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Les essais cliniques
Les grandes lignes
Fin 2015, environ 1715 essais cliniques sur la MA ont été dénombrés. Parmi ceux-ci, 515 (dont 405 spécifiquement pour la MA) sont en cours ou avec un statut non connus. Ces derniers sont majoritairement recensés aux Etats-Unis et en Europe (Figure 14). La très grande majorité des essais cliniques de ces 30 dernières années ont ciblé deux voies majeures dans la MA. La première est le système cholinergique. En effet, il fut suggéré en 1974 que la mémoire est liée au système cholinergique88. Deux années plus tard, la MA fut associée à une perte sévère de neurones cholinergiques du noyau basal de Meynert89. C’est pourquoi la MA a longtemps été considérée comme une maladie cholinergique, un peu à l’image de la maladie de Parkinson, maladie dopaminergique. Plusieurs drogues ont été développées notamment entre les années 80 et 90 avec comme objectif de moduler les récepteurs nicotiniques et muscariniques via des activateurs de ces récepteurs ou d’inhiber l’acétylcholinestérase, l’idée étant de contrer la baisse d’Acétylcholine (ACh). La deuxième voie ciblée est la cascade amyloïde et la production d’Aβ42. Des drogues ont ainsi été développées pour inhiber les sécrétases (β et ɣ) responsables du clivage de l’APP et donc de la production d’Aβ. Bace1 (la β-sécrétase) est en effet une cible potentielle dans une stratégie thérapeutique contre la MA. Différents essais ont d’ores et déjà été réalisés ou sont toujours en cours. Le composé MK8931-019 (Merck + Dohme Corp) est par exemple en phase 3 avec 1500 patients en recrutement. Cependant, comme pour beaucoup de stratégies thérapeutiques testées, l’effet dose et les effets secondaires sont des éléments majeurs à considérer. Il a récemment été montré que l’utilisation de deux types d’inhibiteurs de Bace1 (SCH1682496 et LY2811376) entrainait des altérations synaptiques structurales et fonctionnelles chez la souris, associées à des défauts mnésiques90. Des résultats décevants concernant certains inhibiteurs de ɣ-sécrétase ont également été montrés comme avec l’Avagacestat (Bristol-Myers Squib). L’immunothérapie, très utilisée dans la recherche sur le cancer, a également été développée pour la MA. Des stratégies d’immunothérapies actives comme avec les vaccins CAD106 (Novartis) ou ACC001 (Pfizer) ont été testées. Il s’agit ici d’injecter des vaccins composés de fragments peptidiques similaires à l’Aβ. Les résultats n’ont semble-t-il pas été convaincants, sans compter des effets délétères de certains vaccins comme le AN1792 (Janssen) qui provoqua des méningo-encéphalites chez certains patients. De nombreuses stratégies d’immunothérapies passives basées sur l’injection d’anticorps anti-Aβ ont aussi été testées (et certaines sont toujours en cours). Là encore, des résultats décevants en phase 3 ont récemment été très médiatisés comme avec le Bapineuzumab91 (Janssen + Pfizer) et le Solanezumab92 (Eli Lilly). Suite à ces deux études, il a été admis que l’utilisation de ces anticorps était trop tardive, ou qu’ils avaient été utilisés chez des patients à des stades trop avancés de la maladie. Il semblerait en effet que l’utilisation de ce type de stratégie chez des patients atteints d’une MA moins avancée donne des résultats plus intéressants93, d’où l’intérêt grandissant pour des biomarqueurs précoces qui permettraient de détecter les patients plus tôt et donc de tester ces thérapeutiques plus tôt également.
AAIC Washington 2015
Je vais présenter ici un bref résumé des derniers essais précliniques et cliniques sur la MA qui ont été principalement présentés lors de la conférence internationale AAIC 15 de Washington en juillet dernier, ceci permettant d’avoir une idée actualisée des stratégies d’aujourd’hui.
Emergent BioSolutions et le 5E3
La société Emergent BioSolutions dont le siège social est Etats-Unis, et représenté par le Dr Laura Saward à l’AAIC résultats d’une étude préclinique sur l’anticorps monoclonal situé dans le Maryland aux 15, a présenté les premiers 5E3. La société avait déjà présenté un poster sur le développement de cet anticorps dont l’affinité est spécifique d’un épitope conformationnel particulier (cSNK). Ils ont démontré une spécificité pour les oligomères d’Aß que ce soit dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) ou dans le broyat de cerveaux de patients Alzheimer avec une réactivité négligeable chez les individus contrôles. De façon intéressante, cet anticorps ne se lie ni aux monomères ou fibrilles d’Aß, ni à l’APP. Après une humanisation et des tests in-vitro, des souris Tg2576 de 12 mois ont été injectées en intra-péritonéal avec une dose de 25 mg/kg, une fois par semaine pendant six semaines. Les auteurs ont mesuré une baisse significative du nombre d’oligomères d’Aß dans le cerveau et le LCR sans impacter les plaques amyloïdes. Des tests sont également en cours sur un autre modèle de souris : les APP/PS1∆E9 (voir §3.1.3.1.). Aucun résultat d’études comportementale ou électrophysiologique pour ne citer que ces exemples, n’a été présenté. L’anticorps n’est toujours pas en phase 1.
Eli Lilly et le N3pG
La société Eli Lilly dont le siège social est situé à Indianapolis aux Etats-Unis a présenté, par l’intermédiaire du Dr Ronald DeMattos, une thérapie combinatoire qui consiste à utiliser à la fois un anticorps spécifique de l’Aß et un inhibiteur de Bace1, la ß-sécrétase impliquée dans le métabolisme de l’APP dont j’expliquerai la fonction un peu plus loin dans ce manuscrit (voir §2.2.). Dans un premier temps, une monothérapie a été testée avec l’anticorps N3pG que la société avait déjà présenté dans une publication en 201294. Cet anticorps est, à la différence du 5E3 cité précédemment, spécifique des plaques amyloïdes et montre une forte clairance de ces dernières. La deuxième monothérapie testée est celle d’un inhibiteur de Bace1. Différentes doses de chaque composé ont été testées allant de 0,3 à 30 mg/kg/jour pour l’inhibiteur de Bace1, et aux alentours de 12,5 mg/kg pour le N3pG. La présentation du Dr DeMattos consistait à promouvoir l’intérêt d’une thérapie combinatoire à l’aide des de ces deux stratégies. Différentes doses (allant de forte, moyenne à faible) ont été testées chez des souris modèles de la MA de type PDAPP (voir §3.1.1.1.). Ils ont mesuré une efficacité plus importante dans le cas de la combinaison des deux stratégies avec un nombre de plaques amyloïdes divisé par deux (400 000 pg/mg à 200 000 pg/mg) en 16 semaines. Là encore, aucune donnée de comportement n’a pour l’instant été générée et aucune donnée sur l’Aß dans les vaisseaux ou le plasma n’a été présentée.
Affiris et l’ADO2
La société Affiris basée en Autriche est spécialisée dans le développement de vaccins avec quelques essais cliniques recensés sur la MA et sur Parkinson. Par le biais du Dr Suzanne Hendrix, présidente de Pentara Corporation (changement d’orateur au dernier moment), les résultats du composé Affitope ADO2 ont été présentés. Le composé ADO4 a été utilisé comme traitement placebo. Aucun des groupes traités avec le composé ADO2 n’a montré d’amélioration et de bénéfice thérapeutique. De façon surprenante, 47,5% des patients traités avec le placebo ADOE4 ont montré une amélioration. Selon l’oratrice, l’explication du non-effet d’ADO2 n’est toujours pas comprise (du moins au moment de l’exposé). Concernant l’effet d’ADO4, il semble être selon elle le parfait exemple d’un « coup de chance ». Une phase d’étude de tolérance et de sécurité a donc déjà été réalisée sur 23 patients. Aucune information sur une suite potentielle n’a été délivrée.
Biogen et l’Aducanumab
Biogen dont le siège social est situé à Weston aux Etats-Unis utilise l’Aducanumab (ou BIIB037) qui est un anticorps anti-Aß humain produit à l’origine par la société Neuroimmune en Suisse. Cet anticorps présente une haute affinité pour un épitope conformationnel sur l’Aß agrégé comme les formes oligomériques, mais absent des formes monomériques. D’après Roger Nitsch, fondateur de Neuroimmune, l’Aducanumab est intéressant de part sa longue demi-vie, ce qui lui permet de s’accumuler de façon conséquente dans le cerveau. Une première présentation par le Dr Jeff Sevigny de Biogen avait été faite à Nice en Mars 2015 à la conférence internationale AD/PD à laquelle je m’étais également rendu. Très médiatisé, des résultats préliminaires d’un essai clinique de phase 1b montraient des résultats sur une étude de 166 patients au stade prodromal. Le choix des patients s’est fait suivant une liste de critères classiques pour ce type d’essai clinique : MMSE >20, PET scan positif avec le radiotraceur florbetapir, allèle APOE ε4 (pour 2/3 des patients), etc. Sur les 166 patients, 40 reçurent le placebo, 31 une dose d’Aducanumab de 1mg/kg, 33 une dose de 3mg/kg, 30 une dose de 6mg/kg et enfin 32 patients avec 10 mg/kg. Plusieurs critiques ont été faites à la suite de cette présentation sur le nombre de patients relativement faible, cela n’ayant pas empêché des analystes de publier sur Twitter dès le 24 mars une valeur potentielle de l’Aducanumab estimée à 90 milliards de dollars. La conférence du Dr Jeff Sevigny à l’AAIC 15 de Washington au mois de juillet a confirmé des résultats prometteurs avec une baisse du nombre de plaques amyloïdes détectée chez les patients traités à 26 et 54 semaines après le début du traitement. Des résultats prometteurs ont également été présentés sur les tests MMSE avec des différences entre les patients traités versus le groupe placebo. Un effet dose a également été observé avec de bons résultats à 3 mg/kg et encore meilleurs à 10 mg/kg. De façon surprenante, les résultats n’ont pas été concluants avec la dose intermédiaire de 6 mg/kg. La grande annonce de cette conférence était sans nul doute l’ouverture d’une phase 3 aux Etats-Unis avec 1350 patients recrutés. A l’heure de l’écriture de ce manuscrit, le statut est toujours « en recrutement ».
Anavex Life Sciences et l’A2-73
Anavex est une compagnie biopharmaceutique basée à New York et engagée dans le développement de médicaments pour des maladies du système nerveux central et certains cancers. La société fait depuis le mois de novembre la une de certains sites spécialisés. De façon intéressante, ces sites ne sont pas scientifiques ou médicaux, mais économiques. La société enregistrée sous le matricule AVXL au Nasdaq a vu la valeur de ses actions doubler en l’espace de quelques jours à la fin novembre 2015. Depuis, le volume d’échanges a augmenté, signe d’un intérêt croissant pour la compagnie (Figure 15). Un essai de phase 1 a déjà été réalisé sur 22 personnes pour évaluer la sécurité/toxicité du composé ainsi que la dose maximale tolérée. Un essai de phase 2a est actuellement en cours de recrutement. Un article de Cory Renauer (analyste spécialisé dans l’industrie pharmacologique) publié le 7 décembre 2015 sous l’intitulé : « Do Eli Lilly and Biogen Have Alzheimer’s All Wrong? » résume assez bien la stratégie choisie par la société. En effet, l’Anavex 2-73 est une petite molécule qui cible les récepteurs Sigma-1 et muscariniques. Il s’agit donc d’une stratégie thérapeutique différente de ce qui s’est fait et de ce qui continue à être fait par la Big Pharma : l’immunothérapie anti-Aβ (et bientôt anti-Tau). Le récepteur Sigma-1 est une protéine chaperonne impliquée dans la survie neuronale. Il a récemment été montré qu’elle régulerait notamment la phosphorylation de Tau en jouant sur la régulation de P3595. L’A2-73 stimulerait cette protéine afin de replier correctement des protéines mal repliées. La molécule se fixerait également sur les récepteurs muscariniques et entrainerait une augmentation de la plasticité cellulaire, une réduction du stress oxydatif, une baisse de l’inflammation, de la quantité d’Aβ et de l’hyperphosphorylation de Tau. La façon dont agirait le composé semble donc multiple et pas encore bien identifiée. Une deuxième stratégie est également testée (l’essai de phase 2a ne se fera que sur l’A2-73 seul) avec la combinaison du Donepezil (ANAVEX PLUS) qui pourrait être utilisé en complément. Les résultats de la phase 2a devraient être connus courant 2016-2017.
Traitements symptomatiques disponibles
Comme nous l’avons déjà précisé, aucun traitement curatif pour la MA n’est disponible. Il existe cependant quelques médicaments disposants d’une autorisation de mise sur le marché et préconisé par la Haute Autorité de Santé : l’Aricept® (donépézil), le Reminyl® (galantamine) et l’Exelon® (rivastigmine) sont des anticholinestérasiques qui vont donc contrer la baisse d’ACh diminuée chez les patients. L’Ebixa® (mémantine) est un médicament également disponible qui va jouer le rôle d’antagoniste des récepteurs NMDA pour le glutamate. L’efficacité de ces médicaments est plus que limitée et de nombreux effets indésirables ont été reportés.
Les voies amyloïdogénique et non-amyloïdogénique
Le premier élément de la cascade amyloïde est le métabolisme de l’APP et la production d’Aβ. Dans des conditions physiologiques, l’APP est majoritairement clivée suivant la voie non-amyloïdogénique avec un clivage par l’ɑ-sécrétase. Trois membres de la famille protéique ADAM ont été proposées comme ɑ-sécrétases97 : ADAM-9, ADAM-10 et ADAM-17 (Figure 17). Ce clivage libère deux fragments : l’ɑ-CTF (ou C83) membranaire et le sAPPɑ aux propriétés protectrices. Nous avons par ailleurs récemment publié une étude montrant que la surexpression du sAPPɑ par transfert de gène était bénéfique chez un modèle murin de la MA98. En condition pathologique, la protéolyse de l’APP suivant la voie amyloïdogénique est majoritaire. L’APP est alors clivée par la β-sécrétase (Bace1) avec la formation de deux fragments : le β-CTF (ou C99) et le sAPPβ. Dans un second temps, le β-CTF est clivé par la ɣ-sécrétase (complexe composé de la PS1 ou PS2, PEN2, Nicastrine et APH1) libérant alors l’AICD et l’Aβ. La ɣ-sécrétase coupe le β-CTF à différents niveaux expliquant ainsi la production de différents types d’Aβ comme l’Aβ42 ou l’Aβ40 majoritaire.
Conséquences de l’accumulation d’Aβ
L’Aβ est un petit peptide d’une quarantaine d’acides aminés (la taille dépendant du site de clivage par les sécrétases). Il est produit à l’intérieur du réticulum endoplasmique et de l’appareil de Golgi et est ensuite sécrété99. Les fonctions physiologiques de l’Aβ sont mal connues. Certaines études ont montré que l’absence d’Aβ n’induisait pas de perte de fonctions physiologique ou vitale100. Cependant, il a été montré que l’Aβ pouvait de façon directe ou indirecte activer certaines enzymes101, réguler le métabolisme et le transport du cholestérol102, agir comme un facteur de transcription103 ou encore avoir une activité antimicrobienne104. L’Aβ peut exister sous l’état de monomères, oligomères, protofibrilles et fibrilles (Figure 18), les fibrilles insolubles s’agglomérant en plaques séniles.
Dans les années 1990, deux études ont révélé que la charge amyloïde de type fibrilles ne corrélait que très peu avec les déficits cognitifs105,106. En 1999, deux autres études ont indiqué que la charge amyloïde soluble de type oligomérique corrélait de façon importante avec la sévérité de la maladie et la perte synaptique, suggérant ainsi que les formes solubles de l’Aβ pourraient jouer un rôle plus important que les formes non solubles dans la physiopathologie de la MA107,108. Dans le cas de la MA, l’Aβ va donc diffuser et s’accumuler au niveau des synapses tripartites notamment sous la forme oligomérique/protofibrille, et être responsable de leurs dysfonctions en diminuant notamment la densité des épines dendritiques et en abrogant la plasticité synaptique109. Le lien entre Aβ et perte de mémoire a été décrit pour la première fois en 1996 chez les souris Tg2576110 puis chez les 3XTg-AD111,112 que nous décrirons dans la prochaine partie de ce manuscrit (voir §3.1.1.2. et §3.1.4. respectivement). De plus, ces études ont également permis de se rendre compte que les défauts cognitifs pouvaient apparaître avant la formation des plaques et des tangles. La LTP dans l’hippocampe, qui représente une mesure électrophysiologique de la force et de la plasticité synaptique et qui requiert l’activation des récepteurs NMDA, est diminuée dans ces modèles. A l’inverse, il a été montré que l’Aβ augmentait la LTD et donc la dépression synaptique113-115. La synapse dans son ensemble est donc perturbée en présence de cette charge amyloïde. Les récepteurs NMDA et AMPA interagissent d’ailleurs étroitement avec des protéines comme PSD-95 au niveau de l’élément post-synaptique. Cette protéine d’échafaudage est essentielle dans l’architecture de la synapse et donc dans son fonctionnement. Elle a d’ailleurs été rapportée comme diminuée dans le cerveau de patients Alzheimer et a été corrélée avec la baisse du nombre d’épines dans des modèles murins116,117. De multiples évènements que je ne détaillerai pas dans ce manuscrit sont aussi perturbés dans l’élément postsynaptique comme l’élévation du Ca2+ cytosolique ou encore la production de dérivés réactifs de l’oxygène (ROS). Il a également été rapporté qu’à des concentrations pathologiques, l’Aβ perturbe l’absorption du glutamate par les cellules gliales115 ce qui augmenterait les niveaux de glutamate et ainsi perturberait la LTP118 et la LTD. Il a ainsi été décrit une baisse du nombre des transporteurs au glutamate : Glast (ou EAAT1) et Glt-1 (ou EAAT2) dans l’hippocampe des patients atteints de la MA119. Ces deux transporteurs sont par ailleurs responsables de la recapture du glutamate en grande majorité par les cellules gliales. Ceci a pour conséquence un débordement du glutamate dans l’espace extra-synaptique et de ce fait une activation des récepteurs glutamatergiques positionnés en extra-synaptique118. L’ensemble de ces éléments n’est pas exhaustif mais représente bien les interactions multiples de l’Aβ sur l’ensemble de la synapse (Figure 19).
La voie Tau
La protéine Tau est une protéine associée aux microtubules (MAP) par son extrémité C-terminale qui interagit avec la tubuline afin de moduler la stabilité des microtubules et donc des axones. Les microtubules sont par ailleurs impliqués dans de nombreuses fonctions cellulaires comme la croissance et le transport cellulaire. Comme nous l’avons précisé précédemment (voir §1.2.2.), sa découverte dans les PHFs et donc dans la MA a motivé la recherche autour de cette protéine. Le gène MAPT de Tau est situé sur le chromosome 17 et suivant l’épissage alternatif, six isoformes sont retrouvées chez l’Homme. Tau est une protéine phosphorylée qui dans un cerveau sain contient 2 à 3 moles de phosphate par mole de protéines Tau. Elle contient 80 sérine/thréonine et 5 tyrosines susceptibles d’être phosphorylées. Dans le cerveau d’un patient Alzheimer, Tau est anormalement phosphorylée jusqu’à trois fois plus que chez le sujet normal, et cet état conduit à une agrégation en PHFs formant les « tangles », deuxième signe caractéristique de la MA après les plaques amyloïdes. Il existe donc une grande quantité de kinases et phosphatases capables de réguler l’état de phosphorylation de Tau et dans certaines conditions induire une hyperphosphorylation anormale conduisant à de la neurodégénérescence et à la démence120. On peut citer parmi les kinases les plus connues GSK3β, CDK5 ou encore DYRK. Parmi les phosphatases, PP2A serait responsable de 71% des déphosphorylations de Tau dans le cerveau humain121. Il est globalement admis aujourd’hui qu’une augmentation de la phosphorylation de Tau diminue son affinité pour la tubuline, entraînant ainsi une diminution de la stabilité des microtubules et donc des neurones. L’hyperphosphorylation anormale de Tau est également une caractéristique de nombreuses autres maladies neurodégénératives appelées Tauopathies. Les tauopathies sont caractérisées par des agrégats de protéines Tau hyperphosphorylées et sont rencontrées dans de nombreuses maladies neurodégénératives mais également avec le vieillissement. On ne connaît cependant pas avec certitude sous quelle forme Tau exerce sa toxicité. On a longtemps pensé que les DNFs étaient les constituants toxiques de la pathologie Tau. Certaines études ont cependant montré que ce serait probablement les oligomères de Tau qui seraient neurotoxiques122. Il a même été proposé que les DNFs soient neuroprotectrices123. L’ensemble reste encore controversé mais il est intéressant de noter que les mêmes questions posées pour l’Aβ et les plaques se posent pour Tau et les DNFs.
Faut-il rejeter l’hypothèse de la cascade amyloïde ?
Il s’agit d’une question intéressante qui anime bon nombre de débats dans le monde de la recherche sur la MA, et ce depuis des années. D’une certaine façon, deux points majeurs sont discutés : le rôle des plaques amyloïdes et la place de Tau dans la progression de la maladie. Pour illustrer ce paragraphe, je prendrai l’exemple d’une conférence donnée à la SFN de 2015 à Chicago. Je n’y ai pas assisté mais une retransmission vidéo de plusieurs conférences concernant la MA ont été publiées par Tim Spencer, Senior Editor de Nature Neuroscience. Plusieurs personnalités reconnues dans le domaine comme Karen Duff (Columbia University Medical Center), Inna Slutsky (Tel Aviv University), David Holtzman (Washington University in St Louis School of Medicine), Scott Small (Columbia University Medical Center) et Karl Herrup (Hong Kong University of Science and Technology) ont abordé le sujet. A la question « Faut-il rejeter l’hypothèse de la cascade amyloïde ? », la réponse de Karl Herrup est sans appel : « oui ! ». Il ajoute même qu’ « Aloïs Alzheimer a probablement eu tort ! ». Ces propos ne sont pas une surprise dans le sens ou Karl Herrup venait de publier quatre mois avant cette conférence une perspective dans Nature Neuroscience intitulée : « The case for rejecting the amyloid cascade hypothesis » 124. Selon lui, deux types d’expériences permettent de tester la validité de cette hypothèse. La première consiste à prendre des Hommes « sains » et d’ajouter de l’amyloïde dans leurs cerveaux. Si l’on s’en tient à l’hypothèse de la cascade amyloïde, ils devraient déclarer une MA. A l’inverse, si l’on prend des personnes atteintes de la MA et qu’on leur enlève l’Aβ, ces personnes devraient aller mieux, toujours en accord avec l’hypothèse de la cascade amyloïde124. La première hypothèse a déjà été plus ou moins testée dans le sens où des plaques amyloïdes ont déjà été retrouvées chez des patients sains sans démence avérée31-34. L’existence de cette population en bonne santé mais « amyloide positive » représente effectivement un défi important pour l’hypothèse de la cascade amyloïde. De la même façon, les essais cliniques dont l’objectif principal étaient de réduire la charge amyloïde dans sa globalité ont jusqu’à présent tous échoué pour stopper l’évolution de la maladie91,92,125. Karl Herrup insiste évidemment sur le fait qu’aucune donnée qu’il présente ne discute l’implication de l’Aβ dans la MA bien au contraire. L’hypothèse de la cascade amyloïde aurait selon lui autant de forces que de faiblesses dans son interprétation. Sa conclusion est de considérer que pour une pathologie avec une prévalence et une complexité comme la MA, il serait très surprenant de voir qu’une seule voie de signalisation puisse conduire un cerveau âgé sain à un cerveau atteint de la MA. Selon David Holtzman, l’hypothèse de la cascade mériterait également quelques reconsidérations du fait que la maladie ne commence pas quand la démence commence, mais 20 ans plus tôt quand l’Aβ commence à exercer sa toxicité dans le cerveau. Il serait donc d’avis de la modifier tout en laissant l’Aβ et ses conséquences en son centre. Selon Scott Small, ce sont les fragments intracellulaires de l’APP qui sont les vrais neurotoxiques, et non pas les fragments extracellulaires comme les plaques. Le problème de cette hypothèse est le développement des plaques qui selon lui qui ne corrèle pas avec les symptômes mnésiques de la maladie. Il rajoute même que si les stratégies d’immunothérapie ont échoué pour l’instant c’est que les principales cibles de ces dernières étaient les plaques amyloïdes. Karen Duff considère qu’il y a une phase Aβ-dépendante et une phase Aβ-indépendante dans le décours de la pathologie et qu’il faudrait ainsi recadrer l’hypothèse en gardant à l’esprit que l’Aβ n’est très probablement pas le responsable de la mort cellulaire, à l’inverse de Tau. Elle revient sur les modèles APP et Aβ disponibles qui ont finalement selon elle de faibles défauts cognitifs et insiste sur Tau et son impact dans la MA.
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Table des matières
LISTE DES TABLEAUX
INTRODUCTION
1. LA MALADIE D’ALZHEIMER
1.1. Définition et contexte
1.1.1. Troubles cognitifs et diagnostic de la MA
1.1.2. La MA, un vieillissement pathologique ?
1.1.3. Impacts sociaux et économiques
1.2. Historique
1.2.1. Début du XXème siècle : la découverte
1.2.2. Fin du XXème siècle : des avancées majeures
1.3. Neuropathologie
1.3.1. L’atrophie cérébrale
1.3.2. Les plaques amyloïdes
1.3.3. Les dégénérescences neurofibrillaires
1.3.4. Autres lésions
1.3.4.1. L’angiopathie amyloïde cérébrale
1.3.4.2. La perte neuronale
1.3.4.3. La perte de l’intégrité synaptique
1.4. Etiologie
1.4.1. Les Formes familiales de la MA
1.4.1.1. Le gène APP
1.4.1.2. Les gènes PS1 et PS2
1.4.2. Les Formes sporadiques de la MA
1.4.2.1. Facteurs de risque génétiques
1.4.2.1.1. Le gène APOE
1.4.2.1.2. Les GWAS
1.4.2.2. Autres facteurs de risques
1.5. Clinique
1.5.1. Diagnostic
1.5.2. Biomarqueurs
1.5.3. Les essais cliniques
1.5.3.1. Les grandes lignes
1.5.3.2. AAIC Washington 2015
1.5.3.2.1. Emergent BioSolutions et le 5E3
1.5.3.2.2. Eli Lilly et le N3pG
1.5.3.2.3. Affiris et l’ADO2
1.5.3.2.4. Biogen et l’Aducanumab
1.5.3.2.5. Anavex Life Sciences et l’A2-73
1.5.3.3. Traitements symptomatiques disponibles
2. LA CASCADE AMYLOÏDE
2.1. L’hypothèse d’Hardy et Higgins de 1992
2.2. Les voies amyloïdogénique et non-amyloïdogénique
2.3. Conséquences de l’accumulation d’Aβ
2.4. La voie Tau
2.5. Faut-il rejeter l’hypothèse de la cascade amyloïde ?
3. LES MODELES D’ETUDES DE LA MALADIE D’ALZHEIMER
3.1. Modèles souris
3.1.1. Modèles APP
3.1.1.1. Le modèle PDAPP
3.1.1.2. Le modèle Tg2576
3.1.1.3. Le modèle APP23
3.1.1.4. Le modèle J20
3.1.1.5. Le modèle TgCRND8
3.1.1.6. Les modèles APP NL-F et NL-G-F
3.1.2. Modèles PS1
3.1.2.1. Les modèles PS1(M146L) et PS1(M146V)
3.1.2.2. Les modèles PS1 KO et KI
3.1.3. Modèles APP+PS1
3.1.3.1. Le modèle APPswe/PS1dE9 (ou « APP/PS1∆E9 »)
3.1.3.2. Le modèle 5xFAD
3.1.3.3. Le modèle APP751SL/PS1 KI (ou « APP/PS1 Ki »)
3.1.4. Modèles TAU et APP+PS1+TAU
3.1.5. Modèles Aβ
3.1.5.1. Le modèle BRI-Aβ42
3.1.5.2. Le modèle par injection d’Aβ de synthèse
3.2. Modèles rats
3.2.1. Les modèles UKUR28, 19 et 25
3.2.2. Le modèle TgAPPswe
3.2.3. Le modèle Tg6590
3.2.4. Le modèle Tg478/Tg1116/Tg11587
3.2.5. Le modèle McGill-R-Thy1-APP
3.3. Autres modèles d’étude
4. LE TRANSFERT DE GENES
4.1. Les vecteurs AAVs
4.2. Injection stéréotaxique des AAVs
4.3. Exemples d’utilisation dans le cadre de la MA
4.3.1. Développement de stratégies thérapeutiques
4.3.2. Développement de stratégies de modélisation
OBJECTIFS DES TRAVAUX DE THESE
RESULTATS
ARTICLE 1
RESULTATS PRELIMINAIRES DE L’ARTICLE 2 EN PREPARATION
DISCUSSION ET PERSPECTIVES
DISCUSSION DES RESULTATS
L’expression des transgènes
Métabolisme de l’APP
Hypothèse formulée
L’implication de Tau
Des modèles à progression lente
La question du sérotype viral utilisé
PERSPECTIVES ET AUTRES PROJETS LIES AU MODELE
Etude de protéomique comparative
Construction d’une protéine de fusion
Projet TRIAD
Co-injection d’Aftin-5
Injection d’homogénats de cerveaux humains
Injection dans le bulbe olfactif
Développement d’un modèle primate
Développement de la société AgenT
ANNEXES
BREVET
PUBLICATIONS ET COMMUNICATIONS
BIBLIOGRAPHIE
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