Les Lymphomes Non-Hodgkiniens, des cancers complexes à appréhender
Deux caractéristiques communes aux pathologies cancéreuses
La théorie du dysfonctionnement cellulaire et un temps de latence important
La cellule est la plus petite unité vivante constitutive des êtres vivants. Chez les êtres humains, c’est elle qui contient l’information génétique. Innombrables (entre 10 000 et 100 000 milliards) et associées les unes aux autres, elles assurent le bon fonctionnement des organes et de l’organisme de manière générale. Schématiquement, la vie d’une cellule peut être découpée en quatre phases : la naissance, la croissance, la sénescence et la mort. Au cours de sa vie, chaque cellule donne naissance à une nouvelle cellule et lui transmet ainsi l’ensemble des informations génétiques qu’elle contient. Seulement, « il arrive que certains gènes [transmis] présentent des anomalies. Le programme de fonctionnement de la cellule peut alors être déréglé et celle-ci peut se comporter de façon anormale […]. Elle se multiplie et produit des cellules anormales qui prolifèrent de façon anarchique et excessive » (France Lymphome Espoir, INCa, 2019, p. 13), conduisant à la formation d’une tumeur. Celle-ci peut être bénigne (c’est-à-dire qu’il s’agit, selon l’Institut National du Cancer (INCa) (s.da), d’un « amas de cellules non cancéreuses [qui] se développe lentement, sans produire de métastase et ne récidive pas si elle est enlevée complètement »), ou maligne, c’est-à-dire, cancéreuse. Ainsi, si le cancer désigne une multiplicité de pathologies distinctes (selon l’(es) organe(s) touché(s), les modalités de son évolution, son agressivité, etc.), il s’agit de pathologies qui ont toutes en commun de résulter d’un dysfonctionnement cellulaire.
Carson (1962) rappelle ainsi les premières études ayant envisagé cette théorie, aujourd’hui admise au sein de la communauté scientifique. Elle explique que « l’une des plus séduisantes théories relatives à l’origine des cellules cancéreuses a été imaginée par un biochimiste allemand, le professeur Otto Warburg, de l’Institut Max Planck de physiologie. […] L’intelligence des faits ainsi observés lui a fait concevoir un jour, [de manière] claire et frappante, l’explication du phénomène, qui d’un organisme sain fait une cellule pathologique » (p. 262). Elle ajoute que « la théorie de Warburg permet d’expliquer bien des faits troublants : l’extrême lenteur d’évolution de la plupart des cancers [notamment]. [Cette théorie] explique aussi pourquoi de petites doses répétées de carcinogènes sont parfois plus dangereuses qu’une grosse. La dose forte tue un certain nombre de cellules, sans plus ; au contraire, un empoisonnement faible blesse ces organismes, qui risquent de devenir cancéreux en s’efforçant de survivre. Il n’existe donc pas de dose inoffensive pour un carcinogène » (Ibid., p. 263). Ainsi, comme le rappelle très justement Thébaud-Mony (2008), « le cancer ne répond pas au modèle biologique « une cause = un effet ». Le cancer est un processus long qui dure souvent plusieurs décennies de la vie d’un individu. Le processus se fait en plusieurs étapes et se développe en interaction entre les expositions simultanées et successives de l’individu à des cancérogènes (dans son milieu de travail, de vie) et leur inscription dans le développement biologique et vital de l’individu […] » (p. 239).
Des causes multiples et des effets de synergie difficiles à apprécier
Deux types de facteurs peuvent alors être à l’origine du dysfonctionnement cellulaire. D’une part, il s’agit des facteurs endogènes, c’est-à-dire propres à l’individu (âge, sexe, éventuelles prédispositions génétiques). Les cancers sont effectivement des pathologies, qui du fait du temps de latence important évoqué ci-dessus, se développent essentiellement chez les sujets d’âge avancé (exception faite des cancers pédiatriques). C’est un des éléments qui participent à expliquer l’importante augmentation des cas de cancers dans les pays au moment où l’espérance de vie devenait plus importante. D’autres part, les facteurs exogènes (expositions à des substances cancérogènes dans le milieu de travail, de vie, etc.) peuvent aussi provoquer ces dysfonctionnements. Lorsque ces facteurs sont en cause, ces cancers sont dits « évitables » dans la mesure où la mise en place d’actions de prévention adaptées permettrait de réduire considérablement le développement des pathologies associées. Dans un numéro de ses Cahiers de la Recherche (2018), l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (Anses) explique que le cancer « a de multiples causes, souvent cumulées et [qu’il] résulte des interactions entre des facteurs génétiques propres à un individu et des agents cancérogènes (physiques, chimiques, biologiques) si bien qu’aujourd’hui, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), 30% des cancers seraient liés à des facteurs de risques évitables » (p. 1). L’Anses précise aussi qu’en France, ce sont « 40% des cancers [qui pourraient] être prévenus […] car ils sont attribuables au mode de vie et à l’environnement » (Ibid.). Toutefois, l’identification de ces facteurs de risque exogènes est complexe. Thébaud-Mony insiste en effet « sur le fait qu’il n’y a pas de « signature » du cancer permettant de « choisir », pour un individu atteint de cancer, entre différentes causes. L’histoire de l’exposition à des cancérogènes d’un patient atteint de cancer peut être reconstituée, mais elle ne permet pas d’identifier la « cause » de ce cancer, le plus probable étant que chacun des différents cancérogènes a pu jouer un rôle dans le processus ayant engendré et permis le développement de ce cancer » (Thébaud-Mony, op cit., p. 240). L’Anses admet effectivement que « […] la mise en évidence des risques potentiels et de liens entre un ou des agent(s) et la survenue d’un cancer soulève des difficultés méthodologiques (expositions chroniques à de faibles doses, périodes de latence parfois très longues entre l’exposition et l’apparition de la maladie) […]. Estimer les expositions combinées à plusieurs produits chimiques et les risques associés constituent un défi scientifique » (Anses, op. cit., p. 1).
« On ne peut plus parler du cancer au singulier » (Foucault, 2012, p. 16). Face à cette complexité, la nécessité de décrire et classer ces différents types d’affection est très tôt apparue nécessaire. Une classification peut se définir comme « un ensemble organisé de rubriques dans lesquelles on range des entités morbides en fonction de critères déterminés » (ATIH, 2020, p. 9). Il existe une Classification Internationale des Maladies (CIM), dont la 10ème révision a été publiée en 1993 par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Cette classification doit « permettre l’analyse systématique, l’interprétation et [la] comparaison des données de mortalité et de morbidité recueillies dans différents pays ou régions et à des époques différentes. La CIM est utilisée pour transposer les diagnostics de maladies ou autres problèmes de santé, en codes alphanumériques, ce qui facilite le stockage, la recherche, l’analyse des données et son utilisation en épidémiologie, en planification et en gestion sanitaire, ou encore à des fins cliniques » (Ibid., p. 3). Historiquement, les premières classifications statistiques remonteraient au XVIIIème siècle. « Alors que les premières classifications n’avaient porté que sur les causes de décès, la Sixième Révision de 1948, avait élargi la Classification aux maladies n’entraînant pas la mort. Cet élargissement a été poursuivi avec la Neuvième Révision, avec l’introduction de certaines innovations destinées à répondre aux besoins statistiques d’organismes les plus divers » (Ibid., p. 17).
Les cancers font l’objet d’une classification particulière : la Classification Internationale des Maladies pour l’Oncologie (CIM-O), dont la première version a été publiée en 1976. La CIM-O « classe ainsi chaque tumeur en fonction de quatre critères : son site d’origine (par exemple le poumon), son aspect microscopique (histologie), son degré de différenciation (par exemple une tumeur pulmonaire peut se présenter sous forme d’un carcinome épidermoïde faiblement différencié), et le comportement biologique (tumeur biologiquement agressive et maligne, ou au contraire, bégnine) » (Saracci et Wild, 2016, p. 111). Qu’il s’agisse du ou des organe(s) touché(s), de l’agressivité de la tumeur, de l’évolution de la maladie, ou même encore de la cancérogénèse elle-même, les avancées biologiques, médicales et technologiques de ces dernières décennies ont incontestablement mis en évidence le caractère complexe de ces affections. Il en est de même pour la compréhension de ses causes – l’étiologie – qui est, encore en grande partie, plus ou moins méconnue, largement débattue et génératrice de controverses. Cela est le cas pour certains types de cancers, tels que les LNH.
Les LNH, quelles spécificités ?
Hémopathies malignes : des cancers pas comme les autres
Les hémopathies malignes sont des affections particulièrement complexes à cerner car, à la différence des cancers solides, les hémopathies malignes ne se développent pas à partir d’un site spécifique. Les cellules « déréglées » et « anormales » circulent en effet dans l’ensemble de l’organisme et ce faisant, peuvent aussi bien être localisées dans les organes hématopoïétiques, c’est-à-dire les organes qui sont spécialisés dans « l’ensemble des mécanismes impliqués dans la production des diverses cellules sanguines, à partir de la cellule souche hématopoïétique […] » (Hematocell, 2016) que dans n’importe quel autre organe du corps humain. De plus, il s’agit d’un ensemble de cancers du sang particulièrement hétérogène, composé de nombreux types et sous-types histologiques différents. Chacun d’entre eux possède des caractéristiques propres et peut être le fait d’une anomalie portant sur différentes cellules ou ayant eu lieu à différents moments de la division cellulaire, appelée hématopoïèse .
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Table des matières
Introduction générale
1. Les Lymphomes Non-Hodgkiniens, des cancers complexes à appréhender
1.1. Deux caractéristiques communes aux pathologies cancéreuses
1.2. Les LNH, quelles spécificités ?
2. Lutte contre les cancers : quels enjeux ?
2.1. Le cancer jusqu’à la veille de la Grande guerre
2.2. Les avancées de la lutte contre les cancers au lendemain des Guerres mondiales
2.3. Les Plans Cancer des années 2000 : un tournant dans la structuration de la lutte
3. Une contribution à la lutte contre l’invisibilité des cancers d’origine professionnelle et environnementale
Chapitre 1 Surveillance épidémiologique des cancers : état des connaissances. Le cas des Lymphomes Non-Hodgkiniens de l’adulte en basse vallée du Rhône
Introduction
1. Les modalités de la surveillance épidémiologique en France
1.1. Un dispositif de référence : les registres de cancers
1.2. De l’enjeu d’inscrire les registres dans une véritable politique de santé publique
2. Incidence des LNH en France et en basse vallée du Rhône, un état des lieux
2.1. Incidence des LNH aux niveaux national, régional et départemental
2.2. Une surveillance épidémiologique « en routine » partielle, les limites du dispositif
3. Quid d’une surveillance épidémiologique au niveau local ?
3.1. Statut des investigations spatio-temporelles de cas de cancer et apports dans le cadre de la surveillance épidémiologique
3.2. Un état des lieux des investigations spatio-temporelles de cas de cancers aux États-Unis
3.3. Les investigations d’agrégats en basse vallée du Rhône : illustration à partir des études en lien avec l’UIOM de Vedène et le site nucléaire du Tricastin
Conclusion
Chapitre 2 Approches géographiques des risques d’exposition cancérogène en basse vallée du Rhône. Positionnement d’une recherche « à l’interface »
Introduction
1. De l’importance des approches géographiques en santé
1.1. Des approches géographiques pertinentes malgré un positionnement difficile aux côtés de l’épidémiologie
1.2. Réalités des risques d’exposition cancérogène : hypothèses, objectifs et méthodes
2. Une inscription dans un dispositif de santé publique inédit : le Groupement d’Intérêt Scientifique sur les Cancers d’Origine Professionnelle en Vaucluse (GISCOP84)
2.1. Des intuitions et les prémices d’une géographie de la maladie
2.2. L’ancrage du GISCOP84 au sein de l’hôpital
3. Le GISCOP, un dispositif de santé publique pas comme les autres
3.1. Rendre visibles les impacts du travail sur la santé
3.2. De la Seine-Saint-Denis « industrielle » au Vaucluse « rural » : adapter les dispositifs aux contextes dans lesquels ils sont implantés
Conclusion
Chapitre 3 Une géographie des Lymphomes Non-Hodgkiniens de l’adulte. Disparités géographiques locales en basse vallée du Rhône
Introduction
1. Une source de données inédites
1.1. De la nécessité de se conformer à la réglementation en vigueur
1.2. Constituer une base de données « sur mesure » : sources des données et choix des variables
2. Incidence des LNH en Vaucluse : calcul des RSI à un niveau fin
2.1. Les paramètres retenus pour le calcul des SIR
2.2. Calculs des RSI au niveau infra-départemental : enseignements et limites
Conclusion
Chapitre 4 La basse vallée du Rhône, un territoire à risque cancérogène ? Une géographie des facteurs de risque associés au développement des LNH
Introduction
1. La basse vallée du Rhône, attractivité d’un territoire à risque
1.1. Urbanisation et industrialisation dans le couloir Rhodanien et activités agricoles dans les arrièrepays
1.2. La basse vallée du Rhône, des identités multiples, une destination touristique reconnue
2. Reconstituer la géographie des facteurs de risques en basse vallée du Rhône
2.1. Reconstituer la géographie des facteurs de risque : paramètres et limites
2.2. Sur-incidences communales et facteurs de risque d’exposition cancérogène en lien avec les LNH
Conclusion générale