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Les ETM dans un contexte d’interaction plante/microorganisme
Le métabolisme secondaire des plantes
Les métabolites secondaires sont des composés de faible masse moléculaire (<1000 Da généralement) qui ne jouent pas un rôle fondamental pour les plantes comme les métabolites primaires, mais qui sont impliqués dans l’adaptation des plantes à leur environnement, notamment dans les interactions biotiques (Ramakrishna and Ravishankar 2011; Naik and al-Khayri 2016). Une grande variété de métabolites secondaires est synthétisée par les plantes supérieures à partir des métabolites primaires (par exemple carbohydrates, lipides et acide aminés) et sont le résultat d’une co-évolution entre les plantes et leur environnement biotique. Connus comme principes actifs pour la production de médicaments, d’additifs alimentaires et d’arômes, ou de parfums, ils contribuent notamment à la formation des odeurs et des couleurs chez les plantes (Ramakrishna and Ravishankar 2011; Murthy et al. 2014). Leur rôle dans la croissance et le développement des plantes est de plus en plus étudié, notamment afin d’améliorer les techniques de culture. Ils pourraient par exemple fournir aux plantes des avantages dans la survie en les protégeant des stress biotiques ou abiotiques, en améliorant la disponibilité des éléments nutritifs, en agissant comme mécanisme de défense métabolique, ou en améliorant les interactions compétitives avec d’autres organismes (Breitling et al. 2013).
Les métabolites secondaires des plantes se répartissent en 3 groupes chimiques : les alcaloïdes, les terpénoïdes et les composés phénoliques. Parmi eux, les polyphénols constituent une vaste diversité de composés bioactifs impliqués dans de nombreux processus d’interactions biotiques depuis la symbiose jusqu’à la résistance aux maladies (Cheynier et al. 2013). Ils sont définis comme des « dérivés non azotés dont le ou les cycles aromatiques sont principalement issus du métabolisme de l’acide shikimique ou/et de celui d’un polyacétate » (Bruneton 2009). Ils sont classés en fonction de leur squelette carboné (ex : phénylpropanoïdes, lignanes, stilbènes, flavonoïdes, anthraquinones). Les polyphénols ont diverses fonctions dans les plantes mais tous ont pour caractéristiques communes de posséder des propriétés antioxydantes et antimicrobiennes plus ou moins marquées du fait de leur fonction phénol.
Effets des ETM sur le métabolisme secondaire des plantes
Parmi les stress abiotiques, les ETM sont connus pour influencer la production de métabolites chez les plantes (Nasim and Dhir 2010). Il a été rapporté que les plantes s’adaptent au stress métallique en changeant leur métabolisme, incluant la production de métabolites secondaires (Singh et al. 2016). Les composés phénoliques sont les plus impactés par les métaux, en raison des groupes (-OH) libres typiquement associés à leurs structures. Lors du stress métallique, les composés phénoliques peuvent jouer le rôle de chélateurs (grâce aux fonctions ortho dihydroxy par exemple) et peuvent également limiter la production d’espèces réactives de l’oxygène (ou « reactive oxygen species » – ROS) générés par les métaux, du fait de leur capacité de piégeage des radicaux libres. L’induction de la biosynthèse des composés phénoliques a été observée chez le blé en réponse à la toxicité du Ni (Diáz et al. 2001). Cependant, il a été rapporté que le Ni inhibait l’accumulation des anthocyanes (Hawrylak et al. 2007; Ramakrishna and Ravishankar 2011). L’augmentation de la teneur en composés phénoliques a également été signalée chez Phaseolus vulgaris en présence de concentrations croissantes de Cd (Dıaź et al. 2001) ou de Pb (Hamid et al. 2010). Diaz et collaborateurs (2001) ont décrit que les feuilles de Phyllantus tenellus contiennent plus de composés phénoliques que celles des plantes contrôle après avoir été pulvérisées avec du CuSO4 (Dıaź et al. 2001). Sous stress Cu, la teneur totale des composés phénoliques chez Brassica juncea est significativement augmentée et ces composés se caractérisent par des activités antioxydantes (Poonam et al. 2015). Melato et al. (2012) ont observé une corrélation linéaire entre la concentration des métaux et la teneur totale en phénols solubles, acides phénols libres et composés phénoliques liés à la paroi cellulaire de Chrysopogon zizanioides, confirmant l’induction de la production des composés phénoliques chez cette plante en présence de concentration élevée en métaux (Melato et al. 2012). En outre, Michalak (2006) a rapporté une corrélation positive entre la production des composés phénoliques et l’activité des enzymes impliqués dans la biogénèse des composés phénoliques, suggérant une synthèse de novo de phénols sous le stress métallique. Cependant, il est également mentionné que l’augmentation de la concentration en flavonoïdes est principalement le résultat d’hydrolyse des conjugués, et non pas d’une biosynthèse de novo (Michalak 2006).
En résumé le stress métallique induit globalement la production de composés phénoliques chez les plantes, et leurs propriétés antioxidantes et de chélation des métaux en font des métabolites plus particulièrement intéressants à étudier bien que la majeure partie des études publiées se soient basées sur des analyses quantitatives de la teneur en polyphénols sans s’intéresser qualitativement aux modifications qui pouvaient s’opérer. C’est pourquoi dans le cadre de cette thèse nous privilégierons une approche qualitative.
La métabolomique, un outil efficace pour l’étude du métabolisme secondaire
Inventée depuis une vingtaine d’années, la métabolomique est un domaine relativement nouveau de la technologie des «omiques» (incluant la génomique, la transcriptomique et la protéomique comme sciences utilisées pour la compréhension des systèmes biologiques globaux) et qui concerne principalement la caractérisation des métabolites de petite taille utilisant des techniques spectroscopiques telles que la résonance magnétique nucléaire (NMR) ou la spectrométrie de masse (MS) combinée ou non (FT-ICR MS) à la chromatographie liquide ou gazeuse (LC-MS ou GC-MS), ou à l’éléctrophorèse capillaire (CE-MS)(Rochfort 2005; Wishart 2008; Okazaki and Saito 2012; Hong et al. 2016). La métabolomique se focalise principalement sur la quantification et l’identification haut-débit de l’ensemble des petites molécules (<1500 Da) trouvées dans un organe, une cellule ou un organisme, dit métabolome (Wishart 2008). Elle est appliquée dans plusieurs domaines différents dont la recherche et le développement de médicaments, la recherche de biomarqueurs, en santé humaine et animale, en microbiologie, biologie végétale, chimie alimentaire et surveillance de l’environnement (Wishart 2016). La métabolomique a été appliquée dans plusieurs études phytochimiques, en particulier en combinaison avec des analyses multivariées, telles que l’analyse en composantes principales (PCA), l’analyse de regroupement hiérarchique (HCA), ou la régression des moindres carrés partiels (PLS-DA) (Catchpole et al. 2005; Moco et al. 2007; Kusano et al. 2007; Grata et al. 2007; Ku et al. 2010; Okazaki and Saito 2012). Récemment, cette approche a également été utilisée pour corréler le profil métabolique des extraits de plantes avec leurs activités biologiques, afin de mettre en évidence les métabolites discriminants entre les échantillons actifs ou inactifs, par exemple les composés cytotoxiques chez une ronce (Rubus occidentalis), ou l’activité antivirale et anti-VIH de l’acide caffeoylquinique identifié chez Helichrysum populifolium (Lee et al. 2015; Frédérich et al. 2016).
Impacts des ETM sur les communautés bactériennes du sol
Au cours des dernières années, de nombreuses recherches se sont focalisées sur l’impact écologique des ETM sur les populations bactériennes du sol. Dans des contextes d’environnement fortement contaminés on peut observer une baisse de la biomasse microbienne, une modification dans l’abondance et la diversité des populations bactériennes avec une diminution des populations les plus sensibles et un enrichissement des plus résistantes, et également l’inhibition de certaines activités bactériennes (Konopka et al. 1999; Turpeinen et al. 2004a; Guo et al. 2009; Berg et al. 2010; Azarbad et al. 2013; Nunes et al. 2016).
Approches méthodologiques
Avant les années 2000s, les études d’impact des ETM sur les communautés microbiennes s’appuyaient principalement sur des approches dépendantes de la culture, c’est-à-dire impliquant l’isolement et la culture des microorganismes, et sur la mesure de paramètres globaux tels que la biomasse, les activités enzymatiques, les propriétés métaboliques…(Ranjard et al. 2000; Kirk et al. 2004). Ces techniques sont rapides et économiques, cependant, certaines d’entre elles sont considérées comme sélectives car non représentatives de l’ensemble de la communauté microbienne. Par exemple il est estimé que de 0.1% à moins de 10% des bactéries ou champignons retrouvés dans les sols sont cultivables (Ranjard et al. 2000; Gołębiewski et al. 2014). Des avancées importantes en biologie moléculaire et biochimie ont conduit au développement de nouvelles approches indépendantes de la culture basée sur l’analyse des ADNs, ARNs, ou phospholipides extraits directement des échantillons. Parmi les plus anciennes méthodes on peut citer l’analyse des acides gras phospholipidiques (PLFA), méthodes qui ont été longtemps utilisées pour évaluer simultanément l’impact des métaux sur les communautés bactériennes et fongiques de sols (Frostegård et al. 1993; Kelly et al. 1999; Turpeinen et al. 2004a; Chodak et al. 2013; Azarbad et al. 2013). Depuis les années 2000s, plusieurs approches basées sur l’amplification sélective par PCR de fragments d’ADN suivi de leur migration électrophorétique sur gels d’agarose ou de polyacrylamide sont employées. L’une des plus utilisées est l’électrophorèse sur gel en gradient dénaturant (DGGE pour Denaturing Gradient Gel Electrophoresis) (Müller et al. 2001; Ellis et al. 2003; Feris et al. 2004; Gremion et al. 2004; Li et al. 2006; Lorenz et al. 2006; Wakelin et al. 2010; Berg et al. 2010; Altimira et al. 2012). Cette méthode est rapide et permet l’analyse simultanée d’un grand nombre d’échantillons. D’autres techniques ont également été développées. On peut ainsi citer des études utilisant l’analyse du polymorphisme de longueur des fragments de restriction (RFLP et T-RFLP) (Sandaa et al. 2001; Turpeinen et al. 2004a; Tipayno et al. 2012) et l’analyse du polymorphisme de taille de l’intergène entre les ADRr 16S et 23S (ARISA) (Lejon et al. 2008; Wood et al. 2016). Plus récemment une utilisation accrue des approches méta(taxo)génomiques et méta-transcriptomiques grâce aux techniques de « Next Generation Sequencing » (NGS) a marqué une nouvelle page pour l’analyse des communautés bactériennes. Grâce à ces nouveaux outils il est devenu possible de déterminer avec une plus grande précision la composition de microbiotes complexes et de lier la diversité taxonomique à la diversité fonctionnelle (Fakruddin and Mannan 2013; Gołębiewski et al. 2014). Les plateformes de séquençage les plus utilisées sont celles de Roche, Illumina, Ion Torrent et ABI SOLiD, avec des variations en précision, taux de couverture et biais systématiques (Harismendy et al. 2009; Unno 2015). Ces technologies s’accompagnent de logiciels bioinformatiques pour traiter les données de séquences dont MOTHUR (Schloss et al. 2009) et QIIME (Caporaso et al. 2010), logiciels les plus utilisés pour analyser les séquences du gène codant l’ARNr 16S. De nombreux travaux ont ainsi utilisés le pyroséquençage de ce gène pour étudier l’effet des ETM sur les communautés bactériennes du sol (i.e. Hur et al. 2011; Sheik et al. 2012; Berg et al. 2012; Chodak et al. 2013; Gołębiewski et al. 2014; Pereira et al. 2014; Muehe et al. 2015; Hong et al. 2015; Wang et al. 2016; Nunes et al. 2016).
Biomasse microbienne
Le sol est considéré comme l’un des plus riches réservoirs en microorganismes car il contient divers nutriments nécessaires pour la croissance et le métabolisme bactérien. Un gramme de sol peut contenir jusqu’à plusieurs milliards d’unité de bactéries appartenant à des milliers d’espèces différentes (Rosselló-Mora and Amann 2001). Leita et collaborateurs (1995) ont montré que les ETM affectent la croissance, la morphologie et le métabolisme des microorganismes du sol, par les perturbations fonctionnelles, la dénaturation des protéines ou la destruction de l’intégrité des membranes cellulaires (Leita et al. 1995). Ces modifications pourraient entrainer des diminutions de biomasse microbienne. Plusieurs études ont ainsi fait état d’une réduction de la biomasse bactérienne du sol en conséquence de contamination par les métaux (Konopka et al. 1999; Kelly et al. 1999; Ekelund et al. 2003; Wang et al. 2007b; Guo et al. 2009; Chen et al. 2014).
Structure et diversité de la communauté bactérienne
De nombreuses études ont montré que le stress métallique entraine des modifications plus ou moins importantes de la structure des communautés microbiennes telluriques, cependant les résultats sont souvent contrastés en raison des différences de propriétés physico-chimiques du sol conditionnant la biodisponibilité des métaux, le niveau de contamination, le temps d’exposition ou la résolution des techniques utilisées (Ekelund et al. 2003; Turpeinen et al. 2004; Li et al. 2006; Lorenz et al. 2006; Lejon et al. 2008; Guo et al. 2009; Wakelin et al. 2010; Berg et al. 2012; Singh et al. 2014; Epelde et al. 2015; Azarbad et al. 2016; Nunes et al. 2016). Par exemple, Wakelin et collaborateurs (2010) ont étudié l’impact du Cu sur les communautés bactériennes dans un site contaminé au Cu à Hygum (Danemark) en utilisant la DGGE et ont souligné que la diversité bactérienne augmentait avec le gradient de Cu mais diminuait considérablement lorsque la concentration totale en Cu était supérieure à 560 mg/kg. Un autre travail sur le même site utilisant le séquençage d’ADN à haut débit du gène 16S rRNA a mis en évidence que l’augmentation de la pollution par le Cu n’a pas influencé la richesse taxonomique (Berg et al. 2012). Concernant la composition bactérienne, une des raisons principales de la modification de la biodiversité des communautés bactériennes en présence des ETM est la disparition d’espèces dites sensibles et la sélection et l’enrichissement en populations résistantes (Lenart-Boro and Boro 2014). Cependant, les groupes taxonomiques dominants peuvent être différents selon les études. Ainsi il a été rapporté que des concentrations accrues en Cu conduisent à une réduction de la proportion relative des Proteobacteria tant au sein de la communauté totale (Berg et al. 2012) qu’au sein de la communauté transcriptionnellement active (Nunes et al. 2016). Au contraire, il a été observé en présence de Cu une augmentation de l’abondance relative des Proteobacteria (Turpeinen et al. 2004) et une hausse des Firmicutes (Ekelund et al. 2003) (cf IV.1).
Activités enzymatiques
Les microorganismes contribuent à la synthèse d’enzymes catalysant des processus métaboliques importants tels que la dégradation et la formation des matières organiques, le cycles des éléments nutritifs ou la stabilisation de la structure du sol (Sinsabaugh et al. 1991; Alkorta et al. 2011; Wang et al. 2011; Feng et al. 2016). Les activités enzymatiques font donc partie des propriétés biologiques des bactéries du sol largement abordées dans les études d’impact des métaux. Les impacts négatifs des métaux sur les activités enzymatiques du sol, se caractérisent de trois façon différentes: (i) par la formation d’un complexe avec le substrat, (ii) par l’inactivation de la fraction active de l’enzyme, (3) par une réaction avec le complexe enzyme-substrat (Dick 1997; Tejada et al. 2008; Feng et al. 2016). La sensibilité des activités est différente selon le type d’enzymes et de métal. Kandeler et collaborateurs (1996) dans leur recherche sur l’influence des métaux sur les 13 enzymes intervenant dans les cycles du C, du N, du S et du P, ont trouvé que les enzymes impliquées dans les cycles du N, S et P sont plus impactées que celles liées au cycle du C). L’effet inhibiteur des Cu, Pb et Zn sur les activités de certaines enzymes joue un rôle crucial dans le cycle du C (Invertase), du N (Urease) et du P (Phosphatase) (Khan et al. 2010; Pan and Yu 2011; Feng et al. 2016).
Les sols anthropisés, la résistance aux antibiotiques et l’efflux bactérien IV.1. Les sols contaminés aux ETM-réservoirs de bactéries multirésistantes
Le sol est un important réservoir de bactéries et également la principale source de production naturelle d’antibiotiques (Whitman et al. 1998). En outre, selon une étude métagénomique récente il a été montré des transferts de gènes de résistance aux antibiotiques entre bactéries du sol et agents pathogènes cliniques bien que le mécanisme de ce transfert reste incertain (Forsberg et al. 2012). La littérature indique également que les bactéries résistantes aux antibiotiques sont présentes en proportion accrue dans les environnements fortement anthropisés : différents stress chimiques tels que les composés organiques (biocides, hydrocarbures) et les ETM peuvent être à l’origine de cette sélection (Alonso et al. 2000; Allen et al. 2010; Berg et al. 2010; Deredjian et al. 2011, 2016). Concernant la pollution des sols aux ETM, l’une des modifications mise en évidence à l’échelle des communautés est l’enrichissement en bactéries présentant un phénotype MDR par des mécanismes de co-sélection de résistance (Seiler & Berendonk, 2012). L’exposition aux métaux pourrait sélectionner non seulement les bactéries résistantes à ces polluants, mais aussi co-séléctionner des bactéries résistantes aux antibiotiques Par exemple, Berg et collaborateurs (2010) ont montré qu’une forte pollution au Cu a co-sélectionné des bactéries résistantes au Cu et à différents antibiotiques. Par rapport aux isolats sensibles, les isolats résistants au Cu ont présenté une résistance significativement plus élevée à 5 des 7 antibiotiques testés (tétracycline, olaquindox, acide nalidixique, chloramphénicol et ampicilline) (Berg et al. 2010). Par ailleurs Seiler et Berendonk (2012) ont montré que le Hg, le Cd, le Cu et le Zn étaient les métaux les plus impliqués dans des mécanismes de co-sélection de résistance aux antibiotiques dans les sols ou les systèmes aquatiques. Selon ces auteurs, l’émission de ces ETM dans l’environnement à certains seuils (i.e «concentration co-sélective minimale ») pourrait déclencher une co-sélection de résistance aux antibiotiques. Ceci permet de formuler l’hypothèse que les sols contaminés par des ETM sont aussi un réservoir de bactéries au phénotype MDR et que ces polluants pourraient jouer le rôle de pression de sélection pour la multirésistance aux ATB.
Les métabolites secondaires des plantes et la modulation de la résistance aux antibiotiques
Les plantes colonisant les sols contaminés par les ETM peuvent développer des réponses physiologiques adaptées à ces polluants, incluant la production de chélateurs, ou la production de métabolites de défense…(Soltysiak et al. 2011; Malecka et al. 2012). La modification de cette production métabolique des plantes pourrait avoir un impact direct (production des métabolites ayant des activités antimicrobiennes) ou indirect (production des métabolites affectant la biodisponibilité des métaux) sur la fonction et la diversité des populations bactériennes des sols et plus particulièrement celles associées aux racines (rhizosphère) ou aux feuilles (phyllosphère). Du fait de la complexité des interactions mises en jeu et des matrices multiples (sol/racines), on ne connait pas précisément l’impact des métabolites secondaires des plantes sur les populations bactériennes du sol, il est cependant connu que les plantes sont capables de structurer les communautés bactériennes des sols, principalement via leurs exsudats racinaires (Hartmann et al. 2008; Michalet et al. 2013).
Récemment, Thijs et collaborateurs (2016) ont présenté une théorie intitulée «Plant call for support» posant l’hypothèse que les changements induits par la pollution dans l’exsudation racinaire pourraient permettre de sélectionner des communautés microbiennes portant des traits bénéfiques pour les plantes (par exemple des capacités de dégradation), permettant une meilleure adaptation à la présence de ces contaminants. D’autre part, des composés antimicrobiens d’origine végétale sont parfois des substrats de pompe MDR (ex: berberine ; Stermitz et al. 2000). Les plantes produisent également des métabolites qui pourraient induire l’expression des pompes à efflux des bactéries, permettant à ces dernières de coloniser efficacement la rhizosphère (Palumbo et al. 1998). Les plantes sont aussi capables de produire des métabolites qui ont un effet sur les phénotypes MDR en inhibant l’activité des pompes à efflux permettant de réduire la CMI des composés antimicrobiens qui sont substrats de ces pompes (Stermitz et al. 2000; Stavri et al. 2007). Puisque les plantes et les communautés rhizosphériques partagent des relations étroites, les plantes peuvent avoir développé des stratégies spécifiques pour inhiber ou favoriser ces microorganismes, représentant ainsi également une source de composés bioactifs potentiels, incluant des agents antimicrobiens ou des inhibiteurs de pompes à efflux.
Les stratégies de dépollution des sols contaminés aux ETMs
Contrairement aux polluants organiques les ETM ne peuvent pas être dégradés ou éliminés complètement, donc les procédés pour dépolluer les sols sont en général couteux et compliqués. Parmi les différentes méthodes permettant de décontaminer des sols pollués on peut citer i) les méthodes physico-chimiques qui comprennent l’excavation et l’enfouissement du sol dans un site de déchets dangereux, ii) le traitement chimique du sol pour immobiliser les métaux, iii) le lessivage en utilisant des solutions acides ou des lixiviats appropriés pour désorber les métaux suivi du retour du sol propre au site, et iv) les méthodes biologiques comprenant principalement l’utilisation des microorganismes et des plantes (i.e phytoremédiation) (Baker et al. 1999; Sarma 2011; Lenart-Boro and Boro 2014). Parmi celles-ci, la phytoextraction est la plus utilisée ces dernières années de par son faible coût que ce soit sur un plan économique ou en termes d’impact sur l’environnement.
Stratégies de phytoremédiation
La phytoremédiation est une technique utilisant des plantes pour extraire, éliminer transformer ou stabiliser des polluants organiques et inorganiques (notamment des ETM) (Brooks 1998; Sarma 2011; Lenart-Boro and Boro 2014). Plusieurs stratégies de phytoremédiation sont employées :
– la phytoextraction : les plantes absorbent les ETM dans leurs racines, puis ces polluants sont transférés et accumulés dans les différents parties récoltables (tiges, feuilles). La biomasse des plantes est ensuite incinérée ou compostée pour récupérer les métaux (Brooks 1998; Sarma 2011; Lenart-Boro and Boro 2014). Deux techniques de phytoextraction sont majoritairement utilisées : la phytoextraction continue qui utilise les plantes hyperaccumulatrices pour absorber naturellement les métaux, et la phytoextraction induite qui nécessite d’appliquer des chélateurs de métaux (EDTA, EGTA…) pour améliorer la biodisponibilité et la capacité d’accumulation des métaux ciblés (Cooper et al. 1999).
– la phytostabilisation : basée sur l’utilisation des plantes pour limiter la mobilité et la biodisponibilité des métaux dans le sol. Les métaux sont précipités, piégés, absorbés ou complexés par la plante, qui présente donc une forte tolérance mais de faibles capacités d’accumulation des métaux (Brooks 1998; Sarma 2011; Lenart-Boro and Boro 2014).
– la phytovolatilisation : les composés organiques ou toxiques incluant des métaux (Se, Hg…) sont absorbés par les plantes, puis transformés en produits volatiles non ou peu toxiques, et relâchés dans l’atmosphère via leur feuilles (Brooks 1998; Sarma 2011; Lenart-Boro and Boro 2014).
– la phytostimulation : l’utilisation d’exsudats racinaires de plantes pour stimuler la croissance des certains microorganismes de la rhizosphère capables de modifier la bioaccumulation, la biométhylation et/ou l’oxydation/réduction des métaux (Brooks 1998).
– la phytodégradation (ou rhizorémédiation) : l’utilisation des plantes et des microorganismes associés pour accélérer la dégradation des polluants organiques (Newman and Reynolds 2004; Lenart-Boro and Boro 2014)
Plantes hyperaccumulatrices et mécanismes d’hyperaccumulation
Depuis longtemps, l’hyperaccumulation des métaux est un phénomène qui attire l’attention des scientifiques et de nombreuses recherches ont été effectuées pour comprendre ces mécanismes (Macnair 2003, Verbruggen 2009). En résumé, les principales étapes de l’hyperaccumulation sont :
– absorption du métal par la racine : même à partir de faibles concentrations, les métaux sont absorbés. Au niveau de la membrane des racines, l’absorption est inhabituellement élevée chez les hyperaccumulateurs (Verbruggen 2009).
– translocation de la racine à la tige : les hyperaccumulateurs métalliques peuvent rapidement et efficacement transférer les ETM vers la pousse via le xylème par passage symplastique radial et chargement actif dans le xylème.
– séquestration dans les vacuoles des tiges : de grandes quantités de métaux sont absorbées dans certains organes aériens tels que les feuilles ou les tiges par une augmentation de l’expression de transporteurs de métaux et de leur stockage dans les vacuoles des feuilles et des pousses.
– détoxication par chélation : on suppose que la plupart des métaux hyperaccumulés sont liés à des ligands tels que des acides organiques (citrate, malate), des acides aminés (histidine), des peptides et des protéines (nicotianamine, glutathion, phytochélatines et métallothionéines).
Un « hyperaccumulateur », ou « plante hyperaccumulatrice » est une plante qui est capable d’accumuler une grande ou très grande quantité d’un ou plusieurs éléments, notamment des métaux, dans ses tissus (Rascio and Navari-Izzo 2011). Il y a plus d’un siècle, une étude relative à l’hyperaccumulation de métaux dans les plantes a été publiée par Julius von Sachs (1865), un botaniste allemand, qui a trouvé une teneur de 17% de Zn dans les cendres de Thlaspi calaminare (syn. Thlaspi caerulescens, Brassicaceae) sur des sols riches en Zn près de la frontière Allemagne-Belgique. Cependant, ce concept est resté inexploré jusqu’en 1948 quand Alyssum bertolonii, une autre Brassicaceae (Fig. 3) provenant de collines serpentines en Italie, a été trouvée capable d’accumuler du Ni à 1000 pg/g de poids sec (Minguzzi 1948).
Une problématique de santé publique au Vietnam
La contamination par les ETM est responsable de plusieurs problèmes de santé publique au Vietnam. Une fois les ETM dans la chaine alimentaire, leur toxicité peut affecter la santé humaine et animale. Une étude récente a mis en évidence quelques cas d’intoxication par les métaux dans le nord du Vietnam : les habitants de la région minière de la province de Thai Nguyen (extraction de Pb et Zn) ont présenté certains signes d’intoxication par les ETM, dont des cancers. De plus, des enfants vivant dans le village où était recyclé le Pb (Chi Dao, Hung Yen) présentaient des retards de l’intellect comparés à des enfants vivant dans d’autres endroits de la province. Une autre enquête sur ce village a montré un résultat alarmant : 100% des habitants ayant participés directement au processus de recyclage du Pb ont été contaminés par du Pb, 50 % d’entre eux ont développé des maladies de l’estomac, et 43 personnes (dont 25 enfants) sont handicapées (Fig. 7) (Dang et al, 2010). Les intoxications à l’As causent des problèmes au niveau du cœur et des poumons, et ont entrainé la mort d’un enfant de 7 ans (Chu 2011). Récemment, une thèse réalisée par Ha Xuan Son (2015) focalisée sur l’impact des ETM sur la santé des habitants dans les régions minières de Thai Nguyen a permis d’évaluer le taux de certaines maladies au sein de la population adulte (Ha, 2015). Il a ainsi été noté des dermatoses à hauteur de 38 %, des affections bucco-dentaires (34 %), des maladies des voies urinaires (26 %), des maladies des yeux (60%), et des maladies respiratoires (55 %).
La lutte contre la pollution par les ETM
Au Vietnam, la recherche de méthodes de dépollution des sols n’a démarré que ces dernières années, et son application pratique reste assez limitée. La plupart des efforts sont focalisés sur l’utilisation des plantes hyperaccumulatrices (Bui et al. 2014). La première étude sur ce sujet au Vietnam date de 1999 : Thong et collaborateurs (1999) ont évalué la capacité de Eichhornia crassipes à accumuler du Cr, Ni, et Zn à partir d’eaux acides . L‘accumulation du Pb par Ipomoea aquatica, E. crassipes et Brassica juncea a été également testée (Bui et al. 2014) ). L’utilisation de Typha latifolia et Pennisetum purpureum pour traiter l’As dans les eaux contaminées est également réalisée (Le et al. 2008). Des chercheurs vietnamiens et japonais ont proposé Pteris vittata, Ageratum houstonianum et Potamogeton oxyphillus comme candidats potentiels pour la phytoremédiation des sites miniers de Pb-Zn contaminés en As ou par des pollutions polymétalliques au Nord du Vietnam (Nguyen et al. 2011). Récemment, des chercheurs de l’Académie de Sciences et Technologies du Vietnam ont évalué le potentiel de 33 plantes hyperaccumulatrices pour la dépollution des zones minières à Thai Nguyen (Fig. 8) et ont observé une capacité d’accumulation dans les feuilles allant jusqu’à 6000 et 4000 mg/kg d’As pour Pteris vittata et Pityrogramma calomelanos, respectivement (Anh et al. 2011; Bui et al. 2014). Les auteurs ont aussi mis en évidence que 4 plantes (Eleusine indica, Cynodon dactylon, Cyperus rotundus et Equisetum ramosissimum) pouvaient constituer de bons candidats pour traiter le Pb et le Zn. D’autre part, l’utilisation de Chrysopogon zizanioides et de Lantana camara pour éliminer le Pb a aussi été rapportée (Truong 2006; Diep and Garnier 2007). Les résultats obtenus sont encourageants et ouvrent la possibilité d’application de la gestion des sites contaminés par les ETM par phytoremédiation au Vietnam.
Pteris vittata
Pteris vittata L. souvent connue sous le nom de « Chinese brake fern » ou « Ladder brake fern », est une plante hyperaccumulatrice appartenant à la famille des Pteridaceae et se retrouve dans les régions tropicales et subtropicales telles que l’Asie du Sud-Est, l’Afrique ou l’Australie. Cette plante a été signalée en 2001 comme étant le premier hyperaccumulateur d’As connu en Floride (Ma et al. 2001). L’arsenic est essentiellement accumulé dans ses frondes à des niveaux très élevés (jusqu’à 22630 mg/kg), mais la concentration de ce métal dans les racines est également non négligeable (100 mg/kg) (Ma et al. 2001; Wang et al. 2002). P. vittata a été étudiée de manière approfondie pour la phytoremédiation des sols contaminés par l’As, grâce à son fort pouvoir d’accumulation et à sa capacité à prélever différentes formes de l’As (Ma et al. 2001; Tu and Ma 2002; Tu et al. 2002; Danh et al. 2014). En outre, P. vittata a une capacité à se développer normalement dans les sols fortement contaminés en Zn. Cette plante pourrait effectivement accumuler jusqu’à 737 mg/kg de Zn dans ses feuilles (Zz et al. 2006). Au Vietnam, P. vittata et quelques autres fougères hyperaccumulatrices ont été utilisées pour traiter les métaux dans les zones minières de Thai Nguyen (Fig. 9). Cette plante a montré une capacité à tolérer des sols fortement pollués: 15146 ppm d’As, 5000 ppm de Pb et 1200 ppm de Cd. L’As est accumulé dans ses feuilles et ses racines à des concentrations très élevées (respectivement 6042 ppm et 3756 ppm) (Anh et al. 2011; Bui et al. 2014). P. vittata est également capable de se développer sur des sols contaminés à la fois en Cu et Pb (Kachenko et al. 2007).
P. vittata est également connue pour ses propriétés pharmacologiques comme par exemple son activité hypoglycémique (Paul et al. 2012), anti-inflammatoire, anti-agrégante plaquettaire et des activités antitumorales (Gong et al. 2007). En Inde, ses jeunes frondes et rhizomes bouillis dans l’eau sont traditionnellement utilisées comme astringent et tonique, respectivement. Sa décoction peut être utilisée dans le traitement de la dysenterie. Les extraits de cette plante sont utilisés comme parégorique, et agents anti-viraux (Singh H. 1999). En outre, Singh (2008) a indiqué que P. vittata contenait de la rutine un composé capable de lutter contre la microflore gastro-intestinale pathogène. Plusieurs études ont identifié des glycosides de l’apigénine, la lutéoline, isoscutellarein-8-O-méthyl-éther, mono et di-glycosides de quercétine, le mono-glycoside de kaempférol, la leucocyanidine et la leucodelphinidine (tableau 4).
Selon nos connaissances, bien que plusieurs études se soient intéressées au profil phytochimique des extraits de P. vittata, les effets de la pollution métallique sur les profils métaboliques des extraits de différentes parties de la plante sont encore inexplorés.
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Table des matières
CHAPITRE 1 – REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
I. Pollution des sols par les ETM : un problème écologique global
I.1. Définition des ETM
I.2. Sources de la contamination
I.2.1. Sources naturelles
I.2.2. Sources anthropiques
II. Les ETM dans un contexte d’interaction plante/microorganisme
II.1. Le métabolisme secondaire des plantes
II.2. Effets des ETM sur le métabolisme secondaire des plantes
II.3. La métabolomique, un outil efficace pour l’étude du métabolisme secondaire
III. Impacts des ETM sur les communautés bactériennes du sol
III.1. Approches méthodologiques
III.2. Biomasse
III.3. Structure et diversité de la communauté bactérienne
III.4. Activités enzymatiques
IV. Les sols anthropisés, la résistance aux antibiotiques et l’efflux bactérien
IV.1. Les sols anthropisés-réservoirs de bactéries multirésistantes
IV.2. Les métabolites secondaires des plantes et la modulation de la résistance aux antibiotiques
V. Les stratégies de dépollution des sols contaminés aux ETMs
V.1. Stratégies de phytoremédiation
V.2. Plantes hyperaccumulatrices et mécanismes d’hyperaccumulation
V.3. Le Vietnam et les sites miniers
V.3.1. Une problématique de santé publique au Vietnam
V.3.2. La lutte contre la pollution par les ETM
V.3.3. Pteris vittata
CHAPITRE 2 – MATERIEL ET METHODES
I. Matériels et dispositifs biologiques
I.1. Sites étudiés
I.1.1. Sites étudiés au Vietnam et stratégies d’échantillonnage
I.1.2. Sites étudiés en France et stratégies d’échantillonnage
II. Analyses phytochimiques
II.1. Préparation des extraits de plantes
II.2. Analyses UHPLC-DAD-ESI/QTOF
II.3. Annotation des métabolites
II.4. Analyses statistiques
III. Analyses microbiologiques
III.1. Dénombrement des bactéries hétérotrophes résistantes
III.2. Identification des bactéries résistantes
III.3. Extraction de l’ADN total du sol
III.4. Analyse méta(taxo)génomique ou Metabarcoding
III.5. Quantification bactérienne par qPCR
III.6. Tests d’activités des métabolites secondaires végétaux sur les bactéries
III.6.1. Modèles bactériens
III.6.2. Préparation des extraits de plantes
III.6.3. Détermination de la concentration minimale inhibitrice (CMI) des extraits
III.6.4. Détermination de l’effet inhibiteur de pompe à efflux (IPE) des extraits
CHAPITRE 3 – RESULTATS ET DISCUSSIONS
III. Impact des ETM sur le métabolisme secondaire de Pteris vittata et sur les communautés rhizosphériques
III.1.1. Publication
III.1.2. Résultats supplémentaires
III.1.2.1. Analyses phytochimiques
III.1.2.2. Analyses métagénomiques
III.1.2.3. Analyses des bactéries résistantes aux antibiotiques et aux ETM
III.1.3. Conclusion
III.2. Impact des ETM sur le métabolisme secondaire de Miscanthus x giganteus et sur les communautés rhizosphériques
III.3. Tests d’activités des extraits
DISCUSSION GENERALE, CONCLUSION ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
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