La méningite bactérienne est une inflammation aigue des méninges et du liquide céphalorachidien (LCR). Les trois principaux germes responsables de méningites bactériennes primitives sont Neisseria meningitidis ou méningocoque (MNO), Streptococcus pneumoniae ou pneumocoque (PNO) et Haemophilus influenzae sérotype b (Hib). C’est une urgence médicale majeure et un problème de santé publique surtout dans les pays de la ceinture méningitique de Lapeyssonnie, en Afrique subsaharienne, où sévissent des épidémies périodiques de méningite cérébrospinale [1; 2 ; 3 ; 4]. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), on estime à un million le nombre de cas survenant dans le monde dont 200.000 décès [3]. Elle est plus fréquente en zone tropicale avec une prévalence de 17 à 38 cas pour 100.000 habitants en fonction des zones [1 ; 2]. La létalité varie entre 3% et 19% dans les pays développés, mais reste plus élevée (37-60%) dans les pays en voie de développement où les conditions de prise en charge sont souvent précaires [5]. Une évolution a été notée depuis plusieurs années sur le plan de l’épidémiologie de cette affection. Une nette diminution de la prévalence des méningites à Hib à a été notée depuis l’introduction de la vaccination contre ce germe dans les programmes élargis de vaccination (PEV) [6 ; 7]. Cependant, le spectre des épidémies de méningite cérébrospinale dues au sérogroupe A reste présent, alors que l’émergence de Nm W135 est notée dans certains pays de la ceinture méningitique [8 ; 9]. Dans le même temps, les méningites à PNO demeurent de part le caractère endémique et leur gravité une préoccupation majeure [10 ; 11]. Ceci a motivé la réalisation de vaccinations de masse contre le sérogroupe A du MNO et l’introduction du vaccin anti-pneumococcique dans le PEV de certains pays. Au Sénégal, la dernière épidémie de méningite a été enregistrée entre 1998 et 2002. Elle était principalement due au sérogroupe A de Nm avec 6870 cas déclarés dont 635 décès en 1999, soit un taux de létalité de 11,5% .
Depuis cette date, des cas sporadiques ont été régulièrement déclarés, dont les premiers cas de méningite à Nm W135 confirmés en 2002 [14]. La survenue d’une recrudescence des cas de méningite déclarés en 2012 a motivé la réalisation de ce travail qui a pour objectifs de:
● Décrire les aspects épidémiologiques, bactériologiques et évolutifs des cas de méningites bactériennes déclarés au Sénégal du 1er janvier 2012 au 30 avril 2012 (4mois).
● Formuler des recommandations pour améliorer la lutte contre ces affections.
RAPPELS
Historique
Avant la mise au point des moyens diagnostiques, la méningite était vue comme une fièvre cérébrale, c’est-à-dire une hyperthermie et une perturbation des fonctions cérébrales. La maladie a été découverte en 1805 par VIESSE après une épidémie à Genève en Suisse. La méningite cérébrospinale épidémique fut décrite pour la première fois avec précision en 1836, à l’occasion de l’épidémie qui avait frappé une garnison des Bas Pyrénées en France et avait gagné lors des déplacements de cette garnison toutes les villes traversées. En 1875, le bactériologiste KLEBS EDWIN met en évidence un diplocoque à l’autopsie d’un malade mort de pneumonie et de méningite. En 1887, à Vienne WEICHSELBAUM découvre un diplocoque en grain de café Gram négatif dans le LCR de sujets atteints de méningite purulente et découvre son pouvoir pathogène expérimentalement chez la souris, mais on n’admet pas encore que ce germe soit l’agent de la maladie. QUINCKE en 1890, introduit la ponction lombaire comme moyen diagnostique et thérapeutique. En 1890, PFEIFFER découvre l’Haemophilus influenzae. En 1893, le bactériologiste WANDREMER décrit le Pneumocoque, le bacille d’Eberth, le Streptocoque, le Staphylocoque et l’Escherichia coli, comme étant les agents pathogènes des méningites purulentes. En 1903, WEICHSELBAUM, ALBRECHT et GHON arrivent à établir avec certitude que le méningocoque est l’agent responsable de la méningite cérébrospinale. En 1906, FLEXNER fabrique le sérum anti-méningococcique et DOPPLER l’administre par voie intrathécale en 1908. Cette sérothérapie fit baisser le taux de mortalité. Mais quelques années après, les échecs de cette sérothérapie furent de plus en plus fréquents. En 1907, ce sont les premiers essais d’utilisation de vaccins à germes tués. En 1917, la première souche connue appartenant au complexe ET-37 est une souche du groupe B, reçue au National Institute of Health (USA, collection de S. Branham). En 1935, DOMACK découvrit le sulfamide, premier antibactérien, qui a transformé le pronostic vital en réduisant le pourcentage des séquelles liées aux méningites. En 1938, FLEMING découvrit la pénicilline. En 1940, FLOREY et collaborateurs utilisèrent la pénicilline à Oxford dans le traitement des méningococcies, ce qui améliora le pronostic des formes sévères. En 1949, le chloramphénicol s’est révélé comme un des antibiotiques les plus efficaces, remarquables par son excellent pouvoir de diffusion dans les espaces sous arachnoïdiens. En 1963, Lapeyssonnie décrivit la ceinture du méningocoque qui s’étend du Sénégal à l’Ethiopie. La même année sont apparues des phénomènes de sulfamido-résistance. Dans les années 60 au Brésil et dans les années 70 en Afrique du Sud, les premières épidémies documentées de méningite dues au complexe ET 37 surviennent dans les armées américaines. En 1968, c’est l’avènement de vaccins antiméningococciques polysaccharidiques A et C. En 1974, la première campagne de vaccination de masse fut entreprise au Brésil Depuis 1994, le centre de référence de l’Institut Pasteur isola quelques souches W135 du clone ET-37. En Afrique des cas de méningite dus à ce clone ont été mis en évidence au Ghana en 1984 (groupe C), en Gambie en 1995 (groupe W135), au Mali en 1990 (groupe C) et en 1994 (groupe W135). Actuellement on dispose de vaccins monovalents ou polyvalents dirigés contre les méningocoques de sérogroupes A, C, Y et W135. Ces vaccins ont permis de réduire sensiblement la morbidité et la mortalité des méningites à méningocoques. Ces dernières années, l’utilisation des céphalosporines de troisième génération dans le traitement des méningites a permis une réduction considérable de la mortalité et des séquelles liées aux méningites.
Epidémiologie
Les méningites purulentes représentent un important problème de santé publique en particulier chez l’enfant, plus de deux-tiers des méningites surviennent avant l’âge de 5 ans. Malgré les progrès thérapeutiques, la létalité est élevée et les séquelles sont fréquentes. Dans tous les pays ; qu’ils soient industrialisés ou en développement, l’apparition de foyers infectieux avec le risque d’épidémie reste un problème d’actualité. L’incidence des méningites bactériennes varie considérablement d’un pays à l’autre, selon le développement, les conditions socio-économiques, l’âge et de nombreux autres facteurs. Dans les pays industrialisés les méningites bactériennes affectent la population à un taux moyen de 5 à 10/100.000 habitants ; la tranche d’âge la plus atteinte est la période néonatale avec un taux d’incidence de 0,4/1000 naissances, soit 2 à 10% des infections néonatales. Dans les pays en développement, l’incidence des méningites bactériennes est très différente de celle des pays industrialisés, puisque le taux d’incidence global peut être estimé à 50/100.000 habitants, soit 10 fois plus que dans les pays industrialisés. Les informations sont souvent fragmentaires, en raison de la faiblesse des structures sanitaires et l’incidence est variable d’une région à une autre et d’une année à une autre en cas d’épidémie. En milieu tropical, trois germes sont responsables de 80% des cas : le méningocoque, le pneumocoque et l’Haemophilus influenzae b.
Neisseria meningitidis ou méningocoque (MNO)
C’est la forme la plus fréquente et elle est responsable de la méningite cérébrospinale. Trois grandes situations épidémiques peuvent être décrites :
❖ La situation endémo-sporadique : caractérisée par un aspect cosmopolite plus ou moins élevé, taux d’incidence annuel faible : 1 à 5 cas/100.000 habitants,
❖ Les poussées épidémiques sur fond cosmopolite de situation endémosporadique. Exemple : Maroc (Fès) en 1967 avec 600 cas/100.000 habitants / 4 mois,
❖ La situation particulière de la « ceinture de la méningite de Lapeyssonnie » (figure 1): elle a été décrite par Lapeyssonnie en 1963 « il s’agit d’une étroite bande de terrain courant de l’Atlantique à la Mer Rouge et comprise entre le 4ème et le 16ème degré de latitude nord, où se trouve en permanence un état endémo-sporadique élevé et le retour inlassable de grandes poussées épidémiques apparaissant à des espaces de temps plus ou moins réguliers ». Elle s’étend donc de l’Ethiopie à l’Est jusqu’au Sénégal à l’Ouest [11]. Cette ceinture est constituée de 15 pays et regroupe plus de 260 millions d’habitants. On note une extension géographique dans certaines régions considérées comme en dehors de la ceinture de la méningite : elles comprennent les régions d’Afrique orientale autour de la vallée du Rift et des grands lacs (Kenya en 1989, Rwanda et Tanzanie en 1991, République Démocratique du Congo et Burundi en 1992) ; on dit que la ceinture envoie des bretelles vers le bas (figure 2).
❖ Le taux d’attaque dans la ceinture de la méningite peut atteindre 1000/100.000 habitants. Le trait commun du climat de la ceinture de la méningite est une longue saison totalement sèche, d’Octobre à Mai, avec le début de l’épidémie au milieu de la saison sèche (Décembre à Février), l’arrêt spontané après trois mois d’évolution au début de la saison des pluies (mi-juin). La périodicité est classiquement de 8-10 ans, avec des flambées épidémiques explosives. Mais actuellement les périodes interépidémiques sont plus courtes (3 à 5 ans). C’est un problème de santé publique: entre 1987 et 2006, 1 million de personnes ont été atteintes, 90000 sont décédées .
Au Sénégal, une revue de la notification des cas par les structures sanitaires depuis 1971 montre que la méningite à méningocoque sévit partout dans le pays, constituant un véritable problème de santé publique. Elle survient de façon endémique avec des pics épidémiques [21; 23]. Le Sénégal a subit deux grandes épidémies de méningite à Neisseria meningitidis du sérogroupe A en 1998 et en 1999. Au total, 1350cas dont 200 décès ont été déclarés en 1998 et 6870 cas dont 635 décès ont été déclarés en 1999 [12 ; 13]. La tranche d’âge de 1 à 5 ans semblait être la plus touchée, l’incidence était de 84,7%. Le sérogroupe A prédomine au Sénégal, suivi du sérogroupe C, cependant d’autres sérogroupes existent et se manifestent de façon sporadique. C’est le cas du sérogroupe B et du sérogroupe W135 dont les deux premiers cas ont été découverts a l’hôpital Principal de Dakar [24].
Streptococcus pneumoniae ou pneumocoque (PNO)
Selon l’organisation mondiale de la santé (OMS), le PNO est la première cause d’infection communautaire bactérienne à travers le monde. Les pneumonies constituent la plus fréquente des infections invasives à PNO. Leur incidence varie entre 200 et 1000 cas par 10.000 habitants et par an selon les pays. Les méningites viennent au second plan de ces affections après les bactériémies et entraînent une mortalité élevée variable en fonction des pays. Le pronostic des méningites à PNO est cependant resté inchangé depuis plusieurs années malgré l’avènement d’antibiotiques plus efficaces et les progrès considérables de la réanimation médicale. Dans les pays développés l’incidence annuelle est de 1 à 2 cas par 100.000 habitants. Elle varie en fonction des pays :
● En France : on note 1 cas par 100.000 habitants,
● Aux USA : on note 1,1 cas par 100.000 habitants,
● En suède : on note 1,4 cas par 100.000 habitants.
Le taux de mortalité est de 15% en moyenne. Dans les pays en voie de développement, l’incidence serait 20 fois plus élevée que dans les pays développés ; soit 10 à 20 cas par 100.000 habitants. Le taux de mortalité est estimé entre 40 et 50% des cas [11 ; 26]. Au Sénégal, le taux de morbidité est en moyenne de 14 cas par 100.000 habitants ; la létalité est estimée à 49,5% [11 ; 26]. Les nourrissons et les sujets âgés sont les plus touchés avec des taux de morbidité annuelle de l’ordre de :
● 28,5 cas pour 100.000 habitants chez les moins de 5 ans,
● 16,1 cas pour 100.000 habitants chez les plus de 60 ans.
On note aussi une plus grande fréquence chez les splénectomisés, les drépanocytaires et les immunodéprimés.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS
1. HISTORIQUE
2. EPIDEMIOLOGIE
2.1 Neisseria meningitidis
2.2 Streptococcus pneumoniae
2.3 Haemophilus influenzae
3. ANATOMIE
3.1 Anatomie des méninges
3.1.1 La dure-mère
3.1.2 L’arachnoïde
3.1.3 La pie-mère
3.2 Physiologie du liquide céphalo-rachidien
4. PHYSIOPATHOLOGIE DES MENINGITES
4.1 Mécanismes de dissémination des germes dans le LCR
4.1.1 Voie hématogène
4.1.2 Autres voies
4.2 Anatomie pathologique
5. SIGNES
5.1 Type de description : la forme commune non compliquée de la méningite cérébro-spinale de l’adulte jeune
5.1.1 Signes cliniques
5.1.1.1 Incubation
5.1.1.2 Phase d’invasion
5.1.1.3 Phase d’état
5.1.2 Signes paracliniques
5.1.2.1 Biologie
5.1.2.2 Imagerie médicale
5.1.3 Evolution
5.2 Formes cliniques
5.2.1 Formes symptomatiques
5.2.2 Formes selon le terrain
5.2.3 Formes étiologiques
6. DIAGNOSTIC
6.1 Diagnostic positif
6.2 Diagnostic différentiel
6.3 Diagnostic étiologique
6.3.1 Agents pathogènes
6.3.1.1 Méningocoque
6.3.1.2 Pneumocoque
6.3.1.3 Haemophilus influenzae
6.3.1.4 Autres agents pathogènes
6.3.2 Porte d’entrée
6.3.3 Terrain
7. TRAITEMENT
7.1 Traitement curatif
7.2 Traitement préventif
7.2.1 Mesures générales
7.2.2 Prévention des méningites purulentes à méningocoque
7.2.3 Prévention des méningites purulentes à pneumocoque
7.2.4 Prévention des méningites purulentes à Haemophilus influenzae b
DEUXIEME PARTIE : TRAVAIL PERSONNEL
1. CADRE GENERAL DE L’ETUDE : LE SENEGAL
2. PATIENTS ET METHODES
2.1 Type d’étude
2.1.1 Critères d’inclusion
2.1.2 Critères de non inclusion
2.2 Méthodes
2.2.1 Recueil des données
2.2.2 Exploitation des données
2.3 Contraintes de l’étude
3. RESULTATS : ETUDE DESCRIPTIVE
3.1 Aspects épidémiologiques
3.1.1 Répartition des patients selon le mois de survenue
3.1.2 Répartition des patients selon les tranches d’âge
3.1.3 Répartition des patients selon le sexe
3.1.4 Répartition des patients selon le statut vaccinal antiméningococcique
3.1.5 Répartition des patients selon l’origine géographique
3.2 Analyse du LCR
3.2.1 Répartition des patients selon l’aspect macroscopique du LCR
3.2.2 Répartition des patients selon les résultats de l’examen direct du LCR
3.2.3 Répartition des patients selon l’agent pathogène isolé dans le LCR
3.2.4 Répartition des patients selon les différents sérogroupes de Neisseria meningitidis
3.3 Aspects évolutifs
3.3.1 Répartition des patients selon le délai de consultation
3.3.2 Répartition des patients selon le type d’évolution
4. DISCUSSION
4.1 Aspects épidémiologiques
4.1.1 Répartition selon le mois de survenue
4.1.2 Répartition selon l’âge
4.1.3 Répartition selon le sexe
4.1.4 Répartition selon l’origine géographique
4.1.5 Répartition selon le statut vaccinal anti-méningococcique
4.2 Aspects bactériologiques
4.2.1 Aspect macroscopique du LCR
4.2.2 Examen direct du LCR
4.2.3 Nature de l’agent pathogène
4.3 Aspects évolutifs
CONCLUSION ET RECOMMENDATIONS
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE