Les endosymbioses chimioautotrophes
Aujourd’hui, tous les Eucaryotes sont fondamentalement des organismes aérobies, utilisant l’oxygène comme accepteur final de leur chaîne de transport des électrons. Pourtant, à l’échelle des temps géologiques, l’oxygène n’est apparu qu’assez récemment dans l’histoire de la biosphère de notre planète (Figure 1) (Canfield, 2005; Catling et Claire, 2005). Les premières étapes de l’évolution de la vie se sont très certainement déroulées dans un environnement anoxique et fortement réducteur et les Procaryotes ont alors développé une grande diversité de métabolismes pour exploiter l’énergie chimique, disponible sous forme de couples oxydo-réducteurs variés. Jusqu’à ce que certains procaryotes, les cyanobactéries, parviennent à utiliser très efficacement l’énergie lumineuse en couplant la réduction du dioxyde de carbone à l’oxydation de l’eau, il y a environ 2,7 milliards d’années. Une conséquence majeure de ce nouveau métabolisme est la production d’oxygène qui, à cette époque, était immédiatement absorbé par l’abondance d’éléments réduits (cela a laissé des traces dans les sédiments anciens sous la forme de « banded iron formation » ou BIF, voir la Figure 1). Ce n’est donc qu’avec un délai certain (près de 500 millions d’années) et très progressivement que l’oxygène a pu s’accumuler dans l’atmosphère et dans l’hydrosphère, et fort heureusement car il s’agit une molécule toxique pour les organismes qui ne disposent pas des mécanismes ad hoc pour se protéger de ses effets délétères (générés par les espèces réactives de l’oxygène, ROS). Certains Procaryotes, des α-protéobactéries, ont pu alors développer un nouveau métabolisme permettant de coupler la réduction de l’oxygène, nécessaire pour lutter contre sa toxicité, avec la production d’énergie sous forme d’ATP : la respiration aérobie.
L’origine des premières cellules eucaryotes, plus grandes et plus complexes que les Procaryotes, est encore débattue de nos jours, mais un grand nombre de spécialistes s’accordent à penser que la symbiose a pu jouer un grand rôle dans cet événement majeur de l’évolution de la vie (Figure 2) (Embley et Martin, 2006 ; Poole et Penny, 2007). Une première fois avec l’une de ces α-protéobactéries capables d’utiliser efficacement l’oxygène et qui deviendront les mitochondries, ces organites caractéristiques de tous les Eucaryotes contemporains (les quelques exceptions connues correspondent à des pertes secondaires, Figure 2). Et une seconde fois avec une cyanobactérie, dotant certains Eucaryotes, les phototrophes, de la capacité d’effectuer simultanément photosynthèse oxygénique et respiration aérobie. Mais ces événements sont si anciens que les traces qu’ils ont laissées ouvrent trop souvent la voie à des interprétations divergentes quant à leur déroulement précis (Embley et Martin, 2006).
A notre époque, dans notre monde désormais aérobie, il existe pourtant encore de nombreuses poches de milieux réduits qui ont pu au cours des âges préserver une grande diversité de Procaryotes. Parmi ceux-ci certains sont capables de réaliser la chimiosynthèse en récupérant l’énergie chimique pour réduire le dioxyde de carbone (CO2) en carbone organique : ce sont des chimioautotrophes. Dans certains milieux réduits particuliers, là où les autres sources de nourriture sont rares, des Eucaryotes ont su mettre à profit ces bactéries chimioautotrophes pour prospérer dans les environnements les plus inattendus : sources hydrothermales profondes, zones de suintements froids, sédiments anoxiques ou carcasses de baleines. Les animaux les plus abondants dans ces milieux vivent en fait en symbiose avec ces bactéries chimioautotrophes et présentent divers degrés d’intégration biologique: caractère facultatif ou obligatoire, ecto- ou endosymbiose, transmission horizontale ou verticale… Ces animaux symbiotiques pourraient ainsi constituer des modèles contemporains des évènements supposés avoir abouti à l’intégration des α protéobactéries et des cyanobactéries, respectivement en mitochondries et chloroplastes.
Les milieux marins réduits contemporains
Les sources hydrothermales
C’est en effet à partir de 1977, après la découverte de véritables oasis de vie autour des sources hydrothermales profondes gisant par près de 2 500 mètres de fond au large des Galápagos (Corliss et al., 1979), qu’un regain d’intérêt pour les écosystèmes chimiosynthétiques s’est manifesté. La circulation hydrothermale et les éruptions volcaniques qui prennent place au niveau des dorsales océaniques constituent le mécanisme majeur par lequel le globe terrestre perd quantité d’énergie sous forme de chaleur. Ce système volcanique qui s’étend sur plus de 60 000 kilomètres au fond des océans est à l’origine de l’écartement des plaques lithosphériques. Les milieux hydrothermaux profonds sont localisés précisément le long de ces rifts (voir la localisation des sites connus à ce jour sur la Figure 3). A la dorsale de l’océan Pacifique oriental (EPR, East Pacific Rise), la dorsale Médio Atlantique, la dorsale Arctique et la dorsale de l’océan Indien, s’ajoutent les bassins arrière-arc du sud-ouest Pacifique et certains volcans intra-plaques. Pour l’ensemble de ces sites, la formation des cheminées hydrothermales suit le même processus : l’eau de mer dense et froide pénètre dans les fissures du basalte et réagissant avec la roche chaude sous-jacente, se charge en composés réduits (sulfure d’hydrogène H2S, méthane CH4, ammonium NH4 +…) et en éléments métalliques (manganèse Mn2+, fer Fe2+, lithium Li+ , zinc Zn2+…).
Le fluide hydrothermal résultant, de composition variable selon les sites mais toujours chaud, anoxique et moins dense, remonte et rejaillit à la surface sous forme de geyser ou de diffuseur. A plus de 350 °C, l’interaction du fluide chaud avec l’eau de mer froide résulte en la précipitation de minéraux métalliques générant un panache plus ou moins sombre (fumeurs noirs ou fumeurs blancs) et permettant aussi la construction progressive des cheminées hydrothermales.
Les suintements froids
En certains endroits des marges continentales, à des profondeurs variant de 400 à 8000 mètres, se trouvent d’autres types de milieux réduits, les sources froides ou suintements froids (« cold seeps »). Ces milieux sont caractérisés par l’émission profonde de fluides froids riches en méthane qui peut avoir une origine biologique (décomposition de matière organique) ou thermogénique (transformation rapide de matière organique causée par de fortes températures et de fortes pressions). Dans certaines sources froides, la réduction des sulfates par des bactéries méthanotrophes produit de fortes concentrations en H2S dans les sédiments superficiels. Au sein des marges actives associées à des zones de subduction, ces milieux peuvent être constitués de volcans de boue (par exemple au Japon et en Méditerranée orientale, Figure 3). Au sein des marges passives, les écosystèmes sont généralement associés à des réservoirs de pétrole ou de gaz (notons en particulier les sites situés à la base de l’escarpement de Floride, dans le golfe du Mexique et dans l’Ouest africain) mais aussi à des volcans de boue.
Les zones de sédimentation
Ces milieux profonds particuliers ne sont pas les seuls environnements marins réduits : dans tous les fonds sédimentaires, l’oxygène dissous dans l’eau interstitielle est rapidement consommé par la biomasse présente dans la couche superficielle, permettant plus en profondeur le développement de métabolismes bactériens anaérobies générateurs de sulfures. Les sédiments fins des baies envasées ou les eaux calmes des mangroves sont le siège d’une forte production de matière organique génératrice de sulfures juste sous la surface du sédiment. Le phénomène peut être accentué lorsque l’eau de fond est elle-même déjà hypoxique ou anoxique, comme cela se passe dans des eaux soumises à une eutrophisation intense et saisonnière (Kattegatt, zones d’upwelling…), ou dans des fonds isolés, coupés de la circulation profonde par un seuil (fjords, Mer Noire…).
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I : Les endosymbioses chimioautotrophes
1. Introduction
2. Les milieux marins réduits contemporains
2.1 Les sources hydrothermales
2.2 Les suintements froids
2.3 Les zones de sédimentation
2.4 Les apports organiques imprévisibles
2.5 Points communs et divergences
3. La vie dans les milieux marins réduits
3.1 Producteurs primaires et chimiosynthèse
3.2 Consommateurs secondaires
3.3 Les symbioses
3.3.1 Les épisymbioses
3.3.2 Les endosymbioses
4. Les degrés d’intégration des endosymbioses chimioautotrophes
4.1 L’intégration cytologique
4.2 L’intégration physiologique
4.3 L’intégration génétique
5. Du symbiote à l’organite
CHAPITRE II : L’organisme d’étude, Riftia pachyptila
1. Place phylogénétique
1.1 Un Annélide Polychète Siboglinidae
1.2 Relations phylogénétiques au sein des Siboglinidae
1.3 Espèces symbiotiques au sein des Siboglinidae
2. Aspects du développement
2.1 Acquisition environnementale des symbiontes
2.2 Les étapes de l’acquisition des symbiontes
3. Anatomie de l’adulte symbiotique
3.1 Le panache branchial
3.2 Le vestimentum
3.3 Le tronc
3.4 L’opisthosome
3.5 Le tube
3.6 Communication entre les différents compartiments : le système circulatoire
4. Les voies métaboliques de la symbiose
4.1 Contribution de l’hôte : acquisition et transport des métabolites
4.1.1 Le dioxyde de carbone (CO2)
4.1.2 Le sulfure d’hydrogène (H2S) et l’oxygène (O2)
4.1.3 Composés azotés
4.1.4 L’hôte : milieu de vie pour les bactéries
4.2 Contribution du symbionte
4.2.1 Sulfo-oxydation et assimilation du CO2
4.2.2 Transformation du NO3
4.3 Contribution de l’hôte et du symbionte
4.3.1 Voie de synthèse de novo des pyrimidines
4.3.2 Voie de dégradation des pyrimidines
4.3.3 Métabolisme de l’arginine
4.4 Influence de la disponibilité des métabolites et limites du fonctionnement de l’association symbiotique
4.4.1 Autotrophie
4.4.2 Conditions hypoxiques
4.5 Questions en suspens
6. Objectif du travail de thèse
CHAPITRE III : Matériel et Méthodes d’étude
1. Echantillonnage des spécimens de Riftia pachyptila
2. Extraction d’ARN total
2.1 Précautions préliminaires
2.2 Méthode au RNAble
3. Banques soustractives d’ADN complémentaire
3.1 Purification d’ARN messager
3.2 Choix des échantillons sondeur et meneur
3.3 Préparation des ADNc de l’échantillon sondeur et de l’échantillon meneur
3.4 Hybridation Soustractive Suppressive (SSH)
3.5 Clonage
3.6 Séquençage
3.7 Analyse des séquences et recherche d’homologie
4. Efficacité de la soustraction et vérification de l’expression différentielle : validation des banques par PCR classique
4.1 Dessin d’amorces spécifiques
4.2 Amplification par PCR
5. Vérification par PCR quantitative ou PCR en temps réel
5.1 Description d’une amplification par PCR
5.2 Intérêt et principe de la méthode
5.3 Synthèse d’ADNc
5.4 Dessin d’amorces et paramètres de PCR
5.5 Méthode du 2-Ct : conditions d’application
5.6 Méthode du 2-Ct : détail de la méthode
6. Autres techniques employées pour des cas plus spécifiques :
6.1 Séquençage complet par Rapid Amplification of cDNA Ends (RACE) (Chapitre IV)
6.2 Alignements et analyses phylogénétiques (Chapitres V et VI)
6.3 Choix des sondes et hybridation sur membranes pour l’optimisation de l’Hybridation In Situ par Fluorescence (FISH)
(Chapitre IV)
6.4 Hybridation in situ par Fluorescence (FISH) (Chapitre V)
6.4.1 Préparation des coupes
6.4.2 Hybridation des sondes
6.4.3 Détection
6.5 Clonage d’un transcrit dans un vecteur d’expression (Chapitre VI)
6.6 Test d’activité superoxyde dismutase (SOD) (Chapitre V)
6.7 Western-blot pour détecter la Major Vault Protein (MVP)
(Chapitre VII)
CONCLUSION
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