Nous sommes vendredi, il est 14h30. Je suis dans mon service, un service d’admission adulte accueillant des patients en soins sans consentement en état de décompensation d’une pathologie psychiatrique. En tant qu’interne du service avec quelques semestres d’expérience, j’ai désormais mes propres patients, dont je gère les soins en rendant compte de mon activité à mon senior. Depuis quelques jours, je m’occupe notamment de Monsieur E. admis en soins psychiatriques à la demande d’un tiers (en l’occurrence sa femme) après une tentative de pendaison. C’est sa femme qui a réussi à détacher la corde alors que le patient était déjà inconscient.Après quelques jours en réanimation, il a été adressé dans notre service pour la suite de la prise en charge de sa crise suicidaire. Son admission s’est faite en soins psychiatriques à la demande d’un tiers au vu du déni massif de sa situation et de la minimisation de son geste. C’est sa femme qui a accepté d’être le tiers de cette hospitalisation.
J’ai rencontré en entretien Monsieur E. ce matin, pour discuter avec lui de l’audience avec le Juge des Libertés et de la Détention qui se déroulera en fin de matinée. Monsieur E. est très revendicatif au sujet de sa sortie. Lors de nos entretiens, il minimise grandement son geste et je peine à aborder avec lui ce qui a pu le mettre en difficulté au point d’en arriver à ce passage à l’acte grave. Son fonctionnement m’inquiète et je redoute une récidive suicidaire s’il venait à retourner dans son quotidien qu’il décrit comme vecteur de souffrance ces derniers temps. Mais je me dis que ce n’est pas grave, l’hospitalisation contrainte pose un cadre de sécurité et nous permettra de prendre le temps d’apporter un certain apaisement au patient et éventuellement organiser avec lui des soins ambulatoires afin de l’accompagner et le soutenir. L’audience avec le Juge des Libertés ne m’inquiète pas.Les certificats ont été rédigés dans les temps, ils sont circonstanciés et motivés, les membres de la famille ont été rencontrés lors d’un entretien familial et ils ont pu témoigner de leur grande inquiétude et de leur volonté de voir leur proche entamer des soins. Tout semble donc dans le respect de la législation en vigueur concernant les hospitalisations sans consentement. Et pourtant…
Il est 14h30 et le fax du service sonne. C’est le verdict du Juge des Libertés et de la Détention concernant Monsieur E. qui nous est transmis. Mais ce n’est pas celui auquel je m’attendais. Le Juge a ordonné une mainlevée de la mesure de soins sans consentement de Monsieur E. Le motif argué est qu’au vu de la présentation et de l’attitude du patient lors de l’audience, une hospitalisation complète sous contrainte paraît au Juge disproportionnée et non justifiée.
Un point sur la législation actuelle des soins sans consentement en psychiatrie
Evolution historique
Loi Esquirol de 1838
La première notion de législation de l’hospitalisation sans consentement apparaît en 1838, avec la loi Esquirol. Avant cela, l’article 64 du Code pénal de 1810 déclarait : « Il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister », créant ainsi une frontière entre le domaine juridique et le domaine médical. C’est ce principe d’irresponsabilité pénale qui induit alors la loi de 1838 sur l’internement, afin d’apporter malgré tout une réponse aux troubles de l’ordre public causés par les malades mentaux. La loi Esquirol de 1838décrivait alors deux cas :
– Les situations nécessitant une hospitalisation pour protéger la personne d’elle-même. Cette mesure était alors appelée « placement volontaire », rapidement renommée « hospitalisation à la demande d’un tiers » ;
– Les situations nécessitant une hospitalisation pour protéger la population du danger que pourrait représenter le patient. Il s’agissait alors d’une « hospitalisation à la demande des autorités publiques ». Actuellement, la législation en vigueur a conservé à peu près le même schéma. Cette loi venait définir une dimension médicale fondamentale (car c’est bien un médecin qui caractérisait l’existence d’une pathologie mentale et la nécessité de soins), mais non exclusive. En effet, dans les d’hospitalisations pour prévenir les risques d’atteinte à autrui, en plus de l’indication médicale, il fallait deux conditions :
– l’obligation de répondre à des critères juridiques pour autoriser et maintenir le placement ;
-un trouble à l’ordre public qui devait être constaté et rapporté par les autorités compétentes lors de la décision initiale d’une hospitalisation à la demande des autorités publiques. Cette loi Esquirol sur l’hospitalisation sans consentement marqua un progrès considérable dans la pratique psychiatrique, car elle permettait un internement contre le gré du patient sans que cela ne lui fasse perdre sa capacité civile. De plus, elle lui garantissait la protection de sa liberté individuelle en donnant le pouvoir à sa famille, au Préfet ou au tribunal, de le faire sortir même si l’état de guérison n’était pas encore acquis. En effet, la loi offrait aux malades et à leurs familles la possibilité de faire appel au Tribunal des référés, qui statuait en séance publique et sans délai de la possibilité de levée de la mesure d’hospitalisation sans consentement. L’asile devint un hôpital psychiatrique à part entière, où la notion de soins prenait le pas sur la notion d’enfermement. Cette mission soignante s’accompagnait de nouveaux objectifs, à savoir la prévention et le diagnostic.
Loi Evin du 27 juin 1990
La Loi Evin permet de garantir l’ordre public mais propose également un cadre aux pratiques thérapeutiques psychiatriques. Elle découle d’une réflexion sur l’évolution des pratiques des 150 dernières années et de la nécessité de se mettre en conformité avec les recommandations du Conseil de l’Europe au sujet des hospitalisations sans consentement (R 83-2). Ces recommandations préconisent une décision médicale initiale de placement avant toute intervention judiciaire ou administrative. A l’époque, on déplorait cependant la volonté de surveillance des psychiatres, dont on se méfiait. Face à de nombreuses suspicions d’internements abusifs, cette loi souhaitait apporter de nouvelles garanties en multipliant et différenciant les avis médicaux. C’est dans ce contexte que l’obligation d’un deuxième certificat médical pour les hospitalisations à la demande d’un tiers a vu le jour(2).
La loi de 1990 a été mise à l’étude par la Commission des maladies mentales de 1984, qui apporte de nouvelles propositions :
– l’obligation pour le Préfet d’agir sans délai afin de permettre à un malade, dont la pathologie s’est améliorée sous traitement, de mettre un terme à son hospitalisation ou la poursuivre en ambulatoire, hors de l’hôpital ;
– une réflexion au sujet de la privation de liberté ;
– la création d’une commission médico-judiciaire chargée de visiter les établissements de soins des malades mentaux, privés ou publics, afin de s’assurer que tous les recours à la loi Esquirol sont mis à disposition des patients.
Au final, la loi du 27 juin 1990 permettra plusieurs innovations, telles que (3):
– la création de la notion d’hospitalisation libre, qui doit devenir le mode d’admission principal en psychiatrie et faire passer la contrainte au rang d’exception ;
– la clarification des droits des patients sous contrainte : droit de communiquer avec les autorités judiciaires ou administratives, de prendre conseil auprès d’un médecin ou avocat de son choix, d’exercer son droit de vote, d’avoir les activités religieuses ou philosophiques de son choix ;
– la mise en place des « sorties d’essai », aménagement des conditions d’hospitalisation, afin de favoriser la réinsertion socio-professionnelle, la réadaptation à la vie civile et la guérison du patient ;
– une protection des biens durant l’hospitalisation : le législateur assure ainsi que le patient hospitalisé sans son consentement en hôpital psychiatrique conserve son logement, quelle que soit la durée de l’hospitalisation ;
– l’instauration d’une Commission départementale des hospitalisations psychiatriques qui comprend :
• un psychiatre désigné par le procureur général,
• un magistrat désigné par le premier Président de la Cour d’Appel,
• deux personnalités qualifiées désignées pour l’une par le président du Conseil Général et l’autre par le Préfet. L’une d’elle doit obligatoirement être un psychiatre et l’autre, affiliée à une organisation représentative des familles de patients malades mentaux.
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Table des matières
Résumé
Introduction
I. Un point sur la législation actuelle des soins sans consentement en psychiatrie
A. Evolution historique
1. Loi Esquirol de 1838
2. Loi Evin du 27 juin 1990
3. Loi du 5 juillet 2011
a) Ce qui ne change pas
b) Ce qui change
4. La réforme partielle du 27 septembre 2013
II. Actuellement
A. Des soins sans consentement, pour quelles situations, dans quelles conditions de rédaction ?
B. Les différents modes de placement
1. A la demande du directeur de l’établissement
a) Soins psychiatriques à la demande d’un tiers (SPDT)
b) Soins psychiatriques d’urgence (SPU)
c) Soins en péril imminent (SPI)
2. A la demande du représentant de l’Etat (SPDRE)
C. Le déroulement
1. Le temps d’évaluation médicale
2. La rencontre avec le Juge des Libertés et de la Détention
3. Les recours aux verdicts de mainlevées
D. Les motifs de mainlevées
1. Les éléments de légalité externe
a) L’incompétence de l’auteur des décisions
b) L’incompétence du médecin
c) L’absence de motivation des décisions
d) La non-rétroactivité de la décision
e) Le non-respect des délais
f) L’absence de production de l’ensemble des certificats médicaux
g) Le défaut de qualité du tiers et l’invalidité de la demande de soins
h) Péril imminent et absence de tiers qualifié
2. La procédure contradictoire
a) Le défaut d’information préalable du patient sur ses droits de communication et de
recours
b) Le défaut d’information préalable du patient sur les décisions le concernant
c) Le défaut de prise en compte des observations du patient
d) Le défaut d’accès du patient au dossier transmis au greffe du Juge des Libertés et de la
Détention
e) Le défaut d’accès du patient à l’intégralité du dossier médical
f) L’absence de justification médicale de l’absence du patient à l’audience
g) L’absence du mandataire en cas d’audition d’un majeur protégé
3. La justification de la nécessité médicale
a) La motivation médicale
b) La réalité objectivée des troubles
4. Le non-respect des obligations concernant l’isolement et la contention
5. Le droit au recours effectif en appel
III. Situation nationale
A. Quelques chiffres
B. De grandes disparités territoriales
C. Les situations de mainlevées
IV. Situation quimpéroise en 2017 et 2018
A. Matériel et méthode
1. Concernant les données nationales
2. Concernant les données de l’EPSM Gourmelen
B. Les hospitalisations en soins sans consentement
C. Les mainlevées du juge des Liberté du tribunal de Quimper
1. En 2017
a) Zoom sur la file active
b) Taux de mainlevée
c) Détails des modes de placement concernés
d) Motifs de mainlevée
2. En 2018
a) Zoom sur la file active
b) Taux de mainlevée
c) Détails des modes de placement concernés
d) Motifs des mainlevées
D. Le devenir des patients
1. Devenir immédiat des patients
2. Devenir plus tardif
E. Cas Clinique
V. Discussion
Conclusion
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