Les modifications immunologiques pendant la grossesse normale

Les modifications immunologiques pendant la grossesse normale 

Pendant la grossesse, l’organisme de la femme enceinte subit des changements physiologiques. En effet, le placenta et l’embryon puis le fœtus constituent une semiallogreffe vis-à-vis de l’organisme de la femme (CHAOUAT et al., 1995). Le placenta résulte principalement du développement du trophoblaste (d’origine fœtale) dans la déciduale (d’origine maternelle). L’adaptation de l’organisme maternel à la semiallogreffe fœtale implique des modifications immunologiques qui entraînent une susceptibilité accrue de la femme enceinte à certaines pathologies infectieuses comme la coccidiose, la listériose, la tuberculose, et le paludisme. La progression de certains cancers est également accélérée au cours de la grossesse : c’est le cas du lymphome de Burkitt, des condylomes génitaux, des mélanomes et des carcinomes hépatocellulaires (BORNKAMM et al., 1980 ; .

Enfin, certaines maladies auto-immunes dont la pathogenèse met en jeu des anticorps auto-immuns, sont exacerbées chez la femme enceinte : c’est le cas du lupus érythémateux disséminé. À l’inverse, l’arthrite rhumatoïde, affection en partie due à une réponse auto-immune à médiation cellulaire, régresse chez les 3/4 des femmes enceintes (WEINBERG, 1984). Le développement du fœtus est rendu possible grâce à son installation progressive, à une modulation du système immunitaire maternel et à l’immaturité du système immunitaire fœtal. L’absence d’affrontement immunologique entre les deux organismes résulte de nombreux facteurs, dont certains seulement sont connus.

Sur le trophoblaste 

L’absence d’HLA (human leukocyte antigens) de classe I sur le syncytiotrophoblaste (SCTB) inhibe vraisemblablement l’action des cellules T CD8+ cytotoxiques maternelles. De plus certaines parties du trophoblaste expriment des molécules HLA de classe G, qui inhibent l’activité des cellules NK (Natural Killer) in vitro (MOREAU et al., 1998); or, les NK, par leur activation, jouent un rôle très important dans les phénomènes de rejet de greffe et peuvent être cytotoxiques pour le trophoblaste (OLIVARES et al., 2002). La réduction de l’expression du HLA-G sur le trophoblaste est associée à une augmentation des cellules NK dans les placentas impaludés (SARTELET et al., 2005).

Mécanismes hormonaux 

Certaines hormones, par leur effet immunomodulateur, jouent un rôle important au cours de la nidation et dans le maintien de la grossesse. Chez la femme enceinte, la concentration périphérique de ces hormones augmente considérablement par rapport aux concentrations observées chez la femme non enceinte en milieu de cycle: de 3 à 7 fois pour l’hydrocortisone (cortisol), d’environ 100 fois pour l’œstradiol, œstrogène le plus actif, et plus de 200 fois pour la progestérone. L’unité foeto-placentaire est elle même source de nombreuses hormones. Ainsi le trophoblaste sécrète, entre autres, de la hCG (human chorionic gonadotrophin), du hPL (human placental lactogen), de l’œstradiol et de la progestérone. Enfin le fœtus produit de l’alpha-foetoprotéine, une protéine porteuse d’hormones. Les concentrations de ces hormones dans le sang placentaire sont parfois bien supérieures aux concentrations dans le sang périphérique : 2,5 fois pour l’œstradiol, 4 fois pour la progestérone et 60 fois pour la hCG. La plupart des stéroïdes hormonaux exercent des régulations négatives vis-à-vis du système immunitaire à de fortes concentrations. Cet effet est plus marqué pour la réponse cellulaire. Ainsi l’oestriol modifie le profile des cytokines en augmentant la production d’IL-10 et en réduisant celle du TNF-α (ZANG et al., 2002) Les lymphocytes T sont plus sensibles aux effets immunosuppresseurs du cortisol que les lymphocytes B, et l’activation des macrophages par les lymphocytes T est déprimée par certaines hormones de la grossesse; de plus, les œstrogènes, la progestérone et la glycoprotéine-alpha2 associée à la grossesse peuvent exercer des effets immunosuppresseurs sur les lymphocytes T (WEINBERG, 1984).

Les cytokines

Ce sont des sécrétions cellulaires qui seraient en partie responsables de l’orientation de la réponse immunitaire qui pourrait avoir un caractère cellulaire (Th1) ou un caractère humorale (Th2). Selon certains auteurs, l’unité utéro-placentaire est surtout le site de la production de cytokines de type Th2. La réponse humorale est donc favorisée aux dépens de la réponse cellulaire (LIN et al., 1993). Il paraît vraisemblable que l’unité foeto-placentaire se protégerait contre les effets délétères de la réponse Th1. En effet, in vitro, le TNF-α et l’IFN-γ altèrent le tissu trophoblastique. D’autre part, l’IFN-γ et l’IL-2 activent les cellules NK de la déciduale qui détruisent le trophoblaste et sont donc préjudiciables au développement fœtal (YUI et al., 1994; RAGHUPATHY et al., 1997). Un renforcement de la réponse Th2 permet de contrebalancer la diminution de la réponse cellulaire. Il s’accompagne d’une expression importante d’IL-10 (qui inhibe les NK et réduit la réponse Th1) dans le trophoblaste (BENNETT et al., 1997). Cette production d’IL-10 est donc nécessaire à la placentation et au maintien de la grossesse. D’après ces études, la grossesse normale serait Th2 dépendante et toute perturbation qui irait dans le sens d’une modification de cet équilibre pourrait lui être préjudiciable ou néfaste (KWAK KIM et al., 2003). Certaines données suggèrent que les avortements spontanés surviennent lors de l’inhibition d’une protéine immunosuppressive appelée  progesterone-induced blocking factor (PIBF). Cette protéine inhibe les cellules NK et influence la balance des cytokines vers une réponse Th2 (CHECK et al., 2001). Cependant, ce concept de «grossesse Th2 dépendante» ne peut pas être généralisé et on peut se demander si la protection contre l’avortement serait due à une immunosuppresion ou à une immunostimulation (WEGMANN et al., 1984). En effet, SACKS et al., (2003) ont montré que les monocytes du sang périphérique chez des femmes enceintes étaient capables de produire des cytokines Th1 et produisaient plus d’IL-12 in vitro que ceux des femmes non enceintes. CHAOUAT et al. (2002; 2003) considèrent que les mécanismes permettant le développement du fœtus dans l’utérus seraient plus qu’un simple phénomène de tolérance de tissu étranger. Ils obéiraient plus à des interactions complexes et inextricables de cytokines qui dirigeraient la réponse immune, et en même temps contrôleraient l’adhésion et la vascularisation du placenta.

Les cellules immunitaires 

Les cellules immunitaires sont affectées par l’état physiologique de la grossesse. D’une manière générale, les lymphocytes T sont inhibés tant dans leur migration que dans leur fonctionnement (ZANG et al., 2002). C’est ainsi que les lymphocytes cytotoxiques subissent une véritable réduction de leur capacité fonctionnelle. Dans une autre étude, (MOORE et al., 2003), il a été montré que le nombre de lymphocytes reste pratiquement le même dans les compartiments périphérique et placentaire tandis que celui des monocytes/macrophages et des NK est de loin supérieur dans les EIV (espaces intervilleux) placentaires que dans le sang périphérique. Cette étude montre également une différence d’activation entre les cellules du sang périphérique et celles du placenta. Ces différences semblent liées à l’influence de l’environnement placentaire avec ses hormones et ses facteurs de croissance. Les NK utérins joueraient un rôle très important en début de grossesse sur la formation des artères spiralées cependant leur rôle en fin de grossesse reste mystérieux même s’ils présentent des récepteurs pour les antigènes du CMH du trophoblaste (TRUNDLEY et al ., 2004) .

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Table des matières

I- INTODUCTION
II- GENERALITES
1. Les modifications immunologiques pendant la grossesse normale
1. 1. Sur le trophoblaste
1. 2. Mécanismes hormonaux
1. 3. Les cytokines
1. 4. Les cellules immunitaires
2. La grossesse impaludée
2. 1. Conséquences cliniques
2. 1. 1. Chez la mère
2. 1. 2. Chez le fœtus
2. 1. 2. 1. Retard de croissance intra-utérin
2. 1. 2. 2. Prématurité
2. 1. 2. 3. Avortement
2. 1. 3. Conséquences chez le nouveau-né
2. 2. Conséquences anatomo-pathologiques
2. 2 1. Rappels sur les structures du placenta normal
2. 2. 2. Description des placentas parasités par P. falciparum
2. 3. Conséquences physiopathologiques
2. 4. Conséquences immunologiques
2. 4. 1. Inversion du déséquilibre Th1/Th2
2. 4. 2. Les cellules immunitaires
III- MATERIEL ET METHODES
1. Zones d’étude et sujets
– Pikine-Guédiawaye
– Thiadiaye
2. Méthodes d’étude
2. 1. Collecte du sang intervilleux placentaire
2. 2. Evaluation de l’expression des molécules de surface
2. 3. Isolement et dénombrement des CMN
2. 4. Séparation des CMN
2. 5. Purification des lymphocytes T par sélection négative
2. 6. Purification des monocytes par sélection négative et par adhésion
2. 7. Vérification de la pureté des cellules
2. 8. Réalisation des cocultures
2. 9. Stimulation du sang Total et des CMN
2. 10. Mesure de l’expression des cytokines intra-cytoplasmiques
2. 11. Collecte des parasites placentaires
2. 12. Analyse des anticorps anti-VSA au cytométre en flux
2. 13. Tests statistiques
IV- RESULTATS
1. Première étude : Activation des monocytes et inhibition des lymphocytes T dans le placenta infecté par P.falciparum
1. 1. Caractéristique générale de la population d’étude
1. 2. Réponse proliférative des CMN
1. 3. Réponses prolifératives des cocultures
1. 4. Expression des molécules de surfaces des monocytes
2. Deuxième étude : Augmentation d’IL-12 par les monocytes et d’IFN-γ et de TNF-α par les lymphocytes T dans le placenta impaludé
2. 1. Caractéristique générale de la population d’étude
2. 2. Production de cytokines par les lymphocytes (CD3+)
2. 2. 1. En fonction du statut impaludé ou non
2. 2. 2. En fonction du phénotype CD4+ / CD8+
2. 3. Production de cytokines par les monocytes (CD14+)
2. 3. 1. Production d’IL-10
2. 3. 2. Production d’IL-12 et de TNF-α En fonction du compartiment sanguin
2. 3. 3. Production d’IL-12 et de TNF-α En fonction du statut impaludé ou non
2.4. Dosage des cytokines dans le plasma périphérique
3. Troisième étude : Acquisition d’anticorps dirigés contre les antigènes de surface des Globules rouges infectés par P. falciparum
3. 1. Caractéristiques générales de la population
3. 2. Infection à P. falciparum et parité
3. 3. Infection à P. falciparum et production des anticorps Anti-VSACSA
3. 4. Infection placentaire et production des anticorps Anti-VSACSA
V-DISCUSSION
1. Activation des monocytes et inhibition des lymphocytes T dans le placenta infecté par P.falciparum
2. Augmentation d’IL-12 par les monocytes et d’IFN-γ et de TNF-α par les lymphocytes T dans le placenta impaludé
3. Acquisition d’anticorps dirigés contre les antigènes de surface des Globules rouges infectés par P. falciparum
VI- CONCLUSION ET PERSPECTIVES
VII- BIBLIOGRAPHIE
VIII- ARTICLES PUBLIES JOINTS EN ANNEXE

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