La recherche fondamentale a pour objectif de répondre à des problématiques de domaines bien différents les uns des autres. La finalité est de comprendre les phénomènes physiques, biologiques et chimiques qui nous entourent. La compréhension de ces problèmes mène à des savoirs indispensables à nos sociétés. En effet, les recherches menées tout au long de l’ère humaine ont permis de rendre compréhensible des phénomènes inexplicables jusqu’alors et qui avaient mené à des croyances infondées. Ces études fondamentales sont également indispensables à la recherche appliquée et permettent le développement de nouveaux outils parfois très rapidement utiles, même s’il peut arriver que dans certains cas, les réels progrès apportés par des technologies émergentes puissent être discutés de manière critique. Le développement de nouvelles techniques, par exemple les ordinateurs quantiques ou les « bistouris laser », est basé sur les résultats fondamentaux de la physique quantique pour le premier et de l’optique pour le deuxième.
La recherche fondamentale évolue de nos jours si bien que le cloisonnement qui existait entre les différents domaines, disparaît au profit de sujets de recherche communs et nécessitant l’expertise de plusieurs champs disciplinaires pour être résolu. Les outils et techniques développés dans un domaine pour une application donnée peuvent être adaptés et réutilisés pour des applications dans des domaines très différents. Notamment, le développement des micros et nanotechnologies, développées initialement pour créer les composants des outils informatiques quotidiennement utilisés, est maintenant utilisé pour créer des microdispositifs miniaturisés servant dans le domaine de la santé. Notre sujet d’étude qui sera décrit dans ce mémoire relève de cette typologie. L’étude de la migration des macrophages ex vivo implique le développement de microdispositifs via des processus propres aux microtechnologies de salle blanche, mais également la manipulation de cellules biologiques vivantes ainsi que le traitement d’images, soit l’utilisation de compétences interdisciplinaires.
Les macrophages et leur environnement
Rôle immunitaire des macrophages
Le système immunitaire décrit l’ensemble des mécanismes de défense de notre organisme. Si un agent pathogène infecte nos organes, deux processus s’actionnent en parallèle pour l’éliminer :
L’immunité dite innée : les neutrophiles et macrophages phagocytent rapidement les éléments étrangers et les détruisent.
L’immunité dite adaptative : les différents types de lymphocytes coopèrent afin de supprimer les agents pathogènes, notamment par la sécrétion d’anticorps spécifiques.
Ces deux processus impliquent la reconnaissance du “soi” et du “non-soi” et sont en interaction : les leucocytes communiquent par des protéines qu’elles produisent pour moduler les actions du système immunitaire en fonction du niveau de l’inflammation. Ces cellules sont donc toujours en mouvement et s’autorégulent. Au cours de ma thèse, je me suis plus particulièrement à la capacité de migration des macrophages, cellules clés de notre immunité innée.
Migration des macrophages
Les macrophages évoluent au sein de tous les tissus des organes et sont capables de migrer d’un tissu à l’autre. Pour ce faire, ils migrent au travers des parois endothéliales, comme les vaisseaux sanguins et lymphatiques, à travers les membranes basales sous-jacentes et les tissus interstitiels. Ils passent donc d’un support de migration plan à un support de migration tridimensionnel. Afin de se mouvoir dans ces différents environnements, les macrophages peuvent utiliser des modes de migration différents, dont les deux extrêmes sont le mode amiboïde et le mode mésenchymateux.
Mode mésenchymateux & amiboïde
Une étude a été menée en 2010 par Van Goethmen dans l’équipe de Maridonneau Parini sur les modes de migration 3D des macrophages. L’étude a démontré que les macrophages pouvaient adapter leur mode de migration en fonction de l’organisation des fibres dans les matrices dans lesquels ils migrent.
Mode mésenchymateux
Ce mode est utilisé lors de la migration des macrophages dans du Matrigel ou des gels peu poreux de collagène, comme imagé dans la figure 11 (b et c) et 12 . La figure 12 schématise la forme adoptée par les macrophages pour migrer dans cette matrice. La vitesse de migration est lente, de 10 µm/h jusqu’à 30 µm/h. Les cellules sont allongées et forment de longues protrusions ainsi que des structures à leurs extrémités qui sont suspectées de jouer un rôle dans la dégradation de la matrice. Ces structures peuvent être identifiées comme des podosomes 3D. En effet, des composants des podosomes 2D comme l’actine filamenteuse et la paxiline sont co-localisés dans ces structures.
Deux types de macrophages sont observés dans ces matrices, ce qui explique l’intervalle dans les vitesses de migration. En effet, certains macrophages peuvent être qualifiés de meneurs, car ils créent des tunnels lors de leur migration dans la matrice en la dégradant, ils ont une vitesse de migration lente (10 µm/h). D’autres macrophages empruntent ces tunnels et n’ont pas besoin de dégrader la matrice, ils ont donc une vitesse de migration plus rapide (30 µm/h). Ce type de migration dépend fortement de l’activité de dégradation de la matrice extracellulaire. Inversement, l’inhibition de la kinase ROCK n’impacte pas l’invasion des macrophages à travers des matrices denses .
Mode amiboïde
Ce mode de migration est par exemple observable dans des matrices poreuses de collagène I . Dans de telles matrices, les macrophages adoptent une forme arrondie, comme schématisés sur la figure 13 avec de petites protrusions instables. Ils migrent dans la matrice avec une vitesse de migration d’environ 40 µm/h. L’inhibition de ROCK impacte la migration des macrophages à travers des matrices poreuses de collagène, mais pas l’inhibition de la dégradation de la matrice extracellulaire .
Un continuum de mode de migration
L’étude de la migration sur d’autres types de cellules (humaine ou de lignée) a montré que les macrophages n’étaient pas les seules cellules à utiliser ces modes de migration selon le milieu dans lequel elles évoluent. Il n’existe pas uniquement deux modes de migrations, mais un continuum de modes de migration , voir figure 14. Trois paramètres influent sur le mode de migration: (i) l’adhérence de la cellule au substrat (ii) la contraction du cortex cellulaire (couche du cytoplasme), et (iii) la présence de protrusions .
(i & iii) Les protrusions produites par les cellules permettent d’appliquer des forces de traction à l’avant de la cellule, via des sites d’adhérence, menant à la migration de la cellule. Plus il est facile pour les cellules d’adhérer, plus elles utiliseront le mode de migration mésenchymateux. À noter que certaines cellules, comme les leucocytes et les macrophages, adhèrent aux substrats sans former des fibres de stress et peuvent passer au mode de migration amiboïde tout en continuant à adhérer au substrat .
(ii) La contraction du cortex cellulaire se produit quand deux conditions sont réunies : lorsque la cellule ne peut plus adhérer sur le substrat et lorsqu’elle est confinée par son environnement. En effet, quand la cellule ne peut adhérer sur un substrat, elle va réorganiser son cytosquelette. La cellule ne formera plus d’adhérences focales et va augmenter la tension de son cortex. Deux modes amiboïdes ont été mis en évidence selon le degré de confinement de la cellule. Quand le confinement est faible, la contraction est faible, la cellule utilise une forme ronde avec de petites protrusions instables. Quand le confinement est important, la contraction augmente, la cellule va former un bleb à l’avant et transférer le cytoplasme et le noyau dans ce nouveau bleb . La vitesse du flux rétrograde du cortex est corrélée à la vitesse de migration de la cellule. Les forces de friction transmises du cortex à la membrane puis à son environnement permettent à la cellule d’avancer.
Deux stratégies différentes sont donc adoptées par la cellule pour migrer dans des environnements tridimensionnels : Soit la cellule dégrade la matrice et la remodèle pour pouvoir avancer, soit la cellule se « contorsionne » pour passer à travers les pores de la matrice . Dans ce cas, la cellule doit déformer son noyau pour pouvoir migrer.
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Table des matières
Introduction Générale
Chapitre 1 : Contexte & État de l’art
1.1.Les macrophages et leur environnement
1.1.1. Rôle immunitaire des macrophages
1.1.2. Activation des macrophages
1.1.3. Rôle du microenvironnement
1.1.4. Contextes pathologiques
1.2.Propriétés mécaniques des macrophages
1.2.1. Les structures d’adhérences des macrophages : Podosomes
1.2.2. Perception et transduction des stimuli mécaniques au sein de la cellule
1.3.Migration des macrophages
1.3.1. Mode mésenchymateux & amiboïde
1.3.2. Un continuum de mode de migration
1.3.3. Rôle du noyau
1.3.4. Forces appliquées pendant la migration
1.4. Mesure de forces cellulaires
1.4.1. Panorama des techniques expérimentales actives
1.4.2. Panorama des techniques expérimentales passives
1.5.Objectifs de la thèse
Chapitre 2 : Micro canaux équipés de capteurs de forces pour l’étude de la migration des macrophages en milieu confiné
2.1. Fabrication de canaux équipés de micropiliers en PDMS
2.1.1. Design des dispositifs
2.1.2. Fabrication du moule
2.1.3. Réplique du moule en PDMS
2.2. Caractérisation du dispositif et modélisation des capteurs de force
2.2.1. Caractérisation des dimensions
2.2.2. Évaluation des propriétés mécaniques des piliers de PDMS
2.3. Analyse de la flexion des piliers due aux forces mécaniques des macrophages en migration confinée
2.3.1. Acquisition des images
2.3.2. Recalage des images
2.3.3. Segmentation des images de fluorescence
2.3.4. Suivi des piliers
2.3.5. Classification des piliers
2.3.6. Recalage des piliers
2.3.7. Zone nucléaire et extra nucléaire
2.3.8. Evaluation de l’orientation et de l’amplitude des forces
2.3.9. Limitation de détection
2.4. Résultats : Migration des macrophages dans les canaux équipés de piliers
2.4.1. Mise en place de l’expérience
2.4.2. Observation de la migration des macrophages dans les canaux équipés ou non de piliers
2.4.3. Observation des macrophages fixés dans les canaux au microscope électronique à balayage
2.4.4 Observation des macrophages par immunofluorescence en 3D
2.4.5. Les noyaux des macrophages
2.5. Résultats : Forces appliquées par les macrophages pour fléchir les piliers
2.5.1. Amplitude de la flexion
2.5.2. Orientation des forces
2.6. Conclusion et discussion
Chapitre 3 : Treillis tridimensionnels pour l’étude de la migration des macrophages en 3D
3.1. Fabrication des treillis par lithographie optique à deux photons
3.1.1. Design du réseau 3D
3.1.2. Fabrication de réseaux en résine par lithographie laser biphotons
3.2. Caractérisation du réseau 3D
3.2.1. Mesure dimensionnelles des structures
3.2.2 Propriétés mécaniques de la résine et du réseau
3.3. Analyse des déformations des poutres du réseau 3D par les macrophages
3.3.1. Traitement d’images appliqué aux vidéos pour l’analyse des déformations : Déformées des poutres & suivi des nœuds du réseau
3.3.2. Déformées de la maille
3.4. Observation et caractérisation de la migration 3D au sein du réseau Tridimensionnel
3.4.1. Invasion de l’échafaudage par les cellules
3.4.2. Déformation du réseau par un macrophage
3.4.3. Evaluation des forces cellulaires dans le contexte 3D
3.5. Conclusion
Conclusion générale