L’existence d’une activité protéolytique capable de cliver le collagène natif fut proposée par Gross et al. il y a 45 ans pour expliquer le processus de régression de la queue des têtards, étape de leur métamorphose (Gross et al., 1962) . Cette activité fut montrée capable de cliver le collagène dans un site très spécifique de la triple hélice de collagène entre des résidus GlyLeu/Ile. Après la découverte de l’activité de la première métalloprotéase matricielle (MMP), cette activité collagénolytique ne fut isolée sous forme pure qu’après dix années de tentatives infructueuses. En effet, ce n’est qu’en 1970 que la collagénase fut obtenue sous forme pure à partir de peau humaine (Bauer et al., 1970) et d’utérus de rat en involution (Jeffrey et al., 1970).
Il se passe encore une quinzaine d’années avant que la séquence de cette protéine soit établie et qu’apparaisse une nomenclature décrivant trois MMP : la MMP-1 pour l’activité collagénolytique décrite ci-dessus, la MMP-2 pour une activité capable de cliver le collagène de type IV (Liotta et al., 1980) et la MMP3 isolée à partir d’explants d’os mis en culture, de spécificité large clivant notamment les protéoglycanes (Galloway et al., 1983). L’établissement des séquences de ces protéines a permis de mettre en évidence des éléments de séquence conservés entre ces protéines et de déboucher sur la mise en œuvre d’expériences visant à caractériser de nouvelles MMP. Ainsi, des techniques de criblage différentiel d’expression d’ARN messagers, permettant de détecter l’ensemble des protéines possédant de tels éléments de séquence hautement conservée, furent développées dans différents laboratoires. C’est ainsi que la stromélysine-3 (MMP 11) put être détectée et observée comme étant un des principaux gènes exprimé par des cellules stromales dans des cancers du sein (Basset et al., 1990). Des approches de clonage et de séquençage d’ADN complémentaire à partir d’échantillons tumoraux permirent aussi l’identification de la première forme de MMP membranaire (Sato et al., 1994) et d’une nouvelle collagénase (Freije et al., 1994). Ces travaux permirent de mettre en évidence chez l’Homme la présence d’une famille de protéines, caractérisée par la présence d’un domaine catalytique possédant une activité protéolytique nécessitant la présence d’un atome de zinc (Brinckerhoff et al., 2002). Les MMP représentent un sous-groupe dans la famille des protéases à zinc, constitué de 23 membres chez l’Homme, capables de dégrader conjointement l’ensemble des protéines de la matrice extracellulaire. Cette propriété leur confère la possibilité de remodeler les tissus conjonctifs, en d’autres termes l’environnement immédiat des cellules, en modifiant par exemple les liens physiques existants entre la cellule et la matrice extracellulaire (Shapiro, 1998). Aujourd’hui, on sait que la modification des liens entre la cellule et son environnement peut entraîner la modification de nombreuses voies de signalisation à l’intérieur de la cellule et aboutir par exemple à changer le phénotype de la cellule (Lukashev et al., 1998; Adams, 2001). Dans cette perspective, les MMP ne doivent pas être considérées comme de simples « ciseaux » moléculaires passifs, mais comme des molécules des voies de signalisation à part entière (Mott et al., 2004). Cette vision se trouve renforcée par la découverte de nouveaux substrats cibles des MMP comme les chémokines, des ligands apoptotiques comme le ligand de Fas (FasL), les protéines de liaison de facteurs de croissance et différents récepteurs influençant la signalisation cellulaire (Egeblad et al., 2002).
Ce répertoire de propriétés biochimiques complexes s’accorde avec l’implication des MMP dans de nombreuses pathologies telles que le cancer, l’athérosclérose, l’arthrite et des maladies pulmonaires (Fingleton, 2007). L’implication directe ou indirecte des MMP dans ces pathologies a naturellement conduit de nombreux laboratoires publics et privés à s’intéresser au développement d’inhibiteurs des MMP en tant qu’agent thérapeutique. Dans le domaine du cancer, secteur où les études cliniques ont été menées le plus loin, les résultats ont été relativement décevants associant, dans certains cas, au faible bénéfice pour le patient des effets indésirables (Egeblad et al., 2002). La faible sélectivité des inhibiteurs utilisés dans ces essais cliniques est aujourd’hui le principal argument avancé pour expliquer l’échec de ces essais. Cet argument semble être validé par l’évaluation du rôle individuel de certaines MMP dans la progression tumorale dans des modèles animaux. En effet, ces expériences démontrent que certaines MMP participent à la progression tumorale, alors que d’autres MMP semblent être mobilisées par l’hôte pour lutter contre la progression tumorale (Folgueras et al., 2004). Ces résultats indiquent la nécessité d’utiliser des inhibiteurs capables de discriminer les MMP participant à la réponse de l’hôte et les MMP favorisant le développement de la pathologie. Ces travaux récents soulignent donc la nécessité de développer des inhibiteurs de plus grande spécificité que ceux mis au point dans le passé. Cependant il est important de noter que, compte tenu de la très grande conservation des résidus figurant dans les sites actifs des différentes MMP, le développement d’inhibiteurs capables d’inhiber chaque MMP individuellement constitue encore aujourd’hui un formidable défi. Pour mieux cerner les besoins, il semble logique de s’interroger sur la nature des MMP mises en jeu dans une pathologie donnée, à un moment donné. Dans un premier temps, cette question a été abordée par différentes techniques visant à déterminer le niveau d’expression des ARN messagers correspondant aux différentes MMP. En montrant qu’effectivement il existe des profils d’expression particuliers des MMP, ces travaux ont confirmé l’intérêt potentiel de ce type d’analyse. Cependant, dans le cas spécifique des MMP, les limites de ces approches sont très vite apparues (Lopez Otin et al., 2002). Les MMP subissant en effet de nombreuses modifications post traductionnelles, il n’existe pas de relation simple entre les niveaux d’expression des ARN messagers et la quantité de protéases qui existera finalement dans le tissu sous forme active. C’est pour répondre à cet objectif précis, que se sont développées, ces dix dernières années, des approches dites de protéomique fonctionnelle, qui visent à déterminer, voire quantifier les niveaux d’expression des protéases dans leur état fonctionnel (Liu et al., 1999; Greenbaum et al., 2002). Appliquées au champ des MMP, ces approches visent en particulier à détecter et identifier la nature des MMP présentes sous formes actives dans un tissu donné. Pour repérer dans un protéome complexe les formes actives de MMP, ces approches nécessitent le développement de ligands permettant de visualiser, capturer et identifier ces formes actives. L’expertise du laboratoire dans le développement d’inhibiteurs de protéases à zinc, en particulier d’inhibiteurs de MMP, constituait un atout pour le développement de telles approches. Le développement d’un ligand capable de détecter avec une très grande sensibilité des formes actives de MMP dans un protéome complexe constitue l’un des objectifs de cette thèse.
Classification
Le terme « métalloprotéase » regroupe l’ensemble des enzymes dont l’activité catalytique nécessite un ion métallique, qui est dans la majorité des cas un atome de zinc. Ainsi, chez l’Homme, 186 gènes codant pour des protéases à zinc ont été identifiés, nombre surpassant celui des gènes codant respectivement pour des protéases à sérines (176) et des protéases à cystéines (143) chez cette espèce (Puente et al., 2003). Parmi les familles qui constituent le groupe des métalloprotéases à zinc, la moitié possède un motif consensus UHUEXXUHU : ce sont les zincines. Les deux histidines de cette séquence constituent les deux premiers ligands de l’atome de zinc, alors que le glutamate polarise la molécule d’eau impliquée dans l’hydrolyse de la liaison peptidique (Bode et al., 1993).
Les zincines sont divisées en sous-famille selon la nature du troisième ligand de l’atome de zinc ; pour la famille des gluzincines, comme la thermolysine, l’ACE et la NEP, le troisième ligand est un glutamate porté par une séquence conservée NUEUXXSD. La famille des metzincines (Stocker et al., 1995) regroupe les protéases dont le troisième ligand de l’atome de zinc est un résidu histidine, le motif consensus étant alors étendu à la séquence suivante : UHEUXGUHUXXGXXUHU. Les Metzincines présentent par ailleurs dans leur séquence un résidu méthionine situé sur une séquence structurée en un tournant de type β-1,4, appelé Metturn. Dans cette structure, la chaîne latérale de la méthionine pointe vers l’atome de zinc catalytique. Cette topologie particulière du résidu méthionine a permis sur des bases structurales le regroupement en sous famille des metzincines. Les matrixines (MMP) ont une séquence consensus de type (A/S)XMX(A/P/L).
Les différents domaines structuraux des MMP
Le séquençage complet du génome humain et une analyse fine des séquences codant pour les MMP ont permis de définir l’ensemble des MMP produites chez l’Homme. 24 gènes codant pour des MMP ont ainsi été identifiés dans le génome humain, donnant lieu à la traduction de 23 protéases de type MMP ; deux gènes distincts codent en effet pour une même MMP : la MMP-23. Les produits des deux gènes sont communément appelés MMP-23A et MMP-23B, mais ces deux enzymes présentent des séquences en aminoacides strictement identiques (Pei, 1999; Velasco et al., 1999; Folgueras et al., 2004).
a) le peptide signal :
La séquence des MMP commence par une vingtaine de résidus, généralement hydrophobes, permettant de diriger le polypeptide synthétisé vers les voies de sécrétion. Toutes les MMP possèdent cette séquence « signal », sauf la MMP-23, observation suggérant l’existence d’une voie de sécrétion alternative pour cette MMP (Velasco et al., 1999).
b) le prodomaine :
Le prodomaine est composé d’environ 80 aminoacides, caractérisé par la présence d’une séquence PRUCUG(V/N)PD strictement conservée dans la plupart des MMP. Cette séquence contient le résidu cystéine du « cystein switch » décrit en 1990 par Van Wart et Birkedal-Hansen, dont l’atome de soufre interagit directement avec l’atome de zinc catalytique .
Seule la MMP-23 ne possède pas cette séquence (Gururajan et al., 1998). Par ailleurs, dans le prodomaine de quelques MMP (MMP-11, les MT-MMP, MMP21, MMP-23 et MMP-28), une séquence RX(K/R)R a été observée située en Cterminal du prodomaine, typique d’un site de clivage par la furine (Marchenko et al., 2003; Visse et al., 2003).
c) le domaine catalytique :
Le domaine catalytique, composé d’environ 170 résidus, est caractérisé par un site de liaison de l’atome de zinc catalytique UHUEXGUHUXXGXXUHU. Dans la famille des métalloprotéases à zinc, c’est le domaine le plus petit par le nombre de résidus entrant dans sa composition. Cette remarque suggère que ce domaine pourrait représenter un ancêtre commun à de nombreuses protéases à zinc modernes. Cet argument est renforcé par la conservation de structures secondaires, observées chez les MMP, dans d’autres protéases de plus grande taille. Outre l’atome de zinc du site catalytique, le domaine catalytique possède plusieurs ions métalliques structuraux : un atome de zinc non-échangeable et deux ou trois atomes de calciums, nécessaires à la stabilité et à l’activité de l’enzyme (Bode et al., 1994). De façon remarquable, on observe dans le domaine catalytique des MMP-2 et -9 (les Gélatinases A et B) la présence d’une insertion longue de 175 résidus. Cette séquence possède trois motifs répétitifs proches en structure du domaine de type II de la fibronectine. La présence de ces domaines particuliers dans ces deux MMP est responsable de leur spécificité à dégrader la gélatine (Brinckerhoff et al., 2002) .
d) la charnière :
Cette séquence permet de relier le domaine catalytique des MMP à leur domaine C-terminal, excepté dans le cas des matrilysines (MMP-7 et MMP-26), dont les structures primaires ne sont constituées que du prodomaine et du domaine catalytique. La MMP-23 est une autre exception dans laquelle le peptide charnière est remplacé par une région riche en cystéines CXB 6BCXB 8BCXB 10BCXB 3BCXB 2BC. Cette région est très variable en taille, de 16 à 65 résidus et très flexible (Murphy et al., 1997). La taille de cette région intervient certainement dans des interactions intermoléculaires engagées par les MMP qui impliquent à la fois le domaine catalytique et le domaine hémopexine.
e) le domaine C-terminal de type hémopexine :
La plupart des MMP présente en C-terminal du peptide charnière un domaine constitué de 210 résidus. Ce domaine, en forme de disque ellipsoïdal, fortement similaire aux membres de la famille des hémopexines, ressemble à une hélice à 4 pales, dont chaque pale est formée de 4 brins β anti-parallèles et d’une hélice α (Gomis-Ruth et al., 1996) . Ce domaine est absolument nécessaire aux collagénases pour la dégradation de la triple hélice de collagène interstitiel (Bode, 1995). De plus, ce domaine apparaît essentiel dans l’activation de la proMMP-2 par la MMP-14 à la surface de la cellule (Brinckerhoff et al., 2002; Visse et al., 2003).
Dans le cas de la MMP-23, le domaine hémopexine est remplacé par des motifs similaires à ceux trouvés dans la séquence du récepteur à l’IL-1, caractéristiques d’un repliement de type immunoglobuline C2 (Pei, 1999). Dans le cas des MT-MMP, le domaine hémopexine est suivi soit d’un domaine transmembranaire (MT1 MMP, MT2-MMP, MT3-MMP et MT5-MMP), soit d’un groupement inositolphosphate (MT4-MMP et MT6-MMP), permettant l’ancrage membranaire de l’enzyme à la surface de la cellule (Brinckerhoff et al., 2002).
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre I : Les MétalloProtéases Matricielles ou MMP
1. Classification des MMP
2. Les différents domaines structuraux des MMP
a) Le peptide signal
b) Le prodomaine
c) Le domaine catalytique
d) La charnière
e) Le domaine C-terminal de type hémopexine
3. Les différents groupes de MMP
a) Les matrilysines
b) Les collagénases interstitielles
c) Les stromélysines
d) Les gélatinases
e) Les MMP transmembranaires ou MT-MMP
f) Le groupe hétérogène
4. La structure tridimensionnelle des MMP
a) Le prodomaine
b) Le domaine catalytique
c) L’atome de zinc et la catalyse
5. Différences avec les protéases à zinc
6. Développement d’inhibiteurs de protéases à zinc
a) Les premiers inhibiteurs de protéases à zinc
b) Les analogues de l’état de transition
c) Les premiers inhibiteurs spécifiques de MMP
d) Les inhibiteurs sélectifs de la MMP-12
e) Les inhibiteurs sélectifs de la MMP-13
7. Fonctions des MMP
a) Les fonctions physiologiques des MMP
b) L’activation des MMP
i. Clivage du prodomaine à l’extérieur de la cellule
ii. Clivage du prodomaine à l’intérieur de la cellule
c) L’inhibition des MMP
8. Détection des formes actives de MMP
a) La zymographie appliquée à l’étude des gélatinases
b) ABPP pour la détection des MMP
c) Le marquage par photoaffinité
Chapitre II : Développement d’une sonde radioactive pour la détection sensible des MMP
1. Conception de la sonde
a) Choix du groupement photoactivable
b) Site d’incorporation de la radioactivité
c) Radiospécificité de la sonde
2. Affinité de la sonde vis-à-vis des MMP
3. Sensibilité de détection de la sonde
a) Site de modification covalente
b) Rendement de modification covalente
c) Seuil de détection
4. Spécificité de la sonde vis-à-vis d’autres partenaires protéiques
5. Discussion
Chapitre III : Validation de la sonde pour la détection des MMP in vitro et ex vivo
1. Evaluation in vitro de l’efficacité de la sonde à modifier différentes MMP
a) Modification de la MMP-12 murine
b) Influence du prodomaine sur l’efficacité de la sonde
2. Evaluation ex vivo de l’efficacité de la sonde à modifier des MMP sous forme active en présence de broyat tumoral
a) Stabilité d’un complexe hMMP-12/sonde dans un broyat tumoral
b) Sensibilité de détection de la hMMP-12 au sein d’un broyat tumoral
c) Modification de MMP en mélange
d) Modification de MMP en mélange en présence de broyat tumoral
e) Analyse des protéines d’un extrait tumoral modifiées par la sonde
f) Analyse par zymographie gélatine bidimensionnelle du broyat tumoral
3. Discussion
4. Conclusion
Chapitre IV : Matériels et méthodes
1. Matériels
a) Enzymes et composés
b) Préparation des composés et des échantillons
c) Tests enzymatiques
d) Photoactivation
e) Electrophorèses
f) Transfert électrophorétique
g) Principe du radioimageur
2. Méthodes
a) Activation des enzymes
b) Dosage des MMP
c) Purification du composé 2
d) Radiomarquage du composé 2
e) Tests enzymatiques in vitro
f) Culture cellulaire
g) Préparation des échantillons
h) Photoactivation
i) Electrophorèses
i. L’électrophorèse monodimensionnelle (SDS-PAGE)
ii. L’électrophorèse bidimensionnelle (2DE)
j) Transfert électrophorétique
k) Coloration au nitrate d’argent
l) Zymographie
i. La zymographie 1D
ii. La zymographie 2D
iii. Révélation de l’activité gélatinolytique
CONCLUSION
Bibliographie