Les verreries artistiques de Gallé, Lalique ou Daum sont devenues les lots vedettes de nombreuses ventes aux enchères consacrées aux arts décoratifs français du début du XXe siècle.
Le mémoire de recherche en histoire de l’art contemporain réalisé en master I, nous a particulièrement sensibilisé aux productions artistiques lorraines. Nous avons été amenés, dans le cadre de la formation proposée par l’université de Grenoble à effectuer un stage au sein de la maison de ventes de maîtres Damien Leclere et Delphine Orts alors qu’une vente Art Nouveau-Art Déco y avait été programmée. C’est donc logiquement que nous en sommes venus à nous intéresser de plus près à ce secteur. Une consultation attentive des anciens catalogues nous a permis de nous rendre compte que la plupart des vacations dédiées comportaient deux chapitres spécifiques : l’un dévolu à l’Art Nouveau et le second à l’Art Déco. Étudier les œuvres de cette période est synonyme d’une plongée dans le Paris de la Belle Époque, dans le naturalisme de l’École de Nancy, dans le modernisme de l’Art Déco pour enfin se trouver confronté aux nouvelles tendances stylistiques de l’avant Seconde Guerre mondiale.
Il nous est immédiatement apparu que dans une majorité de ventes aux enchères figuraient des luminaires portant les signatures de Gallé ou de Daum. Monsieur Alastair Duncan, spécialiste reconnu venant de terminer un livre intitulé Gallé Lamps nous nous sommes alors interrogés sur le fait qu’aucun ouvrage équivalent n’avait jamais été écrit sur celles produites par Daum. Si les maîtres verriers nancéiens ont fait l’objet d’un nombre important de recherches, beaucoup d’aspects n’ont été que sommairement évoqués ou n’ont pas encore été approfondis. Les publications consacrées à Daum n’abordent les éclairages que de manière très laconique comme si ces objets n’étaient qu’une facette mineure de leur production. Or, le marché de l’art adopte un positionnement inverse et considère que les lampes sont les œuvres les plus significatives et donc les plus susceptibles d’atteindre de très hauts prix. Cette dichotomie entre le peu d’informations éditées et la multiplicité de luminaires proposés en ventes publiques nous a engagé à nous consacrer plus exclusivement à ce département.
Plus encore que Gallé, Daum nous offre la possibilité d’une vaste exploration ne serait-ce que parce que cette manufacture est encore aujourd’hui en activité. En prenant soin d’éviter l’exercice du catalogue raisonné, du précis, de l’argus ou du guide, nous nous sommes livrés à une étude destinée à mettre en relief la spécificité des luminaires réalisés par les ateliers Daum. Pour ce faire, nous avons du constituer notre propre banque de données iconographique en collationnant près d’un millier d’exemplaires différents.
Ce faisant, nous avons découvert que Daum avait également établi des relations avec de nombreux créateurs extérieurs. Aucun récapitulatif de ces partitions à plusieurs mains n’ayant jamais été effectué, nous nous sommes attelés à en retrouver trace et à récapituler ces différents partenariats, depuis la création de l’entreprise jusqu’à la fin des années 1930. Nous avons tenu à expliquer, comment en dépit d’un manque total de compétence dans les domaines aussi bien techniques qu’esthétiques, les fils de Jean Daum avait su faire preuve d’une rare perspicacité commerciale.
Après une rapide présentation historique de la naissance de la manufacture à l’aube d’un nouveau siècle, nous allons tenter d’expliciter les innovations techniques que Daum allait devoir mettre au point pour être en mesure de rivaliser avec ses principaux concurrents. Afin de mieux cerner le contexte dans lequel s’est déroulé ce singulier parcours industriel et artistique, nous avons souhaité mettre en exergue l’exemplarité des liens qui allaient se nouer entre les familles Daum et Majorelle. Désireux de ne pas se cantonner aux seules recherches à caractère historique, dans l’optique d’un mémoire de master professionnalisant, nous avons également voulu ancrer notre travail dans l’actualité en retraçant l’évolution des cotations sur le marché international à travers quelques vacations parmi les plus représentatives. Plusieurs livres ont été publiés sur l’oeuvre verrière de Daum cependant nos recherches nous ont invité à rectifier quelques erreurs flagrantes qui figuraient dans ces ouvrages de référence. En dépit de nombreuses consultations auprès des différentes sources accessibles, nos investigations ne nous ont pas permis de retrouver certains éléments fondamentaux. Nous avons donc été contraints de solliciter l’assistance de collectionneurs privés. Des documentations parfois inédites nous ont entraîné à évoquer des réalisations de Daum complètement ignorées des archives de l’entreprise comme, par exemple, l’Hôtel Bouctot-Vagniez d’Amiens.
Grâce à la bienveillance de Monsieur Crantz, directeur artistique de Daum, nous avons pu consulter les esquisses préparatoires ce qui a grandement contribué à une meilleure compréhension des productions de la firme nancéienne . Paradoxalement, ce n’est pas le manque de documentation iconographique qui nous a posé problème mais son trop plein. Effectuer une sélection drastique des exemplaires les plus pertinents a été un exercice délicat.
L’existence sur le marché de copies de piètre qualité n’ayant jamais impacté la côte des verreries Daum, nous avons délibérément choisi de ne pas évoquer ces contrefaçons. De même, le peu d’exemplaires de montures en bois ne nous a pas permis de mesurer l’importance de ce type de fabrication, nous avons donc préféré ne pas les mentionner. Monsieur Patrick-Charles Renaud a écrit un ouvrage destiné à rendre hommage aux talentueux salariés de Daum. À partir de ce livre, nous avons entrepris d’établir un listing de ces employés et nous avons tenté de rentrer en contact avec les familles. C’est ainsi que nous avons eu le privilège d’interviewer Madame Evelyne Gisquet, veuve du graveur Louis Gisquet. Recueillir ses déclarations nous a mis en situation de beaucoup mieux appréhender la période du milieu des années 20 correspondant à l’époque où son époux avait débuté son apprentissage . Cette entrevue nous a fait prendre conscience du rôle fondamental qu’avait joué l’exposition des Arts Décoratifs de Paris 1925 tant auprès des ouvriers de la verrerie que vis-à-vis du grand public. Plus encore que les documents d’archives, le précieux témoignage de Madame Gisquet nous a fait partager l’atmosphère de modernité et de créativité qui imprégnait les ateliers de l’usine nancéienne jusqu’aux grandes grèves du front populaire. Décennie après décennie, nous soulignerons l’évolution stylistique des luminaires Daum ainsi que celle des bronziers et ferronniers. Figure emblématique de cette corporation, nous nous consacrerons à évoquer la personnalité éminente d’Edgar Brandt.
L’installation en 1998 dans les nouveaux locaux de l’espace Landowski du musée des années 30 de Boulogne Billancourt a doté celui-ci d’un espace de plus de 3000 mètres carrés qui ont enfin permis d’exploiter dans de meilleures conditions le fonds et les archives. C’est avec l’appui de cette institution que nous avons été en mesure de trouver les renseignements qui nous faisaient défaut concernant les métalliers. Nous avons poursuivi nos investigations afin d’examiner comment Daum s’était aussi investi dans des domaines comme l’ameublement, la sculpture ou l’architecture. Dans un dernier chapitre et ce grâce aux récolements effectués par les maisons de ventes, nous avons entrepris d’observer de plus près les variations enregistrées sur le marché des luminaires Daum exécutés de la fin de la Première Guerre mondiale jusqu’au seuil de la seconde.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1 – 1870-1909
LES LUMIERES DE L’ART NOUVEAU
CHAPITRE 1 – À L’AUBE D’UN NOUVEAU SIECLE
Rappels historiques
Art Nouveau et École de Nancy
Gallé : un modèle et un concurrent
CHAPITRE 2 – LES INNOVATIONS TECHNIQUES OU LA GUERRE DES BREVETS
Ciselure sur plaquette : une autre marqueterie de verre
Patine sur verre contre décor intercalaire
Vitrifications de poudres colorées
CHAPITRE 3 – LES COLLABORATIONS
Le naturalisme : les lampes floriformes
Œuvres de commande et lampes remarquables
L’alliance Daum-Majorelle
CHAPITRE 4 – LE MARCHE DU LUMINAIRE ART NOUVEAU
Le luminaire comme spécialité
Éditions limitées et productions de série
Daum au feu des enchères
PARTIE 2 – 1909-1939
UN NOUVEL ART DE VIVRE
CHAPITRE 1 – LE REFLET DE LA MODERNITE
D’une exposition à l’autre
De la stylisation à la géométrisation
Un souffle nouveau
CHAPITRE 2 – À L’AVANT-GARDE DE LA MODERNITE
La tentation de la sculpture
Un partenariat exemplaire : Daum-Brandt
L’ambition architecturale
CHAPITRE 3 – LA TECHNIQUE AU SERVICE DE L’ESTHETIQUE
De l’alchimie à la chimie
La verrerie de Belle Étoile
Jade et verres forgés
CHAPITRE 4 – LE MARCHE DU LUMINAIRE ART DECO
Le lustre des années folles
Du métal et du verre
Les feux de la rampe
CONCLUSION
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