Les mécanismes de contamination
Incidence
Les infections représentent la principale complication liée à la mise en place d’un CVC [4] et la troisième cause d’infection nosocomiale en réanimation après les infections urinaires et les pneumonies [5,6]. Dans notre étude portant sur 65 cathéters, 9 ont été infectés. Ce qui correspond à une incidence moyenne d’environ 13,9 %. Ce chiffre est élevé si on le compare aux données de la littérature où l’incidence varie de 5 à 10% [1]. Quant à la densité d’incidence des ILC, elle varie de 0.3 à 30 pour 1000 journées-cathéter, et elle est de l’ordre de 26,04 pour 1000 journées-cathéters dans notre série. Les deux grands réseaux français qui surveillent les infections de cathéter (le C-Clin Paris-Nord et le C-Clin Sud-Est) ont des densités d’incidence tout à fait comparables, ils utilisent la même méthodologie de recueil et pratiquement les mêmes définitions (1,83 pour 1000 journées cathéters pour les infections non bactériémiques et 1 pour 1000 journées cathéters pour les bactériémies). Par contre, les taux américains de densité d’incidence des bactériémies liées aux ILC sont très différents de ces chiffres, quatre à cinq fois supérieurs à ceux qu’on obtient dans les réseaux de surveillance européens [7]. Cette dispersion est la conséquence de définitions cliniques disparates et de méthodes diagnostiques variées appliquées à des patients de nature et de gravité fort diverses [6].
Physiopathologie
Trois sources potentielles peuvent entrainer une colonisation de l’extrémité endovasculaire d’un cathéter (figure n°3). La contamination du cathéter par voie cutanée est la plus fréquente (contamination extraluminale), et prédomine pour les cathéters de courte durée (moins de 10-20 jours) [1]. Elle survient soit lors de la pose et alors évitable par une asepsie rigoureuse, ou lors de la colonisation secondaire du site d’insertion par migration des germes le long du trajet souscutané du cathéter au niveau de sa surface externe. La contamination endoluminale des cathéters peut être secondaire aux manipulations septiques des raccords par les mains du personnel soignant. A partir du raccord, les microorganismes migrent le long de la surface interne du cathéter jusque dans sa portion intra vasculaire. La colonisation du cathéter liée à la perfusion de liquides contaminés est exceptionnelle. La contamination endoluminale devient prépondérante pour les cathéters laissés en place plus de plus de trois semaines (nutrition parentérale, oncohématologie) [1]. Enfin la contamination par voie hématogène à l’occasion d’une bactériémie est rare. Figure 3 : Mécanismes de colonisation impliqués dans la pathogénèse d’une ILC. La colonisation des surfaces externe (A) et interne (B) comprend la colonisation de la peau au site d’insertion, et des réseaux qui sont branchés au cathéter. Les autres mécanismes sont liés à la colonisation des produits perfusés ou injectés (C) et par la voie hématogène (D) [8].
Germes en cause
Les germes responsables d’infection sur cathéter sont multiples mais dominés par les bactéries à Gram positif [3]. Il s’agit le plus souvent de staphylocoques à coagulase négative dont Staphylococcus epidermidis est le plus fréquemment rencontré [1]. Ce germe est responsable de 10 à 30% des épisodes bactériémiques ayant pour origine le cathéter. Staphylococcus epidermidis provient essentiellement de la peau et du connecteur reliant la tubulure de perfusion au cathéter. D’autres bactéries à Gram positif peuvent également infecter le cathéter. Staphylococcus aureus est responsable d’environ 10% des ILC, et provient généralement d’un foyer de voisinage [9,10]. Dans notre série, Staphylococcus aureus était responsable d’ILC dans 2 cas (22,3 %), alors que Staphylococcus epidermidis ne l’était que dans 1 seul cas (11,2%). Pour Raad et al, une bactériémie due à un germe d’origine cutanée (staphylocoque à coagulase négative, Corynébactérie, Bacillus …) ou à Staphylococcus aureus est un critère majeur pour attribuer cette bactériémie à une ILC, en l’absence d’autre foyer infectieux [1].
Des bactéries à Gram négatif peuvent aussi être impliquées : Enterobacter sp, Klebsiella sp, Serratia sp, Pseudomonas aeruginosa et Acinetobacter sp . Ces germes proviennent plutôt du tube digestif par translocation ou d’une contamination des solutions perfusées. Pseudomonas sp est retrouvé en réanimation dans 10 à 20 % des cas et les entérobactéries dans 20 à 25 % [9]. Dans notre étude, Pseudomonas aeruginosa , de même que l’Acinetobacter baumannii, a été responsable de 2 ILC (22,3 %), alors que l’Enterobacter cloacae n’a été isolé qu’une seule fois (11,2 %). Les levures telles que les Candidas (albicans mais aussi tropicalis et krusei ) plus rarement le Mallassezia furfur sont fréquemment rencontrées chez les malades immunodéprimés ou soumis à une antibiothérapie prolongée. En France, la colonisation des cathéters à Candida est relativement peu fréquente (1 à 3 %) alors que cette colonisation représente 12,2 % des bactériémies primaires observées aux Etats-Unis [9]. Dans notre série, un seul cathéter a été infecté par le Candida albicans soit 11,2 % des cas.
Diagnostic clinique des infections liées au cathéter Une infection sur cathéter peut se révéler par des signes locaux et/ou généraux. • Infections locales : On distingue les infections locales superficielles et profondes. Les infections superficielles sont limitées à un aspect inflammatoire ou purulent de l’orifice d’entrée du cathéter. Excepté s’il existe un écoulement purulent au point d’insertion, des signes inflammatoires locaux ne suffisent pas à prédire l’ILC, mais doivent inciter à continuer les investigations bactériologiques. Les infections profondes associent des signes de « tunnelite » (inflammation du trajet sous-cutané du cathéter sur 2cm ou plus), voire de cellulite. Cette inflammation profonde, infiltrée et douloureuse, a une très grande valeur diagnostique, en particulier chez l’aplasique où l’écoulement purulent manque souvent [1]. Une étude cherchant une corrélation entre l’ILC bactériémique et certains signes cliniques (érythème, douleur, oedème) a montré que la présence de ces signes a été peu fréquemment observée (moins de 10%). Lorsque ces signes étaient présents, la culture du cathéter était le plus souvent stérile [12,13] (tableau n° XIV). Dans notre étude, parmi les 25 cathéters enlevés pour suspicion d’ILC, 9 étaient réellement infectés, ce qui correspond à une valeur prédictive positive de 36% et à une valeur prédictive négative de 64%. En effet, la présence de ces signes (érythème, douleur, oedème) est plus souvent le reflet d’une inflammation localisée en rapport avec un corps étranger qu’un argument pour l’ILC. Par contre, la présence de pus est plus évocatrice mais ne permet en aucun cas un diagnostic de certitude [12].
• Infections systémiques : En l’absence de signes locaux, l’ILC est suspectée devant l’existence d’un syndrome infectieux ou la positivité des hémocultures. Dans ce dernier cas, l’isolement d’un staphylocoque à coagulase négative, d’un S. aureus ou d’un Candida sp ont, en l’absence de foyer infectieux d’autre origine, a une valeur d’orientation vers la responsabilité du cathéter. La disparition des signes cliniques de sepsis immédiatement après retrait du cathéter ou, à l’opposé, un sepsis brutal lors du branchement de la perfusion sont des arguments forts pour la responsabilité du cathéter [1]. Ainsi, les critères cliniques permettant d’affirmer l’existence d’une ILC sont peu sensibles et rarement spécifiques. La première question est donc de disposer d’une technique microbiologique fiable capable d’affirmer ou d’infirmer avec certitude le diagnostic d’ILC sur cathéter retiré. Le retrait systématique du cathéter devant toute suspicion d’infection conduisait à des retraits inutiles de cathéters dans une grande majorité des cas (80 à 90% de ces cathéters s’avérant en définitive indemnes de toute infection après mise en culture) [1]. En effet, la proportion des retraits inutiles dans notre série n’était pas très importante puisque 64% des cathéters retirés pour suspicion d’infection se révélaient innocents. L’idéal serait donc de pouvoir faire le diagnostic d’ILC cathéter en place : il faut disposer de techniques alliant une sensibilité proche de 100% et une forte spécificité ou au moins pouvoir éliminer l’ILC par un examen simple ayant une valeur prédictive négative proche de 100% [1].
Méthode de culture semi-quantitative
Proposée par Maki en 1977, la culture semi-quantitative consiste à rouler la surface externe du cathéter sur un milieu de culture solide, puis à compter les colonies après 24 à 48 heures de culture. Un seuil de positivité à 15 unités formant colonies (UFC) a été choisi de façon arbitraire et corrélé à l’existence d’une infection locale. Bien que simple, la technique semiquantitative présente des limites importantes : en premier lieu, elle ne présente pas la corrélation du seuil avec les signes systémiques d’infection, ensuite elle n’a été qu’incomplètement validée sur les CVC en réanimation, et surtout elle n’explore que la face externe du cathéter, laissant ainsi de côté les infections endoluminales. En outre, si la sensibilité est proche de 100 %, la spécificité est faible, comprise entre 20 et 50 % [1,2,3]. D’autres auteurs ont tenté de valider la technique en faisant varier le seuil de positivité et en corrélant les résultats avec la survenue de bactériémies : pour un seuil de 5 UFC, la valeur prédictive positive de la méthode n’était que de 9 %, ne passant qu’à 10 % pour un seuil porté à 100 UFC, ce qui est insuffisant pour une méthode dite de « référence ». Bien que simple, la culture semi-quantitative de la face externe du cathéter, avec le seuil utilisé, n’est pas pleinement satisfaisante pour établir le diagnostic d’ILC de façon incontestable.
Méthode de culture quantitative
Afin de pallier les imperfections de la technique de Maki, Cleri a décrit en 1980 une technique de culture quantitative par dilutions successives en milieu liquide, utilisant un seuil de positivité de 10³ UFC. Miroir de la technique de Maki, cette méthode n’étudie que la face interne du cathéter, qui est rincée par 1ml de sérum physiologique. Cette limite et la complexité de la technique ont conduit Brun-Buisson à proposer une technique simplifiée en 1987 : Les 5-6 derniers centimètres du cathéter sont trempés dans 1 ml de sérum physiologique, l’ensemble est agité au vortex pendant 1minute, 0,1 ml de la solution obtenue étant ensuite ensemencé en milieu solide pour culture quantitative (seuil à 10³ UFC). Les avantages sont multiples : la technique est validée chez les malades de réanimation, le vortexage permet de tenir compte des bactéries adhérant à la fois aux surfaces externes et internes du cathéter, enfin sa sensibilité de 97% est comparable à celle obtenue par Maki, et sa spécificité de 88% est bien supérieure (tableau n° XV), en particulier du fait de la corrélation établie avec les critères cliniques [1]. C’est la méthode qui a le meilleur rapport qualité (sensibilité et spécificité) /prix (rapidité et coût) qui est recommandée en France [2]. Sa simplicité la rend largement accessible en routine. Dans notre étude, la méthode de culture de Brun Buisson s’est révélée d’un grand intérêt diagnostique et d’une sensibilité et une spécificité excellentes. Toutefois et afin d’éviter les retraits inutiles de cathéters, d’autres méthodes de diagnostic bactériologique doivent être développées dans le service.
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Table des matières
INTRODUCTION
MATERIEL ET METHODES
I. Matériel d’étude
1. Présentation de l’étude
2. Critères d’inclusion
3. Critères d’exclusion
II. Méthodes d’étude
1. Recueil des données
2. Analyse statistique
RESULTATS
I. Incidence
II. Répartition selon l’age
III. Répartition selon le sexe
IV. Cathéter et service d’origine
V. Cathéter et pathologie d’admission
VI. Cathétérisme et gravité des malades
VII. Antécédent de cathétérisme
VIII. Indications du cathétérisme
IX. Cathétérisme et site de ponction
X. Existence de foyer infectieux autre
XI. Durée du cathétérisme
XII. Causes de retrait
XIII. Résultats bactériologiques
XIV. Evolution
1. Durée de séjour
2. Mortalité
DISCUSSION
I. Incidence
II. Physiopathologie
1. Les voies de contamination
2. Les mécanismes de contamination
3. Les germes en cause
III. Diagnostic clinique des ILC
IV. Diagnostic microbiologique des ILC
1. Méthodes directes de diagnostic
1.1. Méthode de culture qualitative
1.2. Méthode de culture semi-quantitative
1.3. Méthode de culture quantitative
1.4. Examen direct de l’extrémité du cathéter
2. Méthodes indirectes de diagnostic
2.1. Culture du point d’insertion
2.2. Culture du pavillon du cathéter
2.3. Hémocultures quantitatives couplées
2.4. Mesure du délai différentiel de positivité des hémocultures couplées
2.5. Brossage endoluminal et examen direct
V. Facteurs de risque de survenue des ILC
1. Facteurs liés au patient
2. Facteurs liés à la pose
2.1. Type de cathéter
2.2. Site d’insertion du cathéter
2.3. Technique de pose
3. Facteurs liés à l’utilisation
3.1. Durée de cathétérisme
3.2. L’absence de maintien d’un système clos et le défaut d’asepsie lié à la
fréquence des manipulatios
VI. Conduite à tenir en cas de suspicion d’ILC
VII. Traitement
1. Retrait de cathéter
2. Traitement antibiotique empirique
3. Choix du traitement empirique
4. Antibiothérapie selon la bactériologie
5. Le verrou local d’antibiotique
VIII. Evolution
IX. Prévention des ILC
1. Règles et techniques lors de la pose
2. Choix de l’antiseptique
3. Le pansement du site d’insertion
4. Choix du type de cathéter
5. Choix du site de ponction
6. Entretien des lignes veineuses
7. Politique générale de prévention
CONCLUSION
RESUMES
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
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