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Approches économiques de l’environnement
Alors que les auteurs s’accordaient sur la définition du développement soutenable donnée dans le rapport Brundtland et sur la nécessité de poursuivre ce nouvel objectif, des controverses portant sur la question environnement se sont cependant apparues entre eux. Ces controverses ont abouti à un clivage au sein de la science économique : d’une part les tenants de la soutenabilité faible auxquels s’opposent les tenants de la soutenabilité forte.
Si les premiers avancent l’idée d’une substituabilité parfaite entre le capital naturel et les autres formes de capital, les seconds considèrent le capital naturel comme irremplaçable, c’est de celui-ci que dépend la survie de toutes les générations.
La soutenabilité faible : la parfaite substituabilité du capital naturel avec un autre capital
Découlant pour l’essentiel du cadre d’analyse néoclassique, l’approche de la soutenabilité faible se fonde sur la théorie d’Hotelling qui affirme que les cinq types de capital, c’est-à-dire le capital naturel, le capital humain, le capital social, le capital physique et le capital financier sont parfaitement substituables entre eux (Angelsen et Wunder, 2003).
Pour cette approche dominée par le courant néoclassique, la seule façon de parvenir à un développement soutenable est de maintenir une croissance économique de long terme en tenant compte des contraintes posées par l’environnement (Tichit, 2005). Les ressources environnementales sont ainsi incorporées dans les fonctions de production et d’utilité au même titre que les capitaux.
Cependant, les biens environnementaux ne peuvent pas être directement intégrés dans la sphère marchande de l’économie puisque que la plupart n’ont pas de prix. L’analyse économique de ces ressources va, par conséquent, consister à la définition de leur valeur spécifique et à leur évaluation monétaire (Lescuyer, 2005).
S’il y a défaillance du marché à transmettre la rareté relative des ressources, c’est que les biens et services environnementaux peuvent être incorrectement tarifés. Ce qui est à l’origine de la surexploitation des ressources naturelles (Tacheix, 2005). Une autre défaillance du marché est la non-prise en compte des effets externes – tels que la pollution, les bruits … – qui sont des coûts engendrés par une activité, que subissent la collectivité, et qui n’est pas pris en compte par son auteur. La présence de ces externalités remet, pourtant, en question la réalisation d’un optimum de Pareto10, censé être atteint en laissant le marché fonctionner librement (Ibid.). Par ailleurs, les propriétés des ressources naturelles telles que la non-exclusivité, la multifonctionnalité, et la difficulté voire l’impossibilité de leur appropriation ne peuvent aussi qu’entraver le fonctionnement correct des mécanismes du marché (Tisdell, 2005).
Pour corriger toutes ces défaillances marchandes, il suffit, selon les néoclassiques, soit d’instaurer des taxes administratives pigouiennes, soit de créer des conditions de régulation marchande coasiennes (Tacheix, 2005).
Une fois intégrées dans la sphère marchande, les ressources naturelles constituent une autre forme de capital, le capital naturel11 sur lequel le principe de la théorie du capital d’Hotelling est également applicable selon l’approche dominante (Rouxel, 2010). Il peut donc y avoir une substitution parfaite entre le capital naturel et les autres formes de capital.
Cette version de la soutenabilité étend donc la théorie des modèles de croissance à des ressources épuisables (Ibid.). Et implicitement, elle suppose que l’appauvrissement des ressources naturelles ne constitue pas un problème du moment qu’elle laisse place à d’autres capitaux (financier, technologique) qui peuvent la remplacer (Boutaud, 2007). Pour assurer qu’il y a substitution des ressources perdues, il faut selon le green golden rule de Hartwick, réinvestir les rentes procurées de l’exploitation des ressources environnementales épuisables dans les capitaux reproductibles par l’homme (Méral, 2010).
Pour cette approche faible de la soutenabilité, la croissance économique constituerait ainsi la solution – plutôt que le problème – aux problèmes écologiques puisque c’est de la croissance qu’il peut y avoir développement des recherches qui, à leur tour, susciteront du capital technologique (Ibid.).
La soutenabilité forte : la spécificité du capital naturel
Les tenants de la version forte de la soutenabilité s’opposent à l’hypothèse avancée par la version faible sur la substituabilité parfaite du capital naturel aux autres capitaux.
Pour ces auteurs, si les autres capitaux sont reproductibles par l’Homme, le capital naturel de son côté est constitué d’éléments dont la dégradation est rarement réversible (Tichit, 2005). Le capital naturel constitue donc un capital à part, qui devrait être considéré de manière spécifique et dont le stock devrait rester constant (Ibid.). De ce fait, il revient alors au système économique de s’adapter et de se contraindre aux limites posées par l’environnement et non le contraire (Boutaud, 2007). Pour certains des tenants de cette approche forte de la soutenabilité, comme Daly et Goergescu-Roegen, le principal objectif doit être d’assurer des conditions économiques et environnementales qui peuvent maximiser la survie de la race humaine aussi longtemps que possible. La seule stratégie optimale pouvant permettre d’atteindre un tel objectif est un état stationnaire de l’économie, impliquant une croissance économique zéro, une croissance de la population zéro et un niveau de consommation per capita limité (Daly, 1980).
L’irréversibilité des ressources naturelles conduit d’autres auteurs de l’approche à opter pour un principe de précaution12 (Tichit, 2005).
Pour les auteurs de cette approche forte de la durabilité, il est urgent de diminuer les impacts qu’ont les activités anthropiques sur l’environnement en changeant radicalement les comportements et non en comptant sur d’autres formes de capital (Boutaud, 2007).
L’école de Londres : conciliation des deux approches de la soutenabilité
L’école de Londres ou l’économie écologique institutionnelle opte pour une conciliation de la préservation de l’environnement de la version forte de la soutenabilité et de la croissance économique de la version faible.
Pour cette approche intermédiaire, il y a contrainte écologique à la croissance mais elle ne prône pas pour une croissance économique zéro. Elle émet l’hypothèse selon laquelle, il existe deux types de capital naturel :
– Le capital naturel dont la dégradation est réversible et la disparition ne met pas en danger la vie sur Terre. Ce type de capital naturel est dit non critique et peut être substitué par d’autres capitaux.
– Le capital naturel dont la dégradation est irréversible et la disparition mettrait en danger la vie sur Terre. Il s’agit du capital naturel critique dont la variation par rapport au temps ne doit pas dépasser un certain seuil critique.
La particularité de l’école de Londres est de faire de la diversité biologique son objet de recherche (Méral, 2010). Elle voit les biens et les services offerts par celle-ci comme des fonctions environnementales plutôt que comme un capital naturel. Selon l’approche, la raison qui est à l’origine de la perte de certaines fonctions environnementales est l’occultation de certaines des fonctions par d’autres (Tichit, 2005). L’utilisation de certains composants de la diversité biologique à titre d’inputs par exemple peut se faire au détriment de la fonction récréative que ces composants peuvent proposer (Ibid.).
Le lien entre conservation de la diversité biologique et l’allègement de la pauvreté
L’idée de concilier la conservation de la diversité biologique et l’allègement de la pauvreté est largement promue par la communauté internationale depuis qu’il est admis que la diversité biologique de la planète est en déclin et que les premières actions de conservation menées allaient à l’encontre de l’éthique et de la justice. L’existence d’une liaison spatiale entre la diversité biologique et la pauvreté a, en outre, favorisé cette conciliation. Cependant, pour certains chercheurs, l’établissement de ce lien reste contestable.
L’unanimité de la communauté internationale sur la nécessité de lier conservation de la diversité biologique et l’allègement de la pauvreté
Depuis quelques décennies, la perte de la diversité biologique et la pauvreté sont devenues les principales préoccupations de la communauté internationale. « Si la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) a été conclue en réponse à l’intensification de la perte de la diversité biologique (…) les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), eux, ont été établis pour parvenir à la réduction de la pauvreté » (SCDB, 2010, p.9).
Dans « Linking Biodiversity Conservation and Poverty Alleviation: A State of Knowledge Review », le Secrétariat de la CDB souligne l’existence de liens dans les objectifs de ces deux politiques cadres bien qu’ils aient été élaborés pour des objectifs différents.
• La CDB, adoptée en 1992 lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro, a pour but d’assurer « la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques » (Nations Unies, 1992, p.3). Cependant, ses parties prenantes reconnaissent également que « le développement économique et social et l’éradication de la pauvreté sont les premières priorités des pays en Développement » (Nations Unies, 1992 préambule p.2.).
• Les OMD, fixés en 2000 pour parvenir à un développement durable, visent la réduction de la pauvreté et avec l’OMD 7 « préserver l’environnement », évoquent l’utilité « d’inverser la tendance actuelle de la déperdition des ressources naturelles. » (SCDB, 2009).
En 2002, lors de la 6ème Conférence des Parties13 (CdP) à la CDB, tenue à la Haye puis réaffirmé quelques mois plus tard lors du « Sommet du développement soutenable » de Johannesburg (Boisvert et Vivien, 2010), la communauté internationale vise à « parvenir d’ici 2010 à une réduction importante du rythme actuel de l’appauvrissement de la diversité biologique aux niveaux mondial, régional et national à titre de contribution à l’atténuation de la pauvreté et au profit de toutes les formes de vie sur la planète »(SCDB, 2010, foreword). Cet objectif a été ensuite incorporé dans l’OMD 7 (SCDB, 2009).
Outre la CDB et les OMD, le Millennium Ecosystem Assessment14 met aussi l’accent sur le lien entre la conservation de la diversité biologique et l’allègement de la pauvreté.
Mené entre 2001 et 2005, sous la commande du Secrétaire Général des Nations Unies de la période, Kofi Annan, et financé par l’ONU, le MA a fait appel à la collaboration de 1360 chercheurs et scientifiques quant à sa rédaction et aux recherches. Il a pour but d’ « évaluer l’impact et les conséquences des changements de l’écosystème pour le bien-être humain et d’analyser les options disponibles pour améliorer la conservation et l’utilisation soutenable des écosystèmes ainsi que leurs contributions au bien-être de l’homme » (MA, 2005 a, p.6). Le MA reconnait en outre « la vulnérabilité des personnes pauvres face à l’appauvrissement de la diversité biologique » et « suggère que la priorité soit donnée à la protection de la diversité biologique, ce qui est d’une particulière importance pour le bien-être des pauvres et des populations vulnérables » (Ibid., p.80).
Un lien géographique qui facilite le lien entre conservation de la diversité biologique et allègement de la pauvreté
L’existence ou non d’un lien spatial entre la diversité biologique et la pauvreté est considérée comme la condition nécessaire de laquelle va dépendre la poursuite ou non de l’intégration de la conservation de la diversité biologique et de l’allègement de la pauvreté (SCBD, 2010). Évidemment, il serait loin d’être rationnel de chercher à alléger la pauvreté en passant par des actions de conservation de la diversité biologique alors que la pauvreté en question n’a aucune relation géographique avec la diversité biologique.
Bien qu’il soit trop simpliste d’affirmer que la majorité de la diversité biologique de la planète et la plus grande partie de la pauvreté sont au sud, les observations montrent cependant que, en effet, les pays du sud abritent une très riche diversité biologique et le cas de pauvreté rencontré y est le plus prononcé. A différentes échelles et suivant diverses mesures, cette coïncidence entre la diversité biologique et la pauvreté semble être vérifiée.
A l’échelle régionale, la mesure de la diversité biologique en termes d’espèces et de niveau d’endémicité révèle que l’Afrique subsaharienne et l’Asie, deux pays du sud qui regroupent la majorité des pauvres de la planète, abritent la plus importante diversité biologique (SCBD, 2010). Pour mieux comprendre cette affirmation, voici présentés ci-dessous un tableau et une figure présentant respectivement la distribution de la pauvreté et la répartition des biomes dans le monde.
Controverses sur la question de lier conservation de la diversité biologique et allègement de la pauvreté
Alors que la communauté internationale semble déjà être unanime sur la question de l’impérativité de lier conservation de la diversité biologique et allègement de la pauvreté et même s’il a été reconnu, du moins en grande partie, que les conditions géographiques facilitent cette liaison, des controverses existent cependant entre les chercheurs et les experts. Et leur principale source de divergence est l’impossibilité de lier les objectifs de conservation de la diversité biologique avec des objectifs de croissance économique.
Du côté des sceptiques, il a souvent été argumenté que le développement économique est en conflit avec la conservation. Pour les autres auteurs cependant, la conservation et le développement sont complémentaires. Certains affirment même que la conservation est impossible ou du moins difficile sans la prise en compte des besoins des populations (Fisher et al., 2008).
Impossibilité de conserver la diversité biologique en poursuivant des objectifs d’allègement de la pauvreté
Pour certains scientifiques et chercheurs, les efforts aujourd’hui menés à l’échelle mondiale pour conserver la diversité biologique sont en conflit avec ceux qui lutte contre la pauvreté. Selon eux, le rythme de l’effondrement actuel des populations, de l’extinction des espèces de faune et de flore et de la transformation des habitats, le tout accéléré par les changements au niveau du climat demandent des actions urgentes (Adams et al., 2004).
Ils affirment également que la théorie d’une meilleure conservation de la nature en tenant compte de la croissance économique de l’homme reste contestable (Oates, 1999). Les projets visant à la fois conservation et développement sont imparfaitement conçus voire irréalistes et ne peuvent en aucunement contribuer à la conservation et encore moins à la conservation de la diversité biologique. De tels projets peuvent même, à l’inverse, aggraver les pressions sur les ressources naturelles ainsi que la destruction de l’environnement en attirant entre autres des populations intéressées à migrer vers les régions concernées du fait des projets de développement élaborés (Ibid.).
Les partisans de ce scepticisme rajoutent que la capacité de la conservation de la diversité biologique à faire sortir les pauvres de la pauvreté reste limitée (Wunder, 2001). Un allègement de la pauvreté par la conservation de la diversité biologique est même improbable étant donné la tendance pour les pauvres de n’avoir accès que sur les composants de la diversité biologique les moins chers (Dove, 1993).
Sur l’autre flanc, les contradicteurs de ce scepticisme annoncent cependant que la conservation de la diversité biologique peut être conciliée avec l’allègement de la pauvreté.
Impossibilité de conserver la diversité biologique sans tenir compte de l’allègement de la pauvreté
Pour les auteurs qui sont pour la conciliation de la conservation avec l’allègement de la pauvreté, ils expliquent que même s’il est vrai que certains efforts d’intégration de la conservation et du développement ont été réellement basés sur des suppositions irréalistes – dans le but d’aboutir à des solutions théoriques gagnants-gagnants, les deux objectifs ne sont pas pour autant toujours en conflit (Fisher et al., 2008). Les liens sont, certes, complexes mais la conservation de la diversité biologique peut contribuer à l’allègement de la pauvreté (Ibid.).
Etant donné que les pauvres des milieux ruraux dépendent essentiellement de la diversité biologique pour leurs moyens de subsistance, il va s’en dire que la protection et la conservation de celle-ci contribuera dans la pérennisation de leurs activités (Roe et al., 2011). Mais cela va bien entendu dépendre des actions de conservation entreprises puisque, en effet, les actions de conservation menées peuvent à l’inverse exclure l’accès aux ressources et empirer la pauvreté locale (Fisher et al, 2008). Aucune action de conservation ne pourrait donc rendre les pauvres moins pauvres si elle n’est pas élaborée pour atteindre cet objectif (Roe et al., 2011).
Par ailleurs, la réussite ou non de la contribution des mécanismes de conservation dans les objectifs d’allègement de la pauvreté va également dépendre du contexte ainsi que de certains déterminants, comme les institutions, les politiques menées ou la conjoncture socio-économique de la région entre autres (SCBD, 2010). Le MA annonce, entre autres, que même si des millions de personnes ont profité des actions de conservation des écosystèmes et des exploitations des ressources de la diversité biologique, les bénéfices n’ont jamais été équitablement ou également distribués dans certaines régions, les pauvres étant les plus grands perdants (Ibid.).
La dépendance des pauvres sur la diversité biologique
Outre la conviction de la communauté nationale et le lien spatial qui facilite la conciliation des objectifs de conservation de la diversité biologique et d’allègement de la pauvreté, la dépendance de la plupart des pauvres de la planète sur la diversité biologique et sur ses composants consolident la nécessité de joindre ces deux objectifs.
La diversité biologique, à la base du bien-être humain
La vie sur Terre dépend de la diversité biologique. Tout changement sur celle-ci pourrait avoir de sérieux impacts sur la santé, sur la nutrition et même sur l’économie de la société humaine. Les pauvres sont cependant parmi les plus vulnérables étant donné leur dépendance disproportionnée sur les ressources que leur procure la diversité biologique.
Bien-être
La diversité biologique joue un rôle important dans la réalisation du bien être humain. Pour mieux appréhender ce rôle, un survol sur la notion de « bien-être » et la réalisation de celui-ci pourrait être assez pertinent.
Par bien-être, on entend surtout « un état du corps bien ». Pour le MA (MA, 2005, figure A), il y a composantes, qui sont :
• Sécurité : Sécurité personnelle, Accès sûr aux ressources, Protection contre les catastrophes naturelles,
• Eléments de base pour bien vivre : Des moyens de subsistance adéquats, Alimentation nutritive et suffisante, Logement, Accès aux biens,
• Santé : Force, Se sentir bien, Accès à un air propre et à une eau salubre,
• Bonnes relations sociales : Cohésion sociale, Respect mutuel, Capacité d’aider les autres,
• Liberté de choix et d’action : possibilité de réaliser ce que l’on veut être et faire.
Cette explication du bien-être est celle qui est également adoptée par d’autres études dont entre autres celle du Secrétariat de la CDB (SCDB, 2009, p.9).
La diversité biologique, la pierre angulaire de la survie de l’Homme sur Terre
De la diversité biologique dépend toute vie sur terre. Elle ne pourvoie pas seulement des denrées alimentaires aux êtres humains et aux animaux de tout genre, elle est aussi à la base du bon fonctionnement des services offerts par les écosystèmes. La diversité biologique contribue, en outre, aux ressources financières d’un bon nombre de pays et constitue des sources de moyens de subsistance pour des millions de personnes.
• Diversité biologique, à la base du fonctionnement des écosystèmes
Le fonctionnement des écosystèmes dépend fondamentalement de la diversité biologique. Son appauvrissement susciterait l’altération des services offerts par les écosystèmes tout en rendant ceux-ci plus vulnérables aux changements et aux catastrophes naturels (Pirini, 2009).
Parmi tous les services rendus par les écosystèmes à l’Homme ainsi qu’à toutes les autres formes de vie sur terre, il y a, entre autres, la contribution des mangroves et des récifs coralliens dans le soutien des zones côtières les plus vulnérables contre l’érosion (DFID, 2001). Les forêts et les aires protégées, elles, jouent un rôle indispensable dans la régulation du climat, dans l’atténuation des cataclysmes naturels, dans la séquestration de carbone et dans la purification de l’air. Elles assurent aussi la conservation du sol, le stockage et la purification de l’eau ainsi que la décomposition des déchets et le cycle des nutriments.
Ces complexes écosystémiques abritent, par ailleurs, la plus grande partie des espèces de faune et de flore, et contribuent à leur développement.
• Diversité biologique, nutrition et santé
Mise à part ce que la diversité biologique offre à l’Homme par le biais des services écosystémiques, c’est encore de celle-ci qu’il tire une bonne partie de sa nutrition. Selon le MA, environ 7000 espèces de plantes et de nombreuses centaines d’espèces animales sont utilisées dans la consommation alimentaire de l’Homme (MA, 2005, p31).
Bien que l’Homme ait domestiqué la plupart de ces espèces pour satisfaire ses propres besoins, il reste, cependant, fondamental qu’il y ait toujours une diversité génétique suffisante au sein des espèces. Cela permet non seulement une plus forte résistance face aux changements climatiques et aux maladies mais en même temps cela limite la prolifération d’organismes nuisibles (SCDB, 2008). Durant la guerre civile au Rwanda par exemple, 60% de la production de haricots ont été perdus. Mais des études ont montré que la production était restée relativement stable : plus de 1300 espèces de haricots étaient toujours disponibles sur les marchés locaux. Ce qui n’est pas le cas de la culture des patates, celle-ci étant de plus en plus dominée par seulement 3 variétés, et demande même plus de soin et d’engrais, elle a disparu dès les premiers jours de la guerre (DFID, 2001, p4).
Comme la nutrition, la santé humaine est aussi étroitement liée à la diversité biologique, que cela soit par les cycles naturels des écosystèmes, par l’utilisation des composantes biologiques pour soigner des maladies ou même par les loisirs que peut procurer la nature assurant une bonne santé mentale à l’Homme. Les statistiques ont entre autres montré que plus de 75% de la population mondiale utilisent la médecine traditionnelle à base de plantes (SCDB, 2009) et environ la moitié des médicaments synthétisés dans les laboratoires sont d’origine naturelle (Ibid.)
Les recherches scientifiques révèlent, en outre, que plus la diversité biologique est importante dans une région, plus il y a résistance de l’Homme face aux maladies infectieuses et épidémiques (SCBD, 2008) et la vitesse de propagation des maladies y est moins lente (MA, 2005a). Le cas d’Haïti illustre bien ces affirmations. Il semble que depuis que le pays ait perdu 97% de son couvert forestier, le taux de mortalités des enfants de moins de 5 ans n’a cessé d’augmenter. Ceci est dû essentiellement à la réduction des services offerts par l’écosystème, rendant l’eau insalubre et causant ainsi l’infection de la population par des parasites intestinaux (SCDB, 2009).
En Indonésie, les habitants des environs du parc Ruteng sont beaucoup moins affectés par la malaria et la dysenterie que les villages voisins. Ils bénéficient en plus d’une eau beaucoup plus potable (Ibid.)
• Diversité biologique, sa contribution au développement économique
Toutes les économies mondiales sont aussi tributaires de la diversité biologique, soit par l’utilisation de ses composants, soit à travers les services rendus par les écosystèmes. Elle peut, en effet, non seulement fournir des moyens de subsistance pour les populations rurales mais également participer aux sources de revenu des pays, et ce de diverses manières.
Parmi les composants de la diversité biologique pouvant générer des revenus, il y a les produits forestiers ligneux et non-ligneux qui sont utilisés comme matières premières ou matériaux de construction, ou sont transformés puis commercialisés sur les marchés nationaux et internationaux. Aujourd’hui, près de 1,6 milliards d’individus dépendent de ces produits à titre de moyens de subsistance et d’emploi (SCDB, 2008 ; SCDB, 2009).
Les industries pharmaceutiques et de la cosmétologie utilisent également des composants de la diversité biologique en tant qu’inputs dans leur processus de production. 20% à 50% du chiffre d’affaires annuel de 650 milliards d’USD du secteur pharmaceutique sont estimés provenir des ressources génétiques (SCDB, 2009).
Certaines activités comme l’agriculture, la pêche et l’élevage dépendent aussi essentiellement de la diversité biologique. La diversité génétique au sein des espèces constitue, entre autres, des matériels d’adaptation face aux maladies, aux changements climatiques, ainsi qu’aux modifications de la salinité de la mer pour la pêche (SCDB, 2008). Les services écosystémiques comme la pollinisation, le cycle des nutriments ou encore l’approvisionnement en eau soutiennent l’agriculture. Les écosystèmes comme les récifs de corail, les mangroves, les estuaires, les monts marins et les zones humides sur le rivage constituent des zones de refuge, de reproduction, d’alevinage et d’alimentation pour la faune aquatique (SCDB, 2009). A l’échelle mondiale, l’agriculture emploie plus d’un milliard de personnes et la seule pêche directe regroupe environ 38 millions d’employés (Ibid.).
Le tourisme figure aujourd’hui parmi les secteurs économiques les plus dynamiques, générant en 2007, plus de 856 milliards de dollars à l’échelle mondial (Ibid.). Ce secteur dépend principalement de la diversité biologique que possède les pays ainsi que des écosystèmes existants tels que les forêts, les récifs de corail et autres. Les valeurs culturelles et d’aménité liées à ceux-ci peuvent également attirer de nombreux touristes. Bon nombre de pays, industrialisés ou en développement, tirent aujourd’hui du tourisme une part importante de leur revenu national. Au Rwanda par exemple, le tourisme lié aux parcs nationaux protégeant les gorilles des montagnes a rapporté plus de 42 millions de dollars US au pays en 2007 (Ibid.). Outre ces bénéfices économiques, le tourisme offre également des opportunités d’emploi pour les populations pauvres vivant à proximité des sites touristiques.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1 : LE LIEN ENTRE LA CONSERVATION DE LA DIVERSITE BIOLOGIQUE ET L’ALLEGEMENT DE LA PAUVRETE
CHAPITRE I. LA PLACE DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA PAUVRETE DANS L’HISTOIRE DE LA PENSEE ECONOMIQUE
I. 1. L’entrée de l’environnement dans l’HPE
Les biens environnementaux comme capital naturel
Les controverses sur les priorités économiques et la première perception de l’environnement sous l’angle de la diversité biologique
L’impérativité de concilier la conservation de la diversité biologique au développement
I. 2. La pauvreté et le développement durable
I. 2. 1. La pauvreté
I. 2. 2. Le développement durable
I. 3. Approches économiques de l’environnement
I. 3. 1. La soutenabilité faible : la parfaite substituabilité du capital naturel avec un autre capital
I. 3. 2. La soutenabilité forte : la spécificité du capital naturel
I. 3. 3. L’école de Londres : conciliation des deux approches de la soutenabilité
CHAPITRE II. LE LIEN ENTRE CONSERVATION DE LA DIVERSITE BIOLOGIQUE ET L’ALLEGEMENT DE LA PAUVRETE
II. 1. L’unanimité de la communauté internationale sur la nécessité de lier conservation de la diversité biologique et l’allègement de la pauvreté
II. 2. Un lien géographique qui facilite le lien entre conservation de la diversité biologique et allègement de la pauvreté
II. 3. Controverses sur la question de lier conservation de la diversité biologique et allègement de la pauvreté
II. 3. 1. Impossibilité de conserver la diversité biologique en poursuivant des objectifs d’allègement de la pauvreté
II. 3. 2. Impossibilité de conserver la diversité biologique sans tenir compte de l’allègement de la pauvreté
CHAPITRE III. LA DEPENDANCE DES PAUVRES SUR LA DIVERSITE BIOLOGIQUE
III. 1. La diversité biologique, à la base du bien-être humain
III. 1. 1. Bien-être
III. 1. 2. La diversité biologique, la pierre angulaire de la survie de l’Homme sur Terre
Diversité biologique, à la base du fonctionnement des écosystèmes
Diversité biologique, nutrition et santé
Diversité biologique, sa contribution au développement économique
III. 2. L’appauvrissement de la diversité biologique, une menace à la survie des pauvres
III. 2. 1. Les principales causes de l’effondrement de la diversité biologique
III. 2. 2. La vulnérabilité des pauvres face à l’appauvrissement de la diversité biologique
La dépendance des pauvres sur la diversité biologique pour la satisfaction de leurs besoins
L’incapacité des pauvres de faire recours à d’autres options
III. 2. 3. Les impacts de l’effondrement de la diversité biologique sur les pauvres
Insalubrité de l’eau
Perte de revenu
Sous-nutrition
Propagation de maladies
III. 3. Les composants de la diversité biologique dont les pauvres ont le plus besoin
III. 3. 1. Les pauvres ont davantage besoin de la disponibilité en quantité de certaines espèces
III. 3. 2. Les pauvres dépendent des ressources de la diversité biologique ayant des valeurs relativement faibles
CONCLUSION
PARTIE 2 : LES MECANISMES DE CONSERVATION DE LA DIVERSITE BIOLOGIQUE ET LEUR CONTRIBUTION DANS L’ALLEGEMENT DE LA PAUVRETE
CHAPITRE I. LES MECANISMES DE CONSERVATION DE LA DIVERSITE BIOLOGIQUE
I. 1. Les différentes approches de conservation de la diversité biologique et leurs impacts sur les moyens de subsistance
I. 1. 1. L’approche « no linkage » de la conservation de la diversité biologique
I. 1. 2. L’approche « indirect linkage » de la conservation de la diversité biologique
I. 1. 3. L’approche « direct linkage » de la conservation de la diversité biologique
I. 2. Les pratiques de conservation contribuant directement aux moyens de subsistance
I. 2. 1. Les Produits Forestiers Non Ligneux (PFNL)
I. 2. 2. Les produits ligneux
I. 2. 3. Les paiements pour les services environnementaux
I. 2. 4. Tourisme environnemental
I. 2. 5. Protection des habitats de la faune marine
I. 2. 6. Les aires protégées
I. 3. Les stratégies de conservation de la diversité biologique favorisant les pauvres
I. 3. 1. Pro-poor conservation
Community-based conservation ou conservation basée sur la communauté
Integrated conservation and development projects ou les projets de conservation et de développement intégrés
Paiements directs
Aires protégées traditionnelles
I. 3. 2. Ecosystem approach ou l’approche par l’écosystème
I. 3. 3. Rights-based approach conservation
CHAPITRE II. LA PRATIQUE DE LA CONSERVATION DE LA DIVERSITE BIOLOGIQUE DANS LES PED
II.1. Les critères utilisés pour comparer les stratégies de conservation
II.2. La conservation pro-pauvre de la diversité biologique au Kenya
II. 2. 1. Contexte et stratégies de conservation pro-pauvre de la diversité biologique propres au Kenya
Ancrage de la tradition dans la conservation de la diversité biologique kenyane
Prédominance de la gestion participative dans les projets de conservation
Poursuite d’un partage équitable des avantages issus de la diversité biologique
Sensibilisation des communautés sur l’importance de conserver la diversité biologique
Faiblesse des dispositions foncières kenyanes
Conservation de la diversité biologique pour promouvoir le tourisme
II. 2. 2. Le parc national d’Amboseli, un paradigme dans la conciliation des efforts de conservation et des moyens de subsistance de la communauté locale
II. 3. La conservation pro-pauvre de la diversité biologique au Niger
II. 3. 1. Contexte et stratégies de conservation pro-pauvre de la diversité biologique propres au Niger
Prédominance des droits coutumiers dans la gestion des terres et des ressources naturelles
La place centrale de l’Etat dans le système foncier nigérien
Système de gestion hérité de la colonisation
L’approche de la gestion des terroirs
Un cas d’approche de gestion des terroirs
II. 3. 2. Un cas réussi de conservation pro-pauvre menée au Niger : la réserve naturelle nationale d’Air-Tenere et l’« Air-Tenere Conservation and Management of Natural Resources Project »
II. 4. Conservation pro-pauvre de la diversité biologique à Madagascar
II. 4. 1. Contexte et stratégies de conservation pro-pauvre de la diversité biologique propres à Madagascar
L’approche Transfert de gestion de la diversité biologique à Madagascar
La valorisation de la diversité biologique dans la politique malgache sur l’environnement
Le droit coutumier malgache sur les terres
Le tavy, la cause principale de la déforestation à Madagascar
Le dysfonctionnement administratif entravant la conservation efficace de la diversité biologique
L’instabilité politique du pays favorisant l’exploitation illicite de la diversité biologique
II. 4. 2. Une référence dans la conservation pro-pauvre malgache, la réserve spéciale de Beza Mahafaly
CHAPITRE III. COMPARAISON DES STRATEGIES DE CONSERVATION PRO-PAUVRE DES CAS ILLUSTRATIFS
III. 1. Points forts de la conservation pro-pauvre de la diversité biologique
III. 1. 1. Prévalence et efficacité des traditions dans la conservation des composants de la diversité biologique
III. 1. 2. Propension pour une gestion participative de la diversité biologique
III. 1. 3. Prise en compte du profit des pauvres dans les projets de conservation de la diversité biologique
III. 2. Les difficultés rencontrées et que peuvent rencontrer la conservation pro-pauvre de la diversité biologique dans les pays pauvres
III. 2. 1. Instabilité politique et dysfonctionnement administratif entravant les actions de conservation
III. 2. 2. Politiques et législations en défaveur des pauvres
III. 2. 3. Résistance des Etats à déléguer la gestion de la conservation de la diversité biologique
III. 2. 4. Une dichotomie institutionnelle dans la gestion de la diversité biologique
III. 2. 5. Planification des projets dans des cadres conventionnels établis par des non-locaux
III. 2. 6. Incertitude dans la pérennité du financement des aires protégées
III. 2. 7. Négligence des impacts à long terme des projets
III. 3. Pistes d’options pour assurer une meilleure conservation pro-pauvre de la diversité biologique
III. 3. 1. Conscientiser les populations locales sur l’importance de la conservation de la diversité biologique pour favoriser leur implication
III. 3. 2. Assurer le profit des pauvres par l’amélioration des institutions
III. 3. 3. Voir la coexistence de la tradition et de la modernisation comme un avantage
III. 3. 4. Tenir compte de la spécificité de chaque cas
III. 3. 5. Privilégier l’implication des populations dans les actions de conservation pro-pauvre de la diversité biologique
III. 3. 6. Inverser la planification des projets de conservation et d’allègement de la pauvreté
III. 3. 7. Trouver des sources de financements stables
III. 3. 8. Assurer le suivi à long terme des activités de conservation et de développement intégrés une fois le projet terminé
III. 3. 9. Résoudre les problèmes à la source
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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