Définition du litige au Pavillon
Selon sa définition juridique, un litige désigne un « différend entre deux ou plusieurs personnes, les uns contestant aux autres d’être titulaires d’un droit à l’exercice duquel ils prétendent » (1). Pour le dire autrement, il s’agit d’un désaccord entre plusieurs personnes, physiques ou morales, concernant l’exercice d’un droit. Dans le domaine de la santé, que ce soit dans le service public ou dans le domaine de la pratique libérale, le patient est depuis toujours protégé par un certain nombre de lois ayant pour but de lui garantir la meilleure prise en charge possible. « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents. » De cet arrêt ressort l’une des obligations les plus connues du chirurgien-dentiste, et du corps médical en général : l’obligation de moyens envers le patient. Tous les moyens les plus pertinents selon les données acquises de la science au moment des soins doivent être mis en œuvre chez le patient, sans considération de toute autre nature. Dans la pratique du chirurgien-dentiste, deux exceptions peuvent être relevées : D’une part dans le cadre d’un soin à visée esthétique, une obligation de résultats est alors également demandée. D’autre part, bien que la pose d’un élément prothétique soit un acte de soin soumis à une obligation de moyens, le dentiste aura une obligation de résultat concernant la délivrance d’une prothèse de qualité au patient. « Le chirurgien-dentiste est en vertu du contrat le liant à son patient tenu de lui fournir un appareillage apte à rendre le service qu’il peut légitimement en attendre. Une telle obligation, incluant la conception et la confection de l’appareillage, étant de résultat. » « J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences. » « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. » Déjà définie depuis longtemps dans le Serment médical, et reformulée dans le Code de Santé Publique, une autre obligation incombant au médecin ressort ici : celle de l’information médicale du patient. Le médecin a le devoir d’apporter au patient non seulement des informations sur son état de santé actuel et le ou les plans de traitement envisagés, mais aussi comme le souligne le CSP les différents risques médicaux fréquents ou graves pouvant survenir lors ou à la suite du traitement. Seule une information médicale claire, loyale et appropriée peut garantir de sa part un consentement réellement éclairé aux soins qui lui sont proposés. Si l’élément déclencheur d’une action procédurière est le plus souvent l’intérêt pécuniaire, le fondement des éléments récriminés par le plaignant se retrouvent de façon quasisystématique dans un manquement, selon le patient, à au moins l’un de ces deux devoirs incombant au médecin. Lui sera reproché soit un soin qui n’était pas « consciencieux, dévoué et fondé sur les données avérées de la science » ou bien une information insuffisante -voire inexistante- sur les détails du traitement entrepris ou ses différents risques prévisibles fréquents et/ou graves. Dans le cas du Pavillon Odontologie, le terme de litige est déterminé de façon plus pragmatique : est considérée automatiquement comme « litige » toute demande de remboursement d’un soin, d’une prothèse ou d’un matériau payé par le patient, sans distinction de motif de la demande. Les « litiges » du Pavillon concernent donc une hétérogénéité de cas tant au niveau du motif de remboursement, de l’attente du plaignant que des dommages qui ont éventuellement pu lui être causés. Par souci de clarification, nous pourrons réaliser une distinction entre deux types de litiges : les litiges financiers et les litiges qu’on pourra qualifier d’organisationnels.
Litiges financiers
Peuvent être définis comme financièrement litigieux, au Pavillon, des cas où une demande de remboursement a été effectuée sans pour autant qu’il y ait forcément un réel contentieux entre l’Hôpital et le patient. Dans ces cas-là, aucune faute ni erreur n’est reprochée par le patient à l’encontre du service public, la demande de remboursement se fait avec l’accord mutuel des deux protagonistes sans qu’une plainte n’ait besoin d’être déposée. Plusieurs exemples peuvent illustrer ces cas : La politique actuelle du service Odontologie de la Timone concernant la pose implantaire est d’acheter et faire payer automatiquement au patient un matériau de comblement osseux de façon « prévisionnelle », en cas de nécessité lors de la chirurgie implantaire, et qui pourra lui être remboursé s’il s’est finalement avéré inutile. On peut donc retrouver dans la liste des « litiges » gérés au Pavillon aussi bien la demande de remboursement découlant d’un échec de soin ou d’une faute thérapeutique, que celle d’un matériau biocompatible acheté en prévision lors d’une pose d’implant et qui n’a pas été utilisé, sans lien avec une quelconque faute ou erreur commise. De même, de façon générale, dans le cas d’échec d’une chirurgie implantaire dans les mois ayant suivi la pose des implants, ceux-ci pourront être remboursés ou reposés aux frais de l’hôpital
Litige par défaut de communication
Comme il est souligné dans l’article L.1111-2 du Code de la Santé Publique, et avant cela dans le Serment d’Hippocrate, délivrer une information médicale claire, loyale, complète et appropriée est une condition essentielle au bon déroulement de la prise en charge médicale d’un patient. Celle-ci est la seule garante d’un consentement éclairé du patient aux futurs soins qui seront entrepris chez lui. Contrairement à la preuve de l’existence d’une faute médicale qui doit être apportée par le plaignant, la preuve de l’absence d’un défaut d’information est à la charge du praticien, ou dans le cadre du service public, à la charge de l’hôpital. Le Code de la Santé Publique définit les modalités de cette obligation de consentement du patient : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. » Article R4127-35 du code de la santé publique (2) « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. … Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. » Article L1111-4 du code de la santé publique (8) Des deux articles mentionnés ci-dessus il est possible de déterminer la mise en œuvre de deux démarches essentielles et indépendantes l’une de l’autre nécessaires pour obtenir ce consentement :
– La délivrance d’une information loyale, claire et adaptée au degré de compréhension et à la psychologie du patient
– Le recueil du consentement du patient, lequel doit être non seulement éclairé par l’information préalablement délivrée, mais également libre de toute pression ou contrainte
Le caractère libre et éclairé du consentement implique également qu’un délai de réflexion soit respecté entre le moment de l’information et celui du consentement. L’information médicale doit en outre être présente à toutes les étapes du soin, que ce soit avant de le débuter pour expliquer le diagnostic, le protocole de soins envisagé, la durée normale du traitement, son coût, les différents risques médicaux éventuels ; comme à la fin du soin pour rappeler si nécessaire les précautions à prendre (par exemple après une avulsion dentaire). Elle doit être également avancée en peropératoire si de nouvelles informations nécessitant d’être transmises au patient sont apparues. L’article L1111-2 cité plus haut précise que l’information doit porter sur les risques « normalement prévisibles », c’est-à-dire connus au regard de l’état de la science, soit parce qu’ils sont « graves », soit parce qu’ils sont « fréquents ». Seuls les risques exceptionnels sans gravité échappent à cette obligation. Que ce soit dans le service public ou dans le secteur médical libéral, les contentieux opposant les patients avec leur médecin impliquent quasi-systématiquement, seuls ou associés :
– L’apparition d’effet indésirable imprévu
– La réalisation d’un risque médical lors d’un acte technique complexe,
– Le coût final du soin, en particulier après survenue de complications qui entraînent la nécessité de nouveaux actes médicaux et apportent une modification sur le devis accepté à l’origine,
– La durée du traitement,
– Le résultat final qui peut ne pas être à la hauteur des attentes et espérances du patient.
À l’exception du risque médical -dont l’instruction reste néanmoins une obligation avant le soin- l’ensemble des préjudices qui impliquent les quatre autres points seraient théoriquement évitables si l’information délivrée à l’origine était suffisante : un consentement éclairé du patient suppose donc une compréhension de l’acte médical envisagé et du résultat attendu, des différents effets indésirables ou complications pouvant survenir lors du soin, et leurs conséquences sur la suite du traitement ; tant au niveau technique et financier que sur la durée prévisible de celui-ci. On peut apporter un exemple pour ce défaut d’information :
Exemple 4 : Mme P : Reçue aux urgences du Pavillon Odontologie pour l’adjonction de la dent n°14 sur sa prothèse partielle amovible, suite à l’extraction de cette dernière la semaine précédente. Après acceptation, paiement du devis et adjonction de la dent, la patiente s’est trouvée gênée lors de l’essayage par la présence inesthétique du crochet de rétention sur la 13, trop visible à son goût. Elle a alors demandé un remboursement de l’adjonction réalisée, en vue de refaire son appareil amovible dans sa totalité chez un praticien libéral. Dans ce cas-là, il existe manifestement un décalage entre les espérances de la patiente et le résultat final obtenu après l’adjonction de la dent. Une meilleure information de cette patiente avant de débuter la réparation de la prothèse lui aurait probablement permis de prendre en compte cet aspect esthétique et adapter, si possible, la réparation en fonction de ce paramètre ; ou lui aurait fait réaliser l’intérêt de refaire directement une nouvelle prothèse dentaire.
Intérêts de la RMM
Un prérequis essentiel au bon fonctionnement, à l’efficacité des recherches et au succès des mesures définies suite aux réunions de RMM est la non-culpabilisation des personnes ayant participé à la prise en charge. Il s’agit de décrire les faits et d’analyser des situations s’étant produites, pour apprendre et comprendre afin d’agir ensemble pour renforcer la qualité et la sécurité des soins, sans porter de jugement sur les personnes, ni rechercher un coupable ou un responsable. « Cet engagement n’est pas en soi un facteur d’accroissement de responsabilité. Au contraire, la mise en place de cette procédure apporte la preuve de la réactivité des équipes face à une situation de risque qui pourrait se renouveler. » (12) Le but final de la RMM est de mettre en avant les processus ou pratiques de soins qui sont non optimaux de par l’augmentation de risque d’apparition d’évènements indésirables ou de dommages qu’ils génèrent. Ainsi, il devient possible de proposer des actions d’amélioration visant à diminuer la probabilité d’apparition des causes à l’origine du risque (actions préventives) ou à en limiter leurs effets délétères et leur gravité (actions protectrices). Enfin, suivre et évaluer les actions entreprises pour en mesurer l’efficacité (le taux d’incidents que l’on cherchait à réduire a-t-il diminué depuis la mise en place de l’action ?) La revue de mortalité et de morbidité est ainsi une méthode permettant :
– L’évaluation et l’amélioration des pratiques professionnelles,
– Le perfectionnement des connaissances grâce au retour d’expériences réalisées,
– L’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins,
– La maîtrise et la gestion des risques. (9)
Depuis leur mise en place en 2013 au Pavillon Odontologie, les réunions de RMM ont permis de mettre en évidence un certain nombre de dysfonctionnements dans la prise en charge des patients. Plusieurs éléments sont revenus de façon constante. Au niveau administratif, ont été notés une mauvaise tenue des dossiers des patients (absence de signature des praticiens référents, absence de traçabilité, etc.), une multiplicité des intervenants, qu’il s’agisse des étudiants en charge du dossier ou de leurs professeurs encadrants, et surtout un problème d’information du patient, que ce soit sur la durée du traitement, son coût estimé, les complications éventuelles pouvant survenir et le caractère réalisable de la réponse aux attentes du patient. En réponse à ces constats, ont été proposées des actions permettant une plus grande vigilance concernant la gestion des dossiers et la validation des étapes cliniques par le praticien encadrant, la vérification de la signature des feuilles de consentement par le patient, et enfin la mise en place de staffs pluridisciplinaires (médicaux et paramédicaux) pour les plans de traitement complexes. L’intérêt de ces réunions est aussi de pouvoir quantifier de façon plus précise la part de responsabilité de l’hôpital ainsi que l’existence effective ou non d’une faute ou d’une erreur. L’analyse pluridisciplinaire du cas permet ainsi de déterminer si la demande de remboursement du patient est recevable, et aidera à déterminer la valeur du dédommagement qu’il sera possible de proposer au plaignant dans le cadre d’une gestion l’amiable de la plainte.
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Table des matières
Introduction
I. Nature des litiges
I.1. Définition du litige au Pavillon
I.2. Litiges financiers
I.3. Litiges organisationnels
I.3.1. Litige par défaillance technique
I.3.2. Litige par défaut de communication
II. Gestion des litiges
II.1. Organisation et intérêts de la RMM sur la prévention des litiges au Pavillon Odontologie depuis 2013
II.1.1. Organisation de la RMM
II.1.2. Intérêts de la RMM
II.2. La gestion amiable
II.3. La gestion en tribunal administratif
II.3.1. Faute médicale et responsabilité administrative
II.3.2. Juridictions administratives
II.3.3. Procédure administrative
III. Proposition d’actions de prévention des litiges
III.1. Information – consentement éclairé
III.2. Prévention de la faute technique
III.3. Propositions d’améliorations organisationnelles
Conclusion
Bibliographie
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