Les méthodes d’estimation des facteurs d’émissions

Les méthodes d’estimation des facteurs d’émissions

     Nous commençons par une courte revue des méthodes, décrivant les outils de facteurs d’émissions les plus à jour qui peuvent nous permettre de mesurer la contribution des activités de transport aux émissions de polluants nocifs et de GES. COPERT 4 (COmputer Programme to calculate Emissions from Road Transport) est Le logiciel très connu en Europe  qui permet d’estimer les émissions pour tous les modes du transport routier par des équations permettant de déduire des facteurs d’émissions, basé sur « the EMEP/EEA air pollutant emission inventory guidebook » [European Environment Agency, 2009], publié par l’Agence Européenne pour l’Environnement. Pour le décrire sommairement, ce modèle (et logiciel) estime des facteurs de consommation énergétique et d’émissions de divers polluants nocifs (CO, NOx, COV, et Ps)  et de GES en fonction des caractéristiques des moteurs des véhicules de différentes catégories (voitures particulières, utilitaires légers, poids lourds et deux roues motorisés) pour différents types de carburants, tranches de cylindrées et normes d’émissions maximales (donc années de mise en circulation) et en tenant compte de plusieurs cycles de conduite (en urbain, sur route et sur autoroute, en fournissant des équations qui varient avec la vitesse du véhicule). Copert prend également en compte deux régimes de fonctionnement moteur (à froid et à chaud), et, ajout par rapport à la version précédente Copert, tient également compte optionnellement mais de façon plus systématique des émissions évaporatives de COV (et hydrocarbures imbrûlés) et des émissions abrasives de particules (de pneus, de freins et de chaussée)… Il est utilisé sur plusieurs échelles différentes, du local à l’international, d’un trajet à l’estimation annuelle. Copert 4 est la 4ème version (2007) depuis Copert85 (datant de 1989), il est le fruit d’un effort de collaboration de différents laboratoires spécialisés à l’échelle européenne (cf. les projets MEET, COST 319, PARTICULATES, et ARTEMIS). Copert reprend en fait une partie des travaux de recherche menés pour une autre méthodologie européenne de calcul des émissions pour tous les modes de transport, ARTEMIS (Assessment and reliability of transport emission models and inventory systems, [Boulter et McCrae eds, 2007], [André et al. 2008]), projet prolongeant lui-même deux autres modèles européens d’inventaire qui avaient été développés précédemment : d’une part le projet Européen MEET (Methodologies for Estimating air pollutant Emission from Transport) , projet (et Action COST 319) basé sur la méthodologie Copert3, et d’autre part le modèle d’émissions helvéticoallemand HBEFA (Handbook emission factors for road transport, [FOEN, 2010]). Dans le cadre du projet Artemis (et du logiciel Artemis/HBEFA), les auteurs mettent à plat toutes les questions de détermination des parcs automobiles statiques et en circulation (toutes catégories de véhicules routiers) pour élaborer une modélisation statistique des parcs et trafics à prendre en considération. Le Rapport Deloitte [Ademe, 2008] apporte des compléments pour les autres modes de transport non routiers, notamment ferré et aérien. Il est basé sur les travaux d’estimation des facteurs moyens des émissions selon des études de cas. Ce rapport a été utilisé comme source complémentaire à Copert4 pour l’estimation des émissions de CO2 dans l’ENTD 2007/2008 (pour les modes ferrés comme métro, tram, train,.. et aériens). Plus récemment, la Base Carbone, développée par l’Ademe, [Ademe, 2012] est une base nationale de données publiques regroupant un ensemble de facteurs d’émissions et de données issues de différentes sources. C’est en ce sens qu’elle sert de référence, car elle maintient à jour ce que peuvent fournir ces différentes sources. Elle est initialement issue des travaux du Bilan Carbone [Ademe, Mies, 2007], et elle prend en compte tous les modes (pas uniquement le routier), y compris le ferré, l’aérien et la voie d’eau.

Articulation temporelle des mobilités et « effet barbecue »

     L’étude systématique des comportements de mobilité a commencé dans la deuxième moitié du dernier siècle. À cette époque, sa mission était l’aide à la planification des grands réseaux d’infrastructures (ferrés et routiers) pour faire face à la forte croissance de l’urbanisation et de l’auto-mobilisation des ménages. Actuellement, la réduction des émissions de GES constitue un des enjeux environnementaux majeurs. Donc, il est nécessaire de mesurer globalement la mobilité et ses déterminants. Quand nous parlons de l’articulation temporelle des mobilités, c’est-à-dire entre les trois segments (en semaine, en fin de semaine et à longue distance), nous pensons à « l’effet barbecue », que l’on peut schématiquement décrire de la façon suivante. Les Parisiens, auraient, en weekend et en vacances, un comportement de déplacement fortement émetteur qui contre balancerait largement un comportement plus vertueux en semaine ; à l’inverse, les résidents des zones périurbaines et rurales ne présenteraient pas un bilan aussi défavorable. «Tout se passe comme si le barbecue dans le jardin s’inscrivait en substitut possible des pratiques de week-end à la campagne, voire de tourisme aérien lointain dont les Parisiens sont les premiers consommateurs», selon [Massot, Orfeuil, 2007]. L’article [Orfeuil, Soleyret, 2002] relate, à notre connaissance, le premier travail de recherche sur l’effet barbecue en France ; s’appuyant sur l’Enquête Transports et Communications de 1993-1994, il étudie la mobilité en trois segments temporels (semaine, weekend et longue distance) et analysé ces trois segments et la mobilité globale selon divers déterminants : revenu, position dans le cycle de vie, localisation résidentielle (par taille d’agglomération et localisation résidentielle au sein de l’agglomération). Leurs résultats principaux indiquent d’une part l’absence de compensation des budgets-distance entre semaine et fin de semaine, mais d’autre part l’interaction non négligeable entre mobilité locale et à longue distance, variable surtout en fonction de la localisation résidentielle. D’après ces auteurs :
(1) On doit parler plus de local que d’urbain, ils définissent classiquement la mobilité locale à moins de 100 km du domicile (en distance parcourue).
(2) Ils indiquent que les jours de semaine où l’on travaille ne restituent pas toute la mobilité quotidienne, et qu’il faut s’intéresser aussi aux weekends, aux grands pendulaires (migrations alternantes lointaines) et aux voyages à longue distance sans nuitées hors de la résidence principale.
(3) Il faut s’intéresser à l’influence de tous les déterminants : ne pas se contenter du revenu pour la longue distance versus la position dans l’agglomération pour analyser la mobilité locale.
(4) Il faut être prudent quant aux généralisations des conclusions selon les segments du marché des déplacements : influence de l’éloignement et de la densité pour la mobilité locale ; s’intéresser à la mobilité globale peut les remettre en question en raison de phénomènes de vases communicants (grands pendulaires, par exemple), et ils notent enfin que les exploitations de l’Enquête Transport sur le marché des déplacements à longue distance, [Gouider, 1999], semblent indiquer que les espaces résidentiels où la mobilité locale est faible sont aussi pour partie ceux où la mobilité à longue distance est la plus élevée. Nous pouvons souligner des différences sensibles avec le point de vue que nous adoptons ici dans notre travail, notablement induites par les différences de l’enquête nationale elle-même entre ses deux dernières éditions :
• sont désormais considérés comme locaux, dans l’ENTD et dans notre approche, les déplacements dont l’origine et la destination sont comprises dans un cercle de rayon 80 km (à vol d’oiseau) centré sur le domicile ;
• les trois segments séparent désormais les mobilités locales durant les cinq jours ouvrés de semaine, les mobilités locales de weekend de l’ensemble restant qualifié de mobilité à longue distance (et qui inclut donc certaines mobilités de weekend). Les trois segments – et leurs éventuelles articulations – sont analysés simultanément, alors que dans l’article de 2002, seule l’articulation locale entre semaine et weekend était considérée, avant un paragraphe traitant l’ensemble de la longue distance ;
• et enfin, en 2007-2008 c’est la même personne (individu Kish) qui est interrogée sur les trois types de mobilité, alors qu’il s’agissait de deux personnes différentes (deux Kish) tirées au sort indépendamment lors de l’édition précédente (1993-1994). Il en ressort qu’à l’époque de l’article de 2002, le parti pris de l’analyse imposait de ne considérer que le très petit échantillon des mêmes personnes qui avaient tirées au sort les deux fois pour être interrogées à la fois sur leur mobilité locale et à longue distance ; et ce très petit échantillon devait être repondéré pour fournir une image représentative de la population. Dans notre approche à l’inverse, l’échantillon répondant est sensiblement plus grand puisque le dispositif prévoit que c’est systématiquement la même personne qui répond pour le local et la longue distance. Les auteurs analysent différents segments, et ces analyses posent différentes questions :
• Taille des marchés (notamment pour le segment à longue distance) : il faut noter que les auteurs ne s’intéressent qu’à la mobilité mécanisée, en excluant évidemment la marche, et par suite établissent des tailles de marchés en véhicules-kilomètres et des voyageurs-kilomètres, centrés sur la voiture, semblant ne pas tenir compte de la concurrence du train, de l’avion et d’autres modes collectifs ; ils ne considèrent pas non plus les déplacements ayant lieu au cours du séjour d’un voyage à longue distance, puisque leur recueil n’est pas prévu ;
• Dynamisme des marchés : la grande différence entre les segments observés en 1981/82 et en 1993/94 a montré la nécessité d’une analyse en évolution. Mais il ne semble pas précisé explicitement dans l’article, lorsqu’il traite d’évolution, si toute la mobilité mécanisée (y compris train, avion) est considérée ;
• Les structures de population sur chaque segment de marché : les auteurs examinent l’influence de la position dans le cycle de vie, du revenu et de la localisation résidentielle sur la mobilité des personnes (mesurée en distance parcourue) dans les différents marchés tous modes mécanisés ; sur le rôle de la position dans le cycle de vie, les auteurs montrent également que le budget distance des personnes de plus de 65 ans est significativement faible et que leur usage du transport public local est notablement faible en fin de semaine ;
• Dans l’analyse par motifs : les auteurs soulignent le poids des loisirs sur la longue distance et au total, tandis que les motifs obligés ont un poids plus grand sur le local ; dans les analyses par motifs, comme par modes, ils ne prennent apparemment pas en compte les retours au domicile, auxquels il est difficile d’attribuer un motif précis. Sur le rôle de la localisation résidentielle, les auteurs ont montré :
• En mobilité locale de semaine : le rôle important de la taille du bassin et de la position dans le bassin (centre, banlieue, et éventuellement extérieure à proximité (périphérie, rural hors influence urbaine)) ;
• En mobilité locale de fin de semaine : ils affirment d’une part que les écarts en fonction de la taille d’agglomération ne sont pas significatifs (de façon un peu plus inattendue), mais que d’autre part les écarts selon la position dans l’agglomération n’indiquent pas de compensation entre semaine et fin de semaine : l’éloignement rend la mobilité obligatoire et routinière de fin de semaine plus importante, tandis que la mobilité de loisir est à un niveau comparable à celui observé dans les autres tissus, avec des disparités plus faibles que pendant la semaine . Deuxièmement, la part du local de fin de semaine dans le total de la semaine est légèrement plus forte dans les centres que dans les autres tissus mais cela ne suffit pas à induire de compensation (mais des écarts très marqués en TC);
• En mobilité à plus de 100 km (longue distance), ils indiquent des écarts très significatifs :
• A l’inverse de ce qui se passe en local, la distance parcourue croît avec la taille de l’agglomération de résidence (et l’Ile-de-France se détache nettement comme seule région présentant de très « forts » voyages longue distance, plus par la portée des voyages que par leur fréquence) ;
• La distance parcourue est bien plus élevée pour les centres que dans les banlieues ou périphéries ;
• Ce sont les activités de loisirs qui structurent les écarts ;
• La part de l’automobile diminue quand la taille d’agglomération augmente.
Ensuite, les auteurs analysent l’influence du revenu ; il a une très forte incidence sur les trois segments, de sorte qu’il structure la mobilité globale bien plus fortement que les localisations résidentielles. Le revenu a un impact majeur sur les pratiques de voyage pour l’ensemble des marchés. L’effet combiné du revenu et du lieu de résidence est analysé dans l’article en milieu de cycle de vie (entre 25 et 64 ans). Avec la distance au centre, la mobilité locale tend à augmenter, la longue distance tend à diminuer. Dans chaque type de lieu de résidence, les deux types de mobilité locale (en semaine et en fin la semaine) augmentent de manière significative avec le revenu, en particulier lorsque l’on compare les plus faibles revenus aux revenus moyens. Mais les voyages interurbains augmentent plutôt, quant à eux, considérablement lorsque l’on compare les revenus moyens aux revenus les plus élevés. A un niveau de revenu fixé, la fréquence des voyages est similaire en région parisienne et en province (à l’exception des groupes les plus aisés vivant dans la ville de Paris qui sont très atypiques). Si l’on s’en tient à la voiture, au sein de chaque groupe de revenu, mobilité locale et longue distance ne se compensent que dans une très faible mesure. L’utilisation de la voiture reste plus élevée dans les zones périphériques que dans les zones centrales et cette tendance est particulièrement forte dans la région parisienne. Les voyages à longue distance des habitants de l’agglomération parisienne sont peu fréquents, car il y a très peu de pendulaires longs. Ils ont avancé différentes hypothèses explicatives : plus de visites à la famille, mais moins qu’ailleurs de courts séjours, plus de résidences secondaires pour les weekends, des vacances, particulièrement à l’étranger,… en analysant les motifs de déplacements. Pour conclure, cet article nous apporte, sur la base des anciennes données, plusieurs idées et différentes hypothèses à tester à la lumière de la dernière enquête nationale (ENTD 2007-2008). Il souligne, s’il en était besoin, la nécessité d’une analyse de la mobilité globale et de l’articulation temporelle de différents types de mobilité. En continuant à rechercher d’autres publications sur l’effet barbecue à la suite de cet article, nous trouvons que [Nessi, 2012] et plus récemment [Louvet et al. 2014], étudient ce phénomène sur le motif de loisir en particulier. Ces références figurent dans la synthèse d’un programme de recherche du PUCA « vivre en ville et hors des villes » auquel a participé le bureau d’études 6T, sous la direction de Nicolas Louvet. Ce dernier article cité en référence montre la liaison entre le motif de loisir et le « rapport au cadre de vie » en considérant la mobilité comme compensation entre les déplacements domicile-travail et des déplacements de weekend, de vacances, selon différentes localisations résidentielles en Île-de-France et à Rome. A Rome, ce phénomène de compensation est beaucoup moins net, en raison d’un niveau « médiocre » de service de transport collectif, de la proximité de la mer et de facteurs culturels : par exemple, « les romains pratiquent beaucoup de tourisme patrimonial local dans un cadre vert et aéré » [Louvet et al., 2014, p122]. Le mémoire de thèse de [Nessi, 2012] développe différentes analyses très détaillées. Elle compare les déplacements domicile-travail avec trois types de déplacements de loisirs (excursion, loisir en weekend de une à trois nuitées et vacances) en fonction de la localisation résidentielle (centre, péricentre et périurbain), la mobilité étant mesurée en kilométrage parcouru par personne et par an. Elle confirme que les habitants des centres vont plus loin pour le motif loisirs et plus près pour le motif domicile-travail. Elle analyse aussi l’influence du niveau de revenu sur les déplacements de loisirs (toujours en kilomètres parcourus) : ce sont les citadins au niveau de revenu moyen qui parcourent le plus de distances pour leurs loisirs. Plus de détails sur la nature des déplacements de loisirs (tourisme, repos et besoin de nature, visites), et la part de ce type de déplacements est beaucoup plus élevée chez les habitants du centre que chez ceux de banlieue ou de périphérie. Ces travaux ont plusieurs limites, ils traitent seulement de quelques quartiers en Île-de-France, et à Rome, seulement sur le motif loisirs en comparant avec le motif domicile-travail, sur la seule base de kilomètres parcourus par personne et par an (ce qui est toutefois plutôt un avantage concernant l’estimation des émissions polluantes). Leurs résultats ne permettent pas de confirmer de phénomène de compensation entre les trois segments globaux de mobilité. Le rapport de projet de fin d’études d’Ingénieur de [Lepetit, Yvernogeau, 2012], s’appuyant sur l’article initial d’Orfeuil et Soleyret, fournit tout d’abord un bon résumé de la théorie de l’effet barbecue. Puis en termes d’application, ils ont élaboré une méthodologie assez complète, regroupant à la fois des suivis par GPS et des entretiens en profondeur de personnes aux profils variés, résidant d’une part dans le pôle urbain et d’autre part dans la couronne périurbaine de Tours. Leur échantillon s’en trouve cependant très restreint : partant de quelques dizaines de personnes, ils ne conservent finalement, après ajout complémentaire, que 18 personnes, « représentatives » du territoire Tourangeau étudié, pour lesquelles les informations qu’ils souhaitaient sont complètes.

Synthèse sur le rôle des variables géographiques : où résident-ils préférentiellement ?

     Des analyses analogues étant menées sur les autres variables caractéristiques de la localisation résidentielle (taille d’unité urbaine et type d’aire urbaine), nous pouvons établir la synthèse schématique suivante (Tableau III.11 ; les symboles + et ++ indique une surreprésentation de tel type de zone dans une classe donnée ; les symboles – et – – traduisent évidemment à l’inverse une sousreprésentation). Cette synthèse se traduit littéralement par les faits stylisés du tableau de la page suivante.
Classe 1 : Elle présente une forte sur-représentation de l’aire urbaine de Paris, autant en banlieue qu’en ville centre, mais pas en périurbain; à l’inverse on y note une réelle sous-représentation des zones périurbaines et des communes rurales.
Classe 2 et 3 : Elles présentent des profils géographiques un peu similaires : forte sur-représentation des zones périurbaines (plus de 100 000 habitants, et même un peu à Paris) et rurales, ainsi que des villes isolées (surtout pour la classe 3) et communes de petite taille. Elles se différencient pourtant, la classe 3 ayant plus d’habitants de petites aires urbaines (moins de 100 000 habitants), mais plutôt dans leurs banlieues que dans les villes centres. Nous y notons aussi une sensible sous-représentation de l’aire urbaine et même de l’agglomération de Paris.
Classe 4 : Ce n’est pas celle des espaces ruraux, mais plutôt des zones urbaines, en particulier pour des agglomérations de plus de 200 000 habitants (plutôt plus que l’agglomération parisienne), notamment leurs banlieues, mais elle englobe aussi le périurbain de Paris. Les grands mobiles à longue distance ne sont clairement pas que les Parisiens.

Quel rôle des variables spatiales face aux autres déterminants ?

    Afin de juger de l’importance relative des déterminants géographiques face aux autres variables socio-économiques et démographiques, nous procédons ici à une analyse statistique sur les comportements-types de mobilité individuelle, à l’aide de l’outil régression logistique, en modélisant sommairement l’appartenance aux classes, avec quelques uns des déterminants que nous venons d’exhiber. La méthode suivie ici s’inspire quelque peu de celle qu’ont pratiqué [Bigot et al., 2009] dans une étude du Credoc rapportant des différences de modes de vie aux lieux de résidence, en testant le pouvoir explicatif de variables géographiques (taille d’unité urbaine et zonage en aires urbaines) par rapport aux autres marqueurs influant sur les réponses d’un questionnaire d’opinion. Il peut aussi en partie ressembler à celui de [Nicolas JP., Verry D., 2013], mentionné au chapitre I (§ I.2), même si aucun de ces deux références citées ne fait précéder l’exercice de modélisation d’une classification typologique. Le modèle que nous utilisons ici est un modèle de régression binomiale. Nous estimons quatre fois le même modèle pour chacun classe : chaque fois, la variable à expliquer prend deux modalités {1 pour l’appartenance à la classe en question, 0 sinon}. Les variables explicatives choisies sont les suivantes :
• Tranche d’aire urbaine (10 catégories)
• Type de localisation résidentielle (dans l’aire urbaine) (4 catégories)
• Niveau de revenu (quartile) (4 catégories)
• Tranche d’âge (4 catégories)
• Statut d’activité (Actif / inactif)
• Genre (Homme / Femme)
Notons que les régressions logistiques développées ici ne visent pas nécessairement le meilleur calage possible de modélisation, notre but est simplement de montrer les poids relatifs des variables géographiques face aux autres. Ces six variables explicatives sont introduites dans notre modèle. Pour chacune d’elle, il faut choisir une catégorie de référence, par rapport à laquelle les autres se jaugeront (on ne peut pas caler un modèle comportant toutes les catégories, car il y aurait alors sur-détermination). Nous choisissons d’arrêter les catégories les plus « générales » (les plus souvent rencontrées) comme catégories de référence, Les catégories de référence sont :
• Pour la tranche d’aire urbaine : la catégorie 07, représentant la tranche de taille d’aire urbaine de 100 000 à 200 000 habitants ;
• Pour le type de localisation résidentielle au sein de l’aire urbaine : la catégorie 2, Banlieues ;
• Pour le niveau de revenu (par quartile) : nous choisirons arbitrairement la catégorie 1, c’est à dire le premier quartile ;
• Pour la tranche d’âge (4 catégories) : la catégorie 2, soit la tranche de 25 à 45 ans.
• Pour le statut d’activité : la catégorie actif
• Et enfin pour le genre : la catégorie homme.
Nous avons estimé ces quatre modèles avec le logiciel SAS. Les tests statistiques nécessaires sont correctement vérifiés (test de non nullité simultanée de tous les coefficients, etc.). La qualité globale de ces quatre modèles est résumée dans le tableau ci-dessous avec différents indicateurs.  Les variables sont entrées dans le modèle pas à pas (stratégie stepwise) : à chaque étape, cette procédure teste l’ajout (mais aussi le retrait) d’une variable supplémentaire qui améliorerait la qualité de l’ajustement, La procédure s’arrête lorsqu’on ne peut plus ni ajouter, ni retirer de variable, et le résultat indique l’ordre dans lequel les variables ont été entrées pour optimiser cet ajustement. La méthode de test utilisée pour vérifier que chaque ajout est significatif est le test du χ2 (khi-deux). Les résultats de ces estimations pour les quatre modèles (un par classe), intégrant progressivement les variables explicatives selon leur rang d’importance que la procédure a déterminé (stepwise) sont les suivants (Tableau III.21).  La tranche d’âge apparaît toujours comme l’une des plus déterminantes sur les 4 modèles des 4 classes. Elle est au premier rang pour les classes 1, 2, 3 et au deuxième rang pour la classe 4. Il y a cependant de grandes différences entre les différentes positions de cycle de vie selon chaque comportement-type (les classes). Dans la classe 4, le niveau de revenu est la variable la plus importante, il arrive en deuxième position pour la classe 1. Ce résultat confirme le rôle important de ce déterminant, comme dans bien d’autres travaux [Orfeuil, Soleyret, 2002], [Longuar Z., Nicolas J-P., Verry D., 2010], [Nicolas JP., Verry D., 2013], etc. Le genre se classe relativement haut dans les classes 2 (2e rang) et 4 (3e rang). La variable distinguant les actifs des inactifs semble de moindre importance,puisqu’elle se classe toujours au sixième et cinquième rang. (Sa contribution est significative, mais elle est sans doute un peu redondante avec celle du niveau de vie). Les deux variables géographiques se classent à des positions relativement importantes : TAU99, précisant la taille de l’aire urbaine est toujours au troisième rang pour les classes 1, 2 et 3, et au 4e rang pour la classe 4. On peut également souligner que cette variable se positionne tantôt devant tantôt derrière le niveau de revenu. Le type de localisation au sein de l’aire urbaine (schématiquement la position par rapport au pôle central) quant à lui se classe systématiquement en 5e position pour les classes 1, 2 et 4, mais prend la 2e place dans la classe 3; on notera pourtant que l’effet taille l’emporte généralement plutôt par rapporta l’effet positionnement dans le bassin. L’importance des items de chacune de ces variables sur le résultat des modèles peut être vue plus précisément en les transformant en variables binaires, comme résumé dans le tableau suivant, qui permet de juger quantitativement des propensions ou sur-risques (en cotes, ou sur-chances, en anglais odds-ratios) d’appartenir à une classe donnée dès lors qu’on a la caractéristique donnée, (Tableau III.22 ci-dessous).
• Les jeunes (moins 26 ans) ont 6,7 fois plus de chances d’appartenir à la classe 1 que les individus de 26 à 45 ans (la catégorie de référence) ; ceux de plus de 65 ans ont 3,4 fois plus de chance d’y appartenir que ceux de la catégorie de référence. En ligne, en comparant aux autres classes, les moins de 26 ans ont 3,33 fois moins de chance que ceux de la catégorie de référence de se trouver dans les classes 3 et 4 et même 5 fois moins de chance d’appartenir à la classe 2 (odds-ratio de 0,2) ;
• Les odds-ratio les plus proches de 1 (par exemple ceux de la troisième tranche d’âge entre 25 et 45 ans, dans quasiment les quatre classes) sont les moins marquants dans l’interprétation du résultat ; mais les plus grands comme les plus petits sont les plus notables. Ainsi :
• Les individus du quatrième quartile de revenu ont une probabilité de 0,3, c’est à dire divisée par 3,33 d’appartenir à la classe 1, par rapport à ceux du premier quartile de revenu.
Ensuite, les femmes ont 1,7 fois plus de chances que les hommes d’appartenir à la classe 1, mais au contraire quasiment deux fois moins de chances que les hommes d’être dans les classes 2 et 4. Le déterminant de niveau de revenu a la propension à l’inverse de la tranche d’âge : les moins aisés se retrouveront prioritairement dans la classe 1 (puisque les odds-rations des autres tranches de revenu s’éloignent notablement de 1, avec 0,6, 0,5 et 0,3). A l’inverse les chances d’appartenir à la classe 4 augmentent très fortement avec les tranches de revenu (jusqu’à 6 fois plus de chances d’y être que les moins aisés du premier quartile). Etre inactif augmente les chances d’appartenir à la classe 1 (1,5 fois) mais aussi à la classe 4 (1,2 fois, peut-être pour les jeunes retraités qui ont une plus grande propension aux voyages ?). Et enfin, nos variables géographiques indiquent les éléments suivants, par ordre décroissant des effets : Sur la tranche de la taille d’aire urbaine (TAU99),
• les chances d’appartenir à la classe 3 sont multipliées par 3,3  dans la tranche 1 ; puis par 2,2 dans la tranche 3 ;
• les chances d’appartenir à la classe 1 sont multipliées par 2,1 dans l’aire urbaine de Paris (par rapport à l’aire urbaine de 100 000 à 200 000 habitants, la tranche 7 qui est la catégorie de référence) ;
• les chances d’appartenir à la classe 4 sont multipliées (relativement à la tranche 7) par 1,9 dans la tranche 4 (AU de 25 à 35 000 habitants) ;
• les chances d’être dans la classe 3 sont multipliées par 1,3 dans cette même tranche 4
• à l’inverse, les chances d’appartenir à la classe 2 sont divisées par 2,5 dans la tranche 1 (les AU de moins de 15 000 habitants)
• elles sont divisées par 1,66 pour appartenir à la classe 1 dans la tranche 4 (25-35), comme pour appartenir aux classes 2 et « dans l’aire urbaine de Paris ; les effets suivants ont des sur-risques inférieurs à 1,43. Les effets les plus notables de la localisation au sein de l’aire urbaine se résument très simplement :
• habiter en ville-centre plutôt qu’en banlieue multiplie par 1,6 le risque d’appartenir à la classe 1 ;
• à l’inverse, habiter en ville-centre divise par 1,25 (respectivement par 1,66) le risque d’appartenir à la classe 2 (respectivement à la classe 3) ;
• les résultats suivants sont de moindre importance : léger sur risque d’appartenir aux classes 2 et 3 pour les résidants des zones périurbaines, et de l’espace rural et des villes isolées, mais à l’inverse léger sous-risque pour eux d’appartenir à la classe 1, et secondairement à la classe 4.
Ces résultats corroborent et détaillent quantitativement ceux que nous avons vus précédemment dans ce chapitre (voir les synthèses au § III.2). Plutôt que de montrer des sur-risques de certaines catégories par rapport aux catégories de référence, on peut aussi, afin de montrer des effets plus « purs » (ou plus facilement traduisibles) représenter les variables explicatives comme des booléens, c’est à dire des variables binaires (chaque catégorie devient une variable binaire qui prend 2 modalités 1 ou 0 selon que l’individu présente ou non cette caractéristique). Les résultats des odds-ratios de ce modèle figurent dans le tableau suivant (Tableau III.23).
Note : sont sulrignés ci-dessus les effets les plus importants (multipliés par au moins 2 en jaune ou divisés par au moins 2 en vert) Les effets les plus importants, surlignés dans le tableau ci-dessus indiquent : Pour la classe 1, les individus jeunes (moins 26 ans) et âgés (plus de 65 ans) ont près de 7 fois et 3,5 fois plus de chances d’y être présents. Résider dans l’AU de Paris, ou dans un centre, multiplie ces chances par quasiment 2. Pour la classe 2, la probabilité d’y appartenir est divisée par 3,3 pour les plus jeunes, et divisée par 2,5 dans les plus petites aires urbaines. Pour la classe 3, avoir entre 24 et 45 ans (resp. entre 45 et 65 ans) multiplie par 3,5, resp. quasiment 3) les chances d’y appartenir. Ce dernier sur-risque est équivalent pour les habitants des plus petites aires urbaines, puis égal à 1,9 ans les AU de 20 à 25 000 habitants, alors que ce sur-risque est divisé par 2 dans l’AU de Paris. Pour la classe 4 enfin, le risque d’y appartenir est multiplié par 6 (resp. 3,7 et 2,3) si l’individu appartient au 4e (resp. 3e et 2e) quartile de revenu de revenu. Le risque est également multiplié par 1,9 pour les résidants d’AU entre 25 et 35 000 habitants. Enfin, ce risque est divisé par 2 pour les femmes, et divisé par 3,3 pour les plus jeunes et les plus âgés. Les résultats de ces régressions logistiques nous donnent une confirmation, quantitativement chiffrée, de la synthèse des caractéristiques déterminantes de chaque classe. Ils permettent de mettre en valeur le rôle relatif des variables (et de leurs différentes catégories) de localisation dans les espaces.

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Table des matières

Introduction (thématique et problématique)
Chapitre I : Etat de l’art sur la thématique « transport et effet de serre » et sur l’articulation temporelle des mobilités
I.1. Estimation des émissions du secteur transport et diagnostics environnementaux des mobilités
I.1.1. Les méthodes d’estimation des facteurs d’émissions
I.1.2. Outils de diagnostics énergie-émissions à partir des enquêtes de mobilité
I.2. Articulation temporelle des mobilités et « effet barbecue »
Chapitre II : Méthodologie
II.1. Structure des données de l’Enquête Nationale Transports et Déplacements 2007-2008
II.1.1. Présentation de l’enquête
II.1.2. Estimation des émissions de CO2 à partir de l’ENTD
II.2. Reconstitution à l’année de la mobilité individuelle
II.2.1. Idée principale
II.2.2. Taille d’échantillon et effet de bord de la période observée
II.2.3. Apurements supplémentaires, filtrages spécifiques à la longue distance
II.2.4. Imputations, réaffectations entre les différents segments de mobilité
II.3. Déterminants géographiques
Chapitre III : Résultats globaux
III.1. Mobilité des résidants français selon leur zone de résidence, une première approche descriptive
III.2. Typologie des comportements de mobilité basée sur les profils d’émissions
III.2.1. Classification ascendante hiérarchique
III.2.2. Profil-types des comportements d’émission et de mobilité individuelle
III.3. Analyse des résultats selon leurs principaux déterminants
III.3.1. Déclinaison dans l’espace, zonage résidentiel
III.3.2. Déterminants socio-économiques et démographiques (genre, âge, situation professionnel,…) : qui sont-ils ?
III.3.3. Y a-t-il finalement des compensations, voire un « effet barbecue » ?
III.3.4. Quel rôle des variables spatiales face aux autres déterminants ?
III.3.5. Les autres caractéristiques des mobilités (mode, motif,…)
Chapitre IV : Quelques thématiques particulières
IV.1. Retour sur les déplacements à longue distance
IV.1.1.Des différences de genre très marquées sur ce segment seulement ?
IV.1.2.Grands pendulaires ou transcontinentaux
IV.2. Motifs de déplacements, deux cas particuliers
IV.2.1.Les pratiques d’achats
IV.2.2.Les mobilités de loisirs
IV.3. Taux d’occupation des voitures particulières : un levier (plutôt inattendu mais à considérer) pour les politiques de réduction des émissions de CO2
IV.3.1.Présentation théorique : insérer le taux d’occupation dans l’approche ASIF
IV.3.2.Résultats selon les classes et les zones de résidences
Conclusion générale
1. Résultats
2. Extensions et pistes de recherche
Références bibliographiques
Annexes

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