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Ecologie et régime alimentaire
Gerbillus nigeriae est une espèce des milieux semi-arides à arides qui vit sur des sols sableux où elle creuse des terriers profonds (plus de 80 cm) et complexes (nombreuses galeries et orifices d’aération) dans lesquels on peut retrouver d’énormes quantités de graines et feuilles stockées leur permettant d’estiver (Hima, 2010). C’est une espèce granivore, à régime alimentaire essentiellement constitué de graines, de céréales cultivées et sauvages, pouvant être complété en saison pluvieuse par des insectes et de jeunes plantules (riches en protéines et d’eau ; Granjon & Duplantier, 2009). Un faible apport en eau leur permet de survivre, grâce au fonctionnement de leur système rénal qui leur permet de concentrer fortement l’urine (Thiam, 2011) et à leur métabolisme qui élabore de l’eau (in Granjon & Duplantier, 2009).
Reproduction et cycle d’abondance
En milieu naturel, la reproduction des rongeurs sahéliens en général, des Gerbillinés en particulier, est intimement liée au rythme annuel des pluies (Namao & Gautun, 2001 ; Hima, 2010). Avec un nombre moyen de petits par portée de 3,4, l’espèce est réputée très pullulante au Niger et au Burkina avec des densités pouvant atteindre 150 individus à l’hectare (Namao & Gautun, 2001 ; Granjon & Duplantier, 2009). Tous ces travaux s’accordent pour montrer que la durée de la reproduction de ces rongeurs est écourtée suite à des pluies déficitaires, mais qu’elle peut s’avérer très longue à la suite de pluies abondantes, lesquelles conditionnent la production végétale, et donc les ressources disponibles (Figure 3 ; in Granjon & Duplantier, 2009). Par ailleurs, l’apparition des jeunes pousses de plantes annuelles après les premières pluies semble stimuler la reproduction (Granjon & Duplantier, 2009). Cette végétation procure aux rongeurs l’eau nécessaire à la lactation (Hima, 2010).
Polymorphisme chromosomique chez G. nigeriae
Gerbillus nigeriae se caractérise par un polymorphisme chromosomique Robertsonien (dû à des fusions de chromosomes acrocentriques) exceptionnel chez les mammifères (Dobigny et al., 2002), décrit au Mali, au Burkina-Faso, au Niger et au Sénégal avec un nombre diploïde (2N) variant de 60 à 74 chromosomes (Dobigny et al., 2002 ; Bâ et al., 2006 ; Hima et al., 2011). La distribution géographique des principaux variants chromosomiques n’est pas aléatoire et trois grands groupes ont pu être définis (Hima et al., 2011). La très grande majorité des spécimens de la Mauritanie et du Sénégal possède des nombres diploïdes de chromosomes compris entre 66 et 70, tandis qu’au Mali, au Burkina Faso et dans l’Ouest du Niger des nombres diploïdes plus élevés (2N = 70 – 74) sont retrouvés (Hima et al., 2011). La plupart des spécimens du Niger central et oriental possèdent des caryotypes dont le nombre diploïde est compris entre 2N = 60 – 64 (Hima et al., 2011). Les importantes variations chromosomiques observées chez G. nigeriae sont favorisées voire induites par une organisation très particulière des séquences répétées d’ADN dans les régions proches des centromères (Gauthier et al., 2010).
Mobilité et dispersion
Les populations naturelles sont des systèmes spatialisés à l’intérieur desquels la dispersion joue un rôle central dans la dynamique et l’évolution (Dieckmann et al., 1999). La dispersion est donc un trait d’histoire de vie jouant un rôle majeur dans le fonctionnement des populations naturelles en modifiant les flux de gènes entre les populations (Gauffre et al., 2009). Elle correspond aux mouvements d’individus, dans le temps et l’espace, en vue de la recherche de conditions environnementales favorables dans un environnement dynamique, variable et hétérogène (Denoël, 2005). Il existe quatre groupes de facteurs qui agissent sur la dispersion : l’instabilité de l’habitat, l’évitement de la consanguinité, les interactions entre apparentés et les risques liés à la dispersion (Gandon & Michalakis, 2001).
Estimer la dispersion des individus demeure un problème constant en écologie du fait de la complexité de ce phénomène et des contraintes liées aux techniques utilisées pour l’étudier. La dispersion est généralement décrite par un paramètre synthétique qui peut être soit un taux soit une distance, ces paramètres pouvant être mesurés par des méthodes directes ou indirectes. Les approches directes permettent d’observer la dispersion par le biais du suivi des individus (Capture-Marquage-Recapture ; -CMR- par exemple) tandis les approches indirectes se basent sur des inférences génétiques pour mesurer le flux de gènes c’est-à-dire la dispersion efficace (Gauffre et al., 2009), grâce à l’utilisation des marqueurs génétiques.
Les outils de la génétique des populations offrent à cet égard l’avantage d’accéder à une estimation intégrative de la dispersion, (i.e. prenant en compte les conséquences d’événements rares et passés) par rapport aux méthodes basées sur l’observation ou la capture des organismes (De Meeûs, 2012). Ces outils se basent sur l’étude de la distribution spatiale de la variabilité génétique, replacée dans le cadre de modèles théoriques dont les présupposés sont nombreux.
Outils et techniques d’analyse de la diversité génétique des populations naturelles
Les marqueurs microsatellites : outils d’analyse de la variabilité génétique
Un marqueur génétique est simplement une portion de l’ADN de l’organisme étudié, ou un sous-produit codé par cet ADN (une protéine par exemple) (De Meeûs, 2012), étudié chez plusieurs échantillons (spatialement et/ou temporellement différents). Il est important que cette portion d’ADN reste la même (même localisation dans le génome, même place sur le même chromosome) d’un individu à l’autre, d’où le terme locus. Un locus peut correspondre à un gène (codant pour une fonction quelconque), comme c’est le cas pour les loci enzymatiques (ou iso-enzymatiques), mais il peut aussi correspondre à une zone non codante, et donc a priori non fonctionnelle, de l’ADN comme c’est le cas de la plupart des microsatellites.
Les marqueurs microsatellites sont des marqueurs à hérédité biparentales, codominants, neutres, non soumis à la sélection et hypervariables (taux de mutations compris entre 5.10-5 et 5.10-3 ; Voisin, 2007). Ce sont des parties du génome présentant des motifs répétés simples (ex : GCGCGCGC), composés (ex : GCGCGCATATAT) ou discontinus (ex : GCTTTGCTTTGC) (Jarne & Lagoda, 1996). La variabilité des microsatellites tient notamment aux erreurs de réplication des enzymes de type polymérase, qui glissent sur ces zones, entraînant ainsi une augmentation ou une diminution du nombre de motifs. Le polymorphisme détecté est donc un polymorphisme de longueur. Ce type de marqueurs a été très largement développé depuis une quinzaine d’années pour des études de génétique des populations sur un spectre extrêmement large d’espèces (Voisin, 2007).
Paramètres de diversité génétique
La diversité génétique correspond à la variabilité (polymorphisme) des gènes individuels (De Meeûs, 2012). La diversité génétique d’une population va dépendre de son histoire (à partir d’un petit nombre d’individu ou pas), de sa taille, de son degré d’isolement par rapport aux autres populations entre autres. La variabilité génétique peut être mesurée au travers des paramètres basiques du polymorphisme génétique dont les principaux sont : l’hétérozygotie (HO et HE), la richesse allélique (RA) et le coefficient de consanguinité (ou mesure du déficit d’hétérozygotie ; FIS).
– L’hétérozygotie moyenne c’est la proportion d’individus hétérozygotes observée à un locus donné ; elle est mesurée par locus et par population.
– Le nombre moyen d’allèles est la mesure du nombre d’allèles pour un locus ou une population donnée indépendamment de la taille de l’échantillon. Quant à la richesse allélique, elle correspond à un nombre d’allèles moyen corrigé par la taille de la population.
– Le FIS est une mesure de la réduction éventuelle d’hétérozygotie des individus à l’intérieur de leurs sous-populations. Il varie entre – 1 et + 1 et représente le ratio d’hétérozygotie observé (HO) par rapport à l’hétérozygotie attendue (HE) sous l’hypothèse de Hardy-Weinberg. Les valeurs négatives de FIS correspondent à un excès d’hétérozygotes, les valeurs positives traduisent un déficit en hétérozygotes et une valeur nulle correspond à la situation d’équilibre.
Suite aux calculs de ces différents paramètres, des tests classiques sur les loci et les populations sont effectués afin de vérifier la déviation ou non par rapport à l’équilibre de Hardy-Weinberg mais aussi l’association ou non des locus (déséquilibre de liaisons). Les déviations par rapport à l’équilibre de Hardy-Weinberg sont testées pour chaque locus en considérant l’ensemble des populations et pour chaque population, tous locus confondus. Le déséquilibre de liaison, représente quant à lui la mesure du degré d’association non aléatoire entre les allèles appartenant à des locus différents (Gouyon et al., 1997). Les mesures du déséquilibre de liaison quantifient notamment la fréquence à laquelle deux allèles peuvent se trouver sur un même chromosome dans une population (De Meeûs, 2012).
Différenciation génétique et isolement par la distance
La plupart des populations diploïdes montrent une structuration génétique à différents niveaux. Que ce soit le résultat d’une dérive génétique ou d’une sélection naturelle divergente, ces populations deviennent génétiquement différenciées au fil du temps (De Meeûs, 2012). Parmi les paramètres de mesure de la différenciation génétique, le FST mesure le déficit d’hétérozygotie dû à la différenciation entre les sous-populations traduisant l’effet de subdivision de la population en des sous-populations, à l’origine de différences des fréquences alléliques moyennes entre sous-populations. Appelé aussi le coefficient de co-ascendance, θ (Weir & Cockerham, 1984), le FST est défini aussi comme étant une estimation de la corrélation des gamètes au sein des sous-populations par rapport aux gamètes tirés au hasard de l’ensemble de la population (toutes les sous-populations comprises). Il est calculé en utilisant l’hétérozygotie moyenne attendue des populations et l’hétérozygotie attendue sur l’ensemble des populations. Le FST, toujours positif, est compris entre 0 = (panmixie : pas de divergence génétique au sein des populations d’où absence de différences entre les fréquences alléliques des sous-populations) et 1 (isolement complet : toutes les populations sont totalement isolées).
Les tests de l’isolement par distance (IBD) permettent de déterminer s’il y’a une corrélation entre les matrices de distances génétiques (exprimées par FST / (1- FST) ; Rousset, 1997) et géographiques entre populations en calculant un paramètre d’association (le coefficient de Mantel) entre les 2 matrices. Ce coefficient est associé à une probabilité qui permet de tester l’hypothèse de corrélation entre les deux distances, avec un seuil de significativité fixé à 5%.
Analyse de la structure génétique des populations naturelles
La compréhension de la structure génétique des populations est intéressante pour les généticiens, parce qu’elle reflète le nombre d’allèles échangés entre populations, lequel influence la composition génétique des individus au sein de ces populations. Le flux de gènes entre populations détermine les effets de la sélection et de la dérive génétique, génère de nouveaux polymorphismes et augmente la taille effective locale de la population (De Meeûs, 2012). La structure génétique des populations peut être appréhendée aussi bien au moyen des méthodes statistiques classiques que celles basées sur des inférences.
L’analyse discriminante en composantes principales (DAPC) permet d’identifier aussi de façon non paramétrique des groupes génétiques, en effectuant une recherche de « cluster » de points après une analyse en composantes principales (ACP) classique. L’avantage de cette méthode est qu’elle ne fait pas d’hypothèses telles que le respect de la panmixie et la minimisation du déséquilibre de liaison (Jombart et al., 2010).
Le programme STRUCTURE (Earl & vonHoldt, 2012), est un logiciel d’analyse des données génotypiques multi-locus. Il permet de détecter à partir d’inférences bayésiennes et de simulations MCMC (Markov Chain Monte Carlo), la présence de groupes génétiques distincts et d’assigner à chaque groupe les individus. Il est défini de sorte à minimiser le déséquilibre de liaison et respecter l’équilibre de Hardy-Weinberg dans et entre les populations.
MATERIEL ET METHODES
Présentation du Sénégal
Situation géographique
Situé à l’extrême ouest de l’Afrique occidentale (entre 12° 8′ et 16° 41′ de latitude Nord et 11° 21′ et 17 ° 32′ de longitude Ouest) avec une façade maritime de plus de 700 km sur l’Océan Atlantique qui le limite à l’Ouest, le Sénégal couvre une superficie de 196 712 km². Le territoire Sénégalais est limité au Nord par la Mauritanie, à l’Est par le Mali, au Sud par la Guinée et la Guinée Bissau. La République de Gambie qui occupe tout le cours inférieur du fleuve du même nom, constitue une enclave de 25 km de large et près de 300 km de profondeur à l’intérieur du territoire sénégalais (ANSD, 2016).
Caractéristiques physiques et biophysiques
Le Sénégal, pays d’Afrique subsaharienne de la zone sahélo-soudanienne est caractérisé par un climat à alternance de deux saisons bien distinctes : une saison sèche allant de novembre à mai et une saison des pluies allant de juin à octobre (ANSD, 2016). Le climat est régi par la circulation des vents dont les principaux centres d’action sont l’anticyclone des Açores (siège des alizés maritimes), l’anticyclone de Sainte-Hélène (siège de la mousson qui apporte la pluie) et l’anticyclone maghrébin (siège de l’harmattan ou vent continental sec).
La pluviométrie moyenne annuelle suit un gradient croissant du Nord au Sud du pays, de 300 mm au Nord semi-désertique à 1200 mm au Sud, avec des variations d’une année à l’autre (Roux & Sagna, 2000). D’une manière générale, les précipitations sont instables et irrégulières suivant les années et elles peuvent être très aléatoires dans la moitié nord du pays. Trois principales zones bioclimatiques sont ainsi déterminées au Sénégal (Annexe 1) du Nord au Sud : le domaine sahélien composé d’une steppe d’acacias, d’épineux et de graminées adaptés à la sécheresse, le domaine soudanien peuplé d’une savane arborée et le domaine subguinéen qui constitue la zone forestière du Sénégal. En dehors de ces formations zonales subsistent les formations dites azonales influencées par des facteurs locaux, en particulier la mangrove dans les zones estuariennes et les zones inondables inter-dunaires, où subsistent palmiers et palétuviers (Thiam, 2007).
La topographie est généralement basse, composée de plaines et de bas plateaux dépassant rarement 100 mètres d’altitude, sauf dans la partie Sud-Est où le relief devient plus accidenté.
Les régions sahéliennes se caractérisent par la présence de sols subarides, les régions soudaniennes par des sols ferrugineux tropicaux, les régions guinéennes par des sols ferralitiques (Annexe 1).
Réseau hydrographique
Le réseau hydrographique du Sénégal est dominé par quatre fleuves : le fleuve Sénégal au Nord (1700 km de long), le fleuve Saloum (250 km), le fleuve Gambie (1130 km) au centre et le fleuve Casamance (300 km) au Sud. Des lacs et des rivières complètent ce réseau. La réalisation des grands barrages de Diama et de Manantali que le Sénégal partage avec le Mali et la Mauritanie à travers l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS), contribue à la maîtrise des ressources hydrauliques et partant, au développement de l’agriculture, de l’élevage, de la navigation, de l’approvisionnement en eau potable et en énergie pour les populations (ANSD, 2016).
Caractéristiques socio-économiques
Le Sénégal compte 14 799 859 millions d’habitant dont les femmes et les hommes représentent respectivement 50,19% et 49,81% (ANSD, 2016). Cette population est jeune dont (50,3% est âgée de 18 ans en moyenne ; ANSD, 2016).
Le Sénégal se caractérise du point de vue social par sa diversité linguistique et religieuse. Au niveau linguistique, la cohabitation crée de forts liens entre les différents groupes à travers le cousinage à plaisanterie. Le pays compte une vingtaine d’ethnies parmi lesquelles les sérères, les pulaars, les wolofs, les mandingues, les diolas, les soninkés entre autres (ANSD, 2016).
L’économie sénégalaise reste dominée par l’agriculture familiale, avec une industrie très fragile et un développement accéléré du tertiaire. Entre 1980 et 2011, le niveau de l’emploi dans le secteur primaire est passé de 63% à 55% alors que ce secteur n’a contribué qu’à hauteur de 17% au PIB. Sur la même période, le secteur tertiaire a généré en moyenne 62,8% du PIB, avec un niveau d’emploi qui est passé de 22% à 33%. La contribution du secteur secondaire s’est stabilisée autour de 21% depuis le début des années 1990 (Gaye et al., 2015). La faible contribution du secteur primaire, en dépit de sa concentration en main d’œuvres et sa forte sensibilité par rapport aux autres secteurs, s’explique par la volatilité des prix agricoles et sa dépendance aux facteurs climatiques, notamment une pluviométrie erratique (Fall et al, 2013 ; Gaye et al., 2015).
Méthodologie de l’étude
Echantillonnage
L’étude a porté sur des échantillons de G. nigeriae collectés sur une période d’un peu plus de dix ans (2006 à 2017) dans 12 localités (Figure 4) réparties dans 3 régions (Saint-Louis, Louga et Matam) toutes situées dans la moitié Nord du Sénégal. Les animaux sont capturés vivants au moyen de pièges grillagés de fabrication locale (Annexe 2) dont les dimensions sont : 25cm (L) x 8cm (l) x 8cm (h). Les piégeages ont été effectués en suivant un protocole décrit dans Thiam (2007). Gerbillus nigeriae étant un rongeur discret, de mœurs nocturnes, les pièges préalablement appâtés à la pâte d’arachide sont posés le soir et relevés le lendemain matin. Du fait de la faible capturabilité de G. nigeriae dans les pièges (Hima, 2010), les piégeages ont été assez souvent complétées par des captures à la main, à l’occasion de chasses nocturnes au cours desquelles, les rongeurs sont traqués, poursuivis et attrapés à la main. Les animaux capturés vivants sont par la suite autopsiés (au laboratoire ou sur le terrain même) et des prélèvements de tissus d’organes (rein, foie, rate) et/ou de patte ou d’oreille (pour les animaux non autopsiés) sont effectués, conservés dans de l’éthanol 95% et dédiés aux analyses génétiques.
Dans cette étude, nous considérons a priori une population comme un ensemble d’individus issus d’une même localité.
Analyses moléculaires
Extraction et amplification d’ADN
L’ADN a été extrait à partir des organes prélevés, au moyen du kit d’extraction BIOBASIC suivant le protocole décrit par le fabricant (Annexe 3). Les solutions d’ADN obtenues à l’issue de l’extraction et de la purification des extraits ont été conservées à -20°c jusqu’au moment de leur amplification. Préalablement, nous avons procédé à la vérification de la qualité mais aussi de la quantité des ADN extraits et ce au moyen dans un premier temps de la migration électrophorétique sur gel d’agarose à 1,5% suivie de la révélation au BET sous la lumière UV (Figure 5) et par la suite du dosage de quelques échantillons pris au hasard dans les différentes séries d’extraction au spectrophotomètre Nanodrop 2000 (Thermo Fisher Scientific).
Les extraits d’ADN correspondant ont été utilisés pour amplifier 12 marqueurs microsatellites précédemment développés sur G. nigeriae (Annexe 4 ; Thiam et al., 2011). Ces marqueurs sont répartis en 2 panels pour les réactions de PCR (Polymerase Chain Reaction) multiplex. Les réactions d’amplification par PCR ont été effectuées au moyen d’un thermocycleur ep-gradient (Eppendorf) à partir d’un volume réactionnel total de 10µl contenant le tampon d’amplification Master Mix (1x) Multiplex PCR QIAGEN (comprenant la Taq polymérase, les dNTPs et du MgCl2 3mM), 0,2μM de chaque amorce et 50ng d’ADN de l’individu. Les deux panels de marqueurs ont été amplifiés par des réactions PCR multiplex séparées comprenant une phase de dénaturation initiale de 15 min, suivi de 35 cycles comprenant chacun une phase de dénaturation de l’ADN à 94°C pendant 30 secondes, une phase d’hybridation à 60°C pendant 90 secondes, puis une phase d’élongation à 72°C pendant 60 secondes, et enfin une extension finale à 60°C pendant 30 minutes.
Obtention des génotypes individuels
Les produits PCR ont été envoyés à l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (ISEM) pour génotypage. Préalablement à cela, les produits issus des deux réactions d’amplifications ont d’abord été mélangés et dilués une première fois au 1/50ème (2,5µl + 100µl d’eau) puis une seconde fois en mélangeant 2µl de la dernière dilution, avec 0.12µl de marqueur de taille (LIZ500) et 14,6µl de Formamide. Les profils génotypiques individuels ont été obtenus après passage des échantillons au séquenceur automatique de type ABI3130 puis lus (double lecture) au moyen du programme Genemapper 4.1(Applied Biosystem).
Analyses de génétique des populations
Mesures de la diversité génétique globale
La diversité génétique des populations a été mesurée au travers de quatre principaux paramètres que sont les fréquences alléliques (Annexe 5), les hétérozygoties attendue et observée (respectivement HO et HE ; Weir & Cockerham, 1984), la richesse allélique (RA) et l’indice de fixation FIS (Nei, 1987), en utilisant les logiciels Genetix v.4.05.2 (Belkhir et al., 2004), Fstat v.2.9.3.2 (Goudet, 2002) et Genepop v.4.3 (Rousset & Raymond, 1995).
Le déséquilibre de liaison entre paires de locus au sein de chaque population et pour l’ensemble des populations ainsi que les déviations à l’équilibre d’Hardy Weinberg (par locus et par population) ont été testés, au moyen du logiciel Genepop v.4.3 (Rousset & Raymond 1995).
La présence d’allèles nuls a été testée en utilisant le logiciel Micro-Checker v.2.2.3 (Van Oosterhout et al., 2004). Les allèles nuls correspondent à des allèles qu’on ne peut pas déceler avec la méthode de détection biochimique utilisée. Une mutation dans la séquence flanquante, au niveau des séquences correspondant à un des primers, empêche la bonne amplification de cet allèle (De Meeûs, 2012). La présence d’allèles nuls à un locus peut entrainer des déficits d’hétérozygotes inexplicables biologiquement (De Meeûs, 2012). Leur fréquence globale a été estimée selon l’estimateur de Brookfield (1996) qui présente une plus faible variance que les autres estimateurs non corrigés (Chapuis & Estoup, 2007).
Après avoir établi l’indépendance des locus et estimé si les données sont conformes à l’hypothèse d’équilibre de Hardy-Weinberg, il a été aussi estimé l’apparentement entre les individus au sein des différentes sous-populations car le déficit d’hétérozygotes peut aussi s’expliquer par l’effet Wahlund (i.e. biais lié à l’échantillonnage d’individus consanguins). Pour ce faire, les coefficients d’apparentement (Loiselle Kinship coefficient ; Loiselle et al, 1995) ont été calculés à l’aide du logiciel Spagedi v.1.5d (Hardy & Vekemans, 2002) pour chaque paire d’individus au sein de chaque sous-population. Le coefficient de Loiselle est un coefficient de parenté entre individus, estimé par rapport aux fréquences alléliques des individus dans un échantillon de référence (dans notre cas c’est l’ensemble de l’échantillonnage). Par la suite, le logiciel R v.3.5.1 (R Core Team, 2018) a été utilisé pour tracer les histogrammes qui représentent la distribution des coefficients de Loiselle au sein de chaque population. Cette distribution va de -1 (pas d’apparentement entre les individus) à 1 (identité des individus pour tous les locus).
Différenciation génétique et isolement par la distance
La différenciation génétique entre les différentes populations a été estimée en calculant les valeurs de θ de l’indice FST (Weir & Cockeram, 1984) par paires de populations au moyen du logiciel Genetix v.4.05.2 (Belkhir et al., 2004).
Le test de Mantel (10000 permutations) a été réalisé sous le logiciel Genepop v.4.3 (Rousset & Raymond, 1995) afin de déterminer des corrélations éventuelles entre distances géographique et génétique calculées entre populations. Ces corrélations traduisent, l’isolement par la distance (IBD ; revue dans Jensen et al., 2005) entre les populations, en utilisant FST / (1- FST) comme indice de différenciation génétique et le logarithme de la distance géographique (en km). Le logiciel R v.3.5.1 (R Core Team, 2018) a été utilisé pour tracer les régressions obtenues entre les distances génétiques et les distances géographiques à l’issue du test.
Analyses de la structure génétique des populations
La structuration génétique des populations a été testée au moyen de deux approches indépendantes : i) l’analyse discriminante en composantes principales (DAPC ; Jombart, 2010) sous R v.3.5.1, ii) avec le logiciel STRUCTURE v.2.3.4 (Earl & vonHoldt, 2012). Pour les deux approches, la structure génétique a été explorée à l’échelle de l’ensemble des populations de G.nigeriae du Sénégal.
L’analyse discriminante en composantes principales (DAPC ; package ADEGENET ; Jombart, 2010) sous R v.3.5.1 (R Core Team, 2018), utilise un algorithme qui parcours une gamme de nombres de groupes que l’on veut explorer (de 1 à n), et recherche les clusters correspondants dans l’espace multivarié, par la méthode de Kmeans « tâtonnement », en ajoutant ou en enlevant des individus à ces groupes jusqu’à ce qu’ils se stabilisent. Il procède à plusieurs itérations pour juger de la stabilité de l’assignation d’un individu à un groupe mais aussi de la stabilité des groupes. Il compare ensuite la qualité de ces différentes assignations grâce au critère BIC (Bayesian Inference Criterion). Plus ce dernier est bas, plus l’assignation est vraisemblable. Dans notre analyse, nous avons exploré la DAPC avec 12 groupes.
Le programme STRUCTURE v.2.3.4 (Earl & vonHoldt, 2012), a été utilisé avec le modèle « admixture model », qui suppose que chaque individu ait hérité au moins une partie de son génome d’un ancêtre commun à tous les individus. Ensuite nous avons choisi l’option « correlated alleles frequencies » qui stipule que les différentes populations éventuelles de l’échantillon global aient évolué chacune indépendamment (Falush et al., 2003). La longueur du burn-in est fixée à 100000 et la longueur de chaîne de MCMC à 500000 itérations. Le nombre K de sous-groupes génétiques est un paramètre fixé a priori ; la probabilité p d’une structuration de la population totale (toutes les populations de G. nigeriae du Sénégal) en K sous-groupes génétiques est associée à une valeur de vraisemblance par l’algorithme. Nous avons exploré différentes valeurs de K avec STRUCTURE (K = 1 à 12). La valeur de K la plus vraisemblable a été déterminée par la méthode de Evanno et al. (2005).
Enfin, la reconstruction phylogénétique a été réalisée sur les données microsatellites. Le logiciel Population v.1.2.32 (Langella, 1999) a servi à réaliser l’arbre sur les différentes localités en utilisant la méthode Neighbour-Joining et l’indice de distance « Dc » de Cavalli-Sforza. La robustesse des nœuds a été estimée par bootstraps sur les locus (2000 répétitions).
RESULTATS ET DISCUSSION
Résultats des analyses génétiques
Diversité génétique de Gerbillus nigeriae au Sénégal
Au total, 320 individus de G. nigeriae provenant des 12 localités échantillonnées ont été utilisés pour nos analyses de génétique des populations. Les 12 locus microsatellites étudiés sont tous polymorphes, avec un nombre d’allèles qui varie de 2 (GN51) à 21 (GN78). La richesse allélique moyenne (RA), ramenée à un échantillon de 16 individus (DGA) est de 5,98, et varie de 5,31 (NDI) à 6,81 (MO6). L’hétérozygotie moyenne attendue (HE) sous l’hypothèse de Hardy Weinberg pour la population globale s’établit à 0,66 et varie de 0,63 (DGA) à 0,69 (LAB). Quant à l’hétérozygotie moyenne observée (HO), elle varie de 0,50 (WID) à 0,61 (TES) pour une moyenne de 0,55. Le FIS moyen significatif et égal à 0,174 (95% IC = [0,071 – 0,303], calculé par bootstrapping sur les locus) sur l’ensemble des populations, indique clairement une déviation des populations par rapport à l’équilibre de Hardy Weinberg. Nous notons des déficits d’hétérozygotie dans toutes les populations considérées (Tableau 1) mais ils sont plus importants pour les populations de MO6, PTA, WID et MBA.
Dans chacune des populations étudiées, il a été retrouvé quelques paires de locus en déséquilibre de liaison allant d’1 (DGA) à 7 paires (NDI) sauf à DOD où toutes les paires de locus sont indépendantes. Ces déséquilibres représentent en moyenne 4,79 % (soit 38 paires de locus) sur les 792 paires testées pour l’ensemble des populations et ne concernent pas de locus en particulier, base sur laquelle tous les loci ont été considérés comme indépendants.
Un écart très significatif à l’équilibre d’Hardy Weinberg (p < 0,001) et ce, pour l’ensemble des 12 locus étudiés, a été observé sur toutes les populations étudiées (sauf VEL et DGA, p < 0,05 ; Tableau 1). Analysés séparément, seulement 5 (GN19, GN51, GN27, GN29, GN62) des 12 locus, ont été trouvés à l’équilibre de Hardy-Weinberg. Les 7 autres locus (GN01, GN11, GN24, GN48, GN21, GN37, et GN78) présentent de forts déficits d’hétérozygotes (Annexe 6).
Les fréquences d’allèles nuls (Annexe 7) calculées au moyen de l’estimateur de Brookfield2 varient de 8% (GN48) à 27% (GN01) pour une moyenne de 15% sur les loci en déséquilibre. L’effet des allèles nuls sur nos estimateurs de différenciation génétique est donc estimé comme relativement faible.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
1.1. Invasion biologique
1.2. Généralités sur Gerbillus nigeriae
1.2.1. Position systématique et description de l’espèce
1.2.2. Distribution géographique
1.2.3. Ecologie et régime alimentaire
1.2.4. Reproduction et cycle d’abondance
1.2.5. Polymorphisme chromosomique chez G. nigeriae
1.2.6. Mobilité et dispersion
1.3. Outils et techniques d’analyse de la diversité génétique des populations naturelles
1.3.1. Les marqueurs microsatellites : outils d’analyse de la variabilité génétique
1.3.2. Paramètres de diversité génétique
1.3.3. Différenciation génétique et isolement par la distance
1.3.4. Analyse de la structure génétique des populations naturelles
CHAPITRE 2 : MATERIEL ET METHODES
2.1. Présentation du Sénégal
2.1.1. Situation géographique
2.1.2. Caractéristiques physiques et biophysiques
2.1.3. Réseau hydrographique
2.1.4. Caractéristiques socio-économiques
2.2. Méthodologie de l’étude
2.2.1. Echantillonnage
2.3. Analyses moléculaires
2.3.1. Extraction et amplification d’ADN
2.3.2. Obtention des génotypes individuels
2.3.3. Analyses de génétique des populations
CHAPITRE 3 : RESULTATS ET DISCUSSION
3.1. Résultats des analyses génétiques
3.1.1. Diversité génétique de Gerbillus nigeriae au Sénégal
3.1.2. Différenciation génétique et Isolement par la distance
3.1.3. Structuration génétique des populations par des analyses multivariées
3.2. Discussion
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
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