Les logiques de la pratique touristiqueย
Le voyage, en transcendant les univers sociaux comme les diffรฉrentes ยซ scรจnes ยป de la rรฉalitรฉ, embrasse toutes les mobilitรฉs imaginables et celles qui sont matรฉriellement possibles. Il en est le vecteur commun et le cadre gรฉnรฉral qui peut les voir sโactualiser sous diffรฉrentes formes : nomadisme, exil, tourisme, etc. Cโest aux pratiques induites par les aspects spรฉcifiques pris par le tourisme que nous consacrerons dorรฉnavant nos dรฉveloppements puisque notre projet de connaissance concerne la logique des pratiques urbaines des touristes ร Paris. Nous avons jusquโici apprรฉhendรฉ le touriste comme une catรฉgorie de voyageurs, pour laquelle nous avons sommairement pointรฉ la dimension de loisir qui la porte, sans expliquer les raisons de ce choix. Nous avons donc subordonnรฉ le tourisme ร une catรฉgorie plus gรฉnรฉrale qui lโembrasse โ le voyage โ et cโest en ce sens la dimension touristique du voyage qui nous intรฉresse. Nous dรฉfinirons le tourisme ร partir des รฉlรฉments qui, pour nous, caractรฉrisent en propre le touriste, dรฉmarche qui cible lโindividu et sa pratique. Sa singularitรฉ supposรฉe par rapport aux autres formes de voyageurs nรฉcessite dโรชtre questionnรฉe avant sa relation aux espaces urbains (cf. chapitre 3). Les questions soulevรฉes dans ce chapitre sont celles-ci : en quoi le contenu de la pratique touristique est-il original ? Quelles sont les dimensions spรฉcifiques dโun projet de voyage touristique ? Dans quelle mesure les logiques de la pratique touristique sโarticulent aux dimensions de ยซ rationalisation ยป et de ยซ standardisation ยป ?
Pour pouvoir pleinement traiter de ce qui institue en propre la pratique touristique, nous faisons cas dโun ensemble de dรฉbats et de dรฉveloppements thรฉoriques qui la discutent.
1) Dโune part, la pluralitรฉ et la complexitรฉ de lโunivers du tourisme, lequel doit composer avec une variรฉtรฉ dโapproches et dโinterprรฉtations. Dโautre part, lโexistence de croyances et de jugements de valeurs, lisibles dans des discours anti touristiques dรฉcoulant dโun antagonisme fortement ancrรฉ postulant que le touriste nโest pas un voyageur. Cet ensemble constitue un frein ร une clartรฉ conceptuelle. Se dรฉfaire des idรฉologies et comprendre la nature des prรฉjugรฉs qui visent les touristes constituent des รฉtapes nรฉcessaires pour saisir la maniรจre dont se construisent des catรฉgories et pour se dรฉgager de toute connaissance spontanรฉe.
2) Dans le cadre dโune dรฉmarche en deux temps, nous dรฉveloppons deux approches diffรฉrentes du touriste en partant, dโune part, de la dรฉfinition proposรฉe par lโOrganisation Mondiale du Tourisme (OMT) et, dโautre part, de la pratique touristique conรงue comme ยซ expรฉrience ยป. Les limites et les apories que soulรจve la dรฉfinition ยซ institutionnelle ยป nous permettront dโavancer vers la recherche dโรฉlรฉments gรฉnรฉriques aux touristes, et de traiter des thรจmes relatifs au loisir, ร la mobilitรฉ et au quotidien. La seconde approche dรฉveloppera les รฉvolutions des thรฉorisations de lโexpรฉrience touristique et prรฉsentera la figure du ยซ post-touriste ยป. Ce sera lโoccasion de revenir sur ses conditions dโรฉmergence et de traiter des incidences de la globalisation et de lโรฉconomie de lโimmatรฉriel sur lโexpรฉrience du touriste. Ces deux approches sont compรฉlmentaires : la premiรจre entend relever les traits structuraux de la pratique touristique tandis que la seconde cherche ร comprendre sa dimension dโexpรฉrience individuelle (que signifie-t-elle pour le touriste ?) .
3) Enfin, dans une partie conclusive, nous explicitons les choix de notre dรฉfinition en cohรฉrence avec nos prรฉcรฉdents dรฉveloppements sur le voyage et nous proposerons un glossaire de la terminologie adoptรฉe articulรฉ avec le cadre problรฉmatique initial.
Les freins ร une clartรฉ conceptuelle
Le fait touristique est marquรฉ par deux types de phรฉnomรจnes qui gรชnent une clarification sรฉmantique nรฉcessaire ร notre analyse. La complexitรฉ du fait touristique, dโune part, brouille lโidentitรฉ des diffรฉrentes pratiques voyageuses et rend, par consรฉquent, difficile un accord sur une terminologie ; la hiรฉrarchisation de ces pratiques, dโautre part, se trouve biaisรฉe sous lโeffet de jugements de valeur consacrant la figure du voyageur au dรฉtriment de celle du touriste.
Lโabsence dโune terminologie consensuelle
La complexitรฉ du fait touristique
Dโaprรจs le dictionnaire, la complexitรฉ est une difficultรฉ liรฉe ร lโexistence dโรฉlรฉments multiples et ร leurs relations nombreuses et diversifiรฉes. Sous cet angle, le fait touristique est complexe parce quโil mรชle des rรฉalitรฉs de nature diffรฉrente, un individu (le touriste) et un phรฉnomรจne plus global (le tourisme), qui elles-mรชmes impliquent diverses dimensions (รฉconomique, sociologique, politique, spatiale, etc.). Elles sont, par consรฉquent, diversement apprรฉciables selon les points de vue. Deux niveaux de difficultรฉs sont ici รฉvoquรฉs : la confusion entre le touriste et le tourisme, la fragilitรฉ des catรฉgorisations possibles.
La confusion entre le tourisme et le touristeย
Un premier niveau de difficultรฉ rรฉside dans lโabsence de dissociation dont peuvent faire lโobjet le touriste et le tourisme. Jusquโร prรฉsent, nous avons dรฉfini le voyage comme une mobilitรฉ, imaginรฉe ou rรฉelle, et succinctement posรฉ le tourisme comme une forme de voyage marquรฉe par le loisir. Nous lโabordons comme forme concrรฉtisรฉe en tant que mobilitรฉ effective au sein dโun territoire et non pas seulement en une forme imaginรฉe (auquel cas nous parlerions dโun imaginaire touristique : une mobilitรฉ imaginรฉe ayant le loisir pour perspective). Quant au touriste, il est, ร ce stade de lโanalyse, un type de voyageur de loisir. Bien que nous inscrivions ces deux rรฉalitรฉs โ tourisme et touriste โ dans la catรฉgorie gรฉnรฉrale du voyage et quโelles sโy manifestent comme formes spรฉcifiques, elles doivent รชtre dissociรฉes et leur amalgame รฉvitรฉ. En effet, elles sont souvent confondues ou trop peu distinguรฉes lโune de lโautre, ce qui suscite lโassimilation de deux ordres diffรฉrents de rรฉalitรฉ : une forme de voyage (le tourisme) et une catรฉgorie de voyageur (le touriste), c’est-ร -dire, dโune part, un ensemble dโactivitรฉs hรฉtรฉroclites et, dโautre part, une pratique rรฉalisรฉe au niveau de lโindividu. Le tourisme sโapparente plus ร une concentration dโactivitรฉs dont la caractรฉrisation est lโobjet de trรจs nombreuses spรฉculations thรฉoriques pour en dรฉterminer la nature : sโagit-il dโune industrie ? Lโactivitรฉ de loisir constitue-t-elleun dรฉnominateur commun pertinent aux touristes ? Le tourisme peut-il รชtre considรฉrรฉ comme une science ? La nature du phรฉnomรจne faisant dรฉbat, ses limites sont รฉgalement discutรฉes, sa circonscription restant รฉvolutive selon les perspectives choisies : est-ce une situation de loisir (au risque de signifier lโรฉquivalence entre le loisir et le tourisme) ou autre chose de plus ? Faut-il y impliquer les รฉvolutions sociรฉtales rรฉsultant de la globalisation ou en rester ร des caractรฉristiques moins conjoncturelles ? La limitation du touriste est autre, plus prรฉcise en apparence puisquโelle est celle de lโindividu, entitรฉ qui semble davantage repรฉrable et familiรจre, mรชme si la figure du touriste nโen est pas moins complexe (Urbain, 2002a).
Cette distinction entre le tourisme et le touriste est nรฉcessaire : lโun rรฉfรจre ร lโensemble des activitรฉs qui traitent de la mobilitรฉ de loisir, lโautre renvoie ร lโindividu dont les modalitรฉs spรฉcifiques dโaction sont dรฉfinies dans ce cadre ; lโun est circonscrit comme ยซ secteur ยป dโactivitรฉ, lโautre comme action humaine. Le premier sโapparente plus ร un ensemble composite dโactivitรฉs alors que la seconde se comprend mieux comme une maniรจre particuliรจre dโรชtre et dโagir. Sโil est important de les dรฉfinir ensemble de faรงon cohรฉrente, il ne faut pas pour autant mรฉlanger lโindividu et une rรฉalitรฉ plus globale composรฉe dโun ensemble hybride dโindividus et de rรฉalitรฉs non-humaines. Cโest, par exemple, le rรฉceptionniste dโun hรดtel qui prodigue un discours dโaccueil et de conseils, et lโhรดtel comme lieu matรฉriel de lโhรฉbergement. Cette distinction entre un acteur et une rรฉalitรฉ aux contenus divers nous permet de nous positionner dans lโanalyse du touriste plus que du tourisme puisque nous cherchons ร comprendre la diffรฉrenciation des pratiques des touristes en ville selon les projets portรฉs et les logiques ร lโลuvre dans ce processus de diffรฉrenciation. Cโest donc ร une caractรฉrisation du touriste que nous nous attelons ici, mais sans omettre le phรฉnomรจne plus global qui lโenvironne.
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Table des matiรจres
Introduction
Partie 1. Le projet, cadre dโanalyse des pratiques touristiques
Chapitre 1. Le projet, un cadre pour le voyageur
I. Dรฉfinition du voyage
II. Le projet et les formes de lโaction
III. Conclusion : le projet et les formes possibles du voyage
Chapitre 2. Les logiques de la pratique touristique
I. Les freins ร une clartรฉ conceptuelle
II. Les catรฉgorisations du touriste en questions
III. Dรฉfinition de la pratique touristique
Chapitre 3. La mรฉtropole parisienne comme espace touristique
I. La ville comme espace touristique
II. Le tourisme dans la mรฉtropole parisienne
Chapitre 4. Choix et mรฉthodologie des ยซ projets touristiques ยป
I. Synthรจse sur le ยซ projet touristique ยป
II. Lโanalyse de deux ยซ projets touristiques ยป
III. Mรฉthodes pour saisir les pratiques urbaines des touristes
Partie 2. Les pratiques urbaines des touristes ร Paris
Chapitre 5. Les pratiques urbaines des backpackers
I. Les logiques globales du voyage
II. Lโespace-temps des amรฉnitรฉs
III. Lโespace-temps des mobilitรฉs
IV. Les mรฉdiations du voyage
V. Conclusion sur les pratiques urbaines des backpackers
Chapitre 6. Les pratiques urbaines encadrรฉes par un tour-opรฉrateur
I. Les logiques globales du voyage
II. Lโespace-temps des amรฉnitรฉs
III. Lโespace-temps des mobilitรฉs
IV. Les mรฉdiations du voyage
V. Conclusion sur les pratiques urbaines des touristes voyageant en tour-opรฉrateur
Conclusion
Annexes
Bibliographie