Les matériaux cimentaires et leur application à la gestion des déchets radioactifs

Cette thèse s’inscrit dans le cadre du traitement des déchets nucléaires, en particulier des gaines des assemblages de combustibles de la filière UNGG (Uranium Naturel Graphite Gaz). Les premiers réacteurs nucléaires UNGG français ont été construits sur le site du CEA de Marcoule à partir de 1954. Leur fonctionnement repose sur l’utilisation de l’uranium naturel métallique comme élément combustible, du graphite comme modérateur de neutrons et du dioxyde de carbone comme caloporteur (transport de la chaleur vers les turbines et pour la production d’électricité). Cette filière a été progressivement abandonnée et les réacteurs de ce type sont actuellement tous à l’arrêt. Le retraitement des assemblages combustibles provenant de ces réacteurs a généré un volume important de déchets. Ces assemblages sont constitués d’un barreau d’uranium métallique gainé par un alliage de magnésium Mg-Zr et muni de deux bouchons aux extrémités, fabriqués en alliage de Mg-Mn. Cet ensemble est positionné dans des chemises tubulaires en graphite .

Les déchets magnésiens, qui dans certains cas sont accompagnés de graphite, sont actuellement entreposés dans des fosses. La gestion de ces déchets implique leur immobilisation dans des liants hydrauliques contenus dans des conteneurs métalliques. Le choix des matrices pour l’immobilisation de ces déchets dans des conteneurs appropriés doit prendre en compte la forte réactivité de ces alliages et en particulier le couplage galvanique possible vis-à-vis de nombreux matériaux [4]. Il faut également garantir certaines exigences de sûreté (e.g. dégagement de H2 généré par la corrosion), en plus d’une stabilité dimensionnelle et de la durabilité du colis. Pour atteindre ces exigences, deux concepts d’immobilisation sont actuellement étudiés conformément aux spécificités des entreposages de déchets. Le premier type de déchet est composé principalement d’alliage Mg-Zr, partiellement recouvert d’une « peinture » au graphite (Aquadag). La gestion de ces déchets prévoit leur immobilisation dans un mortier de géopolymère contenant du NaF (inhibiteur de corrosion du magnésium), dans un conteneur métallique en acier. Cette conception s’est avérée prometteuse, atteignant une faible vitesse de corrosion des alliages Mg-Zr traduite par un faible dégagement de H2 produit en présence des ions fluorures [5], [6]. Le deuxième déchet est composé principalement de graphite (>90% en masse) et des alliages de Mg-Zr et Mg-Mn. Dans ce cas, la stratégie d’immobilisation envisagée implique l’utilisation d’un mortier de laitier activé à la soude. Ce concept a permis d’obtenir, lors d’études précédentes, un faible dégagement de H2 de corrosion lors du couplage galvanique entre Mg-Mn et le graphite, ainsi qu’une faible épaisseur de produits de corrosion formée à l’interface Mg-Mn/matrice cimentaire [7], [8]. Tous ces résultats, notamment ceux liés à la production d’hydrogène, ont contribué à ce que ces deux liants soient considérés comme les plus appropriés comme matrice d’enrobage des déchets magnésiens. Néanmoins, les mécanismes électrochimiques responsables de cette corrosion plus faible doivent être identifiés, dans ces deux scénarios de référence, par opposition à des matrices cimentaires plus classiques. Les liants hydrauliques fournissent une protection physique et chimique aux déchets nucléaires. Ils agissent comme une barrière physique qui minimise le contact entre les alliages et l’environnement externe. L’interaction matrice/déchet provient des réactions chimiques et/ou électrochimiques avec la solution interstitielle de la matrice cimentaire. Le pH élevé de cette solution, combiné à la présence de certains ions, peut dans certaines conditions limiter la corrosion du magnésium et par conséquent réduire le dégagement d’hydrogène.

Une méthode couramment utilisée pour l’étude de la corrosion en milieu cimentaire consiste à effectuer des tests de corrosion directement dans la solution porale extraite de la pâte de ciment ou dans des solutions représentatives de la solution interstitielle [9]–[11]. La préférence pour les études en solutions réside dans la facilité de leur mise en œuvre, a contrario des études menées dans les matrices cimentaires. Un inconvénient de ce système est que la résistivité du liant ne peut être prise en compte par les solutions. Ainsi, pour aboutir à une compréhension satisfaisante du système, l’étude doit comporter également : la caractérisation des liants hydrauliques, des mesures électrochimiques dans les mortiers, l’évaluation de la cinétique de corrosion, ainsi que la caractérisation des produits de corrosion qu’ils soient formés en solution ou dans la matrice [12], [13].

Les matériaux cimentaires et leur application à la gestion des déchets radioactifs 

Actuellement, la France est le pays qui détient le plus grand pourcentage d’électricité produite par énergie nucléaire (71,6%) [14]. La décision de la France d’élargir son programme nucléaire après la seconde guerre mondiale a été prise par le général de Gaulle en 1945 avec la création du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). Son objectif était d’assurer l’indépendance énergétique du pays, ainsi qu’appliquer cette technologie à de fins militaires. La première génération de réacteurs nucléaires français a été construite sur le site du CEA Marcoule – la filière UNGG (Uranium Naturel Graphite Gaz). Cette filière est restée en service jusqu’en 1984, date à laquelle elle a été complètement arrêtée. Les déchets de magnésium et de graphite issus du retraitement des assemblages combustibles UNGG sont classés comme moyenne et faible activité à vie longue (MA-VL et FA-VL). Cette classification correspond à environ 9% du volume total des déchets radioactifs français, provenant principalement de l’industrie nucléaire (59%). Le reste est issu de la recherche (28%), de l’industrie militaire (9%), non nucléaire (3%) et du médical (1%) .

Les exigences attendues d’un matériau cimentaire pour être considéré comme approprié pour la gestion des déchets, ne sont pas toujours les mêmes de celles requises pour les applications classiques du génie civil. Ceci a stimulé le développement de nouveaux matériaux plus à même de s’adapter efficacement à cette demande. Dans ce contexte, l’utilisation des liants à base de métakaolin, de cendres volantes, ou de laitier de haut-fourneau s’est avérée prometteuse [21]. Comparé aux ciments classiques, les liants alcali-activés au laitier de hautfourneau nécessitent moins d’eau, ont une perméabilité limitée, une faible chaleur d’hydratation et une bonne résistance aux attaques chimiques. Ces matériaux ont été utilisés avec succès comme matrice d’immobilisation des métaux lourds en phase solide comme le As, Cd, Cr, Hg, Pb, Zn, Cs et Sr [21]–[25]. Les géopolymères se sont également montrés performants pour ces applications de fixation de métaux lourds (Figure 1-3). Ils sont piégés à l’intérieur du réseau tridimensionnel de silico-aluminates de cette matrice [26].

Les géopolymères à base de cendres volantes et de fumée de silice se sont également révélés efficaces pour l’immobilisation de Césium [28], [29]. Des résultats équivalents ont été obtenus dans le cas du stockage de 90Sr dans du géopolymère à base de cendres volantes, de laitier de haut-fourneau et de métakaolin [30]. La distribution des tétraèdres d’aluminate dans leur structure, ainsi que la faible perméabilité de ces matériaux sont principalement responsables de cette bonne performance. Cette stratégie de cimentation a également été utilisée dans le cas de la gestion des déchets magnésiens. Depuis les années 1990, les gaines de combustible en alliages de magnésium de la filière nucléaire anglaise MAGNOX sont immobilisées dans des matériaux à base de ciment Portland et de laitier de hautfourneau [31]. En France, l’utilisation des géopolymères [5], [6], [32] et des matériaux alcali-activés à base de laitier [7], [8] donnent des résultats prometteurs comme alternative aux ciments classiques pour l’immobilisation des déchets magnésiens de la filière UNGG.

Les matériaux alcali-activés et les géopolymères 

Les liants alcali-activés sont étudiés depuis les années 1940 [33]. Glukhovsky, a conçu dans les années 1950 un système général pour décrire l’activation alcaline d’un matériau à base de laitier, contenant du silicate de calcium hydraté (C-S-H) et des alumino-silicates [34]. Il a supposé que, puisque le processus géologique de transformation de certaines roches volcaniques en zéolites se produit pendant la formation des roches sédimentaires à basse température et basse pression, il pourrait être modélisé et réalisé dans des systèmes cimentaires. Il a utilisé la terminologie « soil-silicate cements » pour dénommer cette nouvelle catégorie. En 1972, le terme « géopolymère » a été introduit pour la première fois par Davidovits. Il a utilisé ce terme dans le cas modèle de l’activation du métakaolin par un hydroxyde et/ou silicate alcalin. Ces matériaux ont une structure en réseau formée de tétraèdres d’aluminates et de silicates apparentée à celle de certaines zéolites, mais diffèrent de ces dernières par une structure amorphe [35]. Actuellement, l’abondance des nomenclatures existantes peut engendrer de la confusion quant au type de matériau désigné. La frontière entre la dénomination géopolymère et matériau alcali activé est encore difficile à établir. Toutefois, dans toutes les circonstances, ces matériaux nécessitent une activation alcaline pour déclencher et accélérer le processus d’hydratation [36]. En tant que précurseur solide pour la préparation des matériaux alcaliactivés, la plupart des matériaux cimentaires à base d’aluminosilicate conviennent à l’utilisation, comme le laitier de haut-fourneau, les cendres volantes, les argiles calcinées et les pouzzolanes naturelles [37]. Concernent les géopolymères, le métakaolin est la source d’alumino-silicate la plus étudiée [38]– [42]. Cependant, la recherche actuelle s’étend également à l’utilisation des argiles kaolinitiques [43]–[45], des cendres volantes [46]–[49] et du laitier de hautfourneau .

Les géopolymères alumino-silicatés

Le terme « géopolymère » provient d’une analogie faite entre ce matériau inorganique et les polymères organiques [35]. Cette nomenclature est basée sur deux observations : le caractère amorphe des géopolymères observé aux rayons X, et la coordination de tétraèdres de silicium et d’aluminium déterminée en Résonance Magnétique Nucléaire (RMN) [56]. Les géopolymères se différencient par le rapport molaire Si/Al, qui est à l’origine de leur nomenclature .

Il y a deux voies principales de synthèse : en milieu alcalin ou en milieu acide, la voie alcaline étant la plus explorée pour les applications de R&D et commerciales. La connaissance exacte des mécanismes de géopolymérisation n’a pas encore été totalement comprise en raison de la rapidité de cette réaction. Cependant, la majorité des auteurs considèrent qu’il s’agit d’un processus de dissolution du précurseur, suivie d’une restructuration et polycondensation sous forme de gel .

La première étape concerne la dissolution de la source alumino-silicatée pour former des précurseurs réactifs Si(OH)4 et Al(OH)4. La dissolution de l’aluminium précède celle du silicium, ses liaisons étant les premières à être rompues [60]. La deuxième étape concerne la restructuration et réarrangement des précurseurs d’aluminosilicate dans un état plus stable avant d’être gélifiés. Le processus se termine par la polycondensation qui conduit à la formation du réseau tridimensionnel d’alumino silicates [56], [59]. Les propriétés physiques et chimiques des géopolymères sont affectées par la microstructure, qui est étroitement dépendante de la formulation. La nature du précurseur ainsi que la composition de la solution d’activation sont les paramètres qui déterminent les propriétés finales du matériau polymérisé [57]. Pour la synthèse alcaline des géopolymères, trois solutions sont habituellement utilisées : l’hydroxyde de sodium, l’hydroxyde de potassium et les combinaisons contenant des silicates et des hydroxydes [60], [61]. La composition de l’activateur influe sur le processus d’hydratation/dissolution du précurseur. Dans le cas des solutions de KOH et de NaOH, la dissolution apparaît plus importante en présence de sodium [62]. En revanche, le degré de polymérisation semble être plus élevé en présence de potassium [49]. Pour les solutions contenant du silicate, la présence de SiO2 soluble peut accélérer le processus de géopolymérisation [63]. Les propriétés physiques des géopolymères de métakaolin sont également améliorées par l’ajout de silicate [64]. La structure poreuse du matériau est aussi conditionnée par le type de solution d’activation [65], [66]. La porosité la plus fine est obtenue en présence de potassium et est liée à la dimension des agrégats d’oligomères, qui est plus faible quand la taille du cation est grande. Le choix du type de précurseur et du type de solution d’activation doit essentiellement se porter sur son application. Il convient, dans le cas des alliages de magnésium, de tenir compte de leur caractère réactif, ainsi que de leur interaction avec les constituants du matériau de blocage et avec sa solution interstitielle. Cette interaction peut entraîner la libération d’hydrogène, qui doit être minimisée. Un colis MA-VL à l’échelle industrielle doit assurer une faible production d’hydrogène pendant la phase initiale d’hydratation du matériau. Le matériau doit également démontrer une intégrité structurale pendant le temps d’immobilisation prévu.

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Table des matières

INTRODUCTION
Contexte et problématique
Approche générale et structure de la thèse
Organisation du manuscrit
CHAPITRE I – Etude bibliographique
1.1. Les matériaux cimentaires et leur application à la gestion des déchets radioactifs
1.1.1. Les matériaux alcali-activés et les géopolymères
1.1.1.1. Les géopolymères alumino-silicatés
1.1.1.2. Les laitiers de haut-fourneau
1.2. Le magnésium et ses alliages
1.3. Aspects généraux de la corrosion du magnésium
1.3.1. Les réactions électrochimiques
1.3.1.1. L’aspect thermodynamique
1.3.1.2. Aspect cinétique
Le phénomène NDE
1.3.2. Les propriétés des liants hydrauliques
1.3.2.1. La nature du ciment et les ions en solution
1.3.2.2. La résistivité
1.3.2.3. La disponibilité d’oxygène
1.3.2.4. Le rapport de surface anode/cathode
1.4. La corrosion des déchets nucléaires magnésiens en milieu cimentaire
1.4.1. Corrosion du magnésium dans le géopolymère contenant du NaF
1.4.2. Corrosion du magnésium dans le laitier activé
CHAPITRE II – Conditions expérimentales et techniques d’étude
2.1. Matériaux cimentaires
2.1.1. Composition des ciments, agrégats et solutions d’activation
2.1.2. Protocole de préparation et conditionnement
2.1.2.1. Préparation en milieu aéré
2.1.2.2. Milieu désaéré
2.1.3. Caractérisation des mortiers
2.1.3.1. Porosimétrie par intrusion de mercure
2.1.3.2. Résistivité électrique
2.1.3.3. Extraction et analyse de la solution interstitielle
2.2. Electrodes
2.2.1. Composition et dimensions
2.2.1.1. Alliages de magnésium
2.2.1.2. Le graphite et l’acier
2.2.1.3. Electrodes de référence et contre-électrodes
2.2.2. Préparation des électrodes
2.3. Electrolytes
2.3.1. Solution porale synthétique de géopolymère
2.3.2. Solution alcaline modèle de NaOH
2.3.3. Solutions alcalines contenant des fluorures et des silicates
2.4. Suivi de la corrosion
2.4.1. Electrochimie
2.4.1.1. Courbes de polarisation
2.4.1.2. Ampérométrie à résistance nulle
2.4.2. Gravimétrie
2.4.3. Caractérisation des produits de corrosion
2.4.4. Modélisation multiphysique COMSOL®
2.4.5. Modélisation chimique : reconstruction d’une solution porale
synthétique
CHAPITRE III – Corrosion du magnésium dans le géopolymère
3.1. Corrosion généralisée de Mg-Zr en milieu alcalin
3.1.1. Etude préliminaire : Solution modèle de NaOH pH 12,5
3.1.2. Effet des ions en solution : fluorures et silicates
3.1.3. Impact de l’ajout de NaF
3.2. Corrosion galvanique de Mg-Zr/Graphite en milieu alcalin
3.2.1. Réactions électrochimiques
3.2.2. Corrosion galvanique du couple Mg-Zr/Graphite : impact du pH
3.3. Bilan des résultats de corrosion du magnésium en milieu alcalin et lien avec la corrosion en milieu cimentaire
3.4. Caractérisation des géopolymères
3.4.1. Structure poreuse et résistivité – impact de l’ajout de NaF 119
3.4.2. Solution interstitielle
3.5. Processus de corrosion dans le géopolymère
3.5.1. Cinétique de corrosion au cours du temps d’hydratation : Mesures gravimétriques
3.5.2. Caractérisation des produits de corrosion
3.5.2.1. Corrosion généralisée
3.5.2.2. Corrosion galvanique : Mg-Zr/Graphite (1/1)
3.5.2.3. Corrosion galvanique : Mg-Zr/Acier (1/1)
3.6. Corrosion généralisée du magnésium dans le géopolymère : impact de la présence de NaF
3.6.1. Caractérisation de l’interface Mg-Zr/géopolymère : Impact de l’ajout de NaF
3.6.2. Discussion sur la corrosion du magnésium dans le géopolymère en présence des fluorures
3.7. Corrosion galvanique du couple Mg-Zr/Graphite dans le géopolymère en présence de NaF
3.8. Bilan des résultats dans le géopolymère
CHAPITRE IV – Corrosion du magnésium dans le laitier activé
4.1. Evolution des propriétés du laitier activé au cours du temps d’hydratation
4.1.1. Résistivité
4.1.2. La solution interstitielle du laitier activé
4.2. Processus de corrosion galvanique du couple Mg-Mn/Graphite dans le laitier activé
4.2.1. Couplage galvanique Mg-Mn/Graphite (1/0,66) : milieu désaéré
4.2.2. Couplage galvanique Mg-Mn/Graphite (1/0,66) : milieu aéré
4.2.3. Couplage galvanique Mg-Mn/Graphite (1/5) : milieu aéré
CHAPITRE V – Conclusions

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