Depuis le début de XXIe siècle, les nanoparticules suscitent l’intérêt de nombreux chercheurs du fait des nouvelles propriétés physiques qu’elles amènent sur un large domaine d’applications. Parmi elles, il existe les nanoparticules bimétalliques, issues de l’association de plusieurs métaux. L’association de ces métaux permet de combiner les propriétés physiques de chaque métal, créer de nouvelles propriétés, optimiser une propriété déjà existante ou encore préserver une propriété de l’environnement extérieur. De ce fait, les nanoparticules bimétalliques sont particulièrement intéressantes car elles permettent une grande modulation des propriétés physiques souhaitées. La nature des métaux choisis, leur distribution au sein de la nanoparticule ainsi que leur structure cristalline sont des paramètres déterminants dans le choix de ces propriétés. Tous ces paramètres peuvent être influencés par la taille des nanoparticules ou encore le mécanisme de croissance de ces dernières, c’est pourquoi il est nécessaire de contrôler la croissance ainsi que la morphologie des nanoparticules bimétalliques afin de maîtriser les propriétés physiques et le comportement avec le milieu extérieur de ces dernières.
Les nanoparticules bimétalliques
Depuis le vingtième siècle, les nanotechnologies suscitent un fort engouement dû au fait que les nanoparticules ont des propriétés innovantes car différentes de celles des matériaux massifs. Une nanoparticule est une particule dont au moins une de ses trois dimensions est de l’ordre du nanomètre (<100nm), cette taille nanométrique crée de nouvelles propriétés physiques liées aux effets de surface. En effet, le rapport surface/volume est bien plus grand dans un nano-objet que dans un matériau massif. Bien que les nanoparticules peuvent être de différentes natures (oxydes ou semi-conducteurs), dans cette thèse nous nous intéresserons uniquement aux nanoparticules métalliques.
Lors de l’élaboration de nanoparticules, il est possible de jongler sur différents paramètres tels que la nature chimique, la taille finale, la morphologie… afin de pouvoir moduler les propriétés physiques souhaitées. Dans le but de combiner ou d’améliorer les propriétés, il est également possible d’élaborer des nanoparticules bimétalliques, c’est à dire composées de deux éléments métalliques différents.
Choix des métaux et applications visées
Une nanoparticule bimétallique est une nanoparticule composée de deux métaux. L’association de ces deux métaux peut avoir plusieurs buts, qui seront développés dans ce qui suit.
Optimiser une propriété déjà existante
Dans certains cas, l’association de deux métaux permet de renforcer une propriété physique présente grâce à la présence des deux métaux. En effet, les nanoparticules bimétalliques ont dans de nombreux cas été synthétisées afin de moduler les propriétés optiques et magnétiques, qui sont des propriétés très recherchées pour des applications de type médical telles que le diagnostique, l’imagerie, le « drug-delivery » ou pour la thérapie [1-3].
Concernant les propriétés optiques, l’or, l’argent et le cuivre sont des matériaux de choix grâce à leur résonance plasmon de surface [4]. La résonance des plasmons de surface est un phénomène causé par l’interaction lumière-matière majoritairement utilisée pour mesurer la liaison d’une molécule accrochée à la surface d’un métal grâce à un récepteur. Lorsqu’une onde électromagnétique est envoyée sur un métal, les électrons de conduction de ce métal vont subir une oscillation forcée par le champ électrique incident [5]. Dans le cas de nanoparticules, dont toutes les dimensions sont typiquement inférieures à la longueur d’onde, l’ensemble de ses électrons vont interagir avec l’onde incidente. Pour certains métaux et pour certaines fréquences de l’onde incidente, la fréquence de l’onde est en cohérence avec l’oscillation des électrons de surface de la nanoparticule, C’est ce phénomène qui donne lieu aux résonances plasmons de surface localisées. Cette résonance est caractérisée par une forte augmentation de la réponse optique que ce soit en terme d’absorption ou de diffusion de l’énergie électromagnétique fournie par l’onde incidente. Certaines nanoparticules bimétalliques présentent une forte résonance plasmon qui peut être contrôlée en faisant varier la composition métallique dans la nanoparticule ainsi que la taille [7]. Il est possible par exemple de moduler la position et l’intensité de la bande plasmon. Dans certains types d’applications, il peut être intéressant de décaler le signal de la bande plasmon dans le visible ou d’augmenter son intensité pour une meilleure détection. Il a été démontré que la résonance plasmon de nanoparticules bimétallique coeur-coquille Au-Ag peut être modulé en jouant sur le ratio Ag :Au lors de la synthèse [8-10]. La synthèse de nanoparticules bimétalliques Au-Pt et Au-Pd ont également permis de jouer sur la position de la résonance plasmon de surface de ces dernières en fonction de la taille des nanoparticules jusqu’à l’obtenir dans le visible et donc de pouvoir exploiter les propriétés photcatalytiques du platine et du palladium.
Les nanoparticules bimétalliques peuvent également avoir un impact sur les propriétés magnétiques de certains composés en augmentant les performances magnétiques de ces derniers. Les nanoparticules magnétiques sont typiquement caractérisées par leur aimantation (M), le champ coercitif (Hc) ainsi que la constante d’anisotropie (K) . L’aimantation à saturation est la valeur de l’aimantation maximale que possède le matériau, présente lorsque les moments magnétiques des particules sont tous alignés dans la direction d’un champ magnétique externe. Le champ coercitif représente l’intensité du champ qu’il est nécessaire d’appliquer pour démagnétiser le matériau et l’aimantation rémanente est l’aimantation que conserve le matériau lorsque le champ appliqué est nul.
Il est intéressant de pouvoir manipuler ces propriétés afin de les adapter aux applications visées. Par exemple, en général, une forte aimantation à saturation permet d’avoir un temps de relaxation plus long ce qui est recherché pour les agents de contraste en imagerie médicale [12]. Une forte aimantation à saturation permet aussi d’augmenter l’émission de chaleur, recherchée en traitement par hyperthermie [13]. La synthèse de nanoparticules Fe-Co a permis de mesurer une des plus hautes aimantation à saturation (Ms ≈ 148 emu/g) [14]. En parallèle, des nanoparticules Co-Au ont été synthétisées par réduction chimique et ont montré une amélioration des propriétés magnétiques du cobalt [15].
Obtenir une nanoparticule multifonctionnelle
Combiner deux métaux peut aussi permettre de combiner les propriétés de chaque métal afin d’avoir une nanoparticule multifonctionnelle. Il est intéressant par exemple de coupler aux propriétés magnétiques des propriétés optiques ou catalytiques. On retrouve ce type de nanoparticules en catalyse ou médecine où le caractère magnétique est envisagé pour améliorer le processus d’utilisation du matériau, en permettant sa séparation facile du milieu réactionnel ou bien sa localisation à un endroit désiré à l’aide d’un champ magnétique extérieur. Dans le domaine de la catalyse, des systèmes associant un métal catalytiquement actif et un métal ayant des propriétés magnétiques sont actuellement très recherchés. La partie magnétique de la nanoparticule permet la récupération de cette dernière en fin de réaction d’une manière beaucoup plus simple que les techniques classiquement utilisées comme la filtration ou la centrifugation [17]. Par exemple, des nanoparticules Co-Pt et Ni-Pd ont été synthétisées dans cette optique [18, 19]. D’autres types de systèmes visent à associer les propriétés optiques aux propriétés magnétiques. Dans ce cas, les caractéristiques de la résonance plasmon telles que la position ou la largeur spectrale sont modulées par la présence du métal magnétique, la proportion de chaque métal ainsi que la configuration chimique de la nanoparticule [20, 21]. Généralement, le métal magnétique utilisé est Fe, Co ou Ni, et le métal plasmonique est Au ou Ag. Par exemple, des nanoparticules magnéto-plasmoniques telles que AuFe, AuNi, AuCo, AgCo ou encore AgNi ont été synthétisées pour différents types d’applications telles que la catalyse, les biotechnoologies ou la détection [22-26].
Stabiliser une propriété physique
Afin de préserver certaines propriétés, il est primordial que les nanoparticules soient protégées de toutes sortes d’agents oxydants tels que l’air ou l’eau. Or certains métaux, et en particulier les métaux magnétiques, sont très sensibles à l’oxydation, d’autant plus à l’état de nanoparticule. Afin de pallier à ce problème, une solution serait d’enrober les nanoparticules par des métaux nobles tels que l’or ou le platine. Cette configuration s’appelle « coeur-coquille » et sera développée plus tard. Grâce à cet enrobage, les propriétés physiques de la nanoparticule sont alors stabilisées et préservées. Par exemple, des nanoparticules d’oxyde de fer enrobées par de la silice présentent une excellente stabilité chimique [27], des nanoparticules de cobalt enrobées d’or ont également montré une grande stabilité ainsi qu’une aimantation préservée [28]. Un autre avantage est que si le métal est toxique, et qu’il est recouvert d’un autre métal étant biocompatible, alors il est possible de l’envisager dans des applications de type médical. L’or est un candidat idéal pour ce type d’applications car il est à la fois biocompatible et peu réactif. Le système Fe-Au en est également un très bon exemple et sera détaillé plus loin.
Les différentes voies de synthèse
Les nanoparticules peuvent être synthétisées par différentes voies de synthèse qui sont regroupées dans deux grandes catégories : les synthèses par la méthode « Bottom-Up » (du bas vers le haut) et les synthèses par la méthode « Top-Down » (du haut vers le bas).
Synthèse par la méthode « Bottom-Up »
– Réduction chimique
La réduction chimique est une décomposition chimique de particules stabilisées dans une matrice ou par des ligands. Cette méthode permet une grande variété de conditions expérimentales sur lesquelles il est possible de facilement jouer. Le rendement est également important par rapport aux méthodes « Top-down ». Il est possible d’utiliser plusieurs types de produits initiaux : il y a par exemple la réduction d’oxydes métalliques [30]. Dans ce composé, le métal est sous forme de cations et est lié à des oxydes, sa réduction permet d’isoler les atomes du métal et de les neutraliser pour pouvoir ensuite les faire croître jusqu’à obtenir des nanoparticules. Plus ancienne, il existe aussi la réduction de sels métalliques [31, 32], qui repose sur le même principe. Plus facile à décomposer, on peut également utiliser des précurseurs organométalliques qui se décomposent facilement dans un solvant adéquat et à des températures en général inférieures à 100◦C [33]. Dans ce type de réactions, la taille et la morphologie sont contrôlées par la température de synthèse et la présence de ligands. En effet, la morphologie des nanoparticules sera fortement dépendante non seulement de la nature des ligands ainsi que de leur concentration dans le milieu réactionnelle, mais aussi de la vitesse d’injection de ces derniers dans le milieu réactionnelle et du moment choisi dans la réaction pour les injecter.
– Ablation laser
Lorsqu’un faisceau laser est condensé à la surface d’une cible métallique, la température de la zone irradiée augmente très rapidement ce qui provoque l’évaporation de la cible. La collision entre les espèces évaporées (atomes et clusters) et les molécules environnantes créée un plasma très diffus. Les nanoparticules sont produites lors de la condensation de ce plasma. Cette technique peut être réalisée en milieu gazeux ou liquide [34, 35].
– Évaporation thermique
L’évaporation thermique est également basée sur l’évaporation d’une cible métallique, cette fois par chauffage à l’aide d’une résistance placée sous la cible. La température choisie dépend du matériau choisi et correspond à la température pour laquelle les éléments chimiques se décomposent. Les atomes qui s’échappent de la cible peuvent ensuite être déposés sur un substrat [36, 37].
– Évaporation par faisceau d’électrons
Le principe de cette technique est semblable à celui vu juste avant mais en utilisant cette fois un faisceau d’électrons pour induire une augmentation de la température de la cible. Le faisceau va bombarder la cible et faire passer les molécules de la cible en phase gazeuse [38].
– Sol-gel
L’appellation sol-gel est une contraction des termes « solution et gélifiante ». Le principe est de faire passer une suspension colloïdale stable de particules solides dans un liquide appelé « sol » vers un gel dont la concentration en solide est plus importante qu’en liquide. On évapore ensuite le solvant du gel et on obtient un réseau continu constitué de la phase solide. Cette méthode consiste principalement en deux réactions : une hydrolyse et une condensation. De nombreuses nanoparticules bimétalliques sont synthétisées par la méthode sol-gel telles que Au-Ag, Au-Pd ou encore Au-Pt [39]. C’est une méthode économique qui ne demande pas l’utilisation de forte température.
– Dépôt chimique en phase vapeur
Le dépôt chimique en phase vapeur (CVD) est le dépôt d’un film fin provenant d’une phase gazeuse sur un substrat. Ce dépôt se réalise dans une chambre à température ambiante en présence de molécules en phase gazeuse. En introduisant un substrat préalablement chauffé à l’intérieur de l’enceinte, une réaction de décomposition des molécules a lieu et un film se dépose sur la surface du substrat. Le principal paramètre sur lequel il est possible de jouer est la température du substrat [40, 41].
– Pulvérisation cathodique
Comme la méthode précédente, la pulvérisation cathodique (ou sputtering en anglais) est basée sur l’évaporation d’une cible métallique, dans ce cas grâce à un plasma. Cette technique est celle utilisée lors de ma thèse pour la synthèse des nanoparticules Fe@Au, Des nanoparticules d’argent ont été synthétisées à l’aide d’un sputtering [42], une couche mince d’argent-carbone a été formée suite à un co-dépôt d’une cible d’argent et de graphite et des nanoparticules d’argent ont été observées suite à la diffusion de surface des espèces. Les températures utilisées allaient de 77K à 773K. Des nanoparticules de cobalt ont également été synthétisées à partir d’une couche mince de Co-Al2O3 obtenue par un co-dépôt de cobalt et d’alumine à l’aide d’un sputtering [43]. Les propriétés structurales, magnétiques et la morphologie ont été étudiées en fonction de la température de recuit. Après un recuit à plus de 500◦C, une orientation préférentielle des plans (002) des nanoparticules de cobalt est observée. De plus, les nanoparitcules de cobalt présentent une structure hexagonale compact stable jusqu’à 700◦C, puis se transforme en cubique face centré à 1100◦C. A température ambiante, le cycle d’hystérésis ne montre aucun axe de facile aimantation, cependant après un recuit à température plus élevée, une axe de facile aimantation ainsi qu’une anisotropie ont été observés.
– Utilisation d’une source de nanoparticules
Cette technique utilise la pulvérisation cathodique mais la formation des nanoparticules et leur croissance se produisent à partir d’une vapeur d’atomes métalliques issue de la cible en présence d’un unique gaz ou d’un mélange gazeux. En adaptant la pression, cette vapeur peut se condenser en vol, ce qui conduit à la germination des nanoparticules ainsi qu’à leur grossissement. Ces dernières se déposent finalement sur le substrat, déjà formées. Cette technique est souvent utilisée pour la synthèse de nanoparticules bimétalliques, comme par exemple les nanoparticules Co-Au présentées dans l’étude de Mayoral et al. [44].
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Table des matières
Introduction
I État de l’art
1 Les nanoparticules bimétalliques
1.1 Choix des métaux et applications visées
1.1.1 Optimiser une propriété déjà existante
1.1.2 Obtenir une nanoparticule multifonctionnelle
1.1.3 Stabiliser une propriété physique
1.2 Les différentes voies de synthèse
1.2.1 Synthèse par la méthode « Bottom-Up »
1.2.2 Synthèse par la méthode « Top-Down »
1.3 Les différentes configurations
1.3.1 Les alliages
1.3.2 Les Janus
1.3.3 Les coeur-coquille
1.4 Le système Fe-Au
1.4.1 Propriétés et exemples d’applications
1.4.2 Relation d’épitaxie
1.4.3 Études expérimentales sur le système FeAu
1.4.4 Études théoriques sur le système FeAu
1.5 Conclusion
2 Techniques expérimentales
2.1 Mécanismes et modes de croissance
2.1.1 La nucléation
2.1.2 Les différents mécanismes de croissance
2.1.3 Démouillage d’une couche mince métallique
2.1.4 Morphologie d’équilibre
2.2 La pulvérisation cathodique
2.3 Techniques d’analyses structurales
2.3.1 Microscope électronique en transmission
2.3.2 Microscopie électronique en transmission conventionnelle
2.3.3 Microscopie électronique à haute résolution
2.3.4 Imagerie en champ sombre aux grands angles
2.3.5 Spectroscopie aux rayons X dispersive d’énergie
2.3.6 Préparation des échantillons
3 Méthodes numériques
3.1 La dynamique moléculaire
3.2 Méthode du gradient conjugué
3.3 Monte Carlo Metropolis
3.4 Code de croissance
3.5 Les différents potentiels utilisés
3.5.1 Méthode de l’atome immergé
3.5.2 Potentiels de Lennard-Jones et Morse
3.5.3 EAM Lennard-Jones
II Formation de nanoparticules coeur-coquille Fe@Au
4 Résultats expérimentaux
4.1 Conditions de synthèse
4.1.1 Étude en température
4.1.2 Nature de la matrice environnante
4.2 Influence de l’épaisseur de la coquille d’or sur la morphologie du coeur de fer
4.3 Vers de plus grandes nanoparticules
4.4 Modification du mode de croissance
4.4.1 Étude en température
4.5 Rôle de l’épaisseur de la coquille d’or suivant un nouveau mode de croissance
4.6 Propriétés physiques des nanoparticules Fe@Au
4.6.1 Propriétés magnétiques des nanoparticules Fe@Au
4.6.2 Activité catalytique des nanoparticules Fe@Au
4.7 Conclusion
5 Résultats théoriques
5.1 Calcul des énergies de surface et d’interface
5.1.1 Calcul des paramètres de maille
5.1.2 Calcul des énergies de surface
5.1.3 Calcul des énergies d’interface
5.2 Croissance de nanoparticules Fe@Au
5.2.1 Préparation des coeurs de fer
5.2.2 Croissance avec le potentiel EAM
5.2.3 Croissance avec le potentiel LJ-MORSE
5.2.4 Croissance avec le potentiel EAM-LJ
5.2.5 Un potentiel pour le système Fe@Au ?
5.3 Prédictions pour le système Fe@Ag
5.4 Conclusion
Conclusion générale
Annexe