Les matériaux énergétiques (EMs)
Bref historique sur les matériaux énergétiques
Les matériaux énergétiques ont une très longue histoire mais sont assez souvent mal connus. La dénomination matériaux énergétiques date d’une vingtaine d’années et remplace l’ancienne appellation « poudres, explosifs et propergols solides à usages civil et militaire ». Il est admis que les chinois ont inventé la poudre noire au 1er siècle avant J.C. Ce matériau se présente sous forme de particules fines de faible granulométrie et est utilisé comme agent propulsif de fusées d’artifice. Sa formulation consiste en l’ajout de 75% de salpêtre à 12,5% de soufre et à 12,5% de charbon de bois.
Du 19ème siècle au milieu du 20ème, l’essor de la chimie conduit à la synthèse de nouvelles substances. Pour les EMs, les découvertes sont souvent basées sur la réaction de nitration. La nitration de la glycérine faite par Sorberot en 1847 permet l’obtention de la nitroglycérine (NG). La gélatinisation de la nitrocellulose par Paul Vieille permettait d’obtenir des poudres dite « sans fumée », à simple base ou poudre B. À la même époque, Alfred Nobel réalisa lui aussi la gélatinisation de la nitrocellulose par un plastifiant et a obtenu une poudre à double base sans solvant dite poudre SD. Des poudres simple, double ou triple base existent de nos jours. On désigne par « base » les principaux constituants chimiques des poudres (GFC 2004):
– simple base : contient essentiellement une base énergétique : la nitrocellulose
– double base : contient essentiellement deux bases énergétiques : la nitrocellulose + plastifiant (énergétique ou non) tel que la NG (pour gélatiniser la formulation)
– triple base : contient essentiellement trois bases énergétiques nitrocellulose + plastifiant (énergétique ou non) + charge énergétique comme la nitroguanidine (apport énergétique supplémentaire)
La gélatinisation consiste à transformer la nitrocellulose fibreuse en un matériau dense et non poreux ayant l’aspect de la celluloïde et pouvant prendre une géométrie parfaitement définie pour maîtriser la combustion. Les poudres B et SD sont encore utilisées de nos jours.
En 1884, Alfred Nobel a fait absorber de la NG par de la terre infusoire. Cette technique est dite de « flegmatisation » et permet de rendre la NG beaucoup moins sensible aux agressions mécaniques. Cette NG flegmatisée est connue sous le nom de dynamite et est utilisée comme explosif de carrière. La période précédant la première guerre mondiale a vu la naissance des explosifs modernes tels que le TNT (nitration du toluène) et l’acide picrique (dont la matière première est facile d’accès à partir de la distillation de la houille). Ce dernier explosif a été l’explosif français le plus utilisé lors de la première guerre mondiale. Quelques années plus tard, la famille des nitramines a fait son apparition avec notamment l’hexogène (RDX) et l’octogène (HMX). À la fin de la seconde guerre mondiale, pendant la guerre froide, la propulsion par moteur fusées à propergols solides a connu un essor considérable. Le propergol est consitué d’un ou plusieurs ergols, séparés ou réunis, apte à fournir l’énergie nécessaire à la propulsion (GFC 2004). Les propergols composites, la classe de propergols la plus utilisée de nos jours, ont alors vu le jour. Ceux-ci consistent en un mélange intime d’un liant plastique souvent combustible et de charges solides pulvérulentes. Ils sont particulièrement employés dans les moteurs des missiles tactiques et stratégiques. L’après-guerre froide a ensuite apporté son lot de nouvelles exigences. Non seulement la performance était toujours recherchée, mais il était aussi important d’accentuer la protection contre des effets indésirables des EMs. Les agressions redoutées sont par exemple la chute, l’échauffement par incendie, l’impact par balles ou la détonation par influence. Cette préoccupation a conduit la France au concept MURAT (MUnitions à Risques ATténués). Ainsi la synthèse de nouveaux EMs peu sensibles tels que le Triamino-Trinitro-Benzène (TATB) ou l’Hexanitro-Hexaza-Isowurtzitane (CL-20).
Définitions et généralités
Par définition, un matériau énergétique est un produit qui, sous l’effet de sollicitations diverses, est susceptible de se décomposer brutalement avec un dégagement important de gaz à température élevée. Les matériaux énergétiques sont des matériaux, le plus souvent solides, basés sur des molécules ou des formulations dont l’enthalpie de formation est aussi élevée que possible. De ce fait, ces matériaux sont capables de restituer à la demande et de façon maîtrisée, l’énergie chimique emmagasinée dans les édifices moléculaires qui les composent.
La restitution d’énergie se produit grâce à différents mécanismes tels que l’oxydoréduction intramoléculaire, l’oxydoréduction entre molécules voisines ou par décomposition rapide avec production d’un grand volume de gaz. Les produits de décomposition sont des molécules simples, légères et très stables avec une enthalpie de formation très négative, permettant de récupérer un maximum d’énergie stockée dans le matériau. La restitution de l’énergie peut avoir lieu grâce à différents mécanismes de combustion tels que la déflagration ou la détonation qui se distinguent d’après la vitesse de propagation de la zone en combustion. La déflagration est un mode de propagation autonome subsonique de la réaction dans un milieu combustible grâce à son couplage avec les mécanismes de transport de chaleur et de matière. Tandis que la détonation est une propagation plus ou moins autonome d’une zone de combustion couplée à un complexe d’ondes de choc qui la précède, se faisant avec une vitesse supérieure à la célérité du son par rapport au milieu réactif (GFC 2004). Les EMs sont généralement solides mais il est possible de les trouver sous forme liquide, gélifiée ou pulvérulente. Un EM ne nécessite pas l’apport d’oxygène externe puisque qu’il contient les molécules ou groupements nécessaires. Ils sont donc utilisés dans les zones dépourvues d’oxygène (espace) ou dans le cas où une grande puissance est nécessaire pour obtenir des effets mécaniques intenses. Les EMs trouvent des applications dans différents domaines comme :
– la défense : têtes militaires et charges explosives, poudres pour armes à tubes, etc
– le génie civil : propulsions tactique, stratégique et spatiale
– l’automobile : générateur de gaz (airbags)
Ces matériaux ont des propriétés spécifiques liées à leur formulation.
Formulation des matériaux énergétiques
Un EM doit être capable de se décomposer sans apport d’oxygène extérieur. Il est souvent le mélange d’un oxydant et d’un réducteur. Mais il est plus intéressant d’avoir l’oxydant et le réducteur présents sur la même molécule pour rendre la décomposition plus aisée : la chaîne carbonée fait office de réducteur et les groupements spécifiques tels que NO2 ou NO3 ont le rôle d’oxydant. La tendance actuelle est de remplacer les atomes de carbone par des atomes d’azote dans le but d’augmenter l’énergie contenue dans la molécule. Ainsi que précisé précédemment, la performance n’est pas la seule propriété recherchée, la sûreté d’emploi est aussi un paramètre fondamental. Ainsi, les explosifs sont souvent des molécules aromatiques, ou tout du moins conjuguées, ce qui permet d’obtenir la stabilité souhaitée. L’ajout de groupements amines peut aussi augmenter cette stabilité, le TATB contenant trois de ces groupements est l’explosif le plus stable thermiquement. De plus, les cycles triazoles ou tétrazoles, eux aussi conjugués, augmentent considérablement la stabilité. Selon les applications désirées, la formulation sera différente, ce qui permet d’obtenir des composés que l’on peut classer en différentes familles.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE I : MATÉRIAUX ÉNERGÉTIQUES ET SENSIBILITÉS
1. Les matériaux énergétiques (EMs)
1.1. Bref historique sur les matériaux énergétiques
1.2. Définitions et généralités
1.3. Formulation des matériaux énergétiques
1.4. Familles de composés
1.4.1. Explosifs
1.4.2. Propergols
1.4.3. Poudres
1.4.4. Compositions pyrotechniques
1.5. Informations sur les EMs
1.5.1. Notion de points chauds
1.5.2. Défauts structuraux
1.5.3. Paramètres rhéologiques et thermodynamiques
1.5.4. Liaison explosophore
1.5.5. Balance en oxygène
2. Les sensibilités des matériaux énergétiques
2.1. Généralités
2.2. Détermination expérimentale des sensibilités
2.2.1. De la sensibilité à l’impact
2.2.2. De la sensibilité à une onde de choc
2.2.3. De la sensibilité à l’énergie électrostatique
2.2.4. De la sensibilité au stress thermique
2.2.5. De la sensibilité à la friction
CHAPITRE II : ESTIMATION DE LA SENSIBILITÉ
1. Objectifs et démarche
2. Travaux antérieurs
2.1. Sensibilité à l’impact
2.1.1. Méthodes simples basées sur la formule brute et des paramètres liés à la structure moléculaire
2.1.2. Méthodes basées sur l’énergie de dissociation de la plus faible liaison
2.1.3. Méthodes basées sur le potentiel électrostatique
2.1.4. Méthodes QSAR/QSPR et réseaux de neurones
2.1.5. Méthodes basées sur la structure cristalline
2.1.6. Méthodes basées sur le taux de transfert d’énergie
2.1.7. Méthodes basées sur des propriétés électroniques
2.1.8. Modèles physico-chimiques
2.2. Sensibilité à une onde de choc
2.2.1. Méthodes basées sur la composition élémentaire et les paramètres de la structure moléculaire
2.2.2. Méthodes basées sur l’énergie de dissociation de la plus faible liaison
2.2.3. Méthodes basées sur la structure cristalline
2.2.4. Méthodes basées sur le taux de transfert d’énergie
2.2.5. Méthodes basées sur l’énergie de résonance et les réactions homodesmiques et isodesmiques
2.2.6. Méthodes basées sur des modèles physico-chimiques
2.3. Sensibilité à une décharge électrostatique
2.3.1. Méthodes basées sur les propriétés thermodynamiques
2.3.2. Méthodes basées sur la composition élémentaire et les paramètres de la structure moléculaire.
2.3.3. Méthodes basées sur les propriétés électroniques
2.3.4. Méthodes QSAR/QSPR et algorithmes génétiques
2.4. Sensibilité au stress thermique et stabilité thermique
2.4.1. Méthodes basées sur l’énergie de dissociation de la plus faible liaison
2.4.2. Méthodes basées sur la composition élémentaire et les paramètres de la structure moléculaire
2.4.3. Méthodes QSAR/QSPR et algorithmes mathématiques
2.5. Sensibilité à la friction
3. Analyse critique et conclusions
4. Méthodes de calculs des propriétés susceptibles d’être mises en œuvre dans des
corrélations
4.1. Méthodes semi-empiriques
4.1.1. La chimie quantique
4.1.1.1. Fondement de la chimie quantique et approximations
4.1.1.2. Méthodes pour la résolution de l’équation de Schrödinger
4.1.1.3. Choix de la méthode DFT-B3LYP/6-31G(d,p) pour l’étude des EMs
4.1.2. Mise en œuvre : logiciel Gaussian
4.1.2.1. Présentation du logiciel Gaussian
4.1.2.2. La thermodynamique dans Gaussian
4.1.2.3. Création et optimisation de la géométrie d’une molécule
4.1.2.4. Calcul des enthalpies de formation et de décomposition
4.1.2.5. Calcul des propriétés liées aux potentiels électrostatiques
4.1.2.6. Calcul des enthalpies de changement d’états
4.1.2.7. Calcul des enthalpies de formation en phase condensée
4.1.2.8. Calcul de grandeurs thermodynamiques dépendant de la température
4.2. Estimation de propriétés physico-chimiques par la méthode de Gani et al
5. Etablissement de corrélations pour estimer la sensibilité des matériaux énergétiques soumis à divers stimuli
5.1. Sensibilité à l’impact
5.1.1. Création des sets de base et de validation
5.1.2. Etablissement d’une corrélation générale
5.1.2.1. Établissement de la corrélation
5.1.2.2. Validation de la corrélation
5.1.3. Etablissement de corrélations par zones de sensibilités
5.1.3.1. Corrélations pour les composés « sensibles » (Z1, Z2 et Z3) et « insensibles» (Z4)
5.1.3.2. Corrélations pour chaque zone de sensibilité
5.1.4. Utilisation des corrélations à l’impact pour la prévision des h50%
5.2. Sensibilité à une onde de choc
5.2.1. Création des sets de base et de validation
5.2.2. Etablissement des corrélations
5.3. Sensibilité à une décharge électrostatique
5.3.1. Création des sets de base et de validation
5.3.2. Etablissement des corrélations
5.4. Sensibilité au stress thermique
5.4.1. Création des sets de base et de validation
5.4.2. Etablissement des corrélations
5.5. Sensibilité à la friction
5.5.1. Création des sets de base et de validation
5.5.2. Etablissement des corrélations
6. Discussion
6.1. Observations sur les résultats
6.2. Incertitudes sur les données expérimentales
6.3. Incertitudes sur les méthodes de calculs
6.3.1. Incertitudes inhérentes aux méthodes semi-empiriques
6.3.2. Incertitudes inhérentes aux méthodes d’additivité de groupements
CHAPITRE III : MÉCANISMES DE DÉCOMPOSITION ET LIEN AVEC LA SENSIBILITÉ
1. Objectifs et démarches
2. CHEMKIN-Pro
2.1. Les données thermodynamiques
2.1.1. Principe
2.1.2. Calcul des données thermodynamique au format NASA-Chemkin
2.2. Le mécanisme cinétique
2.2.1. Principe
2.2.2. Estimation des constantes de vitesses
3. Recherche et création de mécanismes cinétiques détaillés
3.1. Mécanismes disponibles dans la littérature
3.2. Créations de nouveaux mécanismes
3.2.1. NG (Nitroglycérine ou Trinitrate de glycérol)
3.2.2. PETN (Tétranitrate de pentaérythritol)
3.2.3. FOX-7 (DADNE ou 1,1-diamino-2,2-dinitroéthène)
3.2.4. NTO (3-nitro-1,2,4-triazole-5-one) –
3.2.5. CL-20 (HNIW ou Hexanitrohexaazaisowurtzitane)
3.2.6. TNAZ (1,3,3-trinitroazetidine)
4. Validation des mécanismes cinétiques détaillés (TNAZ, RDX, HMX, TNT, NG, PETN, NTO, CL-20)
4.1. Étude de Zhang et Bauer du TNAZ
4.2. Étude de Brill et al
4.2.1. le RDX et le HMX
4.2.2. le TNT
4.2.3. la NG
4.2.4. le PETN
4.2.5. le NTO
4.2.6. le CL-20
5. Lien entre sensibilité à l’impact et délais d’auto-inflammation
CONCLUSION
Mots clés : Matériaux énergétiques – Sensibilité – Simulation numérique – Chimie quantique – Cinétique chimique – Thermodynamique
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