Les notions de mathรฉmatiques et de cosmologie ont depuis longtemps alimentรฉ lโeffort du gรฉnie spรฉculatif humain. De Platon ร Galilรฉe, en passant par Aristote, les mathรฉmatiques nโont pas toujours jouรฉ le mรชme rรดle dans la prise en charge du rรฉel. En effet, Galilรฉe est connu par sa grande lutte pour la promotion du nouveau systรจme du monde dรฉfendu par Nicolas Copernic. Son nom nous rappelle inรฉvitablement la rรฉvolution qui a secouรฉ tout le dix-septiรจme siรจcle. Cette rรฉvolution est lโune des plus ยซ importantes depuis lโinvention du cosmos par les grecs ยป. Elle se caractรฉrise par une ยซ profonde mutation ยป, un grand bouleversement dans la maniรจre de penser.
Il sโagit de remettre en cause la mentalitรฉ issue de la doctrine dโAristote ; celle dโun monde fini et bien structurรฉ : le cosmos. Cela revient ร รฉliminer du coup toutes les considรฉrations apparentรฉes ร cette idรฉe. Lโidรฉe aristotรฉlicienne dโun monde hiรฉrarchiquement structurรฉ oรน les รชtres sont diffรฉrenciรฉs qualitativement est battue en brรจche. Elle cรจde la place ร celle dโun monde ร structure homogรจne oรน toutes les choses appartiennent au mรชme niveau dโรชtre. Galilรฉe, comme beaucoup de savant de ce siรจcle, a trรจs tรดt compris que tant quโon reste sous lโautoritรฉ dโAristote, on ne peut pas dรฉvelopper une science vรฉritable. Car lโexpรฉrience brute et lโobservation du sens commun ne permettent pas de percer le secret de la nature. Cette entreprise est vaine et est vouรฉe ร lโรฉchec puisquโelle nous dรฉtourne de lโessence des phรฉnomรจnes. La physique ร elle seule ne suffit pas ร rendre compte des phรฉnomรจnes de la nature du fait quโelle se limite ร lโรฉtude qualitative de celle-ci. Une nouvelle mรฉthode sโimposait alors ; celle qui consiste ร intรฉgrer les mathรฉmatiques dans lโanalyse ou lโรฉtude de la nature. Cette rรฉforme ou rรฉรฉducation des cervelles conduit nรฉcessairement ร la ยซ gรฉomรฉtrisation de lโespace et ร la dissolution du cosmos ยป aristotรฉlicien. Ceci a permis ร Galilรฉe et aux autres savants du dix septiรจme siรจcle dโinvoquer et de ressusciter Platon contre Aristote. En dโautres termes, il ne sโagit pas de considรฉrer comme le faisait Aristote que les mathรฉmatiques nโont pas ร intervenir dans lโรฉtude des phรฉnomรจnes naturels ; et donc de rรฉserver ce domaine ร la physique et ร la mรฉtaphysique.
LES MATHEMATIQUES DE PLATON A ARISTOTE
Etudier les rapports des mathรฉmatiques et de la cosmologie chez des auteurs comme Platon et Aristote, cโest montrer quโelles nโont pas le mรชme sens chez les deux auteurs. Si Platon accorde aux mathรฉmatiques une importance capitale dans leur rapport au rรฉel, Aristote nโen voit quโun exercice destinรฉ ร augmenter les capacitรฉs dโimagination de lโhomme. Pour lui la physique nโa pas besoin des mathรฉmatiques.
Les mathรฉmatiques chez Platon
Lโexigence de scientificitรฉ telle quelle apparaรฎt dans toute lโลuvre de Platon est liรฉe ร un idรฉal philosophique : passer du monde des sens ร celui des idรฉes pour donner sens ร lโexistence humaine. Platon met ร la prise deux mondes radicalement distincts : le monde Intelligible ou monde des Idรฉes et le monde Sensible ou monde des choses. Le monde Intelligible est un monde stable, parfait et รฉternel. Comme tel, il รฉchappe au devenir parce quโil nโest pas soumis aux lois du mouvement. Quant au monde Sensible, Platon le caractรฉrise par son instabilitรฉ parce que cโest celui que nous livrent les sens. Ces derniers nous dit Platon, sont porteurs dโillusions. Si tel est le cas, cโest parce que ce monde est mouvant. Or de ce qui est en mouvement il est impossible dโavoir une connaissance stable. Cโest ce mouvement qui fait que les choses ne sont pas elles mรชme, cโest-ร -dire ne reste pas identiques. Selon Platon, le monde des choses ne peut รชtre parfait parce quโil est le siรจge de la matiรจre. Cette matiรจre, cโest un composรฉ susceptible de dรฉcomposition. Elle est donc le lieu de la gรฉnรฉration et de la corruption.
Le monde Intelligible sโoppose ainsi ร celui des choses. Cela signifie quโon ne peut pas, en se limitant strictement aux Idรฉes rendre compte des choses sensibles ; on ne peut pas non plus partant des choses expliquer les Idรฉes. Les deux mondes sont incommensurables. Cโest en cherchant ร rรฉpondre ร la question comment le monde Intelligible peut-il correspondre au monde des choses alors quโun gouffre les sรฉpare que Platon รฉlabore la thรฉorie des Idรฉes et installe une dichotomie entre lโIdรฉe et le sensible. Dans un premier aspect de sa rรฉponse, Platon รฉvoque la participation. Pour lui en effet, les Idรฉes participent entre elles et les choses participent aux Idรฉes. Les choses sont reflรฉtรฉes par les Idรฉes dont elles sont les images. Cela revient ร dire que les choses sont infรฉrieures parce quโelles sont de pรขles reflets de Idรฉes. LโIntelligible et le Sensible ne sont donc pas du mรชme ordre. Il y a une diffรฉrence de nature entre les รชtres du monde des Idรฉes et ceux du Sensible.
Les premiers relรจvent de lโimmatรฉriel, de lโintelligible. Ainsi, ils sont inaltรฉrables, stables et รฉternels. Les seconds par contre sont matรฉriels et destructibles. Si les choses ne parviennent pas ร exprimer les rรฉalitรฉs auxquelles elles participent, cโest que leur matiรจre est inapte ร reproduire convenablement les essences. Rappelons que lorsque Platon รฉlabore sa doctrine des Idรฉes, il รฉtait animรฉ du souci de rigueur et de stabilitรฉ. Si le monde est en mouvement continu, si les choses ne cessent de devenir autre chose quโelles-mรชmes, alors comment la connaissance est-elle possible ? Autrement dit comment peut-on obtenir une connaissance vraie dรจs lors quโelle sโapplique ร des choses qui deviennent au fur et ร mesure ? Pour Platon, il ne faut pas se limiter ร lโรฉtude du mouvement et son caractรจre changeant en en faisant la seule rรฉalitรฉ. Il faut plutรดt chercher ร dรฉcouvrir derriรจre la multiplicitรฉ des choses une unitรฉ ร partir de laquelle cette multiplicitรฉ trouve sa raison dโรชtre. Platon ne peut pas se satisfaire de lโapparence. La garantie dโune science รฉtant sa stabilitรฉ, elle doit รชtre hors dโatteinte des alรฉas du climat et des humeurs. Platon rรฉsume la thรจse du mouvement comme devenir perpรฉtuel telle que le professait Hรฉraclite et lโaporie รฉlรฉatique qui contrairement ร la thรจse dโHรฉraclite, postulait lโimpossibilitรฉ du mouvement parce lโรtre est et le non รชtre nโest pas . La thรฉorie de Platon est donc une synthรจse des deux thรจses dโHรฉraclite et de Parmรฉnide. Par rapport ร lโaporie รฉlรฉatique, il commet un parricide. Pour lui le non รชtre est, lโรtre nโest pas. Ce parricide permet ร Platon de combattre une attitude sophistique qui consistait ร dire que puisque, comme le dit Parmรฉnide, le non รชtre nโest pas et que, ce qui nโest pas est indicible, innommable, alors tout pouvoir est accordรฉ au langage humain. De sorte que tout discours รฉnoncรฉ par un tiers sโavรจre vrai dรจs lโinstant que celui qui le tient le considรจre comme tel.
Protagoras ne disait-il pas que ยซ lโhomme est la mesure de toute choses ยป ? Que signifie au fond la thรจse de lโhomme mesure ? Cela signifie que les choses sont pour nous telles quโelles nous paraissent. Ainsi lโimage de Thรฉรฉtรจte lโon aboutit ร lโidรฉe selon laquelle la science est la sensation. Le reproche que Platon fait aux sophistes peut se rรฉsumer en ces termes : sโil est vrai que le discours dit lโรtre dans sa plรฉnitude, si tout le discours est vrai, si la science est la sensation, lโenseignement et lโรฉducation deviennent absurdes et inutiles. Autrement dit avant quโon ne livre un savoir ou un enseignement quelconque ร quelquโun, il a dรฉjร dรฉcouvert la vรฉritรฉ qui, en tant que rรฉsultat de sa propre sensation, peut diffรฉrer du savoir ร livrer. Ce que veut montrer Platon, cโest que cette argumentation ne tient pas parce quโil y a des discours faux. Il y a des discours qui ne visent pas lโessence. Ces discours sont ร รฉcarter car ils nous dรฉtournent du vrai. Il est aussi contre lโidรฉe du mouvement comme devenir perpรฉtuel postulรฉe par Hรฉraclite. Si le rรฉel doit รชtre constamment en mouvement, la connaissance que nous en avons serait instable. Ce qui, pour lui, est inadmissible.
En essayant de concilier Hรฉraclite et Parmรฉnide, Platon รฉtablit les conditions de la pensรฉe juste. Il sโagit dโรฉtablir un moyen dโexpliquer lโintelligible ร partir des choses sensibles. Que les choses participent aux idรฉes, pourrait signifier que ses derniรจres sont leurs modรจles. Ce qui revient ร dire que les choses sont de pรขles reflets des idรฉes. Elles sont donc des copies, des images quโelles imitent. Or nous dit Platon, lโimitation nโรฉgale jamais le rรฉel. A beau imiter le rรฉel intelligible, le sensible ne permet pas de lโatteindre.
Cependant, il y a un moyen de trouver le chemin qui mรจne aux idรฉes en รฉtudiant les choses sensibles. En dโautres termes il y a des rรฉalitรฉs non sensibles mais qui sโappliquent aux objets du monde visible et qui permettent de se faire une idรฉe claire de lโintelligible. Aux yeux de Platon, mรชme si les choses particuliรจres du fait de leur sensibilitรฉ, ne peuvent se perpรฉtuer, il nโen demeure pas moins quโil y a quelque chose de stable en elles. Ce quโon peut retenir du sensible, cโest le nombre qui le mesure. Ce qui revient ร poser la question du rรดle et de la place des mathรฉmatiques dans le systรจme platonicien. En dโautres termes oรน placer les mathรฉmatiques dรจs lors quโentre lโIntelligible le monde des sens il y a un abรฎme ?
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE LES MATHEMATIQUES CHEZ PLATON ET ARISTOTE
A- Les mathรฉmatiques chez Platon
B- La critique aristotรฉlicienne : รฉloge du sensible ?
DEUXIEME PARTIE PLATON RESSUCITE
A- La rรฉvolution mathรฉmatique du XVIIe siรจcle
B- Le platonisme de Galilรฉe
TROISIEME PARTIE DES MATHEMATIQUES A LA COSMOLOGIE : LE GENIE DE GALILEE
A- Une nouvelle vision du monde
B- Lโรฉtude du mouvement
a) Le principe de la relativitรฉ : un argument en faveur du mouvement de la terre
b) Lโรฉtude de la chute des corps : le mouvement est soumis ร la loi du nombre
QUATRIEME PARTIE LA NOUVELLE METHODE SCIENTIFIQUE DE GALILEE
A- La naissance de la physique mathรฉmatique
B- La thรฉorie et lโexpรฉrience : la raison prรฉcรจde t-elle- le fait ?
C- La lunette et ses dรฉcouvertes : la technique au cลur de la science
CONCLUSION