LES MODELES D’EXTINCTION AU SERVICE DE LA CRISE DE LA BIODIVERSITE
Les modèles d’extinction
Rôles des modèles d’extinction
On appelle modèle d’extinction un modèle soit explicite (c’est-à-dire dont le résultat est obtenu de manière formelle sous forme d’équation mathématique) soit basé sur les simulations, et qui a pour but de prédire la viabilité d’une espèce ou d’une population, c’est-à-dire sa persistance dans le temps. De telles modèles sont aussi appelés Analyse de Viabilité des Populations (AVP ou PVA en anglais).
Ils ont deux intérêts principaux : d’une part ils aident à déterminer le statut d’une espèce : plus le temps d’extinction est faible, plus son risque d’extinction est important. On estime son temps d’extinction c’est-à-dire le temps minimum pour atteindre un effectif nul de population (avec une certaine probabilité). Ainsi par exemple une espèce sera classée dans la catégorie gravement menacée d’extinction si une analyse quantitative montre que la probabilité d’extinction à l’état sauvage est d’au moins 50% en l’espace de 10 ans ou de 3 générations (prise en compte du délai le plus long) (UICN).
D’autre part, une fois une espèce classée comme menacée d’extinction, il s’agit de trouver des critères de viabilité. Pour ce faire, à partir des modèles utilisés dans ce premier temps pour estimer le temps d’extinction, on modifie certains paramètres du modèle (par exemple la survie des jeunes, ou des adultes, ou la fécondité…) et on quantifie l’effet d’une telle modification sur le devenir de la population. Il est ainsi possible de déterminer les facteurs pertinents qui influencent le plus son risque d’extinction, afin essentiellement de trouver des mesures de conservation. Concrètement, on va déterminer un critère de viabilité (par exemple « 95% de chances de survie sur 200 ans ») et chercher quelles modifications peuvent être apportées aux performances démographiques de l’espèce pour satisfaire ce critère, comme par exemple diminuer la prédation sur une catégorie de la population, ou augmenter la reproduction (par exemple en captivité) (Boyce, 1992).
Une fois reconnus les différents rôles des modèles d’extinction, l’utilisateur se trouve face à une grande diversité de choix, les formes de ces modèles variant amplement d’un cas à l’autre: en général ils se fondent sur une base démographique, sur laquelle viennent se greffer des aspects écologiques, génétiques…Il n’existe pas de règles ou de structures déterminées pour construire de tels modèles (Boyce, 1992).
Les différents modèles d’extinction
Le principe des modèles d’extinction est de simuler les effectifs d’une espèce ou d’une population à partir des informations connues sur cette espèce ou population (en particulier les paramètres démographiques tels que les taux de survie et fécondité). Les modèles d’extinction se confondent souvent avec les modèles démographiques puisque une espèce ou population est considérée comme éteinte lorsque ses effectifs sont nuls.
Assez souvent, surtout au début de l’utilisation des modèles en biologie de la conservation, des modèles adoptant des formes classiques en dynamique des populations ont été utilisés pour étudier la viabilité de populations. Les modèles matriciels (Caswell, 2001) ont ainsi été mis à contribution. Dans ce type de modèles, le temps est discret, les effectifs de la population sont divisés en catégories définies selon l’âge, la taille, ou des lieux différents (Lebreton, 2000a) et sont des grandeurs continues. La caractéristique des ces modèles est que la taille de la population au temps t, Zt dépend de Zt-1, l’état de la population au pas de temps précédant, par une relation matricielle simple : Zt = At Zt-1, ou At est une matrice positive. Ce genre de modèles très simples permet de grandes applications biologiques et une grande facilité d’utilisation. La matrice A est construite à partir des paramètres démographiques des populations étudiées (survie, reproduction), elle peut varier dans le temps, en utilisant des matrices A non pas constantes mais temps dépendantes (At) et donc incorporer de la stochasticité environnementale. On peut aussi faire varier au sein de chaque matrice les paramètres démographiques en ne les traitants non pas comme des scalaires mais comme des tirages de variables aléatoires (stochasticité démographique). Toutefois, ces modèles bien que très pratiques et très utilisés en démographie, ne présentent pas de solutions explicites du risque d’extinction mais uniquement des études par simulations. De plus, la population étant définie de manière continue et non discrète, il se pose le problème de définir explicitement l’extinction, car un effectif nul sera rarement atteint mais des effectifs inférieurs à un individus peuvent être atteints.
Un des premiers modèles considérés en écologie pour traiter explicitement du problème de l’extinction est ce qu’on appelle en mathématiques le processus de naissance et de mort (Mac Arthur et Wilson, 1967). Dans ces modèles, le temps est continu (et non discret comme dans les modèles matriciels), et l’état de la population au temps t, Zt est lui discret. Dans ce type de modèles, la définition de l’extinction ne pose pas de problèmes : il s’agit d’avoir des effectifs nuls, ce qui est possible puisque la population est une variable discrète. Souvent Zt est une variable aléatoire entière positive qui représente l’effectif de la population au temps t. Ces modèles permettent une solution explicite de la probabilité d’extinction, sous la forme d’une équation de diffusion (Feller, 1968). Le problème majeur de ces modèle est la complexité de l’outil mathématique demandé : la théorie de la diffusion n’est pas accessible à tout biologiste mais demande de très solides connaissances mathématiques, et donc cette technique a peu de chance d’être répandue et utilisée en biologie de la conservation. De plus, il s’agit de modèles assez rigides, qui incorporent difficilement certains facteurs biologiques comme la saisonnalité, la structure en classes d’âge de la population, l’environnement aléatoire…C’est pourquoi ils sont surtout utilisés en biologie théorique.Une dernière classe de modèles utilisés en biologie de la conservation est les processus de ramification. Il s’agit de processus stochastiques en temps discret, basés sur des effectifs discrets de population (donc ne posant pas de problèmes pour définir l’extinction). Le passage du temps t au temps t+1 se fait de la manière suivante : dans une population de Zt individus au temps t, chaque individu est remplacé au temps t+1 par un nombre aléatoire, issu d’une distribution de probabilité calculée à partir de la survie et du taux de reproduction de l’individu considéré, ceci de manière indépendante du remplacement des autres individus. Ce genre de modèles permet d’obtenir une solution explicite du risque d’extinction et des vérifications par simulations. De plus, il est aisé d’y incorporer des paramètres biologiques plus complexes (structure en classe d’âges, de taille, saisonnalité…) Enfin, il prend en compte de manière explicite la stochasticité démographique ce qui a un intérêt non négligeable en PVA où l’on a souvent à traiter le cas de petites populations : on ne peut négliger l’effet de la stochasticité démographique. Dès lors, les effectifs d’une population suivent des trajectoires stochastiques, et chaque répétition du modèle donne une trajectoire différente. On n’obtient pas un effectif par pas de temps mais une distribution d’effectifs par pas de temps, c’est-à-dire la probabilité d’avoir un effectif d’une taille donnée. L’étude du phénomène moyen n’est pas suffisant (Fig. 1) : il faut en plus prendre en compte la distribution des effectifs dans le temps et les paramètres descriptifs de ces distributions (espérance, variance et autres moments des distributions). Ce type de modèle utilisé dans ce travail, et les propriétés mathématiques de ce type de modèle feront l’objet d’un chapitre particulier.
Malgré la diversité des modèles qui existent et sont utilisés en biologie de la conservation, malgré le nombre d’études théoriques et pratiques réalisées à partir de ses divers modèles, très peu d’études ont considérés les individus comme étant non statistiquement indépendants (Burgman et al., 1993). D’un point de vue biologique, cette dépendance statistique signifie qu’il n’existe pas d’influences sur la survie ou la reproduction entre les animaux : le fait de savoir par exemple qu’un ou plusieurs individus d’une population survit une année donnée ne donne aucune information sur la survie des autres individus. Pourtant, on observe souvent dans les populations naturelles de fortes variations des paramètres démographiques, qui concernent souvent tous les individus d’une même population : lorsque les individus ont une bonne survie et reproduction par exemple, on qualifie souvent cela de bonne année et le cas inverse de mauvaise année. Cela montre bien qu’il existe une tendance générale d’une population à se comporter de la même façon, et donc qu’il n’y a probablement pas indépendance entre individus d’une même population. Pourquoi alors un tel phénomène n’est pas ou peu pris en compte dans les modèles ? Cela tient essentiellement à des problèmes mathématiques. Dès lors que des événements probabilistes ne sont plus indépendants statistiquement, les calculs mathématiques deviennent beaucoup plus complexes : la probabilité de deux événements indépendants est égale au produit des probabilités de chaque événement. Dès que l’on s’écarte de l’hypothèse d’indépendance, cette formule n’est plus valable et rentre alors en jeu la notion de corrélation qui complique sérieusement les calculs. Néanmoins, même si cette hypothèse d’indépendance entre individus est pratique d’un point de vue modélisation et compréhension des systèmes biologiques, elle doit être testée afin de vérifier qu’elle n’engendre pas de coût important quant à la précision et l’exactitude des résultats.
Principe de base des processus de ramification
Pour un processus à un seul type d’individus (Caswell, 2001), le principe est le suivant (Fig. 2) : chaque individu est remplacé par X individus à la génération suivante (appelés contribution individuelle), X étant un nombre entier aléatoire, tiré selon une loi de probabilité qui dépend des paramètres de survie et de reproduction. L’effectif de la population à la génération suivante est déterminé par la somme des contributions individuelles.Si un individu meurt sans se reproduire, il est remplacé par 0 individu à la génération suivante. Si tous les individus meurent sans se reproduire, la population s’éteint. Pour obtenir directement la loi ou les moments de l’effectif de la population au temps t (Zt), on utilise fréquemment le concept de fonction génératrice de probabilités, un outil qui permet de résumer les propriétés d’une distribution de probabilités discrète.Ce type de modèle incorpore de manière directe les paramètres démographiques: ils ont donc une pertinence biologique et une bonne lisibilité. Ils intègrent de la stochasticité démographique, c’est-à-dire la variabilité des performances de reproduction et des processus de mortalité entre individus, phénomène non négligeable dans le cas de petites populations. Ces modèles permettent souvent une approche formelle et une approche par simulation. Le cadrage des simulations par des résultats théoriques les rend alors plus pertinents et plus interprétables.Nous nous restreignons à des modèles en temps discret, basés sur des effectifs discrets. La population ou l’espèce est éteinte lorsqu’elle atteint l’effectif nul, la notion d’extinction est sans ambiguïté, contrairement à certains modèles où les effectifs sont continus.
Propriétés principales des processus de ramification
Un processus de ramification tel que décrit ci-dessus est un cas particulier d’une chaîne de Markov à temps discret et à espaces d’états discrets: l’effectif de la population au temps t ne dépend du passé que via l’effectif de la population au temps t-1 (Karlin et Taylor, 1975).Les différents états {Zi} de la chaîne de Markov sont constitués par les différentes valeurs que peut prendre la population au temps t. 0 est un état absorbant : lorsque le système atteint l’état 0, il y reste. M est la matrice de transition des effectifs (Fig. 3), permettant de passer du temps t-1 au temps t, d’éléments pi, j : pi, j = Pr{Zt +1 = j / Zt = i} .
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Table des matières
Introduction
A- LES MODELES D’EXTINCTION AU SERVICE DE LA CRISE DE LA BIODIVERSITE
1- Quelques repères sur l’extinction
1-1 Rappels sur la notion d’espèce et d’extinction
1-2 Accélération du rythme des extinctions
1-3 Les facteurs responsables des extinctions
1-4 Pourquoi protéger les espèces ?
2- Les modèles d’extinction
2-1 Rôles des modèles d’extinction
2-2 Les différents modèles d’extinction
B- DEPENDANCE ENTRE INDIVIDUS ET REALISME DES MODELES D’EXTINCTION
1- Une classe de modèle d’extinction, les Processus de Ramification
1-1 Principe de base des processus de ramification
1-2 Propriétés principales des processus de ramification
2-Dépendance générale entre individus
2-1 Hypothèses
2-2 Effectif efficace d’extinction
2-3 Vérification de la qualité de l’approximation par simulation
3- Densité Dépendance
3-1 Processus de Ramification Densité Dépendants
3-2 Effectif efficace d’extinction et densité dépendance
4-Dépendance généralisée entre individus et variabilité de l’environnement
5-Effet Allee
5-1 Processus de Ramification avec effet Allee
5-2 Analyse de sensibilité
6- Interactions sociales
7-Application à l’Albatros d’Amsterdam
7-1 Stochasticité environnementale
7-2 Dépendance parents-jeunes
7-3 Effet allee sur le veuvage et le coût de la reformation des couples
Discussion
Conclusion
Bibliographie
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