Les missions de médiation
En parallèle, plusieurs missions de médiation m’ont été confiées, notamment en collaboration avec la chargée de mission EAC de la galerie: Alice Assouline. Je me suis alors jointe à ses actions de médiations dans certaines écoles, en guise de soutien. Mon rôle en tant que médiatrice à la Biennale Art Sciences Experimenta en février 2020 et les différentes actions de médiations auxquelles j’ai assisté en tant que spectatrice m’avaient déjà formée à l’importance de la médiation culturelle, mais je n’avais encore jamais assisté à des actions en école. Ainsi, pour certaines interventions comme à l’école Chamrousse à Seyssinet-Pariset, je n’ai été que spectatrice, afin de comprendre la dynamique et les enjeux de ce type d’action dans les murs d’une école. Contrairement à une visite guidée à la galerie, par exemple, un atelier de création à l’école impose une proximité plus importante avec les élèves, qui, puisque dans leur salle de classe, ils se sentent plus en confiance et à l’aise pour intervenir. Dans la même idée mais avec un public cible plus âgé, j’ai aussi assisté à des conférences d’histoire de l’art, dispensées par Fabrice Nesta au lycée Pablo Neruda. Pour d’autres actions de médiation, comme à l’école Paul Langevin, mon rôle était plus participatif : j’assistais Alice Assouline dans la mise en place de l’atelier et l’interaction avec les élèves pendant l’exercice. Cette intervention s’est faite auprès de trois classes de CP dédoublées sur l’oeuvre La galerie d’espèces disparues de France Cadet. Alice Assouline organisait la médiation en trois temps : un premier temps de présentation de la galerie Vallès et de l’oeuvre. Un deuxième temps d’interaction avec des réflexions sur ce qu’est une oeuvre d’art, un musée, ce qui plaît dans l’oeuvre et ce qui plaît moins. Pour finir, les élèves se prêtaient à un exercice de création autour du thème de l’oeuvre : ici, un cadavre exquis avec des dessins d’animaux. Sans se consulter, un élève dessine la tête, le suivant le corps, le dernier les pattes de l’animal. A la fin, un animal hybride, évolué, prend vie avec une tête, un corps et des pattes formés de différents animaux. Pour cette occasion, j’ai également eu la responsabilité de créer un livret pédagogique en lien avec le thème de l’action de médiation, de l’oeuvre présentée et du programme des élèves, pour que l’institutrice puisse poursuivre la réflexion et le travail plastique en autonomie.
A mon sens, une structure qui fait l’effort de maintenir le contact avec des partenaires institutionnels et qui organise des temps de médiation hors les murs se doit de le valoriser. En ce sens, j’ai réalisé un retour vidéo des différentes interventions en école. Cette production vidéo se voulait explicative, didactique, pour montrer en quoi consiste la médiation. Cela permet à l’école qui a participé à l’atelier d’avoir un souvenir de l’intervention, mais aussi d’informer les écoles potentiellement intéressées par ce type d’action que l’Espace Vallès est une ressource importante du territoire. Sous cette impulsion de vouloir montrer que la culture – et plus précisément l’éducation artistique et culturelle – ne s’arrête pas de vivre avec la crise sanitaire, certaines des photographies que j’ai prises pendant les ateliers ont également été diffusées sur le portail culturel de la ville et dans les périodiques municipaux comme SMH Ma Ville et Périphériques.
Lors du dernier mois de mon stage, le mercredi 2 juin, la Direction des affaires culturelles de Saint-Martin-d’Hères a décidé de mettre à l’honneur l’éducation artistique et culturelle, considérée comme un axe fort de la politique culturelle de la ville, en créant une journée EAC intitulée « Cultures partagées : EAC ». Cet événement était également l’occasion pour les différents acteurs culturels de se rencontrer, se retrouver, et échanger autour d’une problématique commune, tout en envisageant de nouveaux partenariats. En présence des équipements culturels municipaux, des associations culturelles subventionnées par la ville et des partenaires institutionnels de la municipalité, chaque structure s’est présentée et a évoqué les projets possibles en termes d’éducation artistique et culturelle, par tranche d’âge. En parallèle, chaque structure culturelle possédait un stand en extérieur pour distribuer des documents et interagir directement avec le public. Ainsi, un grand travail de préparation a eu lieu pour chaque structure, et entre mes collègues et moi-même, en termes de référencement d’actions éducatives et de réflexion sur de potentiels nouveaux projets. La DAC a, pour préparer l’évènement, travaillé sur la réalisation d’un catalogue synthétisant l’ensemble des projets EAC portés par les structures municipales sur la saison 2021-2022 et aidé à identifier deux projets phares présentés par tranche d’âge. Malgré une affluence restreinte à cause des mesures sanitaires, cette première journée de « Cultures partagées » est considérée comme un succès et sera reconduite l’année prochaine. Elle a permis à mes collègues de l’Espace Vallès de se faire de nouveaux contacts, notamment dans le milieu scolaire, grâce aux visites d’enseignants et de professionnels de l’éducation.
Les missions liées au développement de l’artothèque
Outre les missions de communication et de médiation qui avaient été prévues dans la convention de stage, j’ai eu l’opportunité de participer à la création d’un nouveau service : l’artothèque Vallès. Un projet de cette ampleur a une grande incidence sur l’organisation de la structure. Pour introduire ce service, il a fallu voir un certain nombre de détails administratifs, techniques, matériels. Mon rôle dans cette nouvelle dynamique a été de créer les fascicules des oeuvres présélectionnées pouvant faire partie du fonds d’acquisition de la future artothèque. Ces fascicules étaient en lien avec un bulletin de vote, que les usagers de la galerie pouvaient remplir avec l’objectif de nous indiquer quelles oeuvres ils aimeraient voir à la future artothèque. Ainsi, lorsque j’accueillais les usagers dans la galerie, je leur expliquais le principe de l’artothèque, je leur montrais les oeuvres exposées faisant partie de la sélection et je les invitais à voter. Entre les personnes qui ne savaient pas ce qu’était une artothèque et les personnes passionnées par le projet, l’interaction avec les différents publics était toujours enrichissante. À la fin de l’exposition 30 ans < 30 artistes – qui était prématurée, puisque la galerie a dû fermer dès le 3 avril alors que l’exposition se terminait le 24 avril – mes collègues et moi-même avons dépouillé et répertorié les votes dans l’idée de garder les oeuvres les plus appréciées du public. L’envie commune était de prendre au moins une oeuvre par artiste, pour que chacun soit représenté. Grâce au budget alloué par la ville pour le lancement de l’artothèque en septembre 2021 – 10 000 € – cela a été possible.
Puisque la communication était mon champ de prédilection, Charles Quénard, mon tuteur de stage et directeur des affaires culturelles, m’a indiqué qu’il était important de penser la communication pour l’artothèque : quelle stratégie adopter avant septembre? Dans cette optique, élaborer un rétro-planning avec des dates et des moments clefs aurait été le mieux, mais cette mission a été mise à mal par le départ du chargé de communication qui s’occupait des différents plans de communication de la municipalité (en interne et en externe). Ma mission de communication s’est donc principalement axée sur l’information de Jean-Pierre Chambon – journaliste et écrivain dans Périphériques – sur les modalités d’ouverture de l’artothèque pour qu’il puisse l’évoquer dans ses articles avant l’été et ainsi tenir au courant les Martinérois de l’ouverture du service. D’autres articles, mailings, conférences de presse et démarches auprès des médias locaux sont prévus par l’équipe de la galerie à la rentrée. En attendant, mes collègues, Agnès Villard (chargée de communication à la direction des affaires culturelles) et moi-même avons réfléchi à l’arborescence du portail culturel, et à la manière d’y inclure l’artothèque dès son ouverture. Plus largement, j’ai apporté mon aide à mes collègues dans l’élaboration des documents officiels de l’artothèque, en restant à leur disposition pour d’éventuelles relectures et corrections de documents administratifs comme le règlement intérieur ou la fiche de prêt que les usagers de l’artothèque devront remplir et signer. Une fois les oeuvres choisies, j’ai eu le privilège de participer à la mise en place de la politique d’acquisition des toutes premières oeuvres de l’artothèque de l’Espace Vallès.
Toutes ces missions m’ont permis de mettre en pratique différents savoirs et diverses compétences. J’ai découvert le fonctionnement d’une municipalité, les échanges constants entre les services et les besoins spécifiques d’une galerie d’art contemporain.
Démocratiser l’art contemporain
Appréhender les enjeux de ce projet d’artothèque pour l’Espace Vallès nécessite un point de départ dans la construction et l’enrichissement de la politique culturelle déjà existante à Saint-Martin-d’Hères. Le premier objectif cité par la délibération du conseil municipal lors de l’élaboration du projet est la démocratisation de l’art contemporain : il s’agit d’aborder les différents aspects d’une telle notion, de sa signification à sa mise en oeuvre concrète.
Une galerie d’art dans une ville ouvrière
Durant les Trente Glorieuses en France, un essor des classes moyennes se trouve généralisé dans l’intégralité du pays. Un développement démocratique se crée et se déploie grâce à des structures favorisant l’éveil – artistique, entre autres – des citoyens comme les musées, les théâtres, les cinémas, les bibliothèques ou les galeries d’art. Des lieux, auparavant considérés comme savants ou consacrés à la recherche, ouvrent leurs portes et se modernisent afin d’accueillir un public nouveau, plus vaste, et de toutes les classes sociales. D’abord l’industrialisation au XIXème siècle, puis l’après-guerre, incitent les populations à percevoir de plus en plus de changements, remarquer l’importance des mutations, et ainsi entretenir une envie de transmettre. Conserver le passé et en garder des traces devient une nécessité ; et une volonté de découvrir, préserver et valoriser le patrimoine se crée peu à peu. L’attrait touristique pour le patrimoine transforme les oeuvres d’art, galeries et musées en des lieux d’intérêt commun. Saint-Martin-d’Hères se place dans ce contexte socio-politique changeant, puisque la commune, d’origine rurale, devient peu à peu ouvrière. Des années 1920 aux années 1960, la ville de Saint-Martin-d’Hères se développe grâce à sa population grandissante, la construction de différentes écoles mais aussi le développement de plusieurs usines, comme la biscuiterie Brun de plus de dix hectares. La population ouvrière, découlant de l’industrialisation du village de Saint-Martin-d’Hères, se mêle à la population rurale, lorsqu’une zone agricole vient s’implanter dans un différent secteur de la commune. La ville accueille alors une population diversifiée, avec différentes valeurs – ouvrières, agricoles – et différents besoins culturels.
Saint-Martin-d’Hères, comme la France après la seconde guerre mondiale, se base sur une politique d’accueil des étrangers : différentes communautés (européennes, russes, maghrébines) vivent donc au sein d’une même zone géographique étendue. Dans les années 1960, la ville connaît un bond démographique sans précédent, notamment grâce à la construction du domaine universitaire en 1962, au rapatriement des Français d’Algérie, et au développement de l’agglomération grenobloise.
L’action culturelle de la ville suit le cours de son histoire, avec des associations qui se créent dans une optique de devoir de mémoire, en lien avec la transmission des usages sociaux et historiques de la population martinéroise61. Les politiques culturelles de la ville sont jusqu’alors liées à la conservation et valorisation de son patrimoine historique, notamment par le biais de fêtes traditionnelles comme le bal du 14 juillet, des déambulations et défilés à thème, des fêtes de la jeunesse organisées par l’Amicale Laïque. La culture portée par la commune est une culture populaire liée aux traditions folkloriques du secteur et à la communauté intergénérationnelle attachée aux valeurs familiales. L’éducation, les activités artistiques et culturelles mais aussi les loisirs constituent des avantages sociaux considérables que la ville met en place pour les ouvriers et leurs enfants.
C’est à partir des années 80 que les élus de Saint-Martin-d’Hères portent la culture comme outil de lien social entre les habitants, et surtout comme vecteur de distinction de la ville-centre qu’est devenue Grenoble. La ville met alors en place une politique culturelle active, non plus axée sur l’histoire du territoire, mais sur la construction d’une identité culturelle propre, affirmée. Par la compréhension et la valorisation de l’interculturalité et des différentes communautés qui ont constitué – et constituent toujours – les habitants de Saint-Martin-d’Hères, la ville se lance dans la création d’une culture communautaire collective. Pour ce faire, différents plans culturels sont mis à exécution notamment le 1% culturel artistique, mais également l’achat d’équipements culturels municipaux comme Mon Ciné (1987), l’Espace Vallès (1990) et l’Heure Bleue (1993). Ces différents lieux projettent Saint-Martin-d’Hères dans le paysage culturel de l’agglomération et permettent d’attirer un public plus large, tout en donnant l’occasion à ses habitants d’accéder à une offre culturelle diverse et constante. La culture est à la fois vue comme une responsabilité collective, que l’on peut définir par des activités et lieux dits « culturels », mais également comme un engagement individuel. Il s’agit de s’approprier les dimensions esthétiques et morales de la culture, dans un élan personnel, basé sur la volonté et le choix. Les collectivités territoriales apportent en ce sens beaucoup de nouvelles ressources, et mettent à disposition des possibilités d’expression culturelle. Selon José Arias, ancien élu à la culture de 1983 à 2014 : « Il ne suffit pas de commander, il ne suffit pas d’avoir des pratiques, ce n’est pas parce qu’on est une ville de banlieue qu’on n’a pas le droit de diffuser et de permettre la création artistique.». Saint-Martin-d’Hères s’est donc très tôt inscrite dans une politique volontariste qui met en avant l’accès à la culture, l’éducation populaire et la considération des artistes et de leurs oeuvres. Cette politique se traduit par une compétence culturelle de la ville, puisque tous les équipements sont en gestion directe et qu’il y a donc une programmation culturelle de la ville. Plus encore : la municipalité a créé des habitudes de participation culturelle chez les habitants en ayant une approche de la culture marquée par l’éducation populaire.
La médiation de l’art contemporain, une nécessité ?
Pour favoriser la démocratisation, qui correspond à un égal accès aux différentes offres culturelles, une structure se doit de ne pas rester statique, dans l’attente de voir les publics venir de leur propre chef. La participation à la vie culturelle et l’accompagnement dans la réflexion et dans la création sont alors des enjeux de taille. Saint-Martin-d’Hères a bien compris ce principe puisque si les habitants ne vont pas vers la culture, c’est la culture qui va jusqu’à eux. C’est à ce moment que la médiation entre en jeu.
La ville de Montréal définit la médiation culturelle comme « des stratégies d’action culturelle centrées sur les situations d’échange et de rencontre entre les citoyens et les milieux culturels et artistiques. »66. Ainsi, la médiation cherche à développer la liberté par la rencontre. Liberté de choix, et liberté de goût. Par la sensibilité de chacun, la médiation culturelle est un outil utilisé dans un désir d’égalité dans le rapport à la fréquentation de l’oeuvre d’art. La sensibilité de l’individu est tout de suite mise en jeu puisque face à une oeuvre d’art, le goût entre inévitablement en compte. Pour qu’en premier lieu, un avis personnel ou un jugement par le goût soit émis, il faut que l’individu soit confronté à l’oeuvre, qu’il soit en contact avec elle. Mais un simple contact suffit-il pour appréhender une oeuvre? Un individu ne peut pas pleinement aimer quelque chose qu’il ne connaît ou ne comprend pas. Pourtant, le but de la médiation n’est pas de faire aimer l’art, mais tout simplement de le faire connaître, et comprendre. Du latin cum (« avec ») et prehendere (« prendre »), comprendre signifie « saisir par l’intelligence, embrasser par la pensée ». Le public doit alors comprendre pour s’approprier et interagir librement avec l’art. Plus largement, la médiation est le lien qui facilite le contact entre l’artiste, l’oeuvre, et le public. Plusieurs actions de médiation existent dans plusieurs secteurs artistiques, mais toutes tendent vers l’objectif de créer un temps de rencontre entre les spectateurs et acteurs culturels dans une idée d’échange, d’interaction et d’engagement personnel.
Différents publics peuvent être visés par une action de médiation, puisque le projet peut être dans une démarche pédagogique, accompagnante, ou informatrice. Par exemple, une visite guidée tout public dans un musée peut être considérée comme une action de médiation, tout comme un bord de scène après un spectacle en temps scolaire. La notion de médiation est alors étroitement liée au développement et à l’inclusion sociale mais aussi à l’apprentissage. En ce sens, lorsque la médiation culturelle en direction du jeune public est mentionnée, elle est souvent rapprochée de la notion d’éducation artistique et culturelle (EAC). Pour justifier cela, il est nécessaire de déterminer les différents pôles d’action que la médiation utilise. Un exemple concret : une action de médiation à l’école Paul Langevin à laquelle j’ai participé les 27 et 28 janvier 2021. Menée par Alice Assouline – chargée de mission EAC à l’Espace Vallès – la rencontre s’est faite en plusieurs temps. Le principe était avant tout de faire connaître la galerie et son exposition aux différentes classes de CP rencontrées. D’abord, nous avons montré l’oeuvre (adaptée à leur programme scolaire et leur cycle d’éducation) qui était Le dodo de la collection Galeries d’espèces disparues de France Cadet. C’est la première étape : voir. Pendant ce temps, les élèves ont un premier contact visuel avec l’oeuvre, et leur appréhension d’une oeuvre d’art se fait moins importante et moins intimidante. Une première réaction peut se faire ici, qui sera seulement basée sur le sensoriel. Qu’elle soit physique – comme un rire ou un cri – ou qu’elle soit émotionnelle – comme de la peur ou du dégoût – la réaction n’est pas basée sur un jugement éclairé, mais sur une sensation, puisque l’élève n’a pas encore toutes les clefs en mains pour comprendre et appréhender l’oeuvre dans son intégralité. La seconde étape consiste à réfléchir autour de l’oeuvre, et discuter sur la technique utilisée. Le message interprété par les élèves, ce qu’ils imaginent de l’oeuvre et ce qu’ils ressentent face à elle. Cette étape est indispensable pour susciter l’échange et l’intérêt des élèves, pour que chacun s’exprime dans une totale légitimité et liberté. Elle aide également à accéder à l’autre enjeu de la médiation : comprendre. Maintenant que le contexte est connu de l’élève, peut-être verra-t-il l’oeuvre autrement. En tout cas, il a maintenant appris différentes choses sur l’art, et donc sur lui-même, puisque l’action de médiation est entièrement basée sur le ressenti et les réactions des élèves. Rappelons que l’art est une notion anthropologique qui est souvent utilisée pour nous définir en tant qu’individu, et cela peut commencer dès le plus jeune âge. La dernière étape est la pratique. La médiatrice Alice Assouline et moi-même avions alors créé des exercices en résonance avec l’oeuvre et son thème (la disparition ou mutation de différents animaux existants). Cette étape de la médiation est importante pour rendre le spectateur acteur de sa propre vision de la culture. C’est une tentative de mieux comprendre l’art par l’expérience et l’expérimentation. Elle permet de stimuler l’imagination et susciter la création, d’un même pied d’égalité, chez les élèves. Ainsi, la médiation a donc quatre pôles d’actions qu’il est possible d’utiliser (cf. schéma ci-dessous).
Vers une démocratie culturelle
La culture est un enjeu sociétal, dans le sens où elle évolue avec son temps. Les problématiques d’une société, qu’elles soient politiques, sociales, écologiques ou économiques, s’envisagent et émergent grâce à une participation active des individus dont les artistes. Une réflexion commune entre les acteurs culturels s’engage alors : comment passe-t-on d’une ère de démocratisation culturelle, mise en place depuis les années 60, à une phase de démocratie culturelle?
Comme dit précédemment, André Malraux, grâce au Ministère de la culture et de la communication, attribue une politique publique nationale à la culture. Une volonté de « Culture pour tous » est mise en place, notamment avec la création de nombreux équipements culturels nationaux sur l’entièreté du territoire. Les maisons de la culture, dont la première naît en 1961 au Havre, permettent de diffuser plus largement et plus équitablement une offre culturelle dite « d’excellence ». Ces lieux rassemblent deux idéaux de Malraux et son ministère : d’abord – et cet idéal est le même que celui de l’éducation populaire présente à Saint-Martin-d’Hères : l’accès de chacun à la culture, peu importe son origine sociale ou géographique. Le deuxième idéal représente une reconnaissance des oeuvres françaises les plus accomplies : « la culture élitiste pour tous » selon Antoine Vitez. En effet, dans les années 50, l’offre culturelle était concentrée dans la capitale française. « Hors de Paris point de salut » indique Catherine Tasca, ancienne Ministre de la Culture et de la Communication. La décentralisation culturelle est alors l’idée de sortir de la capitale, et débute par la décentralisation théâtrale. La culture est encore vue comme un tout, homogène et généralisée. Cependant, c’est grâce à ces maisons de la culture que les problématiques culturelles essentielles se sont mises en place : la quête de tous les publics, la responsabilité politique en matière de développement culturel, la pluridisciplinarité, la place de la création contemporaine dans la société ou encore l’absolue nécessité de l’art dans la vie et le quotidien de chacun. C’est avec l’arrivée de Jack Lang en tant que Ministre de la Culture en 1981 que toutes les expressions artistiques sont de mieux en mieux considérées, des formes reconnues comme avant Malraux, aux formes dites « populaires » comme la photographie, le rock ou le jazz. La culture devient un champ global basé sur l’interculturalité et la pluralité des domaines d’expression (arts populaires ou urbains) mais aussi des moyens d’expression (bande dessinée, street art). Ce sont les prémices d’une culture collective, alimentée par une culture et des pratiques individuelles, où chacun apporte une dimension différente à ce que l’on appelle l’art.
Dernièrement, cette notion de démocratisation culturelle est de plus en plus questionnée. D’autres notions sont aujourd’hui à considérer, notamment les droits culturels74. Ces derniers interrogent la capacité de chacun à accéder à la culture mais évoquent également le droit de chacun de côtoyer des oeuvres et activités culturelles dans l’optique d’un enrichissement personnel – intellectuel, sentimental ou social – et de la construction de son identité culturelle propre. De nombreuses interrogations sont amenées par le prisme des droits culturels : la diversité culturelle, la liberté et responsabilité culturelle d’un individu, les modalités de participation d’un individu à la vie culturelle locale, l’apport culturel d’un citoyen à la société, etc. C’est grâce à l’adoption de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle en 2001 puis la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles en 2005 que les valeurs de la démocratie commencent à rejoindre officiellement le milieu culturel. En mettant l’individu au centre des préoccupations, les droits culturels indiquent une liberté d’accès à l’objet culturel tout en introduisant une appropriation de ce dit objet par l’individu. Le but ultime est alors semblable à celui de la démocratie : l’accomplissement de l’individu grâce à l’art, sans porter atteinte à sa dignité. Comme l’indique Masahiro Mashita, professeur d’études interculturelles au Kobe College au Japon : « Par démocratie on entend tout ce qu’il faut admirer : la liberté d’expression, les droits de l’homme, le respect de l’individu, la justice distributive, etc. ». C’est ainsi que la notion de démocratie culturelle prend forme, en mettant l’accent sur le rôle de l’individu au sein de la vie culturelle et sur sa participation à la création d’un ensemble de cultures, individuelles et collectives.
La démocratisation correspond donc, grossièrement et initialement, à une diffusion à grande échelle d’oeuvres artistiques reconnues, dans un esprit d’égal accès à la culture et de lutte contre les discriminations sociales qui peuvent parfois affecter la rencontre avec le monde culturel. En revanche, la démocratie culturelle est un projet plus récent, une notion en construction, qui vise à permettre aux habitants d’être acteurs de leur culture, en valorisant et intensifiant les pratiques culturelles de la population. La démocratisation est alors représentative de la qualité artistique, alors que la démocratie culturelle entretient le lien social. L’une n’empêche pourtant pas l’autre, c’est un rapport complexe qui nécessite des compromis partiels entre les disciplines artistiques, mais aussi les acteurs du territoire (associatif, institutionnel, collectif). Publics et usagers se retrouvent acteurs, contribuent aux débats et aux choix culturels.
Parallèlement à Jack Lang et sa politique d’offres culturelles diversifiées dans les années 80, se crée une montée en puissance des politiques publiques locales grâce à l’émergence de collectivités territoriales. Le territoire est alors pris en compte, pas seulement géographiquement, mais individuellement, avec son identité propre et ses spécificités. Les responsabilités des collectivités territoriales dans l’implication culturelle se sont renforcées avec les années. C’est en ce sens que le compte rendu du Comité interministériel à la ville du 29 janvier 2021 indique l’objectif de « démocratiser l’accès à la culture dans les quartiers prioritaires » et un développement de « moyens supplémentaires pour accéder au sport et à la culture ». Il y a un désir de renforcer la cohésion sociale dans les villes, de contribuer à l’intégration des populations défavorisées et/ou étrangères. L’Etat veille au renforcement de certaines politiques publiques dans les villes dans l’idée de garantir les valeurs républicaines sur tout le territoire. Par ailleurs, une volonté s’est créée, au fil des années et de la politisation des classes populaires périurbaines, de changer les représentations extérieures qui se font de certains quartiers et de certaines communes. La démocratie culturelle est, dans un sens, une mise en pratique d’une sorte de sapere aude dans un contexte institutionnel : les droits d’accès et de production culturelle sont garantis pour tous grâce aux politiques culturelles territoriales. Une nouvelle dimension s’ajoute à la culture grâce au libre entendement des usagers, à un modernisme culturel mis en place en faveur des habitants qui se retrouvent acteurs de culture, et non pas bénéficiaires, ni spectateurs. Les multiples cultures de la population martinéroise sont donc invitées à se rejoindre, dans cette idée que John Dewey – et plus tard Joëlle Zask – évoquent : notre expérience culturelle individuelle et sa signification ne seront pas amoindries par une culture différente, mais bien élargies et enrichies.
Créer les moyens d’une circulation des publics
Pour pouvoir favoriser l’implication des différents publics dans la vie culturelle martinéroise et leur fournir une politique culturelle adaptée à leur situation, il est nécessaire de comprendre les différentes circulations des publics présentes sur le territoire martinérois. Quels publics pour quels équipements? Quelles sont les spécificités de l’offre culturelle à Saint-Martin-d’Hères? Comment l’Espace Vallès s’inscrit-il dans cette dynamique culturelle territoriale, vis-à-vis de ses usagers mais aussi des autres structures culturelles? Cette dynamique se retrouve questionnée avec l’arrivée de l’artothèque.
Jeux d’acteurs entre l’équipement et les publics
Dans le but de définir différents publics et leurs caractéristiques, il est non négligeable de réfléchir aux images qu’une structure culturelle véhicule. Une galerie d’art contemporain, notamment, se retrouve souvent soumise à différentes perceptions ; la perception que le public se fait de l’art contemporain, mais aussi d’une galerie d’art. Cela peut agir sur la dynamique structure/publics.
Tout d’abord, la perception que le grand public se fait de l’art contemporain est difficilement qualifiable. Puisque l’appréciation d’une oeuvre repose souvent sur le ressenti et l’appréhension de cette dernière, il est d’usage de trouver l’art contemporain péniblement accessible. Effectivement, la diversité de techniques, médiums, domaines artistiques qui caractérise l’art contemporain peut parfois porter à confusion. D’expérience personnelle, lors de ma visite à la Biennale de Lyon en 201582 ; qui constituait mon premier contact officiel avec le monde des arts plastiques ; j’ai pu voir les réactions diverses face à des oeuvres d’art contemporain. Plus précisément, AURA de Céleste Boursier-Mougenot est une oeuvre qui m’a personnellement marquée. En premier lieu, par son emplacement, puisqu’elle était installée seule, au centre de la salle du bas de la Sucrière, ce qui lui donnait un certain panache. En second lieu, par son ingéniosité technique, puisque le principe même de l’oeuvre était interactif, sans même que les visiteurs le sachent. Chacun était surpris de voir une oeuvre prendre vie, même pour quelques secondes, sans même savoir pourquoi. Entre les questionnements sur la légitimité d’appeler cela de l’art, et les jugements de valeurs (« c’est moche », « ma petite soeur peut faire la même chose »), c’est surtout de l’incompréhension qui se faisait sentir face aux différentes oeuvres. La cause en est l’habitude qu’a le spectateur de vouloir comprendre le message de l’oeuvre, l’intention de l’artiste. Parfois, certains spectateurs souhaitent tellement trouver une signification dans l’oeuvre qu’ils se perdent dans la contemplation et se sentent stupides face à leur propre incompréhension. Cette incompréhension, ou cet inconfort, peut également être dû à l’habitude, formée par la plupart des courants de l’art, qu’une toile doit abonder de détails iconographiques ou utiliser des techniques reconnues : une toile vide de fond peut alors dans un premier temps paraître vide de sens. Cependant, la vérité est que, parfois, les artistes eux-mêmes ne sauraient donner un sens à leur oeuvre autre que celui qui guide leur processus artistique. L’art abstrait, courant majeur de l’art contemporain, se veut alors plus instinctif que descriptif, puisque par définition, il n’est pas figuratif. Deux débats sont alors perpétuels lorsque l’art contemporain est évoqué au tout public : celui de la représentation, qui indique qu’une oeuvre doit ressembler à quelque chose ou vouloir dire quelque chose, comme dans beaucoup de courants artistiques. Celui, aussi, de la beauté de l’art, mais ce débat est intemporel, comme l’indiquent les nombreux écrits philosophiques qui débattent de la question. Ainsi, l’art contemporain rompt avec nos représentations classiques de l’art, mais aussi avec l’interaction de l’oeuvre avec le public. L’art contemporain questionne, turlupine, intéresse, choque, dégoûte parfois. Finalement, c’est dans la réflexion qu’il engage chez le spectateur que l’art contemporain est reconnaissable en tant que tel.
L’élargissement d’un réseau institutionnel
A l’image de toutes les artothèques, en élaborant ce nouveau service, l’Espace Vallès va s’inscrire dans de nouveaux réseaux, professionnels comme institutionnels. Cela implique un nouveau fonctionnement pour la structure, mais aussi pour ses agents, et une nouvelle dynamique territoriale.
Le projet d’artothèque est explicitement mis en place entre deux équipements culturels municipaux : l’Espace Vallès et la Médiathèque de Saint-Martin-d’Hères. La médiathèque, répartie en quatre bibliothèques sur tout le territoire martinérois, représente la plupart des actions culturelles autour de la lecture et du patrimoine, et est le premier équipement culturel municipal de la ville. Ouverte depuis 1966, elle fait partie du réseau professionnel SITPI (syndicat intercommunal regroupant les communes adhérentes que sont Echirolles, Fontaine, Pont-de-Claix et Saint-Martin-d’Hères). Au fil des années, l’amélioration de son accessibilité – l’inscription gratuite pour tous depuis septembre 2019, l’amplitude des horaires et l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite – a permis d’en faire l’équipement le plus accompli de la politique culturelle de Saint-Martin-d’Hères. Entre 2016 et 2020, la DAC a noté plus de 5000 inscrits par an, dont plus de 50% ont moins de 25 ans. La médiathèque, tout comme l’Espace Vallès, possède plusieurs actions culturelles (pendant le temps scolaire et périscolaire): des temps de lectures comme « P’tites histoires, p’tites comptines »92, des séances de découverte de la littérature, ou encore des temps forts comme les Journées européennes du Patrimoine ou la Quinzaine du numérique. D’ailleurs, la médiathèque de Saint-Martin-d’Hères est impliquée dans les différentes problématiques du numérique, que ce soit au niveau matériel – avec la mise en place de prêt de liseuses numériques par exemple – ou au niveau institutionnel – grâce à leur insertion dans le réseau de la Numothèque, plateforme numérique regroupant toutes les ressources des bibliothèques et médiathèques de l’agglomération grenobloise. C’est dans le désir d’une plus grande transversalité entre les équipements culturels municipaux – et institutions patrimoniales – que l’Espace Vallès et la Médiathèque de Saint-Martin-d’Hères s’allient sur ce projet d’artothèque, comme me l’a indiqué le Directeur des affaires culturelles Charles Quénard lors d’un entretien : « Tout l’intérêt du projet, outre soutenir la création, rendre accessible la culture et mettre à disposition l’art contemporain, est de s’appuyer sur des structures de proximité, à savoir la médiathèque [https://www.chatpfe.com] ».
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Table des matières
Partie 1 – Compte rendu : un stage en galerie d’art pendant la pandémie COVID-19
Introduction au compte rendu
1.1. L’ESPACE VALLÈS À SAINT-MARTIN-D’HÈRES
1.1.1. PRÉSENTATION DU LIEU D’ACCUEIL
1.1.1.1. Les origines de l’Espace Vallès
1.1.1.2. Le fonctionnement de la galerie
1.1.1.3. L’ancrage territorial d’une structure d’art contemporain
1.1.2. UNE APPARTENANCE MUNICIPALE
1.1.2.1. L’affirmation d’une politique culturelle engagée
1.1.2.2. L’Espace Vallès et son identité singulière
1.2. COMPTE RENDU DES MISSIONS
1.2.1. LES MISSIONS DE COMMUNICATION
1.2.2. LES MISSIONS DE MÉDIATION
1.2.3. LES MISSIONS LIÉES AU DÉVELOPPEMENT DE L’ARTOTHÈQUE
Conclusion intermédiaire
Partie 2 – La création d’une artothèque et ses enjeux : l’exemple de l’Espace Vallès à Saint-Martin-d’Hères
Introduction à la recherche
2.1. DÉMOCRATISER L’ART CONTEMPORAIN
2.1.1. UNE GALERIE D’ART DANS UNE VILLE OUVRIÈRE
2.1.2. LA MÉDIATION DE L’ART CONTEMPORAIN, UNE NÉCESSITÉ ?
2.1.3. VERS UNE DÉMOCRATIE CULTURELLE
2.2. CRÉER LES MOYENS D’UNE CIRCULATION DES PUBLICS
2.2.1. JEUX D’ACTEURS ENTRE L’ÉEQUIPEMENT ET LES PUBLICS
2.2.2. L’ÉLARGISSEMENT D’UN RÉSEAU INSTITUTIONNEL
2.2.3. COMPARAISON AVEC L’ARTOTHÈQUE DE GRENOBLE
2.3. SOUTENIR LA CRÉATION CONTEMPORAINE
2.3.1. AIDER À LA CRÉATION
2.3.2. VALORISER LES ARTISTES ET LEURS OEUVRES
2.3.3. UNE DÉMARCHE DE LÉGITIMATION DE LA STRUCTURE
2.4. DÉVELOPPER DES SERVICES NUMÉRIQUES
2.4.1. POUR UNE MODERNISATION DE L’ÉQUIPEMENT
2.4.2. UNE STRATÉGIE POTENTIELLE DE COMMUNICATION NUMÉRIQUE
2.4.3. FAVORISER UNE MEILLEURE ACCESSIBILITÉ
Conclusion générale
Bibliographie
Sitographie
Tables des illustrations
Table des annexes
Annexes
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