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La souche E. coli K-12 MG1655
La souche E. coli K-12 MG1655 est une souche non pathogène très étudiée appartenant au groupe phylogénétique A qui provient de la souche K-12 ancestrale. Cette dernière a été initialement isolée en 1922 à partir des selles d’un patient convalescent d’une diphtérie à Palo Alto en Californie. En 1925, elle a été déposée dans la collection de souches du Département de Bactériologie à l’université de Stanford où elle a été nommée « K-12 ». Cette souche a ensuite été utilisée lors de multiples études et a progressivement perdu son antigène O (à cause de la mutation rfb-50), le bactériophage λ (irradiation aux ultraviolets) et le plasmide F (traitement à l’acridine orange) pour donner la souche MG1655 (Bachmann, 1996). La souche MG1655 présente d’autres différences génétiques par rapport à la souche ancestrale K-12 (λ+ F+). En effet, son génotype complet est F- λ- ilvG- rfb-50 rph-1 et l’ensemble de ses mutations est bien caractérisé aujourd’hui. Bien que cette souche ait fait l’objet d’un très grand nombre de publications, Blattner et ses collaborateurs ont considéré qu’elle avait subi très peu de manipulations génétiques en comparaison d’autres souches. C’est la raison pour laquelle c’est la première souche d’E. coli à avoir été séquencée (Blattner et al., 1997) (Figure 1). La taille de son chromosome est de 4.64 Mb et son pourcentage en GC est de 50.8 %. L’annotation du génome d’E. coli K-12 MG1655 a fait l’objet de nombreuses publications (Blattner et al., 1997; Riley et al., 2006; Karp et al., 2007) et est mise à jour régulièrement au travers de la base de données EcoCyc (Keseler et al., 2013). Le génome de cette souche contiendrait environ 4500 gènes dont 4300 coderaient pour des protéines. Parmi ces gènes, on estime qu’à peu près 300 d’entre eux sont essentiels (Baba et al., 2006).
La caractérisation de son phénotype montre que cette souche se développe aussi bien en milieu riche qu’en milieu minimum à des taux de croissance assez rapides : environ 1.6 h-1 en milieu LB (g = 25 min) (Baev et al., 2006) et 0.6 h-1 en milieu minimum M9 supplémenté en glucose (g = 1 h) (Volkmer & Heinemann, 2011). La croissance de cette souche est également possible sur un grand nombre de substrats différents : sucres, acides aminés, acides faibles… (Yoon et al., 2012).
Finalement, la grande quantité d’informations disponibles sur la biologie de cette souche, son innocuité et sa capacité à se multiplier sur un grand nombre de substrats témoignant d’importantes capacités d’adaptation (Baev et al., 2006) nous ont mené à sélectionner la souche E. coli K-12 MG1655 pour notre étude.
Les différents niveaux de régulation de l’expression génique chez Escherichia coli en réponse à l’environnement
S’adapter à l’environnement
L’adaptation est définie comme un processus au cours duquel des changements anatomiques et/ou physiologiques permettent à un individu, à une lignée ou à une espèce d’augmenter ses chances de survie et de reproduction dans le milieu où il vit. En microbiologie, l’adaptation d’une bactérie met en jeu de multiples mécanismes cellulaires permettant à la cellule d’optimiser sa croissance ou sa survie dans certaines conditions nutritives, de température, de pH, d’oxygénation et/ou d’osmolarité données. Ainsi, les bactéries les mieux adaptées dans un contexte donné ont non seulement plus de chances de survivre, mais sont également plus susceptibles de remporter la compétition qui les oppose aux autres micro-organismes environnants. Pour s’adapter, les bactéries utilisent les mécanismes de régulation de l’expression génique qui consistent à optimiser l’expression ou l’activité de protéines en adéquation avec les conditions environnementales. Pour synthétiser une protéine, le gène codant pour cette dernière est transcrit en ARNm qui sera lui-même traduit en protéine. Cependant, toutes les bactéries ne possèdent pas les mêmes capacités d’adaptation du fait de leur patrimoine génétique mais les niveaux de régulation de l’expression génique restent relativement bien conservés d’une espèce à l’autre et intègrent des régulations transcriptionnelles, post-transcriptionnelles et post-traductionnelles (Figure 2) qui seront abordées dans cette partie pour la bactérie modèle E. coli.
Les régulations transcriptionnelles
La transcription correspond au processus qui permet à un gène d’être transcrit en ARN. Lors de l’adaptation, les régulations transcriptionnelles impliquent deux types de mécanismes (Berthoumieux et al., 2013). Le premier mécanisme correspond à la régulation globale de la transcription liée à l’état physiologique de la cellule (ex : le taux de croissance) (Klumpp et al., 2009). Le second mécanisme implique lui des régulateurs plus spécifiques et dépendants des conditions environnementales.
La régulation globale de la transcription
Chez E. coli, la transcription de l’ADN en ARN est assurée par une seule ARN polymérase. Cette dernière est composée de l’enzyme cœur, constituée de deux sous-unités α, une sous-unité β et une sous-unité β’, qui se lient à un des sept facteurs σ pour former l’holoenzyme (Burgess et al., 1969). En plus de permettre l’initiation de la transcription (Hinkle & Chamberlin, 1972), les facteurs σ confèrent à l’holoenzyme la capacité de reconnaître et de cibler des promoteurs spécifiques (Ishihama, 2000). La transcription se compose de trois étapes : l’initiation, l’élongation et la terminaison (Ghosh et al., 2010). La transcription est initiée par la fixation de l’holoenzyme sur le promoteur du gène au niveau de deux séquences relativement conservées situées environ à -35 et -10 nucléotides par rapport au point +1 de transcription correspondant au premier nucléotide de l’ARN. L’enzyme écarte ensuite la double hélice d’ADN au niveau de la région -10 pour former un complexe ouvert et commence de synthétiser l’ARN en associant les ribonucléosides sur le modèle de la matrice d’ADN. En quittant le promoteur, l’holoenzyme libère le facteur σ (Shimamoto et al., 1986) pour ne conserver que l’enzyme cœur et l’élongation de la transcription se poursuit jusqu’à rencontrer un signal de terminaison de transcription dépendant ou non de la protéine Rho (Nudler & Gottesman, 2002).
Le taux de croissance µ (ou le temps de doublement g tel que g = ln(2)/µ) reflète l’activité métabolique des cellules en réponse au contenu génétique de la souche bactérienne, à l’historique de l’inoculum et à l’environnement actuel. Ces trois critères déterminent également la composition macromoléculaire de la cellule (Bremer & Dennis, 1996; Ehrenberg et al., 2013). En conséquence, les variations de taux de croissance impactent la transcription modifiant ainsi globalement l’expression des gènes.
Par exemple, plus le taux de croissance augmente, plus les fourches de réplication de l’ADN se multiplient au niveau du chromosome bactérien (Bremer & Dennis, 1996). De ce fait, la transcription des gènes localisés à proximité de l’origine de réplication est accentuée. C’est le cas par exemple pour des opérons ribosomaux (Jin et al., 2012). D’autre part, il a été démontré que le nombre d’ARN polymérases par cellule ainsi que leur activité augmentent avec le taux de croissance (Ehrenberg et al., 2013). La vitesse de synthèse d’ARNm croît également, notamment pour les gènes dits « constitutifs » (c’est-à-dire non régulés par un facteur spécifique) (Berthoumieux et al., 2013; Gerosa et al., 2013; Klumpp et al., 2009). Cette augmentation est liée à l’accroissement du pourcentage d’ARN polymérase libre et fonctionnelle avec le taux de croissance (Bremer et al., 2003; Klumpp & Hwa, 2008; Klumpp et al., 2009).
Il existe cependant une compétition entre la transcription des ARN stables et celle des autres ARN. En effet, il a été observé que plus le taux de croissance augmente, plus la transcription des ARN stables est privilégiée par rapport à celle des autres ARN (Cabrera & Jin, 2006; Jin & Cabrera, 2006; Klumpp & Hwa, 2008). Ce phénomène de répartition de l’ARN polymérase entre ces différents types de gènes serait majoritairement contrôlé par le système de la réponse stringente impliquant l’alarmone ppGpp (Cashel et al., 1996). Ce système a d’ailleurs été suggéré comme étant le principal mécanisme de contrôle du taux de croissance (Potrykus et al., 2011). Le ppGpp est synthétisé à partir de GTP par les produits des gènes relA et spoT (ce dernier disposant également d’une fonction permettant d’hydrolyser le ppGpp). Il est produit en réponse à l’accumulation d’ARNt dé-acétylés, c’est-à-dire non chargés d’un acide aminé ainsi que lors de carences diverses en acides aminés, carbone, fer, phosphate… (Potrykus & Cashel, 2008). Plus intéressant, la concentration en ppGpp dans la cellule diminue alors que le taux de croissance augmente (Bremer & Dennis, 1996). En fait, l’accumulation de ppGpp diminue le ratio entre les ARN stables et les ARN totaux en inhibant la synthèse des ARN stables. Bien que tous les mécanismes de régulation par le ppGpp ne soient pas identifiés, il semble que ce dernier interagisse directement avec l’ARN polymérase de pair avec le co-régulateur DksA et inhibe globalement la transcription des gènes stables tout en favorisant l’expression de gènes spécifiques (Paul et al., 2004; Durfee et al., 2008; Potrykus & Cashel, 2008). Ainsi, en contrôlant la distribution de l’ARN polymérase entre les gènes codant pour les ARN stables et le reste du génome en fonction du taux de croissance, le système de la réponse stringente régule globalement la transcription chez E. coli.
Les régulations spécifiques de la transcription
Au-delà de la régulation globale de la transcription, il existe des mécanismes de régulations plus spécifiques qui répondent à des conditions environnementales données.
Comme évoqué dans la partie précédente, l’holoenzyme de l’ARN polymérase est notamment composée d’un des sept facteurs σ qui permettent à l’enzyme de reconnaitre et d’interagir avec des promoteurs qui leur sont spécifiques. Ces sept facteurs σ, contrôlant l’expression de gènes spécifiques et exprimés selon certaines conditions sont : σ70 (ou σD, gène : rpoD), σ54 (ou σN, gène : rpoN), σ38 (ou σS, gène : rpoS), σ32 (ou σH, gène : rpoH), σ28 (ou σF, gène : rpoF), σ24 (ou σE, gène : rpoE) et σ18 (ou σFecI, gène : fecI) (Ishihama, 2000; Gruber & Gross, 2003). La liste des différents facteurs σ ainsi que les nombres et types de gènes qu’ils régulent sont récapitulés dans la Figure 3.
A part le facteur σ70 dont la concentration cellulaire est la plus forte quelles que soient les conditions de culture, l’expression des autres facteurs σ alternatifs répond généralement à des stimuli particuliers (Jishage et al., 1996). D’autre part, la régulation de l’expression génique par les facteurs σ dépend également de leur affinité pour l’enzyme cœur (Maeda et al., 2000) dans la mesure où sa quantité de forme libre est limitante et inférieure à la quantité de tous les facteurs σ réunis. Même si le facteur σ70 est le plus concentré et afin pour l’enzyme cœur, la bactérie a développé plusieurs stratégies pour permettre aux autres facteurs σ d’accéder à l’enzyme cœur dans certaines conditions. Par exemple, le ppGpp et DksA, la protéine Rsd ou encore l’ARN 6S favorisent l’expression de promoteurs dépendants de facteurs σ alternatifs en diminuant l’interaction de σ70 avec l’enzyme cœur ou en piégeant l’holoenzyme σ70 (Sharma & Chatterji, 2010; Österberg et al., 2011). L’activité des facteurs σ est également régulée par des facteurs anti-σ spécifiques qui sont capables de séquestrer et/ou d’entraîner la dégradation des sous-unités σ dans des conditions particulières (Österberg et al., 2011; Trevino-Quintanilla et al., 2013). Enfin, l’expression même des gènes codant pour les facteurs σ est finement régulée par des mécanismes transcriptionnels et post-transcriptionnels (Ishihama, 2000).
L’intervention de facteurs de transcription correspond à un autre des principaux mécanismes de régulation spécifique de la transcription. Les facteurs de transcription sont des protéines qui activent et/ou répriment généralement l’initiation de la transcription d’un gène sans appartenir à l’ARN polymérase par des mécanismes très divers (Zhou & Yang, 2006). Leur fonctionnement nécessite une interaction de leur domaine de liaison à l’ADN avec une séquence spécifique en cis du promoteur du gène régulé. Tout comme pour les facteurs σ, l’activité des facteurs de transcription dépend de signaux environnementaux ou de signaux internes reflétant un changement intra/extracellulaire (Martínez-Antonio, 2011). Il existe plusieurs mécanismes de régulation de l’action des facteurs de transcription par ces changements environnementaux : (i) de petits ligands peuvent modifier l’affinité de leur domaine de liaison à l’ADN, (ii) leur activité peut être modulée par des modifications covalentes comme dans le cas des systèmes à double composante où la protéine détectrice peut, en réponse à un stimulus, activer ou inactiver son facteur de réponse associé (Hoch, 2000),
(iii) et enfin l’expression de ces facteurs de transcription peut être elle-même régulée (Browning & Busby, 2004). À ce jour, chez E. coli K-12, le site RegulonDB (http://regulondb.ccg.unam.mx/) recense pas moins de 200 facteurs de transcription mis en évidence expérimentalement (Salgado et al., 2013) et en prédit environ 160 supplémentaires (Pérez-Rueda & Collado-Vides, 2000, 2001). Au total, 35 % des facteurs de transcription seraient des activateurs, 43 % des répresseurs et 22 % auraient les deux activités. Parmi ces facteurs, il existe des régulateurs globaux (par exemple : Crp, Fnr, IHF, Fis, ArcA ou Lrp) qui contrôlent environ 50 % de tous les gènes régulés chez E. coli alors qu’environ 60 facteurs de transcription ne contrôlent qu’un seul et unique gène (Martínez-Antonio, 2011). Ces régulateurs globaux contrôlent généralement aussi d’autres facteurs de transcription. Par ailleurs, si un facteur de transcription peut réguler plusieurs gènes, un unique gène peut également être contrôlé par plusieurs facteurs de transcription. Ainsi le réseau de régulation auquel appartiennent les facteurs transcriptionnels est extrêmement complexe (Figure 4).
Figure 4 : Schéma du réseau de régulations transcriptionnelles chez E. coli. Les nœuds correspondant aux points rouges sont les gènes et les liaisons noires correspondent aux interactions. D’après (Freyre-Gonzalez & Trevino-Quintanilla, 2010).
Finalement, parmi ces facteurs de transcription, certains d’entre eux sont des protéines associées au nucléoïde (ou NAP). Le nucléoïde correspond à la région cytoplasmique où se situe le chromosome bactérien. Les NAPs sont très probablement responsables de l’organisation structurelle et compactée du chromosome même si les mécanismes exacts ne sont pas encore bien connus (Dame, 2005). Chez E. coli, on trouve par exemple Fis, IHF, H-NS, HU, StpA et Dps (Azam & Ishihama, 1999). L’expression de ces protéines varie en fonction des conditions de croissance et les changements structuraux qu’elles induisent au niveau du chromosome peuvent entraîner l’activation ou la répression de certains promoteurs (McLeod & Johnson, 2001; Dillon & Dorman, 2010).
Il est important de conserver à l’esprit que les promoteurs des gènes sont sensibles à la fois aux régulations globales et spécifiques de la transcription. La détermination des poids respectifs de ces deux types de régulations lors de changements environnementaux a fait l’objet d’études récentes utilisant des approches de biologie des systèmes (Berthoumieux et al., 2013; Gerosa et al., 2013; Keren et al., 2013). Ces études ont mesuré l’activité de promoteurs « constitutifs » à l’aide de gènes rapporteurs pour évaluer l’évolution des régulations globales de la transcription dans différentes conditions de croissance et ainsi déterminer la part des régulations spécifiques. Ces travaux concluent généralement que la régulation globale de la transcription, dépendante de la physiologie cellulaire, serait prépondérante par rapport aux régulations spécifiques. Ces dernières resteraient néanmoins nécessaires pour complémenter ou moduler les capacités globales des promoteurs.
Les régulations post-transcriptionnelles
Après avoir décrit les régulations de la transcription, les régulations post-transcriptionnelles en réponse à un changement d’environnement seront abordées dans cette partie.
Les régulations de la stabilité des ARN
Au sein d’une cellule, la concentration d’un ARN est contrôlée par trois mécanismes. Le premier correspond à la transcription dont les régulations lors de l’adaptation ont été abordées précédemment. Les second et troisième mécanismes correspondent respectivement à la dégradation de ces ARN ainsi qu’à leur dilution lors de la division cellulaire. Le phénomène de dilution, de l’ordre de l’heure, est généralement négligeable devant la forte vitesse de dégradation des ARNm qui présente des cinétiques de l’ordre de la minute. Au contraire, les ARN dits « stables » (correspondant aux ARNr et ARNt) présentent une très faible dégradation. La stabilité/dégradation des ARN est mesurée au travers de leur temps de demi-vie qui correspond à la durée au bout de laquelle la concentration initiale en messager a été divisée par deux. Initialement imaginé comme un simple mécanisme nécessaire pour recycler le pool de ribonucléotides, la dégradation des ARNm est maintenant considérée comme un processus régulant l’expression des gènes lors de l’adaptation. En effet plusieurs travaux ont mis en évidence que la stabilité de certains ARNm variait en fonction des conditions environnementales. Par exemple, la stabilité de l’ARNm de ompA diminue avec le taux de croissance (Nilsson et al., 1984; Vytvytska et al., 1998) alors que celle de fumA augmente (Lin et al., 2012). Par contre, le temps de demi-vie des transcrits lpp et bla ne varient pas avec le taux de croissance. Ces résultats montrent que la dégradation des messagers en fonction du taux de croissance n’est pas un mécanisme universel. Il a été démontré que le stress induit par la phase stationnaire peut également influencer la régulation de la stabilité de certains messagers (Albertson & Nyström, 1994; Kuzj et al., 1998) tout comme la croissance en anaérobie (Georgellis et al., 1993). D’autre part, alors que l’ARNm du gène cspA est extrêmement instable à 37°C (t1/2 < 12 sec), sa stabilité augmente fortement lors d’une diminution de la température à 15°C (t1/2 > 20 min) (Brandi et al., 1996; Goldenberg et al., 1996; Gualerzi et al., 2003). Ces données suggèrent donc que la stabilité des ARNm peut également varier en fonction de la température. Par ailleurs, la dégradation des messagers joue aussi un rôle important pour l’expression différentielle des produits d’un opéron comme par exemple pour malEFG (Newbury et al., 1987). La plupart de ces observations chez E. coli sont également retrouvées chez d’autres micro-organismes (Takayama & Kjelleberg, 2000).
Malgré l’avènement des technologies omiques, assez peu d’études se sont intéressées à la stabilité de l’ensemble des ARNm d’une cellule (aussi appelé « Stabilome ») et de surcroit à son évolution en fonction des conditions de croissance. En conséquence, très peu de conclusions générales sur le rôle des régulations de la stabilité des messagers ont pu être dégagées. En 1970, Pato et ses collaborateurs reportent la tendance que la stabilité des ARNm pourrait augmenter alors que le taux de croissance diminue (Pato & von Meyenburg, 1970). Au contraire, la première étude à l’échelle omique chez E. coli indique que la stabilité moyenne des ARNm n’est pas différente lorsque les cellules se développent en milieu riche ou pauvre à 30°C suggérant que le taux de croissance n’impacte pas la dégradation des transcrits (Bernstein et al., 2002). Cependant, d’autres études à l’échelle omique chez Lactococcus lactis et Mycobacterium tuberculosis indiquent le contraire (Dressaire et al., 2013; Rustad et al., 2013). Concernant des conditions de stress, à notre connaissance, aucune étude omique comparative sur la stabilité des ARNm chez E. coli n’a été publiée. Par contre, les ARNm chez Lactococcus lactis sont globalement stabilisés lors d’une carence en carbone et lorsque le taux de croissance diminue (Redon et al., 2005; Dressaire et al., 2013). D’autre part, la faible oxygénation ou la diminution de température du milieu de culture entraînent une stabilisation globale des ARNm chez Mycobacterium tuberculosis (Rustad et al., 2013). Globalement, ces études suggèrent une stabilisation des ARNm en cas de stress (température, carences nutritives…) qui permettrait de maintenir un « pool » minimal de transcrits, utilisables rapidement par les ribosomes en cas de conditions de croissance plus favorables.
Les mécanismes de dégradation des ARNm chez E. coli ainsi que leurs régulations seront développés plus en détail dans la partie III de cette étude bibliographique.
Les régulations de la traduction
Parmi les mécanismes de régulations post-transcriptionnelles, les régulations de la traduction permettent d’ajuster la production de protéine à partir d’une concentration donnée en ARNm dans la cellule.
La traduction des ARNm en protéines est réalisée par les ribosomes. Les ribosomes sont constitués de deux sous-unités de tailles différentes qui correspondent à des complexes ribonucléoprotéiques mêlant ARNr et protéines. La plus grande des sous-unités se compose de deux ARNr (23S et 5S) associés à 33 protéines pour un coefficient de sédimentation de 50S. De son côté, la petite sous-unité, dont le coefficient de sédimentation est égal à 30S, est constituée de l’ARNr 16S associé à 21 protéines. Entier, le ribosome possède un coefficient de sédimentation de 70S (Kaczanowska & Rydén-Aulin, 2007). Brièvement, l’initiation de la traduction implique la reconnaissance d’une séquence spécifique de l’ARNm, appelée séquence Shine-Dalgarno correspondant au RBS. Cette séquence située à environ 10 nucléotides en amont du codon d’initiation de la traduction (ou codon start généralement AUG) est complémentaire de l’extrémité 3’ de l’ARNr 16S de la petite sous-unité 30S du ribosome (Shine & Dalgarno, 1974; Chen et al., 1994). Cette complémentarité permet à la sous-unité 30S de reconnaître la séquence Shine-Dalgarno et de bien positionner le ribosome sur l’ARNm avec l’aide de facteurs d’initiation. Une fois la petite sous-unité positionnée, la grande sous-unité s’y associe pour former le ribosome. S’en suit l’étape d’élongation schématisée dans la Figure 5.
Le ribosome est subdivisé en trois sites dont les fonctions sont : d’interagir avec l’ARNt chargé de l’acide aminé spécifique du codon en cours de lecture (site A pour « Acceptor »
– Réaction A), de catalyser la réaction peptidyl-transférase qui lie cet acide aminé au peptide en cours de synthèse (site P pour « Peptidyl » – Réaction B) et de permettre la libération de l’ARNt dé-acétylé (site E pour « Exit »). Ainsi, en se déplaçant dans le sens 5’ vers 3’ de l’ARNm, le ribosome permet au peptide naissant de basculer du site A au site P et à l’ARNt dé-acétylé de passer du site P au site E entraînant sa libération (Réaction C). En répétant autant de fois cette étape que le nombre de codons de l’ARNm en cours de traduction, le ribosome synthétise la protéine sur le modèle de la séquence codante du transcrit jusqu’à la terminaison de la traduction dont le signal est un codon stop.
Une fois de plus, en impactant le contenu macromoléculaire de la cellule, le taux de croissance va réguler le niveau de traduction. En effet, il a été démontré que la quantité de ribosomes augmente avec l’augmentation du taux de croissance (Bremer & Dennis, 1996; Ehrenberg et al., 2013). Ceci est notamment lié à la diminution de la concentration en ppGpp qui inhibe la synthèse des ARNr et des messagers de protéines ribosomales comme expliqué précédemment (II.2.1). A l’opposé, en présence d’un stress lié à une carence, le phénomène inverse est observable (Srivatsan & Wang, 2008). De plus, une étude montre que le ppGpp peut directement inhiber la traduction en bloquant l’action d’un des facteurs d’initiation suggérant un double niveau de régulation de la machinerie de traduction par ce métabolite (Milon et al., 2006).
D’autre part, les conditions de stress et la phase stationnaire ont également un effet sur la traduction via le mécanisme d’hibernation des ribosomes. Dans ces conditions, les complexes ribosomaux de 70S se dimérisent en présence des facteurs RMF et HPF pour former des particules de 100S dépourvues d’activité traductionnelle en raison du blocage de l’activité peptidyl-transférase (Wada, 1998; Yoshida et al., 2004). Toutefois, la formation de ces structures est réversible. Lorsque les cellules sont transférées dans un milieu non carencé, les facteurs RMF et HPF sont rapidement libérés ainsi que les complexes 70S qui redeviennent opérationnels. Ce phénomène permet à la cellule de remobiliser rapidement sa machine de traduction dans des conditions favorables évitant de devoir re-synthétiser de novo les ribosomes.
Un autre mécanisme contrôlant le processus de traduction en réponse à l’environnement correspond aux protéines se liant à l’ARN. Par exemple, le régulateur post-transcriptionnel CsrA est notamment connu pour inhiber, lors de la phase exponentielle de croissance, la traduction de gènes exprimés en phase stationnaire (Baker et al., 2002; Romeo et al., 2012). Le fonctionnement du système Csr dans son ensemble sera détaillé dans la partie IV de cette étude bibliographique. L’évolution de la structure secondaire d’un ARNm en fonction de la température peut également moduler sa traduction. En effet, dans le cas du gène rpoH, il a été démontré qu’à 30°C, les structures secondaires que forme son ARNm bloquent l’initiation de sa traduction. En revanche, à 42°C, la déstabilisation de cette structure entraîne une augmentation de l’expression de la protéine (Morita et al., 1999a, 1999b). De plus, à faible température, il a été prouvé que la protéine CspA se fixe sur les régions 5’ non traduites de certains ARNm et inhibe la formation de structures secondaires. Dans ce cas, les auteurs suggèrent que la protéine CspA favoriserait la traduction de ses cibles à faible température (Jiang et al., 1997).
La traduction peut également être modulée par les petits ARN non codants (Gottesman, 2004). Ces derniers, synthétisés en réponse à un stress, s’hybrident généralement sur un ARNm cible au niveau de la région d’initiation de la traduction. Cette liaison peut soit inhiber soit favoriser l’initiation de la traduction régulant ainsi l’expression du gène cible. Par exemple, l’ARNnc OxyS, exprimé en réponse à un stress oxydatif, peut inhiber la traduction du gène fhlA (codant pour un facteur de transcription) en bloquant l’accès des ribosomes au niveau de la séquence Shine-Dalgarno de son ARNm (Altuvia et al., 1998). A l’inverse, l’ARNnc DsrA est synthétisé lors d’une phase exponentielle de croissance à faible température (Repoila & Gottesman, 2001). Il peut alors s’hybrider avec le 5’UTR de l’ARNm du gène rpoS et favoriser sa traduction en levant la répression traductionnelle exercée par une structure secondaire préexistante (Majdalani et al., 1998).
Enfin, le mécanisme de riboswitch est également un moyen pour la cellule de contrôler la traduction lors de changements environnementaux. Il s’agit de réarrangements allostériques de l’ARNm qui s’articulent autour d’un ligand de faible poids moléculaire dont la concentration est déterminante pour la formation de structures secondaires (Vitreschak et al., 2004). Par exemple, la liaison de l’adénosylcobalamine (dérivé de la vitamine B12) sur le 5’UTR de l’ARNm de btuB (impliqué dans l’import de la vitamine B12) inhibe la traduction du messager en bloquant l’interaction des ribosomes avec le transcrit via la formation d’une tige-boucle (Nou & Kadner, 2000).
Si les mécanismes de régulation de la stabilité des ARNm et d’initiation de la traduction ont été séparés au cours de cet exposé, ces deux processus restent néanmoins extrêmement liés. En effet, l’inhibition de la traduction d’un ARNm mène souvent à sa déstabilisation par un mécanisme qui sera abordé dans la partie III. D’autre part, la stabilité influence évidemment la traduction puisqu’elle détermine le niveau de transcrits dans la cellule (Kaberdin & Bläsi, 2006).
Les régulations post-traductionnelles
Une fois l’ARNm traduit en protéine, la cellule dispose encore de processus lui permettant de réguler non seulement la concentration de la protéine mais également sa disponibilité ou son activité en fonction de l’environnement. Ces types de régulations sont appelés régulations post-traductionnelles et seront détaillés dans la partie suivante.
Les régulations de la stabilité des protéines
La régulation de la stabilité des protéines est un mécanisme qui permet de moduler la concentration des protéines dans la cellule. Elle fait intervenir des complexes protéiques généralement composés d’une protéine à activité ATP dépendante appartenant à la famille des ATPases AAA (ex : ClpA, ClpX et ClpY) avec une protéase à activité ATP indépendante (ex : ClpP et ClpQ). L’ATPase AAA a pour rôle de déplier la protéine substrat via des changements structurels faisant suite à l’hydrolyse d’ATP (Sauer et al., 2004). Puis, elle adresse la protéine déstructurée à la protéase qui la dégradera progressivement en acides aminés (Chandu & Nandi, 2004). Seules les associations ClpAP, ClpXP et ClpYQ semblent exister chez E. coli (Picard et al., 2009). La dégradation des protéines peut également faire intervenir des protéines « tout en un » comme Lon et FtsH qui possèdent à la fois les domaines ATPasique et protéolytique (Gottesman, 2003). Le choix des protéines à dégrader est gouverné par plusieurs mécanismes : (i) présence de séquences spécifiques au niveau des extrémités N-terminale ou C-terminale de la protéine, (ii) présence d’une étiquette SsrA ajoutée par un ARNtm sur un peptide naissant lorsque la traduction rencontre une difficulté (ex : ARNm endommagé) ou (iii) action d’une protéine modulatrice/adaptatrice permettant de « diriger » les protéines à recycler vers les protéases (ex : RssB pour l’adressage du facteur σS à la protéase CplXP).
En condition de stress ou de changements environnementaux, la dégradation protéique permet de réguler rapidement la concentration d’une protéine en la stabilisant ou en la déstabilisant selon les conditions. Par exemple, l’état d’activation de la protéine adaptatrice RssB en réponse à un stress détermine son affinité pour le facteur σS régulant ainsi la dégradation de ce dernier par la protéase CplXP (Hengge, 2009a). De la même façon, l’activité du facteur σE est augmentée lors de l’altération de l’intégrité de la membrane cellulaire grâce à une cascade protéolytique qui aboutit à la dégradation du facteur anti-σ RseA qui séquestre σE dans les conditions normales de croissance (Ades, 2008).
II en fonction des conditions de croissance. Ce système consiste en un opéron codant généralement pour deux protéines liées : la toxine correspondant à un « poison » et l’antitoxine qui correspond à son « antidote ». En conditions normales de croissance, l’antitoxine est généralement en excès par rapport à la toxine menant à l’inactivité de cette dernière. Si dans la plupart des cas la toxine est stable, l’antitoxine sous forme libre est une protéine instable ciblée particulièrement par des protéases. En revanche, lors de son interaction avec sa toxine associée, l’antitoxine adopte une conformation structurelle qui la rend stable. Lors de conditions particulières de stress, la suractivité des protéases va entraîner une diminution du pool d’antitoxine libre qui va modifier l’équilibre toxine-antitoxine et libérer la toxine (Van Melderen & Aertsen, 2009; Brzozowska & Zielenkiewicz, 2013).
Les régulations de la disponibilité ou de l’activité protéique
Bien que la concentration d’une protéine dans la cellule soit évidemment importante pour refléter son rôle in vivo, il est important de garder à l’esprit que toutes les protéines présentes dans le cytoplasme de la cellule à un instant t ne sont pas disponibles ou actives en fonction des conditions environnementales.
Par exemple, les interactions protéine-protéine jouent un rôle important dans la régulation de la disponibilité protéique. Les systèmes toxine-antitoxine de type II décrits dans la partie II.4.1 en sont le parfait exemple puisque le niveau de toxine libre est contrôlé via l’interaction toxine-antitoxine qui est dépendante de conditions environnementales ou de stress donnés (Brzozowska & Zielenkiewicz, 2013). Parmi les interactions protéine-protéine, on retrouve également les protéines chaperonnes dont les plus étudiées sont TF, DnaK et GroEL/ES. Ces protéines, dont beaucoup correspondent à des protéines HSP exprimées lors d’un choc thermique, préviennent les mauvais repliements des protéines et leur agrégation. Elles ont un rôle essentiel dans les mécanismes de repliement protéiques de novo, dans le maintien du repliement protéique en cas de stress, dans l’assemblage et le transport de polypeptides naissants ainsi que dans le processus de dégradation protéique (Hartl & Hayer-Hartl, 2009). Ainsi, elles permettent à certaines protéines de rester disponibles ou de conserver leur activité catalytique malgré des conditions environnementales qui entraîneraient leur déstructuration.
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Table des matières
ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
I. La bactérie Escherichia coli
I. 1. Description générale
I. 2. Pathogénicité et classification
I. 3. La souche E. coli K-12 MG1655
II. Les différents niveaux de régulation de l’expression génique chez
Escherichia coli en réponse à l’environnement
II. 1. S’adapter à l’environnement
II. 2. Les régulations transcriptionnelles
II. 2. 1. La régulation globale de la transcription
II. 2. 2. Les régulations spécifiques de la transcription
II. 3. Les régulations post-transcriptionnelles
II. 3. 1. Les régulations de la stabilité des ARN
II. 3. 2. Les régulations de la traduction
II. 4. Les régulations post-traductionnelles
II. 4. 1. Les régulations de la stabilité des protéines
II. 4. 2. Les régulations de la disponibilité ou de l’activité protéique
III. Les mécanismes de dégradation des ARNm chez Escherichia coli
III. 1. Les principales ribonucléases
III. 1. 1. Les endoribonucléases
III. 1. 2. Les exonucléases
III. 2. Les mécanismes de dégradation des ARNm
III. 3. Le dégradosome
III. 4. Les mécanismes régulant la stabilité des ARNm
III. 4. 1. Les régulations de la RNase E
III. 4. 2. Les effets de la traduction
III. 4. 3. L’interaction Hfq / ARNnc / RNase E
III. 4. 4. Les autres molécules se liant à l’ARNm
III. 4. 5. Les systèmes toxine-antitoxine
III. 4. 6. L’influence de la séquence des ARNm
III. 5. Les déterminants de stabilité des ARNm à l’échelle omique
IV. Le système Csr chez Escherichia coli
IV. 1. Description du système Csr
IV. 1. 1. Le régulateur post-transcriptionnel global CsrA
IV. 1. 2. Les ARNnc séquestrant la protéine CsrA
IV. 1. 3. La protéine CsrD
IV. 2. Les mécanismes de régulation par CsrA
IV. 2. 1. Les mécanismes de répression
IV. 2. 2. Les mécanismes de régulation positive
IV. 3. Les ARNm cibles du système Csr
IV. 4. Le réseau de régulation du système Csr
IV. 4. 1. Régulation de CsrA
IV. 4. 2. Régulation des petits ARN non codants
IV. 4. 3. Régulation de CsrD
IV. 4. 4. Liens avec d’autres systèmes de régulation
V. Problématique de la thèse
CHAPITRE I Rôle de la transcription et de la stabilité des transcrits dans la régulation de l’expression génique à différents taux de croissance d’Escherichia coli sur glucose
CHAPITRE II Identification des déterminants de la stabilité des ARNm à différents taux de croissance
CHAPITRE III Détermination à l’échelle omique de l’étendue du contrôle de l’expression et de la stabilité des ARNm par le système Csr chez Escherichia coli
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
PUBLICATIONS ET COMMUNICATIONS
ANNEXES
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