisé tous les milieux aquatiques, marins et limniques, les milieux terrestres, les sols très humides aux plus secs, les mousses et les lichens, les plantes supérieures et les animaux. Ils sont ubiquistes et très bien adaptés aux conditions du milieu.
Ils sont également présents dans des milieux extrêmes tels que l’Antarctique et les déserts. En effet, les nématodes sont capables, via la diapause (forme de vie ralentie), de survivre aux périodes défavorables de l’environnement (variations saisonnières de l’habitat, gel, déshydratation) (Nicholas, 1975; Bongers, 1990). Arpin et al. (1980) ont considéré que 85% des nématodes étaient eurytopes (sans exigence spécifique). Toutefois certaines espèces ont une localisation préférentielle (Arpin et al., 1980). Par exemple, un bon nombre de Rhabditidae et Cephalobidae abondent dans les milieux riches où la matière organique se décompose rapidement alors que les Monhysteridae sont caractéristiques des sols humides marécageux (Arpin et al., 1980). D’autres nématodes ont une préférence pour certains facteurs environnementaux (Bongers, 1990). Les nématodes de la classe Secernentea sont généralement moins sensibles aux polluants que ceux de la classe Adenophorea (Zullini 1976; Jacobs 1987). Les nématodes appartenant aux familles des Rhabditidae, Panagrolaimidae, Diplogastridae et Monhysteridae ont un taux de reproduction et une capacité de colonisation élevés, sont faciles à mettre en culture et sont peu sensibles voire insensibles aux polluants (Bongers, 1990). Ces familles sont également capables de survivre à la raréfaction de nourriture (Bongers, 1990).
La densité de nématodes libres dans les sols est de l’ordre de 1.000.000 à 5.000.000 individus.m-2 avec une concentration de la population dans les 10 premiers centimètres du sol (Arpin et al., 1980). Dans le cadre d’une étude menée sur les hautes terres de Madagascar, Villenave et al. (2009a) ont montré que la densité de nématodes variait en fonction du mode d’usage du sol (semis direct avec restitution des résidus de récolte, ou labour avec exportation des résidus de récolte dans une rotation de soja/riz) (Figure 1).
Les groupes trophiques et stratégies de vie
Les nématodes présentent une grande diversité de régime alimentaire. D’une manière synthétique, ils sont répartis en différents groupes ou guildes trophiques en fonction de leur comportement alimentaire (Yeates et al., 1993). La différenciation des groupes trophiques se fait au niveau de la morphologie de la cavité buccale (ou stoma) et du pharynx (Bongers and Bongers, 1998) et d’observation en conditions contrôlées (Figure 2).
Les phytophages se nourrissent de plantes et sont dotés d’un stomatostylet creux pourvu de trois protubérances à sa base (les boutons basaux) ou d’un odontostylet également creux (Yeates et al., 1993). Les fongivores perforent les tissus mycéliens, pour en aspirer le contenu, à l’aide d’un stomatostylet ou d’un odontostylet selon les espèces (Arpin et al., 1980; Yeates et al., 1993). Les bactérivores se nourrissent de cellules procaryotes qu’ils ingèrent grâce à leur cavité buccale en forme de tube ou d’entonnoir qui peut être large ou étroite selon les espèces (Yeates et al., 1993). Les prédateurs (ou carnivores) sont dotés soit d’un stylet, le plus souvent d’un odontostylet ou d’une large cavité buccale fortement sclérotisée avec des dents perforatrices. Ils se nourrissent d’invertébrés (protozoaires, nématodes, rotifères) (Arpin et al., 1980; Yeates et al., 1993). Les omnivores ont une alimentation diversifiée et se nourrissent à tous les niveaux trophiques de la chaîne alimentaire (Yeates et al., 1993). Il s’agit essentiellement de nématodes portant un odontostylet.
En fonction de leur stratégie de développement (stratégie r à K1 ), les nématodes terrestres ont également été classés selon un gradient démographique allant des taxons « colonisateurs » aux taxons « persistants » (Bongers, 1990). Les nématodes colonisateurs, très abondants dans le sol, sont caractérisés par un cycle de vie court, un taux de reproduction élevé, une capacité de colonisation élevée et une grande tolérance aux perturbations tels que l’eutrophisation et l’anoxie (Bongers, 1990). Ils ont des gonades volumineuses et libèrent un grand nombre de petits œufs. Les nématodes persistants sont quant à eux caractérisés par un taux de reproduction faible, un cycle de vie long, une faible capacité de colonisation et une grande vulnérabilité aux perturbations (Bongers, 1990). Ils ont de petites gonades mais produisent de grands œufs. Une valeur de « cp » (gradient colonisateurpersistant) allant de 1 à 5 a été assigné à chaque genre et famille de nématodes (Bongers et al., 1995; Bongers et al., 1998):
cp-1: Les nématodes cp-1 sont des nématodes opportunistes caractérisés par un cycle de vie court, une activité métabolique élevée et une tolérance au stress et à la pollution. Ces nématodes produisent des petits œufs en grande quantité. Lorsque l’activité microbienne diminue, ces nématodes passent à l’état dauer, stade de développement alternatif plus résistant aux conditions dégradées de l’environnement.
Ce groupe est composé, entre autres, par les Rhabditidae, Diplogastridae et Panagrolaimidae.
cp-2: Les nématodes cp-2 sont caractérisés par un cycle de vie court, un taux de reproduction élevée et une tolérance à la pollution et aux perturbations. Ils sont peu sensibles à la disponibilité de nourriture. Contrairement aux cp-1, les nématodes cp-2 n’ont pas la capacité de passer à l’état dauer. Ce groupe est composé, entre autres, par les Aphelencoidae, Cephalobidae et Plectidae.
cp-3: Les nématodes cp-3 ont des caractéristiques intermédiaires entre les cp-2 et cp-4. Ils sont caractérisés par un cycle de vie plus long et sont relativement sensibles aux perturbations. Ce groupe est composé, entre autres, par les Chromadoridae, Desmodoridae et Teratocephalidae.
cp-4: Les nématodes cp-4 sont caractérisés par un cycle de vie long, une cuticule perméable et une sensibilité aux polluants. Ce groupe est composé, entre autres, par les Alaimidae, Dorylaimidae et Trichodoridae.
cp-5: Les nématodes cp-5 sont caractérisés par un cycle de vie long, un taux de reproduction faible, une faible activité métabolique et une faible mobilité. Ils produisent des grand œufs mais en faible quantité. Leur cuticule est perméable, ce qui les rend très sensibles aux polluants et aux perturbations. Ce groupe est composé, entre autres, par les Thornenematidae, Discolaimidae et Nygolaimidae.
Les nématodes bactérivores
D’un point de vue taxonomique, les nématodes bactérivores sont les plus diversifiés à l’échelle de la famille. Parmi toutes les familles listées par le nématologiste Howard Ferris sur le site internet Nemaplex (http://nemaplex.ucdavis.edu/Ecology/bioindicators.htm), 54% sont classées parmi les bactérivores. Au sein de ce groupe, il existe une grande diversité morphologique de la cavité buccale (Figure 3), leur permettant d’exploiter différentes ressources bactériennes. Des travaux de Paul De Ley montrent comment la diversité des pièces buccales de 12 espèces de Cephalobidae, en particulier les probolae labiaux et céphaliques, autorise la coexistence de ces espèces au sein d’un même sol sableux au Sénégal en limitant la compétition interspécifique (De Ley, 1992).
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Table des matières
Introduction générale
I. Contexte et problématique
II. Etat de l’art
1. Les nématodes des sols
Ecologie des nématodes
Les groupes trophiques et stratégies de vie
Les nématodes bactérivores
2. Fonctions portées par les nématodes bactérivores
Effets sur les communautés microbiennes
Effets des nématodes bactérivores sur la disponibilité des nutriments
Mécanismes potentiels impliqués dans l’amélioration de la disponibilité des nutriments en présence des nématodes bactérivores
Effets des nématodes bactérivores sur les fonctions de la plante
Mécanismes potentiels impliqués dans l’amélioration des fonctions de la plante en présence de bactérivores (nématodes et protozoaires)
Déterminants des effets des interactions bactéries – nématodes bactérivores sur la disponibilité des nutriments et les fonctions de la plante
3. Approches méthodologiques pour appréhender les effets des bactérivores (protistes et nématodes) sur la disponibilité des nutriments et les fonctions de la plante
III. Objectifs et hypothèses
1. Premier sous-objectif
2. Second sous-objectif
3. Troisième sous-objectif
IV. Organisation du manuscrit
Conclusion générale