LES METAUX DURS AU SEIN DES STRUCTURES AERONAUTIQUES
L‘amélioration de la performance énergétique et économique du transport aérien est une nécessité. Elle impose la conception d’aéronefs toujours plus éco-efficients ainsi que la réduction des coûts d’exploitation et de production (Figure 1.1.1). Au sein des structures primaires aéronautiques, certains composants et sous-ensembles hautement techniques sont les garants de l’intégrité et de l’efficacité globale de l’appareil. Le mât réacteur, unique lien mécanique reliant le moteur à l’aile, est l’un des plus critiques pour l’appareil (Figure 1.1.2, droite). Le cahier des charges pour sa conception et sa fabrication est un vrai défi. Il doit en effet permettre la transmission de la poussée des moteurs à la cellule tout en présentant une excellente aérodynamique et une robustesse remarquable. De plus, il garantit l’intégration fonctionnelle totale des réacteurs.
Avec l’arrivée de réacteurs de plus en plus performants sur le marché aéronautique, les températures et contraintes soutenues par les différents composants mécaniques ont imposé l’utilisation inévitable d’alliages de hautes performances tels que les métaux durs . Les alliages de cette famille possèdent des propriétés physiques qui présentent de nombreux intérêts. Ils permettent d’obtenir fréquemment les meilleurs compromis entre densité et caractéristiques d’usage recherchées. Leur principale qualité provient de leur tenue élevée sous des sollicitations mécaniques ponctuelles et cycliques, parfois sur de larges spectres de température [BOY1]. Au sein de cette famille de matériaux, nous pouvons identifier les très attractifs alliages de titane, les aciers à très hautes performances et les superalliages à base nickel ou cobalt dont l’utilisation est désormais courante dans le secteur aéronautique et le secteur spatial (Tableau 1.1.1). Du fait de l’emploi nécessaire de ces métaux onéreux, de sa conception délicate et de sa fabrication complexe, mais aussi du fait des masses considérables embarquées en vol, le mât réacteur représente une part importante de prix de la structure d’un avion.
La structure primaire d’un mât réacteur moderne s’apparente à une architecture métallique caissonnée (Figure 1.1.2) sur laquelle nous retrouvons les différents axes d’attache entre le réacteur et la voilure. La diversité des pièces et matériaux qui permettent son assemblage est importante (longerons, nervures, panneaux, et axes). Par ailleurs, en observant la chronologie des dépôts de brevets concernant l’architecture globale des mâts, notamment entre 1967 et 2015, nous pouvons constater du niveau d’optimisation qui lui est alloué. Cette optimisation se retrouve bien entendu dans le choix des matériaux des différentes pièces matricées, forgées et issues de tôleries laminées. Au fil des générations les aciers faiblement et fortement alliés ont été remplacés par les aciers inoxydables à durcissement structural. Ces derniers laissent aujourd’hui leur place au profit des superalliages pour les attaches moteurs et voilures mais surtout aux alliages de titane, intégrés aujourd’hui massivement dans la structure primaire. Parmi ces derniers, la grande majorité des applications est couverte par l’alliage Ti-6Al-4V recuit dans le domaine αβ2 ou β (ELI3 ). L’emploi du recuit αβ est généralement justifié pour des critères de polyvalence en termes de caractéristiques mécaniques et de coûts alors que l’emploi du recuit β est apprécié pour sa haute tolérance aux dommages [SMI1]. Leurs exceptionnelles caractéristiques intrinsèques ainsi que la maîtrise actuelle de leur fabrication et de leur comportement permettent de répondre à diverses contraintes industrielles sur les appareils de dernière génération, qui justifient alors de gains de masse pouvant être conséquents. Des évolutions similaires sur l’emploi progressif des métaux durs ont pu être constatées sur d’autres composants critiques de la cellule comme le train d’atterrissage ou l’encadrement des portes sur le fuselage.
D’un autre côté, il est intéressant d’observer qu’en conséquence de l’utilisation massive des CFRPs comme matériau structural dans les appareils modernes, des problématiques de compatibilité galvanique ou thermique interviennent inévitablement au niveau des interfaces multi-matériaux. Cette problématique justifie alors souvent l’utilisation des métaux durs par rapport aux autres alliages moins nobles tels que les aluminiums, en limitant l’emploi de mesures de protection. Cette stratégie permet de diminuer les coûts et les impacts environnementaux liés à l’utilisation de protections de surface et de simplifier les contrôles en service. Finalement, la capacité d’absorption aux chocs des composites usuels reste très limitée. Des cadres métalliques peuvent être employés afin d’améliorer la réponse globale de la structure. Au-delà des applications liées à la nacelle, où les températures de fonctionnement n’excèdent pas 250°C, les alliages durs sont utilisés massivement dans les parties tournantes et porteuses des réacteurs. Ezugwu [EZU1] rappelle que chaque kilogramme retiré à la masse totale du réacteur permet d’économiser 150 000 US dollars (2005) de carburant sur la vie en service d’un réacteur usuel d’un avion commercial.
Au vu de la nécessité de l’emploi des métaux durs dans des composants remarquables, mais aussi du fait des effets secondaires liés à la promotion des matériaux composites, les métaux durs sont de plus en plus présents dans le poids structurel des avions de ligne (Figure 1.1.3). Leur proportion est comprise entre 20% et 25% en masse sur les long-courriers de dernière génération type Airbus A350 et Boeing 787 (contre 12,5% pour un appareil de type Airbus A320). De fait malgré tous les avantages apportés par cette famille de métaux, ils représentent toutefois aujourd’hui une source importante de coûts fixes pour les avionneurs et diminuent fortement la profitabilité de leur exploitation. Selon Alwyn Scott [SCO1], sur les 280 millions de dollars du prix de vente d’un Boeing 787, 17 millions sont imputables à l’utilisation des alliages de titane et cela sans prise en compte des investissements nécessaires pour le développement et l’industrialisation des nouveaux composants. Ces coûts proviennent principalement du fait qu’ils sont très onéreux à l’état brut et qu’ils s’avèrent difficilement usinables. Ainsi, l’utilisation de métaux durs comme matériau structurel est une décision réfléchie où de nombreux critères interviennent, de l’aspect technique à la stratégie d’approvisionnement à l’échelle mondiale [AIR2]. Notre étude s’inscrit ici dans la maîtrise de paramètres techniques liés à l’emploi des métaux durs, favorisant son attrait dans le secteur aéronautique. Dans le prochain paragraphe, nous allons nous intéresser aux aspects scientifiques et technologiques associés à l’optimisation de ces structures.
LA CAUSE SOURCE DE RUINE DES STRUCTURES EN METAUX DURS
Penchons-nous maintenant sur l’environnement d’exploitation de ces métaux. La grande majorité des structures aéronautiques, qu’elles fassent intervenir des métaux durs ou non, résultent massivement d’assemblages de pièces et de sous-ensembles qui peuvent être rivetés ou vissés et qui nécessitent la présence d’alésages. Les efforts peuvent alors transiter au sein de ces pièces mais aussi par les joints boulonnés. Les alésages, en tant que discontinuités géométriques sont générateurs de fortes concentrations de contraintes lors d’un chargement mécanique. L’impact de cette « surcontrainte » est primordial sur le comportement sous sollicitation cycliques alternées. Elle est en effet susceptible d’amorcer l’endommagement en fatigue du matériau, responsable d’accidents majeurs dans l’aéronautique civile. Les alésages sont particulièrement vulnérable [NEU1] [PET1]. Parmi les nombreuses exigences imposées à la structure d’un aéronef, la performance en fatigue est capitale. Elle est souvent considérée comme critique dans la justification [SCH2]. D’après Liu et al [LIU1], il est ainsi observé statistiquement que la fissuration en fatigue des alésages, de fixation ou autres, compte pour 50% à 90% du nombre de fissurations totales d’un avion en service, loin devant les fissures induites par la corrosion ou par des surcharges [FIN1].
La fatigue des matériaux métalliques est un phénomène dont la prise de conscience est intervenue relativement tôt dans l’histoire, les premières études rencontrées datent de plus de 170 ans. Cependant, la compréhension précise des processus intervenants est bien plus récente. Cette branche a déjà été sujette à de nombreux et divers travaux au cours des dernières décennies. D’un point de vue global, l’endommagement en fatigue est un phénomène se déclenchant principalement en surface d’un matériau, dès lors que celui-ci est considéré relativement pur (absence d’inclusions ou de défauts importants). Dans de nombreux cas, cette phase d’initiation de la fissuration couvre une part très importante de la durée de vie en fatigue d’un composant et conditionne son temps d’utilisation.
OPTIMISER ET REPARER VIA LA GENERATION DE CHAMPS RESIDUELS
Les observations précédentes mettent en évidence l’importance et l’intérêt des développements effectués sur pièces en métaux durs. Les facteurs économiques et environnementaux impliquent que ces structures soient toujours plus performantes et résistantes à la fatigue. L’objectif est d’assurer l’augmentation des temps d’exploitation des appareils en service et de répondre aux nouvelles problématiques imposées sur les avions de dernière génération . Dans cette étude, nous nous focalisons sur l’amélioration de la performance en fatigue des structures en métaux durs. Nous cherchons particulièrement à diminuer la valeur de la contrainte opérant dans ces zones au cours du chargement. Plusieurs solutions apparaissent alors plus ou moins évidentes aux yeux du concepteur pour la résolution de ce problème. Une première solution revient à compenser la surcharge par un surdimensionnement visant à réduire les contraintes par augmentation de la surface exposée. D’autres visent à adapter et optimiser les géométries afin de réduire les singularités. Une troisième pratique vise à changer le matériau initial de fabrication au profit d’un autre disposant de caractéristiques mécaniques supérieures. Ces méthodes induisent alors inévitablement une augmentation de la masse des composants et/ou une complexification des méthodes de fabrication. De plus, il ne faut pas oublier que dans la majorité des cas, l’optimisation est souhaitable sur une pièce déjà conçue ou fabriquée, qui serait extrêmement coûteuse à remplacer ou à redessiner. Nous comprenons rapidement l’intérêt de marquer une nouvelle étape dans le développement des composants métaux durs. De plus, nous n’avons pas identifié de procédé de réparation efficace et bon marché des composants en métaux durs dans l’éventualité de l’apparition de fissures autour des alésages.
La compréhension et la maîtrise des paramètres caractérisant l’endommagement en fatigue a permis peu à peu l’utilisation de procédés technologiques (chimiques & mécaniques) permettant de repousser les limites des critères de dimensionnement en fatigue, garantissant fiabilité et tolérance aux dommages des structures. Dans le domaine de l’assemblage, certaines solutions peuvent diminuer la criticité des zones d’assemblages par la génération de contrainte à l’installation. Nous pouvons prendre pour exemple l’installation avec prétension des fixations [BEN1] ou bien l’insertion des fixations avec interférence dans leurs logements [PAR1]. Ces solutions s’avèrent trop peu étudiées à ce jour ou tout simplement non réalisables au sein des métaux durs. C’est pourquoi dans cette étude, nous nous intéressons aux procédés permettant la génération de contraintes résiduelles dites « préinstallées ».
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 Vers une optimisation de la durée de vie des pièces en métaux durs au sein de structures aéronautiques
1.1 Les métaux durs au sein des structures aéronautiques
1.2 La cause source de ruine des structures en métaux durs
1.3 Optimiser et réparer via la génération de champs résiduels
1.4 Les essais structuraux et la reproduction des cas de charges réels
1.5 Les verrous scientifiques relatifs à l’étude et la méthodologie proposée
1.6 Organisation du rapport de thèse
CHAPITRE 2 Revue de littérature et définition des outils d’analyses
2.1 Objectifs de la revue de bibliographie
2.2 Endommagement en fatigue et rupture des métaux
2.2.1 Phénoménologie générale du processus de rupture des composants métalliques
2.2.2 Modes de ruines observés en présence de trous ou d’alésages
2.2.3 L’expression et la caractérisation de la durée de vie en fatigue
2.3 La technique d’expansion à froid
2.3.1 Principe et objectifs
2.3.2 Les technologies d’expansion à froid
2.4 L’expansion à froid au sein des métaux durs
2.4.1 Extension du procédé d’expansion aux métaux durs
2.4.2 Performance en fatigue des alésages en métaux durs expansés
2.5 Les outils et les moyens d’analyse du procédé d’expansion à froid
2.5.1 Préface : problématique de la caractérisation des alésages expansés
2.5.2 La caractérisation expérimentale des alésages expansés
2.5.3 L’étude numérique de l’alésage expansé
2.5.4 Recherche d’une optimisation du procédé d’expansion
2.6 Bilan de l’étude bibliographique
CHAPITRE 3 Etude numérique du procédé de la bague fendue dans les alésages en métaux durs
3.1 Introduction à l’étude numérique
3.2 Définition du modèle axisymétrique d’expansion à froid
3.2.1 Justification de la modélisation axisymétrique
3.2.2 Modélisation axisymétrique : généralités
3.2.3 Modélisation axisymétrique du procédé à « bague fendue »
3.3 Simulation de l’expansion à froid à bague fendue au sein d’un alésage en Ti-6Al-4V
3.3.1 Simulation de référence
3.3.2 Expansion à froid d’un alésage en Ti-6Al-4V recuit (αβ)
3.3.3 Impact du taux d’expansion
3.3.4 Influence de la loi d’écrouissage sur les contraintes circonférentielles
3.3.5 Impact de l’épaisseur du trou
3.3.6 Conséquence de la double expansion
3.4 Simulation du procédé d’expansion à froid au sein des métaux durs aéronautiques
3.4.1 Détails des simulations
3.4.2 Analyse des champs circonférentiels générés post expansion
3.4.3 Influence du matériau sur les déformations des pièces
3.5 Simulation de l’expansion à froid d’alésages empilés
3.5.1 Généralités
3.5.2 Etude de l’expansion au sein d’un assemblage rigide
3.5.3 Etude de l’expansion dans un assemblage précontraint
3.6 Conclusion de l’étude numérique
CHAPITRE 4 Caractérisation expérimentale des alésages expansés
4.1 Introduction à l’étude de caractérisation
4.2 Procédure expérimentale
4.2.1 Configuration des éprouvettes testées
4.2.2 Matériaux testés
4.2.3 Préparation des éprouvettes
4.2.4 Principe d’essai d’expansion à froid
4.2.5 Campagne d’essais effectuée – paramètres considérés
4.3 Essai de faisabilité du procédé d’expansion à froid au sein des métaux durs
4.3.1 Observations générales lors de l’exécution du procédé
4.3.2 Analyse du matériau expansé et du risque de fissuration
4.3.3 Etude dimensionnelle des alésages expansés
4.3.4 Mise en parallèle et comparaison des résultats avec les simulations
4.4 Evaluation des champs de contraintes en bord d’alésages expansés
4.4.1 Préambule
4.4.2 Mesure de la zone affectée par l’évolution de la dureté après expansion à froid
4.4.3 Exploitation de la méthode du trou incrémental
4.5 Impact du procédé de réalésage
4.6 Conclusion
CHAPITRE 5 Performance en fatigue des alésages expansés
5.1 Introduction à l’étude de fatigue
5.2 Procédure expérimentale
5.2.1 Principe de l’essai de fatigue de référence « troué libre »
5.2.2 Eprouvettes d’essais
5.2.3 Paramètres généraux des essais de fatigue
5.2.4 Paramètres de procédé considérés pour les essais de fatigue
5.3 Fatigue des alésages en métaux durs
5.3.1 Performance en fatigue des alésages en Ti-6Al-4V αβ
5.3.2 Performance en fatigue des alésages en Ti-6Al-4V β
5.3.3 Performance en fatigue des alésages en acier 15-5PH
5.4 Fatigue des assemblages boulonnés
5.4.1 Objectif
5.4.2 Protocole d’essais sur éprouvettes assemblées
5.4.3 Performance en fatigue des assemblages à double recouvrement
5.5 Conclusion
CHAPITRE 6 Conclusion générale et perspectives
6.1 Conclusion générale des travaux
6.2 Perspectives pour l‘étude
CONCLUSION
Bibliographie
Figures & Tableaux
Annexes
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