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Les connaissances antérieures et la familiarité avec les musées
L’enfant arrive au musée avec ce que Piscitelli et Weier (2002) appellent un « narratif d’arrivée », c’est-à-dire un point de vue fondamental sur la vie, certaines connaissances-clé et une série d’expériences personnelles. Ce narratif va être confronté et résonner avec ce qu’il va y trouver. De nombreuses études arrivent à la conclusion que ces expériences antérieures des enfants sont primordiales pour favoriser leurs apprentissages et qu’il est donc nécessaire de contextualiser leurs expériences de visite. Ces recherches s’inscrivent dans une perspective constructiviste sociale et humaine. Les jeunes enfants ont plaisir à être en présence d’objets réels ; en particulier ceux qui leur sont familiersdans leur environnement familial, voisinage ou école. Ils font des connections personnelles avec ce qu’ils voient au musée et ils répondent particulièrement bien quand les histoires et l’utilisation de leur imagination font partie de cette expérience (Munley, 2012). Weier (2000) indiquait que les jeunes enfants (4-6 ans) réagissent souvent aux sujets familiers et colorés et les choisissent comme leurs préférés. Les histoires qui réfèrent à leurs propres expériences dans la société contemporaine, incluent la vie de famille, la religion, les valeurs, le contexte culturel et ethnique et le programme scolaire (Piscitelli & al., 2003).
Pour intégrer les connaissances antérieures et l’expérience personnelle à la visite du musée, il est donc nécessaire de les rattacher, entre autres, aux contextes scolaire et/ou de la maison. Cela peut être fait en concevant des visites autourde thèmes liés à la vie des enfants de sorte qu’ils puissent construire de nouvelles connaissances basées sur ce qu’ils savent déjà. Pour augmenter les apprentissages, il est nécessaire quel’expérience de musée soit placée dans un contexte plus large. On devrait ainsi encourager les jeunes enfants à voir la visite du musée comme un élément de leur vie quotidienne et non comme une expérience isolée (Piscitelli, Weier & Everett, 2003). Les travaux d’Anderson et al. (2002), portant sur 99 enfants australiens de 4 à 7 ans d’environnement socio-économique moyen, mettent en avant la nature idiosyncratique et individuelle des rappels, intérêts et apprentissages des enfants. Dans cette étude, les expositions et expériences programméesuiq sont intégrées dans le contexte socio-culturel familier et commun au monde des enfants, comme le jeu et les histoires, ont un impact plus grand que ceux qui sont décontextualisé. C’est aussi le cas dans l’étude de Piscitelli et Anderson (2001), dans laquelle ceux qui ont visité le muséum d’histoire naturelle et sociale ont de meilleurs souvenirs que ceux qui ont visité un musée d’art ou de sciences, qui eux, n’ont pas de contextes ou de liens permettant aux enfants de faire des connexions avec des expériences de leur vie quotidienne. Les auteurs français Lagier et al. (2015) indiquent que les expériences vécues sont à ancrer de manière réelle et pratique dans les expériences proposées afin d’ancrer la perception que les enfants ont des musées dans un univers plus concret.
D’autre part, la familiarité avec les musées revêtune importance certaine. Il existe en effet des différences de perceptions et de ressentis des enfants selon qu’ils sont familiarisés ou non avec les musées (Lagier & al., 2005). Plus ils sont familiers, plus leur concentration augmente (Jensen, 1994 in Ayadi & al., 2016). Lagier, de Barnier et Ayadi (2015, 4) expliquent cela par le fait que « la répétition d’un stimulus (familiarité) améliorel’attitude envers ce stimulus (agrément). Ainsi la familiarité a un impact sur laformation des croyances, des jugements et des processus d’évaluation finaux. ». Selon Carr et al. (2014), les enfants qui n’ont pas l’habitude des musées sont d’abord intéressés par’environnementl physique qui entoure l’exposition (ex : l’ascenseur, le distributeur de boissons), plutôt que par l’exposition elle-même.
Les enfants pour mieux s’approprier les nouvelles connaissances auxquelles ils font face, doivent pouvoir s’appuyer, outre la situation de visite (contraintes de flux, disponibilité des parents, durée) et leurs partenaires de visite, sur des références se rapportant à leur univers (Martin, 2012 ; 2014a), comme leur tissus social (école, copains), leur petite enfance, leurs connaissances antérieures et leurs centres d’intérêts liés à la thématique abordée.
Les interactions avec les objets : manipulation ou stimulation
Les jeunes enfants utilisent, entre autres, leurs sens et leurs corps comme outils d’apprentissage dans les musées (Piscitelli, Weier & Everett, 2003). Les expériences multisensorielles au musée d’art, notamment, visentà encourager les enfants à utiliser tous leurs sens quand ils sont confrontés à l’art (ex : reproduire le son d’éléments du tableau avec des instruments) (Milutinovic´ & Gajic´, 2010). Les musées proposent, plus que jamais, aux visiteurs de « faire des choses », que ce soit de manipuler un élément de l’exposition ou de grimper dans une zone de jeu prévue à cet effet. Ce que les enfants ont démontré, c’est que les musées sont essentiellement des lieux « expérimentaux » (Kelly, 2002, p. 3 in Robinson, 2016), et que les environnements encouragent les visiteurs à interagir physiquement et de différentes manières avec les objets (ex : interactions visuelles, perceptuelles et kinésthésiques). Cette évolution pour enfants versdes « environnements manuels et multisensoriels d’apprentissage », ou plus précisément vers des environnements crés pour jouer et toucher, est partagée par tous les musées(Munley, 2012, 3).
Ces interactions ne devraient cependant pas être simplement physiques, mais aussi impliquer des expériences intellectuelles et émotionnelles, ec que Andre et al. (2016) synthétisent par « Hands on, minds on, hearts on! ». On trouve également des stratégies en trois modes appliquées dans les muséums d’histoire naturelle : »Ecoute, Regarde et Fais », également efficaces pour éveiller la curiosité des enfants dans les musées d’art (Mallos, 2012) : un versant expérimentalou approche de manipulation – invitant l’enfant à toucher, manipuler ou répondre en utilisant des mouvements corporels ; unversant narratif – autorisant l’enfant à faire l’expérience d’un objet par l’intermédiaire d’une histoire et le versant esthétique– qui se centre sur l’enfant décrivant les qualités esthétiques et visuelles de l’objet rencontré (Andre & al., 2016). Mallos (2012) recommande ainsi d’intégrer les enfants dans le travail artistique (ex : reproduire la technique du peintre permet une interaction enfant-environnement).
Pour certains auteurs français, les effets des visi tes « actives et multi sensorielles » sont bénéfiques et supérieurs à ceux de visites « classiques académiques » (Gentaz, Lagier, Pinchon, 2012). Ces visites « actives et multi sensorielles » s’appuient sur deux principes complémentaires : un engagement actif et une attention pilotée. L’apprentissage est effectivement plus efficace lorsque l’enfant, sollicité par un exercice ou un jeu, essaie de générer lui-même une réponse. Citons pour exemples lparcours de découverte olfactifs, tactiles, gustatifs, sonores et visuels élaborés autour de thématiques telles que l’histoire du musée, son design, son architecture ou encore la nature, la composition des œuvres exposées (les supports, les types de medium utilisés, les teintes, les couleurs présentées, cet. (Lagier & al., 2015).
Notons également ici, l’impact des objets de grande taille sur les jeunes enfants. Dans l’étude d’Anderson et al. (2002), les objets conçus à grande échelle étaient les plus mémorisés par les jeunes enfants surtout lorsqu’ils étaient, entre autres, associés à des expériences tactiles ou kinésthésiques. Piscitelli, Weier et Everett (2003)recommandent, cependant, d’expliquer aux jeunes enfants la différence avec la taille réelle,ainsi que l’intérêt de conserver un original pour les futures générations.
Autres
Carr et al. (2014) préconisent les choses suivantes afin de favoriser un maximum les apprentissages des jeunes enfants dans les musées :
1. Aller au-delà d’une simple visite : des ressourc es transmises par le musée (par exemple, des catalogues de l’exposition, des photographies d’obj ets d’intérêt particulier) permettent des rappels, des commentaires et des explications.
2. Utiliser des ressources pour dessiner (ex : livrets pour les enfants) encourage les enfants à être plus attentifs pendant l’exposition, renforce l’impact de la visite et ajoute des opportunités de dialoguer.
3. Donner à l’enfant l’opportunité de devenir un expert dans un aspect de l’exposition muséale/Permettre ce rôle d’enseignant et développer leurs habiletés à expliquer leur fournissent une base de connaissances pour construire le sens.
4. Documenter la visite de l’exposition de façon à permettre à leurs histoires d’être revisitées par les enfants, les familles et les enseignants, enrichit les opportunités d’associer les familles aux expériences de visites muséales et fournit auxenfants la pratique de l’explication.
5. Certaines incitations conversationnelles sont utiles : un exemple est de questionner l’enfant sur ce qu’il dirait à un autre.
6. Donner les opportunités aux enfants d’avoir une certaine autorité en lien avec les visites du musée.
Sur le plan matériel, les arrangements spatiaux sont particulièrement importants (Piscitelli & Weier, 2002). Des limites claires des zones d’apprentissage, une séparation adéquate entre activités actives et passives, des passages bien définis entre les zones pour permettre des participations individuelles en petits et en larges groupes, afin d’éviter le bruit, le trafic et la foule dans un lieu donné, sont recommandées. Un environnement esthétique doit être offert pour créer un cadre accueillant, créatif, non menaçant et prévisible pour le jeune enfant, et lui permettre des expériences de découvertes.
Enfin, dans sa revue de la littérature (2000-2012),Munley (2012) conclut à l’importance de l’histoire et de l’imagination dans les apprentissages des enfants : les enfants doivent pouvoir écouter des histoires qui sollicitent leur imagination et les transportent ailleurs. Un travail narratif permet, de plus, à l’individu de s’identif ier à une histoire (Piscitelli & Weier, 2002).
Après avoir vu les différents facteurs favorisant ’appropriationl du jeune enfant, voyons maintenant les différents modes d’appropriation repérés dans la littérature.
Martin (2012, 2014a) observe la visite du musée, dans un premier temps, en famille, puis celle de l’enfant à qui elle confie la tâche de guide, et constate une richesse des modes d’appropriation de l’exposition. Dans cet espace so cial, l’enfant [en devenant lui-même le guide] se réapproprie des expériences, celle de lavisite en famille, de visites antérieures ou celles liées à d’autres médias. Il convoque ses propres connaissances sur le sujet (en tant qu’amateur de dinosaures ou passionné par le cinémad’ombres, par exemple). Il s’autorise à « s’emparer » de ce qui est offert par l’exposition pour l’apprivoiser, le modifier à sa manière, voire « l’ingérer et le régurgiter » (…) Les interactions de l’enfant-acteur avec l’espace de médiation sont des occasions de devenir « auteur » et de s’approprier l’exposition. Il est en fait un acteur en transformation (Martin, 2014b). Les principales composantes retenues pour caractériser la démarche d’interprétation des enfants sont, selon Martin (2015), les formes de médiation employées par les enfants (médiation comme transition, comme intermédiaire, comme lien14) dans leur rôle de médiateur ; la prise en compte des espaces discursifs de l’exposition (en observant si l’ensemble des espace s est pris en considération ou si un espace est privilégié) et le type de relation qui en découle. Ce sont ensuite les manières dont les enfants agencent ces différentes composantes et les structurent pour interpréter, qui permettent de comprendre leur démarche d’interprétation et de les conceptualiser. C’est ainsi que les récits de médiation des enfants ont permisl’esquisse de quatre figures d’enfants interprètes, pouvant être déclinées selon différentes approches. L’auteure propose, en effet, d’établir les différentes configurations possiblesde la démarche interprétative des enfants, en âge de scolarisation à l’école élémentaire, en s’appuyant sur leurs expériences concrètes de visite observées et en déterminant les composantescaractérisant l’interprétation des enfants. La sélection des éléments les plus significatifs etl’examen de leurs articulations permettent l’élaboration de ces figures. Ces composantes sont principalement l’intention de visite, le mode d’appropriation, la prise en compte (ou non) du propos de l’exposition, donnant des indications sur leur intérêt (ou non) pour l’approche conceptuelle de l’exposition, et le ou les espaces discursifs de l’exposition privilégiés parles enfants dans la relation établie avec l’exposition.
L’enfant perspicace
L’approche de l’enfant perspicace est caractériséepar sa capacité à prendre du recul et par sa maîtrise du propos de l’exposition car il a saisi l es intentions des concepteurs sur l’ensemble de l’exposition. Ainsi, lorsque l’enfant perspicace pratique une visite guidée pour le chercheur, comme pourrait le faire les médiateurs du musée, il situe le propos de l’exposition dès le départ, témoignant de sa capacité à contextualiser. Il s’approprie l’exposition aussi bien par l’action que par l’observation, celles-ci s’app liquant à différentes échelles. Il fait fonctionner et voit aisément l’intérêt des dispositifs interactifs en lien avec le propos de l’exposition. La scénographie, servant de fil conducteur de la visite, participe à la compréhension de la cohérence d’ensemble. Les potentialités dont disposent les enfants qui relèvent de la figure du perspicace sont aussi mises à profit pour exercer leur regard critique quant à la conception de l’exposition ne répondant pas tout à fait à leurs attentes. De facto, se pose alors une question : comment, lors d’une visite dans le cadre scolaire, permettre aux enfants de tendre vers cette perspicacité ? Les médiateurs pourraient renforcer les modes d’approches qui existent chez chaque enfant. En effet, cela permettrait à chacun d’approfondir sa démarche interprétative et de l’élargir à d’autres modes d’approche. Chercher à comprendre le propos de l’exposition à travers la m ise en scène de chacune des salles et des moyens mis en œuvre par les concepteurs contribuera it à rendre plus explicite la déclinaison de ce propos de l’exposition ou encore à mettre en lumière les faiblesses éventuelles de la scénographie qui pourraient conduire à des confusions ou incompréhensions.
L’appropriation des jeunes enfants, qui se réalise selon divers modes, est encouragée par de nombreux facteurs que nous avons développés plus haut. Elle ne saurait être complète sans aborder un des principaux facteurs motivationnels dans ce processus : les interactions sociales, actuellement largement ciblées par les études scientifiques et de plus en plus prises en compte dans les musées.
Interactions sociales au musée
Le potentiel d’un environnement d’apprentissage dépend largement de l’atmosphère sociale générée et du soutien que le jeune enfant reçoit autravers d’interactions positives et réciproques (Piscitelli & Weier, 2002). L’apprentissage dans un musée est généralement informel et l’unité d’apprentissage est souvent unpetit groupe. Les plus communs sont la famille et l’école (groupe de 10 avec un enseignant). Les écoles constituent entre 18 et 25% de l’audience des musées. Les familles, 40% et même dav ntage pour les sciences et les musées pour enfants (Doering, 2004 in Borun, 2008). En France, les musées se visitent principalement en compagnie : moins de 15 % des personnes effectuent une visite solitaire, la majorité une visite entre pairs et un quart une visite en famille avec des enfants (Eidelman & Jonchéry, 2011). Les interactions au musée sont nombreuses et c’est le partage d’expériences qui constitue le domaine affectif des apprentissages, à côté du domaine cognitif que l’on peut mettre en parallèle avec le programme scolaire ou l’ensemble de connaissances à acquérir par une tranche d’âge. Les relations intersubjectives q ui s’installent entre enfants et adultes vont notamment contribuer à des réajustements de points de vue (Martin, 2012). L’enfant interagit d’abord avec ses parents ou grands-parents, mais aussi avec son enseignant et les accompagnants dans le cadre d’une visite scolaire. Il interagit aussi bien sûr avec le personnel de musée. Et enfin, et de plus en plus, avec la technologie numérique.
Avec les accompagnants « familiaux »
Les auteurs s’accordent à dire que, dans les musées, l’apprentissage des enfants est beaucoup plus efficace quand ils interagissent avec les parents que lorsqu’ils sont seuls ou dans des groupes de pairs (Crowley & al., 2001 in Ayadi & al., 2016). Selon Borun (2008), les familles viennent au musée avec un programme varié qui inclut l’apprentissage, l’échange social et le divertissement. Ces visiteurs de musée spontanés (en opposition à ceux qui viennent dans le cadre d’une visite scolaire) aiment généralement instruire,s’ mais ils veulent apprendre sans faire d’effort particulier. C’est la tâche du muséede permettre aux familles d’« apprendre » facilement et avec plaisir. Pour permettre ce processus, les designers doivent concevoir des expériences pour des groupes multi-âges et non des expériences individuelles. De plus, il faut veiller à ce que le design des musées pour enfants n’encourage pas les parents à s’asseoir sur un banc et à observer plutôt que participer.
Avec les parents
La plupart des enfants des études recensées dans notre corpus ont visité le musée majoritairement avec des membres de leurs familles. Par exemple, dans la recherche de Piscitelli et Anderson (2001), ils sont 75% à avoir visité avec leurs parents, 69% avec leur fratrie ou 11% avec la famille élargie (grands parents, oncles, tantes) contre seulement 9% avec leurs enseignants et 14% avec leurs camarades d’école.
Le profil des parents accompagnants est rarement détaillé de façon précise : il s’agit, la plupart du temps, de femmes (72% dans l’étude d’Ayadi et al., 2016 ; 70% pour Downey et al. (2010), de niveau de formation supérieur à bac + 3 pour la plupart (Downey & al., 2010 : 77% > bac+3 ; m= 39 ans ; 89% visitent le musée avec un enfant de moins de 5 ans ; 80% sont les parents et 20% autres : grands-parents, amis de la famille, nounous). Tavan (2003) indique que les pratiques culturelles pendant l’enfance dépendent du milieu familial : dans son enquête sur la population française, seules 5% des personnes de parents non diplômés fréquentaient les musées étant enfants, contre 61%de celles dont les parents étaient diplômés du supérieur. Par ailleurs, avoir des parents lecteurs favorise l’ensemble des pratiques culturelles enfantines : seuls 5% des enfants de non-lecteurs assistaient pendant leur enfance à des spectacles de théâtre ou à des concerts, contre 22% pour les enfants de lecteurs.
Les motivations des parents pour accompagner l’enfant au musée peuvent être très variées : « être avec les autres » (pour 44% dans l’étude d’Ayadi et al., 2016), le partage, la convivialité, une exigence de qualité, des enjeux ducatifsé (souvent première motivation ; pour 80% des parents dans la recherche de Petrie, 2013), l’injonction sociale d’épanouissement et de construction identitaire de l’enfant (lui faire plaisir), la transmission d’un capital culturel, une réparation de ce qu’ils n’ont pas reçu étant enfants (Jonchéry & Biraud, 2014). Dans l’espace d’exposition, les fami lles adoptent des comportements variés, en fonction de leurs attentes mais aussi de leur familiarité avec les musées, de l’âge des enfants, des relations entre les membres. Certaines visites peuvent être marquées par une cohésion choisie, quand la motivation de partage domine. D’autres témoignent d’une alternance de moments d’autonomie et de cohésion, scandés par laconfiguration de l’espace. Dans d’autres cas encore, chaque membre du groupe fait sa propre visite (Jonchéry & Biraud, 2014). S’adapter à ces différentes pratiques implique donc de proposer à ce public des espaces, des médiations, un outillage à même de concilier des motivations de convivialité familiale, la réalisation pour les adultes de leurs rôles parentaux et les besoins d’autonomie de chacun (ex : outils nomades à lire/livrets jeux pour les 7-12 an s ou à écouter/audioguides ou visioguides en version familiale ; circuits de visite spécifiques pour les familles ; rédaction des textes adaptés). Une exposition résolument ouverte à la famille devrait avoir, selon Philadelphia/Camden Informal Science Education Collaborative (PISEC) (1998, p. 23), les sept caractéristiques suivantes, être :
– multi-site : la famille peut faire des groupes dans l’exposition
– multi-opérateur : l’interaction permet différentesactions manuelles et corporelles
– accessible : enfant et adulte s’y sentent à l’aise
– multi-résultat : observations et interactions sont suffisamment complexes pour favoriser les discussions de groupes
– multi-modale : l’activité est attractive pour différents styles d’apprentissage et niveaux de connaissance
– lisible : le texte est simple et court
– pertinente : l’exposition fournit des liens cognitifs aux connaissances et expériences antérieures du visiteur.
Pour Borun (2008), accueillir des petits groupes nécessite de concevoir une nouvelle approche. Il doit y avoir de la répétition (multiples stations offrant la même expérience) et de la collaboration (un site nécessitant plusieurs utilisateurs pour créer une expérience). Ce changement se fait lentement dans la mesure où les gens en général préfèrent rester sur des bases familières. Mais, en ces jours de déclin de réquentationf de musée et de compétition avec les jeux électroniques disponibles à domicile, la principale attraction du musée est son rôle de place de rencontres sociales et, selon cet auteur, il faut en prendre acte.
Dans un musée, parents et enfants, avec leurs compétences respectives, construisent ensemble leurs perceptions d’une œuvre et partagent une émot ion. Une visite contribue à la construction de la mémoire familiale et crée du lien et de la cohésion (par le dialogue ultérieur sur la visite notamment). Elle permet une découverte différente ed l’autre : l’enfant se comporte différemment que dans l’univers domestique ; c’est l’occasion pour le parent de découvrir ses réactions et des facettes inconnues de son identité(Jonchéry & Biraud, 2014). L’enfant, quant à lui, découvre les goûts et intérêts de ses parents et de sa fratrie, ce qui nourrit les relations familiales et sa construction identitaire. Les auteurs révèlent qu’il y a davantage d’apprentissages (Song & al., 2017) quand les jeunes enfants peuvent faire des observations et poser leurs propres questions, quand ils interagissent avec des adultes plutôt que seuls (Crowley, 2001), quand les parents discutent les contenus de l’exposition après la visite avec leurs enfants (Haden, Ornstein, Eckerman & Didow, 2001) ; quand les parents font des liens avec la vie de l’enfant (Anderson & al., 2002) et quand ils sont conscients, au niveau métacognitif, que leurs connaissances des processusd’apprentissage de leur enfant influencent leurs interactions avec eux (Thomas & Anderson, 2012). Quand les enfants explorent avec leurs parents l’exposition, ils sont plus concentrés et passent plus de temps sur les dispositifs que lorsqu’ils sont seuls (Crowley et al., 2001). Ils génèrent également des hypothèses scientifiques plus complexes (Crowley & Galco, 2001) et sont capables de penser aux expositions à un niveau plus conceptuel (Rigney & C allanan, 2011).
Les parents arrivent cependant au musée avec des connaissances antérieures, un programme pour le groupe et un ensemble de croyances qui vont influencer leur façon d’interagir avec leur enfant (Ash, 2002 ; Dierking, 2002 ; Falk & Dierking, 2000). Les croyances parentales incluent leur philosophie sur la nature des apprentissages, leurs attentes de l’environnement d’apprentissage et les modèles sur la façon d’interagir avec leur enfant. En effet, un parent qui vient au musée pour se distraire va avoir une expérience très différente du parent qui vient dans un but d’apprentissage. Par exemple, ceux qui viennent avec un programme d’instruction agissent souvent comme des enseignants ou des guides, en expliquant les concepts et en pointant du doigt les phénomènes intéressants. Leurfamiliarité avec les musées joue aussi un rôle : ceux qui sont moins familiers ou qui croient que l’enseignement est plus profond quand il est auto-structuré par la découverte et l’enquêt(modèle constructiviste) se tiennent en retrait et laissent leur enfant aller dans l’exposition, ne proposant leur aide que si l’enfant la demande. Ceux qui sont plus familiers des musées ou qui pensent que l’apprentissage s’accomplit par la participation dans un cadre social et culturel (modèle socioculturel) vont davantage apprendre ensemble et utiliser des explications qui lient l’exposition à un monde plus large. Ils vont aussi davantage proposer des activités en lien à la maison (Swartz & Crowley, 2004 ; USA-19 parents (17 mères, 1 père, 1grand-mère) de 24 enfants (10 garçons et 14 filles ; 5 dyades avec 2 enfants) de 1 à 5 an s (m=28 mois)). Anderson, Piscitelli et Everett (2008) insistent sur la nécessité pour lesadultes d’écouter l’enfant. Dans leur étude sur des enfants australiens de 4 à 6 ans provenant de 4 écoles différentes (classes socio-économiques moyennes et ouvrières), ils montrent que les attentes en matière de programme de visite peuvent être différentes selon les enfants et leurs parents au niveau du contenu, de la mission et du temps :
– Programme ciblant le contenu : un enfant peut être intéressé par le contenu d’une peinture (ex : un volcan, des chiens) tandis que l’adulte peut essayer d’attirer son attention sur des éléments précis.
– Programme ciblant la mission : un enfant peut désirer trouver une exposition spécifique ou un objet favori (ex : trains, dinosaures) tandis que l’adulte persiste à l’emmener dans tout le musée.
– Programme ciblant le temps : le temps total que l’adulte ou l’enfant veut paser avec un objet particulier peut varier largement de l’un à l’autre.
Les parents ont donc une variété de façons d’interagir avec leurs enfants, qui va de l’humour et du jeu à l’enseignement des contenus (Swartz & Crowley, 2004). Ils utilisent une large gamme de stratégies d’interactions qui vont de simples encouragements aux directives sur l’exposition, pour partager avec l’enfant la description des objets et/ou leur donner des explications en lien avec leurs expériences de visite. Ils soutiennent l’apprentissage des enfants en leur enseignant à observer, imiter, répéter des actions et des mots(Swartz & Crowley, 2004). L’utilisation de ces stratégies peut dépendre de la perception des arentsp des besoins et des habiletés de leur enfant ou de leurs connaissances ou croyances des contenus thématiques de l’exposition.
Certains facteurs contribuent à colorer la nature d es interactions enfant-adulte. Si l’adulte perçoit l’exposition comme conçue pour une explorat ion indépendante de l’enfant, avec des endroits interactifs et des salles de découvertes et de manipulation, alors l’enfant va pouvoir prendre l’initiative d’une activité particulière etjouer de façon indépendante avec l’adulte à ses côtés (Adams, 2011 ; McRainey & Russick, 2010). Dans les musées plus traditionnels dans lesquels une partie des lieux interactifs sont perç us comme plus complexes par les adultes, c’est l’adulte qui va faire les choix et interagir plus directement avec l’enfant en lui procurant davantage de guidance (Adams, 2011 ; Beaumont, 2010).
Avec les accompagnants « scolaires »
Les méthodologies d’enseignement différent entre les musées et les écoles. Les musées construisent des partenariats avec les écoles pour enrichir l’enseignement fait à l’école et utiliser leurs collections à bon escient. Parfois, ces partenariats sont formalisés et l’organisation de la visite est planifiée dans ses moindres détails, parfois cela se passe par les sorties scolaires, sans implication a priori du musée. Dans le premier cas, les éducateurs de musée proposent un programme qui tient compte des contenus scolaires (Bahtia, 2009). Cohen-Azria (2014) définit deux types d’approches des enseignants : la scolarisation de l’espace muséal (le musée comme lieu de ressourcespour l’école, d’apprentissage) ou une expérience culturelle particulière (rencontre avecdes objets, mise en scène) plus centrée sur la notion de plaisir.
Les visites scolaires, telles qu’elles ont été construites comme données de recherche, ont bien évolué (Cohen-Azria, 2014, 160) : «d’abord perçue comme « une pratique archivée (poussière, ennui), puis, à travers le discours d’e nseignants détachés (ou lieu de ressources scolaires ou expérience culturelle particulière), puis construite par le chercheur (statut intermédiaire d’élève-visiteur) pour enfin devenirobjet d’observation dans le cadre de visites scolaires « ordinaires » (statut du visiteur repensé à partir des : postures (acceptées, refusées), d’outils (présents, absents), de dénominations des sujets, de disciplines scolaires convoquées, du rôle et de la place des adultes en jeu (silence, discours sur les contenus, discours sur les comportements…), du rapport entre objets et sujets, de la nature de la parole des sujets (questionnement, réponses…), de la natur e des contenus en jeu, du choix de la construction du déplacement physique (support de la construction du discours de visite), etc. ». Les visites scolaires sont principalement axées sur l’acquisition de connaissances, en fonction d’objectifs d’apprentissage fixés par les éducateurs du musée et les enseignants (Martin, 2014a), mais elles peuvent aussi dépasser ce cadre-là. Freedman (2010), par exemple, montre que les visites scolaires dans un musée qui propose un programme non vu à l’école, et alliant présentation théorique et manipulations, peut avoir des effets positifs à long terme sur les enfants, ici sur leurs connaissances d’une alimentation saine.
De nombreux auteurs préconisent une préparation avant la visite scolaire. C’est le cas par exemple de Piscitelli et al. (2003) qui rappellent les quatre étapes recommandées dans le guide des visites scolaires de la Smithsonian Institution15 : la concentration, l’exploration, l’analyse et la connexion :
1) Concentration : l’enfant pose des questions comme : Qu’est-ce que je sais ? Comment je me sens ? Qu’est-ce que j’aimerais savoir ?
2) Exploration : les enfants sont encouragés à regarder attentivement en utilisant leurs compétences d’observateurs.
15 Vaste complexe de dix-neuf musées et neuf centres de recherche, créés en 1846, principalement situés à Washington, D.C., gérés par son organisme fondateur, le gouvernement fédéral américain.
3) Analyse : on leur demande de répondre à la question : En quoi c’est pareil ou différent ?
4) Connexion : on leur demande de penser à la façon dont ils pe uvent trouver davantage sur ce sujet.
Il est aussi envisageable de faire venir dans la classe des personnels du musée pour qu’ils parlent de l’univers muséal et que les enfants puissent leur poser diverses questions. Cette proposition a pour mérite d’augmenter la familiarisation des enfants avec les musées. Parfois, certaines classes vont même jusqu’à créer un muséedans l’école avec les enfants. Elles peuvent mettre en place des collections de musée qui reflètent les intérêts personnels des élèves. Ceux-ci peuvent classer des items par catégories, écrire des étiquettes, faire des brochures et inviter les membres de l’école et de eurl communauté à visiter le musée de la classe. Les musées proposent, par ailleurs, une large gamme de ressources pour soutenir les apprentissages des enfants, inclus le matériel de la pré-visite, les sitesweb, les programmes de prêts et les salles de ressources. L’expérience devisite peut être enrichie par l’utilisation de ces ressources avant la visite. Certains musées proposent même des dossiers pédagogiques de pré-visite aux enseignants (via mail ou site Web) qui contiennent des informations sur le déroulement des procédures, des suggestions pour faire de liens avec le programme scolaire, des activités de pré- et post-visites, ainsi que des informations concernant l’exposition. Certaines recherches suggèrent, par ailleurs, de montrer les collections du musée aux enfants avant la visite (ex : visite virtuelle sur le site web ; avoir des objets du musée dans la classe), ce qui augmente leur apprentissage pendant la visite (Piscitelli & al., 2003). Enfin, les expériences muséales peuvent être améliorées en posantpro aux enfants, enseignants et accompagnants une visite de pré-orientation. Cela réduit le facteur « nouveauté » et calme l’excitation. Cette étape devrait contenir des informations sur le transport, ce qu’on va manger, la boutique de souvenirs et l’emploi du temps, ainsi que des explications sur le but de la visite. Les enfants seront mieux préparés à apprendre s’ilssavent avant que l’apprentissage fait partie des objectifs. Une discussion sur les comportements attendus dans le musée peut aussi faire partie de cette pré-visite. Une familiarisation des lieux et contenus du musée est aussi recommandée pour les enseignants avant la visite.
Les jeunes enfants se comportent différemment lors des visites scolaires et celles expérimentées en famille. Dans la première, ils suivent le script imposé par la classe, écoutent les directives de l’enseignant ou du médiateur et ravaillent en collaboration avec les groupes de pairs. Dans la seconde, les enfants apprennent dans des groupes sociaux plus petits, plus intimes, et leurs intérêts personnels et leurs préfrences d’apprentissage sont davantage prises en compte (Piscitelli, Weier & Everett, 2003).
Les méthodologies utilisées dans les études portant sur les jeunes enfants dans les musées
Après avoir tenté de cerner plus avant ce que soustend- l’appropriation des dispositifs par les enfants, il est intéressant de se pencher maintenan sur les méthodologies utilisées pour l’évaluer. Dans notre corpus, ces méthodologies concernent d’une part, les moyens favorisant l’appropriation ( cf. Allen & Gutwill, 2009 et leurs cartes encourageant les interactions familiales et donc les apprentissages), et d’autre part, la compréhension des expériences d’apprentissage des enfants ( cf. Anderson & al., 2008). Dans les deux cas, on peut dire qu’elles sont majoritairement mixtes, utilisant plusieurs méthodes qualitatives et/ou quantitatives, en même temps. Par exemple, Andersonet al. (2008) utilisent à la fois les notes des chercheurs sur la sortie ; des enregistrements vidéo des interactions entre enfants et adultes dans le musée ; les observationsin situ et des enregistrements audio dans le musée des conversations entre enfants. C’est le cas égalementde Renard, Bodt et Stricot (2016) qui, dans l’exposition « Bébés animaux » du Muséum de Toulouseproposant à des enfants non lecteurs de découvrir « 125 animaux naturalisés dans des postures dynamiques et émouvantes », de la naissance à leur autonomie, par des jeux, des activ ités multimédia ainsi que par des expériences psychomotrices et émotionnelles, cherchent à appréhender l’influence du contexte social de la visite, la manière dont les enfants s’approprient ce média spécifique, et dont les dispositifs médiatiques et les interactions qu’ils suscitent participent à la construction des savoirs. Dans cette recherche, les auteurs utilisent une méthodologie d’enquête originale combinant des observations filmées par les chercheuses et chercheurs, des observations filmées des visiteurs par lunettes caméra et des entretiens dont la mise en œuvre méthodologique s’apparente à celle du re-situ subjectif.
Nous présentons ici les observations, les entretiens collectifs, les enregistrements audio et vidéo, les instruments de mesure, les mesures pré-te post-test et les autres méthodologies. Nous évoquerons pour finir les limites méthodologiques retenues par les auteurs.
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Table des matières
INTRODUCTION : LE PROJET MADEE
Méthodologie
Objectifs du projet et plan du rapport
I. ETAT DE L’ART
I.1. Méthodologie de la revue de la question
I.1.1. Bases de données
I.1.2. Description des études du corpus
I.2. L’APPRENTISSAGE DES JEUNES ENFANTS
I.2.1. Définitions, principes et comportements d’apprentissage
I.2.3. L’apprentissage informel
I.3. APPROPRIATION
I.3.1. Définition et méthodes d’appropriation
I.3.2. Contexte d’appropriation : la perception des musées par les enfants
I.3.3. Les facteurs favorisant les apprentissages des enfants dans les musées
I.3.4. Les figures d’enfants-interprètes
I.4. Interactions sociales au musée
I.4.1. Avec les accompagnants « familiaux »
I.4.2. Avec les accompagnants « scolaires »
I.4.3. Avec le personnel de musée
I.4.4. Place de la technologie numérique
I.5. Notion d’empowerment
I.5.1. Définition
I.5.2. Comment augmenter le pouvoir d’agir des jeunes enfants ?
I.5.3. Enjeux
I.6. Les méthodologies utilisées dans les études portant sur les jeunes enfants dans les musées
I.6.1. Observations
I.6.2. Entretiens individuels ou collectifs et focus groups
I.6.3. Enregistrement audio
I.6.4. Enregistrement video
I.6.5. Dessins ou écrits des enfants
I.6.7. Utilisation d’instruments de mesure
I.6.8. Mesures pré- et post-test
I.6.9. Autres méthodologies
I.6.10. Limites méthodologiques
I.7. Conclusion de l’état de l’art
II. L’ENQUETE MADEE
II.1. Le lieu de l’enquête
II.1.1. Le Quai des savoirs
II.1.2. Le Quai des Petits
II.1.3. L’exposition « Les petits bâtisseurs »
II.2. Des méthodologies combinées
II.2.1. Les entretiens avec les professionnels du Quai des Savoirs
II.2.2. Observations et retours d’enfants
II. Principaux résultats
1. Une normalisation typologie ? Impossible (ok pour typologie)
– L’espace d’exposition : un nouvel espace-scolaire ?
– Les injonctions contradictoires paradoxales des visites scolaires
– L’état d’esprit conditions ? (si je prends Sara, ce n’est pas un état d’esprit mais ses démangeaisons) de l’enfant le jour de sa visite
– L’importance des interactions (ou des non-interactions) en jeu
– De jeunes visiteurs « acteurs » de leur visite ?
2. Retour sur la méthodologie
a. entretiens Entretiens avec les principaux acteurs du Quai des petits,
b. L’observation des ’enfants
c. Les entretiens sur la base de dessins d’enfants
III. Conclusions
IV. Bibliographie
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