L’accès au marché d’un médicament nécessite l’intervention d’un grand nombre d’acteurs et constitue un processus qui peut être long, en fonction des projets de commercialisation du laboratoire, où chaque étape conditionne la suivante. Après plusieurs années de recherche et de développement (entre 8 et 10 ans en moyenne) comprenant notamment les étapes d’essais précliniques et cliniques, un médicament doit obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour pouvoir être commercialisé puis distribué en officine et/ou à l’hôpital.
Une fois obtenue, sur la base d’une balance bénéfice/risque du médicament considérée comme favorable, le laboratoire exploitant peut, s’il le souhaite, solliciter le remboursement. Commence alors la phase réglementaire faisant intervenir la Haute Autorité de Santé (HAS), et le Comité économique des produits de santé (CEPS) dans certains cas. La mise à disposition effective du médicament remboursable en officine et/ou à l’hôpital est décidée par le ministère de la santé et est actée par une publication au Journal Officiel (JO). Ce rapide rappel des principales étapes clés de la mise à disposition d’un nouveau médicament remboursable met en lumière un processus durant plusieurs années, où la recherche et la mise en évidence de la sécurité d’emploi, de l’efficacité et de la tolérance pour le patient est au centre des préoccupations.
Selon la Directive Européenne du 21 décembre 1988 (1) qui concerne la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes nationaux d’assurance maladie, un délai de 180 jours entre la réception de la demande du laboratoire titulaire des droits et la publication du JO est prévu (période incluant donc l’intervention de la HAS, et du CEPS si applicable). Dans les faits, ce délai est plus long, de l’ordre de 500 jours (période 2015-2017, hors accès précoce, sans plus de précision sur la méthodologie de calcul) selon le LEEM (Les Entreprises du Médicament) .
Depuis plusieurs années, la médecine connaît de grands bouleversements notamment avec l’accélération du développement de nouveaux médicaments permettant de répondre à des besoins médicaux mal voire non couverts dans des pathologies où le pronostic vital est souvent engagé. Compte tenu des délais nécessaires pour mettre sur le marché le médicament remboursable, la possibilité de permettre un accès précoce aux thérapies prometteuses dans les meilleures conditions avant que la phase réglementaire soit finalisée prend tout son sens .
En France, les deux représentants de l’accès précoce sont le dispositif des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) et son prolongement, le dispositif dit du « post-ATU », mis en place respectivement au début des années 1990 et en 2014. Ces derniers permettent un accès sous certaines conditions à des traitements le temps que la phase réglementaire se finalise (de l’AMM au JO), soit plusieurs centaines de jours en amont par rapport au schéma classique d’accès au marché.
Aujourd’hui, le délai de la phase réglementaire d’accès au marché des médicaments ayant bénéficié d’un accès précoce est de plus en plus prégnant comme en témoigne l’actualité. Les autorités, en charge de la phase réglementaire (l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), la HAS et le CEPS), sont challengées sur leurs délais d’instruction. La HAS s’est emparée de la question des délais avec un plan d’action (3) et le directeur général de la HAS, Thomas Wanecq, a exprimé sa volonté de définir une méthodologie commune avec les industriels pour mesurer les délais de traitement des dossiers adressés à l’agence sanitaire. De plus, lors du huitième Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) qui s’est tenu en juillet 2018, le gouvernement s’est notamment engagé, concernant la thématique « Un accès plus rapide à l’innovation pour les patients », à « réduire les délais des procédures administratives d’accès au marché […] à accélérer la résorption de ces délais avec pour objectif le respect du délai fixé par la directive de la transparence de 180 jours à l’horizon 2022 » .
Rappels des principales étapes d’accès au marché d’un médicament remboursable : l’accès de droit commun
L’autorisation de mise sur le marché (AMM)
L’obtention d’une AMM est un prérequis avant toute commercialisation d’un médicament fabriqué industriellement (hors cas de l’accès précoce), et se base sur l’évaluation des données de qualité pharmaceutique, d’efficacité et de sécurité dans l’indication concernée.
Selon la procédure d’enregistrement, l’autorité compétente qui délivre l’AMM est soit l’ANSM (procédure d’enregistrement nationale), soit la commission européenne (après avis de l’European Medicine Agency (EMA) et du committee for medical products for human use, CHMP) dans le cadre de procédures dites communautaires de demande d’AMM.
Dans le cas des médicaments bénéficiant du statut d’ATU, l’obtention de l’AMM se fait le plus souvent par procédure centralisée. Le règlement européen n°726/2004 du 31 mars 2004 (5) indique que cette procédure est obligatoire pour :
– les produits issus de la biotechnologie ;
– les médicaments de thérapie innovante (thérapies génique, cellulaire ou tissulaire) ;
– les médicaments orphelins ;
– les produits contenant toute nouvelle substance pour traiter le syndrome d’immunodéficience acquise, le cancer, une maladie neurodégénérative, le diabète, ou d’autres dysfonctionnements immunitaires et maladies virales.
Elle est optionnelle pour tous les autres médicaments contenant une nouvelle substance active ou correspondant à une innovation thérapeutique, scientifique ou technique.
Lorsque la balance bénéfice/risque est jugée favorable, l’AMM est obtenue. Certains médicaments font l’objet d’une AMM conditionnelle (besoin médical non couvert et gravité de la maladie importante, mais les données cliniques sont incomplètes et le laboratoire s’engage à fournir les compléments ; accompagné d’une réévaluation de l’AMM annuelle), ou d’une AMM « sous circonstances exceptionnelles » (où intervient la notion supplémentaire de rareté de la maladie).
Le médicament reste sous surveillance grâce à la pharmacovigilance et au plan de gestion des risques (PGR) qui permettent d’obtenir des données de sécurité et de tolérance « en vie réelle » dans une population élargie et au long cours.
La demande de remboursement
En France, la prise en charge des médicaments par l’assurance maladie est conditionnée par leur inscription sur une liste positive établie par arrêté ministériel. Sont retrouvés les médicaments disponibles en officine qui sont inscrits sur la liste dite des spécialités remboursables aux assurés sociaux, ainsi que ceux utilisés dans les établissements de santé, qui sont inscrits sur celle des médicaments agrées aux collectivités. Un même médicament peut être inscrit sur l’une et/ou l’autre de ces listes. La demande de remboursement est à l’initiative du laboratoire exploitant et nécessite l’avis de la commission de la transparence (CT) de la Haute Autorité de Santé (HAS) ; la décision finale d’autoriser le remboursement du médicament étant de la responsabilité du ministre de la santé.
La commission de la transparence (CT)
La HAS est une autorité publique indépendante à caractère scientifique, qui vise à développer la qualité dans le champ sanitaire, social et médico-social, au bénéfice des usagers. Ses trois missions sont l’évaluation des produits de santé en vue de leur remboursement, l’élaboration de recommandations de bonnes pratiques et de santé publique, et la mesure et l’amélioration de la qualité des hôpitaux, cliniques, médecine de ville et établissements sociaux et médico-sociaux.
La CT, l’une des 8 commissions de la HAS, se compose de 28 membres votants ayant voix délibérative (21 membres titulaires et 7 membres suppléants parmi lesquels figurent des professionnels de santé et des représentants d’usagers), de 7 membres ayant voix consultative représentant plusieurs directions du ministère de la santé (sécurité sociale, offre de soins, direction générale de la santé), 3 représentants de l’assurance maladie, et un représentant de l’ANSM. Ils sont nommés pour 3 ans par le Collège de la HAS, le mandat est renouvelable deux fois
Il s’agit d’une commission pluridisciplinaire comportant des cliniciens de différentes spécialités (cancérologie, rhumatologie, médecine générale, pneumologie, néphrologie, neurologie, pédiatrie…), de pharmaciens, de statisticiens, d’épidémiologistes et de représentants des patients/usagers. Elle se réunit toutes les deux semaines environ, soit 25 séances par an en moyenne. La CT s’appuie sur le service Evaluation des médicaments (SEM) qui est en charge du secrétariat de la commission (qui comprend notamment l’organisation et l’application des règles de déontologie de la commission), et de l’instruction scientifique de l’ensemble des dossiers déposés par les laboratoires.
En 2019, la CT a rendu 581 avis comprenant des inscriptions, des renouvellements d’inscription et des réévaluations au cours de 25 séances avec un délai moyen pour les demandes d’inscription de 109 jours (données issues du rapport d’activité de la CT 2019, non encore publié).
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1 : L’ACCES AU MARCHE DE DROIT COMMUN ET LES SYSTEMES D’AUTORISATION TEMPORAIRE D’UTILISATION ET DE POST-AUTORISATION TEMPORAIRE D’UTILISATION, FERS DE LANCE DE L’ACCES PRECOCE
1. Rappels des principales étapes d’accès au marché d’un médicament remboursable : l’accès de droit commun
1.1 L’autorisation de mise sur le marché (AMM)
1.2 La demande de remboursement
1.2.1 La commission de la transparence (CT)
1.2.2 Périmètres d’action de la commission de la transparence
1.2.3 Les procédures d’instruction
1.2.4 Les étapes d’instruction d’un dossier de demande de remboursement à la Haute Autorité de Santé
1.2.5 Critères évalués par la commission de la transparence
1.3 La fixation du prix par le Comité économique des produits de santé
2. Le système d’autorisation temporaire d’utilisation en France
2.1 Rappels réglementaires du dispositif d’autorisation temporaire d’utilisation
2.1.1 Les deux types d’autorisation temporaire d’utilisation : nominative ou de cohorte
2.1.2 Les modalités de prescription et de dispensation des médicaments sous autorisation temporaire d’utilisation
2.1.3 Le financement des médicaments sous autorisation temporaire d’utilisation
2.1.4 Evolution du nombre d’autorisations temporaires d’utilisation octroyées et du nombre de patients en ayant bénéficié
2.2 Le dispositif dit de « post-autorisation temporaire d’utilisation » : continuité de la prise en charge dérogatoire en post-autorisation de mise sur le marché
2.2.1 Rappels réglementaires de la période dite de « post-autorisation temporaire d’utilisation »
2.2.2 La question de l’instauration d’un traitement et de la continuité de traitement en postautorisation temporaire d’utilisation
2.2.3 Les modalités de prescription et de dispensation des médicaments en post-autorisation temporaire d’utilisation
2.2.4 Le financement des médicaments en post-autorisation temporaire d’utilisation
2.3 L’évaluation médico-scientifique des médicaments ayant bénéficié d’une autorisation temporaire d’utilisation
2.4 Les systèmes autorisation temporaire d’utilisation et « post-autorisation temporaire d’utilisation » en pleine évolution
2.4.1 L’exemple des autorisations temporaires d’utilisation de cohorte d’extension
2.4.2 La prise en charge dérogatoire des médicaments n’ayant pas fait l’objet d’une autorisation temporaire d’utilisation
2.4.3 La continuité de traitement
2.4.4 La remontée des indications des médicaments sous autorisation temporaire d’utilisation et en post-autorisation temporaire d’utilisation
2.4.5 La nouvelle plateforme e-saturne pour les autorisations temporaires d’utilisation nominatives
2.5 La question de la soutenabilité financière de l’accès précoce
PARTIE 2 : ENJEUX ET DEFIS DES MEDICAMENTS AYANT FAIT L’OBJET D’UNE AUTORISATION TEMPORAIRE D’UTILISATION POUR LA HAUTE AUTORITE DE SANTE ET LES HOPITAUX
1. Objectifs
2. Matériel et méthodes
2.1 Etude rétrospective des demandes d’inscription instruites en procédure complète par la Haute Autorité de Santé entre 2016 et 2019
2.1.1 Extraction brute des données
2.1.2 Typologie et caractéristiques des dossiers instruits par la commission de la transparence
2.1.3 Délai d’instruction des dossiers par la HAS
2.1.4 La disponibilité de données d’autorisation temporaire d’utilisation pour l’évaluation médicoscientifique par la commission de la transparence
2.1.5 Le devenir des médicaments en post-autorisation temporaire d’utilisation
2.2 Retour d’expérience d’un centre hospitalier universitaire sur la gestion des médicaments sous autorisation temporaire d’utilisation
3. Résultats
3.1 Etude rétrospective des demandes d’inscription instruites en procédure complète par la Haute Autorité de Santé entre 2016 et 2019
3.1.1 Panorama des médicaments ayant fait l’objet d’une autorisation temporaire d’utilisation évalués par la commission de la transparence entre 2016 et 2019
3.1.2 Analyse du délai d’instruction de la HAS et de ses possibles déterminants
3.1.3 Les données d’autorisation temporaire d’utilisation : une source supplémentaire de données en vue de l’évaluation par la commission de la transparence ?
3.1.4 Devenir des médicaments en post-autorisation temporaire d’utilisation
3.2 Retour d’expérience d’un centre hospitalier universitaire sur la gestion des médicaments sous autorisation temporaire d’utilisation et en post-autorisation temporaire d’utilisation
3.2.1 Demande d’accès à un traitement sous autorisation temporaire d’utilisation
3.2.2 La gestion de l’approvisionnement des médicaments sous autorisation temporaire d’utilisation
3.2.3 Les défis de la dispensation des médicaments sous autorisation temporaire d’utilisation
3.2.4 Le recueil de données en période d’autorisation temporaire d’utilisation
3.2.5 Période dite de « post-autorisation temporaire d’utilisation » : de nouveaux défis avec la codification à l’indication
4. Discussion
4.1 Discussion autour des choix méthodologiques réalisés
4.2 Que nous apprend l’échantillon étudié ?
4.3 Que nous apprennent les délais d’instruction ?
4.4 Que nous apprend le niveau de présence des données d’autorisation temporaire d’utilisation dans les avis rendus par la commission de la transparence?
4.5 Que nous apprend le devenir des médicaments sous autorisation temporaire d’utilisation ?
4.6 Que nous apprend le retour d’expérience d’un centre hospitalier universitaire ?
4.6.1 E-saturne : un outil qui reste encore à apprivoiser
4.6.2 L’approvisionnement en médicaments sous autorisation temporaire d’utilisation et en postautorisation temporaire d’utilisation
4.6.3 Des outils mis en place pour faciliter et sécuriser la dispensation des médicaments sous autorisation temporaire d’utilisation
4.6.4 La problématique du recueil de données en période d’autorisation temporaire d’utilisation à l’hôpital
4.7 Que nous apprennent les réformes actuelles s’ajoutant à ce paysage décrit ?
CONCLUSION
Bibliographie