Avant la Seconde Guerre Mondiale, le mouvement migratoire de population européenne vers la France se limite pour l’essentiel aux Allemands, aux Belges, aux Italiens et aux Polonais (BLANC-CHALÉARD 2001). Ces vagues successives, motivées par des raisons politiques ou économiques en partie liées aux conséquences de la première guerre mondiale, contribuent à l’établissement d’un stock de ces populations autour de Marseille, dont la présence reste visible jusqu’au début de l’après guerre.
La rapide croissance économique au cours des années 1950-1970, qui se produit pour l’essentiel dans « les pays développés » en Europe (JORDI et al. 1991) confère alors au facteur travail une place réellement prépondérante dans la migration européenne, marquée par un mouvement principal des « pays périphériques » de l’Europe du Sud vers les « pays centraux» (BAROU 2001, p.39), c’est-à-dire la France, l’Angleterre et l’Allemagne, mais aussi la Belgique et les Pays-Bas. La reconstruction nécessaire après la guerre crée un fort besoin de main-d’œuvre qui conduit finalement à un déséquilibre entre l’offre et la demande : la migration est alors encadrée par les Etats dans l’objectif de parvenir à une meilleure adéquation, tout au long des Trente Glorieuses (1945-1975). Ces mouvements de population s’expliquent ainsi par une différence de niveau de développement économique et d’industrialisation entre les pays de l’Europe : du fait de l’expansion conjoncturelle dans les pays centraux, les grandes industries ont embauché, dans le cadre de l’extension de la production fordiste en grandes séries, un nombre important de migrants étrangers (RIEDER 2005). Au cours de ces années, 2 millions d’Espagnols et d’Italiens, 1,5 millions de Portugais et de Yougoslaves, des Finlandais, des Grecs et des Irlandais ont quitté leur pays pour l’Allemagne, l’Angleterre ou la France (BAROU 2001, p.44).
A partir des années 1970, après le choc pétrolier de 1973, l’intensité des déplacements de population diminue fortement et le contexte de la migration change. On observe dans plusieurs pays européens une transformation socioéconomique (RIEDER 2005) : la globalisation de l’économie qui caractérise la fin du XXème siècle suppose un affranchissement des frontières (DAUGAREILH et VENNAT 2004), qui modifie les modalités de la migration européenne, encadrée jusqu’alors principalement par des accords bilatéraux ayant perdu leur objet. L’internationalisation du marché du travail entraîne finalement l’apparition de nouvelles formes de migration plus diversifiées (WIHTOL DE WENDEN 2001). Dans le même temps, la transition d’une société industrielle vers une société de services change la nature sociodémographique et la cause des flux migratoires : à côté de la migration économique de travailleurs peu qualifiés, la mobilité de professionnels hautement qualifiés augmente et une migration qui n’est plus directement liée au travail ou à des raisons politiques apparaît, rendue possible, pour la population de l’Union Européenne, par la construction d’un espace de libre circulation des personnes .
Autour de Marseille, le résultat de cette histoire migratoire, en 1999, est une population dont l’effectif représente 4,2% de la population totale et 33,6% de la population non française à la naissance (INSEE RP1999), et dont la répartition spatiale, établie selon les directions privilégiées des flux successifs, n’est pas homogène. L’analyse des évolutions de l’importance relative des différentes raisons de migration, par leur reflet sur la nature, sur l’intensité et sur la répartition spatiale de la migration, permet de poser la question de la mutation de l’attractivité de cet espace pour la population de l’Union Européenne non française à la naissance, au vu du changement de contexte migratoire.
La description statistique de la population d’étude confrontée à un contexte migratoire particulier à l’intérieur de l’UE
La démarche choisie pour l’étude de la population de l’UE non française à la naissance dans un territoire autour de Marseille est celle d’une analyse quantitative de ses caractéristiques sociodémographiques, ventilées sur différentes unités spatiales et observées dans leur évolution dans un cadre temporel fixé. Elle requiert ainsi un ensemble de données les plus représentatives possible de ces personnes au moment où elles sont installées dans cet espace. Si l’exhaustivité n’est pas envisageable au sens strict, du fait de flux non enregistrés ou de mouvements migratoires sortant, par exemple à cause de leur durée, du cadre de l’enregistrement statistique par les méthodes en usage dans chaque pays, il est toutefois essentiel de disposer d’une caractérisation dont la qualité permet d’asseoir des conclusions rigoureuses. Il faut pour cela définir un ensemble de paramètres discriminant le groupe d’individus que nous souhaitons étudier par rapport à la population totale. Pour la population de l’UE non française à la naissance, la question de l’identification est rendue difficile non seulement par l’extension géographique de l’espace de référence (l’UE) au cours de la période d’étude même, mais aussi par l’évolution du contexte administratif de la migration.
La construction de l’UE : un espace de référence variable pour la définition de la population d’étude
Un préalable à l’analyse de l’évolution des caractéristiques sociodémographiques et spatiales de la population de l’UE non française à la naissance dans l’EMM est la recherche d’une méthode permettant d’identifier, tout au long de la période temporelle que recouvre cette analyse, les personnes appartenant à la sous-population étudiée. En particulier, un critère unique doit être choisi, qui devra permettre de retrouver cette population dans les sources de données statistiques : ce sont ainsi, dans un premier temps (A.1), les variables démographiques et les valeurs qu’elles peuvent prendre qui constituent un premier élément de définition de la population d’étude. De plus, le caractère commun de la population d’étude est l’appartenance – au sens du critère statistique précédent – à l’UE, espace géographique et institutionnel qui devient ainsi l’espace de référence pour sa définition. Le changement des frontières de cet espace au cours de l’analyse rend nécessaire l’établissement d’une hypothèse de travail pour les fixer, et, dans un deuxième temps (A.2), un court rappel de la chronologie d’adhésion des pays membres qui le constituent en 2006.
Deux éléments de définition de la population d’étude
Cette section propose une analyse critique de chacune des variables démographiques permettant d’organiser une population en sous-groupes distincts. Pour un individu, le critère d’appartenance à l’un d’entre eux doit, pour notre étude, reposer sur une caractéristique démographique mettant en évidence son lien, par sa nationalité à un moment de sa vie, avec un espace géographique de référence, fonction de cette variable, dont les frontières doivent être pertinentes pour ce travail. L’analyse justifie finalement le choix de la nationalité comme élément principal de définition de la population d’étude. Cette variable n’étant pas nécessairement constante au cours de la vie d’un individu, l’étendue temporelle de notre étude requiert une précision sur sa définition (A.1.1) ; de la même façon, la variation des frontières de l’UE au cours de cette période nécessite une hypothèse pour sa constitution en tant qu’espace de référence (A.1.2).
La nationalité comme variable sélective
Trois variables démographiques, proposée dans le recensement de l’INSEE, donnent des informations sur l’origine des personnes, au sens de la filiation comme au sens géographique, et peuvent, en fixant leurs modalités sur le groupe des personnes qui constituent la population d’étude, être le critère discriminant recherché pour la définir. Ce sont le pays de naissance, l’indicateur de nationalité et la nationalité. Chaque variable agrège les individus de la population totale en groupes de population différents, et présente, à ce titre, des avantages et des inconvénients relativement à l’objectif poursuivi par ce travail.
La première variable, le pays de naissance, utilisée pour la population de l’UE non française à la naissance, distingue au sein de la population totale autant de groupes que de pays de l’UE. Un critère reposant sur le pays de naissance intègrerait donc à la population d’étude toutes les personnes nées dans un pays de l’UE quelles que soient leurs autres caractéristiques de nationalité : leur nationalité au moment des recensements elle-même et leur indicateur de nationalité [cf. Fig. I-1]. Il exclurait par contre toute personne née dans un pays hors de l’UE, même d’une nationalité UE, comme par exemple une personne italienne née en Algérie. La présentation de l’espace migratoire d’étude montrera que les personnes exclues de la définition permise par l’utilisation du pays de naissance – avec l’UE comme espace de référence – constituent une part trop importante de la population d’étude pour que le choix de ce critère soit pertinent dans le cadre de ce travail.
Toutefois, cette variable présente l’avantage d’être invariante dans le temps : quel que soit le moment où elle est enregistrée, les groupes de personnes qu’elle constitue restent les mêmes ; il est alors par exemple possible de retrouver dans tous les recensements depuis leur arrivée la présence d’individus ayant changé d’indicateur de nationalité.
L’UE en 2006 comme espace de référence
La définition de la population de l’UE, selon le critère sur la nationalité, soulève la question des frontières de l’espace de référence. En effet, puisque l’étude a une étendue temporelle importante, au cours de laquelle cet espace – l’UE – a vu sa définition changer, il est nécessaire d’effectuer l’hypothèse de travail suivante : la population de l’UE est ici définie en se référant à l’UE telle qu’elle existe en 2006.
Nous travaillons donc sur les personnes d’une nationalité de l’UE à 25 pays (UE25 ), en excluant les personnes nées de nationalité française ; ce travail porte ainsi sur toutes les personnes installées dans l’EMM, d’une des nationalités suivantes, au moment du recensement, ou bien, si elles sont de devenues françaises, à leur naissance : allemande, autrichienne, belge, britannique, chypriote, danoise, espagnole, estonienne, finlandaise, grecque, hongroise, irlandaise, italienne, lettonne, lituanienne, luxembourgeoise, maltaise, néerlandaise, polonaise, portugaise, suédoise, slovaque, slovèneset tchèque. La conséquence la plus importante de l’hypothèse est que nous considérons les personnes de l’UE25 (sans la France) même si, à un moment de la période temporelle couverte par l’étude, le pays ne faisait pas encore partie de l’UE (voir A.2). Certains des pays de l’UE25, au cours de la période d’étude, n’existaient pas sous leur forme administrative de 2006 : c’est le cas de certains pays de l’ex-bloc de l’est. Ainsi, pour l’exploitation des données statistiques, toutes les analyses des recensements entre 1968 et 1999 portent sur les pays faisant partie de l’UE en 2006, sauf les trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) et la Slovénie, qui apparaissent pour la première fois dans la statistique en 1999 en tant que pays. La République tchèque et la Slovaquie sont inclues dans les statistiques jusqu’à 1990 sous la forme administrative de la Tchécoslovaquie : après la partition en 1993, les deux pays apparaissent séparément dans la statistique de 1999. Dans le cas de l’Allemagne, les statistiques englobent la République Fédérale d’Allemagne et la République Démocratique d’Allemagne, même avant leur réunification en 1990.
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Table des matières
Introduction générale
Première Partie – Les mutations du contexte migratoire pour la population de l’Union Européenne non française à la naissance dans l’espace migratoire marseillais
Chapitre I – La description statistique de la population d’étude confrontée à un contexte migratoire particulier à l’intérieur de l’UE
Chapitre II – Les frontières et l’histoire migratoire de l’espace d’étude
Deuxième Partie – L’attractivité industrielle des années 1960/1970 : vers une installation durable des migrants
Chapitre III – Le facteur travail comme raison essentielle de l’installation dans l’EMM
Chapitre IV – La mutation du flux migratoire après la crise économique de 1973 : affirmation et vieillissement des anciennes zones d’installation
Troisième Partie – La logique résidentielle dans les nouveaux flux migratoires : des attractivités multiples de l’espace
Chapitre V – L’apparition des nouvelles zones d’installation des migrants autre UE
Chapitre VI – Les nouveaux profils et choix résidentiels de la population active
Chapitre VII – La migration à la fin de la vie professionnelle vers l’EMM : une migration nord-sud
Conclusion générale
Bibliographie citée
Bibliographie consultée
Tables de documents insérés
Table de matières
Annexes