Les liens entre servitudes et bornage
Les servitudes sont un pan du droit immobilier qui engendre de nombreux contentieux.
Leur complexitรฉ nรฉcessite une intention particuliรจre de la part des professionnels y รฉtant confrontรฉs, cโest le cas, notamment, des gรฉomรจtres-experts lors dโune procรฉdure de bornage (Cf. I).
Pourtant, les servitudes peuvent รชtre nรฉcessaires pour lโusage de certains fonds dont la situation fonciรจre nโest pas favorable. Inversement, lโamรฉnagement des limites fonciรจres peut รชtre une alternative efficace pour simplifier lโexercice dโune servitude (Cf. II).
Le gรฉomรจtre-expert doit donc arriver ร concilier bornage et servitude dans le but dโamรฉliorer les relations de voisinage. La rรฉalisation dโune procรฉdure de bornage peut alors รชtre lโopportunitรฉ de rรฉgulariser une situation rencontrรฉe en conseillant les parties ou en prenan part ร la rรฉdaction de documents ayant pour but dโassurer la sรฉrรฉnitรฉ des relations entre les parties (Cf. III.).
Toutefois, le gรฉomรจtre-expert nโest pas le seul professionnel ร pouvoir รฉtablir une servitude entre deux fonds. Certains problรจmes vont alors naรฎtre des imprรฉcisions cadastrales lorsque des servitudes sont crรฉรฉes selon une situation fonciรจre observรฉe sur des plans et non suivant la rรฉalitรฉ. En outre, la disposition des lieux au regard des limites, peut justifier une servitude. Or, le gรฉomรจtre-expert, garant de la dรฉlimitation fonciรจre, pourrait proposer une rรฉvision des limites fonciรจres dans le but dโรฉviter une situation dโassujettissement entre les parcelles concernรฉes (Cf. IV).
Les difficultรฉs liรฉes ร la notion de servitudes
De nombreux contentieux subviennent, entre voisins, lorsque lโun des propriรฉtaires entreprend la dรฉmarche de faire dรฉlimiter son fonds au moyen dโun bornage. Lโopรฉration, pourtant amiable, peut crรฉer des tensions entre les parties concernรฉes ร partir du moment oรน le gรฉomรจtre-expert (seul praticien ร รชtre habilitรฉ fixer la limite dโun fonds) matรฉrialise une limite fonciรจre diffรฉrente de la possession de chacun. Cette diffรฉrence engendre alors des litiges principalement ร lโรฉgard de lโeffet du bornage qui nโest pas de dรฉfinir le droit de propriรฉtรฉ mais seulement de fixรฉ lโassiette dโun fonds (Cf. I.1).
Cela est dโautant plus accentuรฉ en prรฉsence de servitude, lorsquโil est question de prescription acquisitive. Toutefois, la prescription dโune servitude se rรฉvรจle parfois ambigรผe (Cf. I.2).
Enfin, malgrรฉ les dispositions rรฉglementaires et jurisprudentielles, les conventions restent une des principales sources de servitudes et รฉgalement de contentieux en particulier lorsque ces charges sont รฉtablies sans que les limites fonciรจres aient รฉtรฉ prรฉalablement matรฉrialisรฉes (Cf. I.3).
Les incidences dโune dรฉlicate distinction entre les limites de fonds, de propriรฉtรฉ et de possession sur le bornage
En matiรจre immobiliรจre, les modes dโacquisition de la propriรฉtรฉ sont relativement restreints. On trouve, parmi eux, lโacquisition par convention (vente, donation,โฆ), lโaccession et enfin lโusucapion. Les notions de possesseur et de propriรฉtaire interviennent alors et sont au cลur mรชme de la problรฉmatique du fonds et de la propriรฉtรฉ.
En effet, bien que lโassiette de la propriรฉtรฉ doive รชtre fixรฉe par des actes (juridiques), la possession, quant ร elle, correspond ร lโusage fait par une personne dโun fonds et sโรฉtend donc selon la volontรฉ de chacun. La propriรฉtรฉ est dรฉfinie comme ยซ le droit de jouir dโune chose de la maniรจre la plus absolue […]ยป alors que la possession est le fait de jouir dโune chose . On saisit alors la nuance quโa voulu instaurer le lรฉgislateur et qui permet dโavoir รฉventuellement, sur le mรชme fonds, un propriรฉtaire et un possesseur diffรฉrents. Nรฉanmoins cela peut nโรชtre que temporaire car la loi prรฉvoit que le droit de propriรฉtรฉ puisse naรฎtre de la possession. Cela est effectivement possible si celle-ci est utile (conforme ร lโarticle 2261 du C. civ. ) et quโelle rรฉpond ร une exigence de durรฉe . Toutefois le simple fait de possรฉder la chose ne suffit pas ร en acquรฉrir la propriรฉtรฉ. Le possesseur doit faire reconnaรฎtre le droit quโil convoite sur une assiette prรฉcise. Or, le bornage est la seule voie ayant pour but de matรฉrialiser les limites dโun fonds.
Pourtant, cette action ne fixe pas la limite de possession mais la limite ยซ cadastrale ยป.
Lโaction en revendication et lโaction en bornage vont alors avoir du mal ร se distinguer lโune de lโautre dans certaines situations. La procรฉdure amiable รฉtant prรฉfรฉrable au judiciaire, le possesseur tente parfois de faire entรฉriner un droit de propriรฉtรฉ au moyen de la dรฉlimitation du fonds. La difficultรฉ pour le gรฉomรจtre-expert est alors dโidentifier si le litige concernant la limite tient seulement dans lโimprรฉcision de sa dรฉfinition ou dans lโacquisition dโune bande de terrain au-delร de ce qui est dรฉfini dans lโacte. En outre, la complexitรฉ de la chose repose sur le fait de faire accepter aux parties que le bornage matรฉrialise la limite dโune parcelle (celle acquise par titre) ce qui nโempรชche en rien de prescrire au-delร des repรจres alors positionnรฉs.
En effet, la jurisprudence le rappelle ร de maintes reprises, le bornage nโopรจre en rien un transfert de propriรฉtรฉ. Il permet simplement de matรฉrialiser le pรฉrimรจtre de la parcelle. Le bornage est une action qui concerne lโobjet du droit et pas le droit lui-mรชme ce qui est dโautant plus marquรฉ par le fait quโil nโentre pas dans le cadre du dรฉcret de 4 janvier 1955 (article 28), relatif ร la publicitรฉ fonciรจre, visant ร publier les actes translatifs de propriรฉtรฉ.
Toutefois il convient de rappeler que mรชme sโil nโopรจre aucun transfert de propriรฉtรฉ, le procรจs-verbal de bornage constitue un acte matรฉrialisant lโentente des propriรฉtaires riverains sur une limite quโils considรจrent comme รฉtant celle de leurs propriรฉtรฉs respectives. Par consรฉquent si une mutation de propriรฉtรฉ venait ร รชtre effectuรฉe, le fonds cรฉdรฉ aurait pour assiette les limites auparavant bornรฉes. Le refus de lโune des partie concernรฉes de signer le procรจs-verbal de bornage nโempรชche donc en rien une รฉventuelle usucapion sur une partie du fonds voisin. Toutefois, en lโabsence dโaction en revendication (la seule pouvant permettre de statuer sur les droits de propriรฉtรฉ respectifs), les bornes posรฉes matรฉrialisent la limite du fonds et donc รฉgalement celle de la propriรฉtรฉ prรฉsumรฉe. Le fonds (ou hรฉritage ) est donc dรฉlimitรฉย , au moyen dโun bornage. Cโest ainsi lโobjet du droit de propriรฉtรฉ qui est fixรฉ. Ce droit, quant ร lui, ne va pouvoir trouver une rรฉelle dรฉfinition que dans un acte authentique ou aprรจs une action en revendication. Le tribunal de grande instance est alors le seul compรฉtent pour reconnaรฎtre le droit de propriรฉtรฉ dโune personne sur un fonds.
Lโapplication du code civil (Cf. art. 637 du C. civ. relatif ร la dรฉfinition des servitudes) nous amรจne donc, ร instaurer certaines servitudes ร la limite des fonds, qui est donc la limite cadastrale (celle matรฉrialisรฉes par un bornage). Nรฉanmoins le fait que ladite limite puisse ne pas reprรฉsenter la propriรฉtรฉ peut crรฉer une situation ambigรผe. En effet, la complexitรฉ de la situation fonciรจre est peut รชtre gรฉnรฉratrice de contentieux. Atitre dโexemple, comment est-il possible de crรฉer une charge entre deux fonds sans connaรฎtre exactement la limite de propriรฉtรฉ de ceux-ci ?
Et inversement, pourquoi existerait-il une charge entre deux fonds alors que la disposition des lieux et des limites ne la justifierait pas ?
Lโรฉvolution fonciรจre peut conduire ร la crรฉation ouร la suppression de certaines charges entre deux fonds, ce qui concerne directement le gรฉomรจtre-expert, tant dans son devoir de conseil que dans la rรฉgularisation des situations conflictuelles. Par ailleurs, la possession joue รฉgalement un rรดle important vis-ร -vis des servitudes.
La prescription dโune servitude
La prescription dโune servitude est complexifiรฉe parles dispositions rรฉglementaires en vigueur. Mรชme si la plupart des praticiens connaissent la double condition nรฉcessaire ร la prescription dโune servitude (Cf. art. 690 du C. civ. ) il arrive que la jurisprudence dรฉroge de cette rรจgle . De plus, une limite de propriรฉtรฉ entre deux fonds doit nรฉcessairement รชtre dรฉfinie ou ร dรฉfaut reconnue par les propriรฉtaires voisins , pour quโil soit possible dโรฉtablir une charge (entre leur fonds) de maniรจre cohรฉrente. En effet, bien que des servitudes soient expressรฉment prรฉvues par la loi, il paraรฎt invraisemblable de les mettre en place, ou de les exercer sans avoir prรฉalablement fixรฉ les limites fonciรจres ; mais cโest pourtant ce qui se passe souvent en pratique.
Une telle charge รฉtant dรฉfinie par rapport aux limites fonciรจres, sa lรฉgitimitรฉ impose nรฉcessairement de les avoir au prรฉalable dรฉfinies. Dans le cas contraire, comment รชtre sur que la servitude est bien justifiรฉe puisque la disposition des lieux ne rentre peut รชtre pas dans le cadre des dispositions lรฉgales en vigueur (Ex : Arti. 671 et 678 du C. civ. relatifs aux distances des plantations ou des vues et jours par rapport ร la limite sรฉparative). Il en est de mรชme pour la prescription des servitudes puisquโune personne ne risque pas de faire reconnaรฎtre un droit รฉventuellement acquis, sur la propriรฉtรฉ dโautrui, sila dรฉfinition des limites entre les deux fonds est telle quโelle ne permette pas dโidentifier une servitude. En matiรจre de prescription, la possession est dโailleurs ร lโorigine de certains troubles du voisinage , ร propos de la dรฉfinition des limites fonciรจres (celles-ci รฉtant souvent diffรฉrentes de la limite de possession).
Le lรฉgislateur a imposรฉ que seules les servitudes continues et apparentes puissent รชtre prescrites par trente ans. De plus, la prescription dโune servitude doit rรฉpondre aux conditions dโune possession utile . Lโaspect public est entre autre le plus important puisque cโest ce critรจre qui va confรฉrer ร la possession sa contradiction au sens ou le propriรฉtaire du futur fonds servant aura eu connaissance de la gรชne occasionnรฉe.On rappelle ร cet effet que possรฉder dans la clandestinitรฉ ne permet pas de pouvoir solliciter lโacquisition dโun quelconque droit sur la propriรฉtรฉ dโautrui. Par exemple, citons le cas de la crรฉation dโune vues dans un toit donnant sur un autre toit voisin oรน la prescription dโune servitude nโest pas possible car le propriรฉtaire du futur fonds servant ne peut pas voir les ouvertures crรฉรฉes, ce qui parallรจlement a confirmรฉ le caractรจre licite de la vue.
Diviser un terrain suivant lโemprise dโune servitude
Nous lโavons vu, la notion de servitude est dรฉfinie dans le Code Civil comme un assujettissement dโun fonds au profit dโun autre dans un but dโutilitรฉ pour le premier fonds. Toutefois la complexitรฉ des servitudes va parfois amener les professionnels, tels que les gรฉomรจtres-experts, ร envisager une relation entre les fonds, au-delร de lโassujettissement, oรน les limites fonciรจres seraient un atout dans la dรฉfinition de la servitude plutรดt quโun dรฉtail . En effet, pour restreindre les contentieux au sujet de lโรฉtablissement et de lโexercice des servitudes les gรฉomรจtres-experts ont la possibilitรฉ dโamรฉnager le foncier de sorte ร รฉliminer toute ambigรผitรฉ ร lโรฉgard des limites de lโassiette mรชme dโune servitude. Au lieu de dรฉfinir lโassiette de la servitude sur une partie de parcelle (avec des cรดtes, des repรจres,…), celle-ci serait prรฉvue sur une parcelle entiรจre. Pour cela le gรฉomรจtre-expert doit diviser le fonds servant suivant lโemprise de la servitude. La nouvelle parcelle, issue de la division serait, de plus, dรฉlimitรฉe par un bornage (ou dโune reconnaissance de limite) afin de fixer prรฉcisรฉment lโรฉtendue de la charge. Cette mรฉthode prรฉsente un certain nombre dโavantages tant pour les relations de voisinage que pour lโรฉvolution future du foncier. Lโexemple dโune servitude de passage sera รฉtudiรฉ pour illustrer plus concrรจtement cette alternative, dโautant plus quโelle est la charge pour laquelle ces amรฉnagements fonciers prรฉsentent le plus dโintรฉrรชt. Nรฉanmoins, de tels amรฉnagements peuvent parfaitement sโappliquer ร des servitudes de vue, de canalisation, de tour dโรฉchelle, de surplomb,… Toutes les servitudes sโappliquant sur une emprise fonciรจre sont ยซ compatibles ยป avec cette mรฉthode, ce qui est intรฉressant pour les professionnels puisque celleci possรจde un champ dโapplication relativement รฉtendu.
Lโรฉtablissement dโune servitude sur une parcelle entiรจrement dรฉfinie (celle issue de la division) exclut toute possibilitรฉ de litige concernant lโassiette du droit rรฉel accessoire crรฉรฉ. En effet, contrairement ร la maniรจre dont sont habituellement รฉtablies les servitudes, lโassiette ne sera pas fixรฉe ici uniquement sur un acte mais aussi physiquement sur le terrain (les bornes) et administrativement sur le cadastre (limite fiscale). De plus ร la diffรฉrence dโun piquetage, le bornage apporte une sรฉcuritรฉ juridique ร la limite crรฉรฉe puisque celle-ci est consentie par le propriรฉtaire du fonds qui va en informer lโusager. Ainsi, la dรฉsignation des fonds concernรฉs lors de la rรฉdaction dโune convention de servitude sera faite sans ambigรผitรฉ de mรชme que la dรฉfinition de lโassiette (celle-ci รฉtant bornรฉe).
En outre, lโintervention dโun gรฉomรจtre-expert qui divise suivant lโassiette dโune servitude, va largement faciliter et simplifier les relations de voisinage de maniรจre durable dans un contexte traditionnellement propice au litige. La gรชne quโoccasionne une servitude est dโailleurs qualifiรฉe de ยซ trouble normal du voisinageยป dรจs lors que celle-ci rรฉpond ร une utilisation normale du fonds et au sens oรน elle est une charge imposรฉe ร un autre fonds. En effet, les servitudes sont souvent source de conflitsnotamment lors de la transmission des droits de propriรฉtรฉ. Or, dans lโhypothรจse oรน une servitude serait prรฉsente et รฉtablie sur une parcelle entiรจre (comme nous lโavons vu, prรฉcรฉdemment), alors la mutation du droit de propriรฉtรฉ pourrait en mรชme temps permettre lโextinction de laservitude. En effet, la parcelle issue de la division et supportant la servitude, peut รชtre cรฉdรฉe dans le but dโรฉteindre la servitude par confusion (le fonds dominant devenant autonome grรขce ร la nouvelle unitรฉ fonciรจre, la servitude nโa plus de raison dโexister). De plus, un tel agencement des limites cadastrales va inciter les professionnels du foncier, intervenant par la suite,ร supposer lโexistence dโune servitude malgrรฉ les dires des parties en prรฉsence. Cela pourra notamment se vรฉrifier au moyen de la publicitรฉ fonciรจre (les servitudes devant รชtre publiรฉes pour รชtre opposable aux tiers).
Le bornage de la parcelle supportant lโassiette de la servitude va, de plus, apporter en pratique la possibilitรฉ pour le propriรฉtaire du fonds servant de se clore ce qui peut รชtre contraignant (pour lui) en prรฉsence dโune servitude de passage. De nombreux contentieux naissent ร partir de la volontรฉ du propriรฉtaire du fonds servant de se clore mรชme sโil nโa pas pour intention de rendre plus incommode lโutilisation du passage. Lโapprรฉciation de la gรชne occasionnรฉe est exclusivement rรฉservรฉe aux juges qui la qualifient ou non dโaggravation de la servitude. On a notamment pour exemple le cas oรน une barriรจre (avec digicode) a รฉtรฉ installรฉe, laquelle a รฉtรฉ considรฉrรฉe comme diminuant lโusage de la servitude . En effet, le fait que chaque visiteur doive contacter un gardien avant de pouvoir la franchir a รฉtรฉ qualifiรฉ de gรชne excessive.
A lโinverse la simple installation dโune barriรจre (de type portail) ne peut รชtre reprochรฉe au propriรฉtaire du fonds servant et sโimpose au bรฉnรฉficiaire de la servitude ร partir du moment oรน il possรจde le moyen de lโouvrir (clรฉ, code, badge,…) . La libertรฉ offerte ร chacun de se clore sur sa propriรฉtรฉ peut donc รชtre soumise ร des ambigรผitรฉs et causer des problรจmes en prรฉsence de servitude sans รฉvoquer les รฉventuels problรจmes que la possession peut elle aussi engendrer . La crรฉation dโune parcelle exclusivement rรฉservรฉe ร lโusage de la servitude va donc permettre au propriรฉtaire, la subissant, de clore librement sa propriรฉtรฉ sur le surplus de terrain, indiffรฉrent ร cette charge. Cette possibilitรฉ nโest alors pas anodine puisque dans cette hypothรจse, le dรฉtachement de lโassiette de la servitude va apporter un avantage pour le propriรฉtaire du fonds servant en augmentant la protection de son droit de propriรฉtรฉ sur le surplus de son terrain (la partie close). En effet, en facilitant la possibilitรฉ pour lui de se clore, le bornage va lui permettre de limiter physiquement le bรฉnรฉficiaire de la servitude et lโempรชcher dโoutrepasser son droit tirรฉ de la servitude. Le risque de voir naรฎtre une quelconque usucapion est donc limitรฉ ร lโassiette de la servitude quโil convient dโentretenir pour rester ร la fois titulaire du droit rรฉel et possesseur.
La prescription ne pourra pas non plus sโappliquer pour รฉtendre lโassiette du passage celle-ci รฉtant physiquement limitรฉe par la clรดture.
Bornage et servitude, une conciliation complexe pour les gรฉomรจtres experts
La matรฉrialisation des limites lors dโun bornage peut mettre en รฉvidence une servitude entre les fonds concernรฉs par lโopรฉration de dรฉlimitation fonciรจre. Le devoir de conseil du gรฉomรจtre-expert prend alors une importance considรฉrable ร lโรฉgard des relations entre les parties prรฉsentes (III.1).
Dans lโhypothรจse oรน il dรฉciderait de rรฉgulariser la situation dans le but dโanticiper un conflit, le procรจs verbal de bornage pourrait servir de convention de servitude. Or, les modalitรฉs relatives aux procรจs-verbaux de bornage diffรจrent de celles des actes gรฉnรฉrateurs de droit rรฉel.
Par consรฉquent, la validitรฉ des accords passรฉs entre les parties et actรฉs dans le procรจs verbal de bornage, dรฉpend entiรจrement des formalitรฉs qui vont รชtre accomplies selon les conseils du gรฉomรจtre (III.2).
Enfin, certaines situations nรฉcessitent une rรฉgularisation plus consรฉquente que la simple rรฉalisation dโun acte entre les parties, cโest notamment le cas en prรฉsence de possession. Les pouvoirs du gรฉomรจtre issus de sa dรฉlรฉgation de service public, instituรฉe par la loi du 7 mai 1946, trouvent alors une limite. En effet, lโรฉtablissement ou lโextinction de droits rรฉels acquis par prescription nรฉcessite lโintervention dโun magistrat(III.3).
Lโimportance du devoir de conseil du gรฉomรจtre expert dans un bornage
ยซ La libertรฉ des uns sโarrรชte lร oรน commence celle des autresยป cet adage bien connu, tirรฉ de la Dรฉclaration des Droits de lโHomme et du Citoyen , nโest pas toujours valable en rรฉalitรฉ. La rencontre de deux droits de propriรฉtรฉ dont les titulaires sont diffรฉrents est une source inรฉpuisable de potentiels contentieux. La limite commune entre deux fonds est ร la fois, la rรฉfรฉrence spatiale oรน se restreignent les droits et obligations de chacun mais aussi le lieu oรน naissent les conflits. En effet, bien que le gรฉomรจtre-expert soit le garant de la dรฉlimitation fonciรจre , il ne peut trancher les questions de propriรฉtรฉ (par exemple, en cas de possession ).
Nรฉanmoins, il va, dans la mesure du possible, essayer lors dโun bornage de faire coรฏncider la limite de propriรฉtรฉ avec celle de possession. Les relations de voisinage sont totalement tributaires de sa prestation et cโest pourquoi son rรดle, outre le fait dโรชtre un professionnel de la mesure, est de tenter dโaccorder deux parties sur leurslimites de propriรฉtรฉ respectives bien quโil ne puisse pas en rรฉalitรฉ dรฉfinir la propriรฉtรฉ (le procรจs-verbal de bornage nโest pas un acte translatif de propriรฉtรฉ ).Toutefois, le bornage dโune propriรฉtรฉ va avoir dโautres incidences liรฉes directement au fait de dรฉfinir la limite du fonds concernรฉ
Un gรฉomรจtre a-t-il le pouvoir de rรฉgulariser durablement une situation de prescription (acquisitive ou extinctive) ?
Tout droit rรฉel peut sโacquรฉrir par prescription dรฉcennale ou trentenaire, suivant les cas.
Les servitudes, quant ร elles, sont soumises ร un rรฉgime de prescription strict, imposant une durรฉe de trente ans . A cela sโajoutent des conditions propres ร la possession elle-mรชme (continue et apparente). Ces conditions indispensables ร la prescription, sont difficiles ร rรฉunir en prรฉsence du titulaire du droit de propriรฉtรฉ subissant la possession, qui peut se protรฉger sโil a conscience des enjeux. De plus, bien que la situation des lieux dรฉcoule du fait de lโhomme, il est difficile dโapporter la preuve exacte de la durรฉe de possession. En effet, les propriรฉtaires titulaires de la ยซ potentielle ยป servitude nโont que trรจs rarement envisagรฉs de devoir justifier un รฉtat de fait vieux de trois dรฉcennies. Toutefois, aussi rare soient-elles, ces circonstances se rencontrent parfois lors des opรฉrations de dรฉfinition de limite dโune propriรฉtรฉ (la dรฉfinition des limites รฉtant une condition sine qua non ร la reconnaissance corrรฉlative dโune servitude). Par consรฉquent, le gรฉomรจtre-expert est le professionnel le plus ร mรชme de se trouver face ร cette situation, bien quโil ne puisse pas la rรฉsoudre seul.
En effet, ยซ le Tribunal de Grande Instance est traditionnellement le gardien de la propriรฉtรฉ immobiliรจre privรฉe ยป . Cette juridiction est en principe, la seule compรฉtente pour toutes les actions immobiliรจres pรฉtitoires (et anciennement, possessoires ). La reconnaissance dโune servitude, qui pourrait รชtre acquise par prescription, doit รชtre faite au moyen dโune action confessoire, celle-ci, semblable ร une action en revendication, est une action pรฉtitoire . La constitution ou la disparition dโun droit rรฉel immobilier par prescription acquisitive est donc du ressort du T.G.I. qui va statuer sur la possession dans le but dโapprouver ou non, la crรฉation ou lโextinction dโune servitude. Le gรฉomรจtre-expert consultรฉ en ces circonstances doit donc conseiller les intรฉressรฉs au sujet de la procรฉdure ร engager et de son aboutissement probable.
Les dires des parties et les piรจces quโelles fournissent pour attester ou non de leur prescription doivent รชtre traitรฉes avec la plus grande circonspection. Tout dโabord il nโest pas nรฉcessaire de justifier dโacte concernant directement la servitude pour admettre lโexistence de celle-ci. En effet, des tรฉmoignages peuvent รชtre utilisรฉs pour rรฉvรฉler la durรฉe trentenaire dโune situation . De mรชme, des commencements de preuve par รฉcrit tel quโun procรจs-verbal de bornage relatant lโexistence dโune charge entre deux fonds et signรฉs de tous les intรฉressรฉs peut permettre de dรฉmontrer lโacquisition dโune servitude de maniรจre judiciaire. De plus, lโinterprรฉtation de la loi, par les juges, peut diffรฉrer des rรจgles habituellement connues des professionnels. Par exemple, un arrรชt de la Cour de cassation, admet possible que la non publication dโun acte puisse tout de mรชme le rendre opposable ร un acquรฉreur et par consรฉquent pรฉrennise lโexistence de la servitude , ร condition toutefois que ce dernier ait eu connaissance de la prรฉsence de ce droit rรฉel.
Un domaine รฉgalement concernรฉ par les revirements jurisprudentiels est celui des รฉdifications (souterraines et hors sol), plus particuliรจrement la frontiรจre entre empiรจtement et surplombs. En effet, un empiรฉtement constitue une construction ยซ ร cheval ยป sur deux limites sรฉparatives (dont les propriรฉtaires sont diffรฉrents) privant le propriรฉtaire voisin de la jouissance dโune partie de son bien contre son grรฉ. Or ยซ une servitude ne peut confรฉrer une jouissance exclusive sur le fonds servant ยป .Toutefois, une situation dโempiรฉtement peut รชtre difficile ร reconnaรฎtre notamment si on considรจre lโarticle 552 du Code civil qui dรฉfinit la propriรฉtรฉ du sol comme emportant celle du dessus et du dessous. Cette dรฉfinition nous amรจne ร envisager la propriรฉtรฉ selon un volume conique et non comme une assiette plane (au niveau du sol).Lโempiรจtement deviendrait alors impossible puisque mรชme si le sol รฉtait occupรฉ le propriรฉtaire possรจderait toujours la jouissance du dessous comme du dessus . La caractรฉrisation dโun empiรฉtement serait donc davantage liรฉe ร la gรชne quโil occasionne, (celle-ci pouvant faire lโobjet dโune gradation) quโร la privation de jouissance totale . La rรฉgularisation dโune telle situation constitue donc une difficultรฉ certaine pour les gรฉomรจtres-experts qui se trouvent face ร une notion juridique parfois confuse : un empiรจtement est-il lโoccupation dโun partie du sol du fonds voisin ou la privation de lโusage dโun volume important du cรดne de propriรฉtรฉ ?
Comment rรฉgulariser une servitude avant, pendant, ou aprรจs une opรฉration fonciรจre ?
Lโรฉtablissement dโune servitude devrait imposer la dรฉlimitation des fonds concernรฉs de maniรจre contradictoire et sur le terrain en raison de lโimportance du droit rรฉel crรฉรฉ. Pourtant la disposition cadastrale des lieux suffit ร certains professionnels. Nรฉanmoins, compte tenu des erreurs quโil comporte, cela est risquรฉ. En outre, il est difficile dโรฉteindre une servitude, mรชme inutile, sans avoir recours au tribunal. Le gรฉomรจtre-expert a donc une place privilรฉgiรฉe pour รฉtablir une servitude puisquโil est, ร la fois, un professionnel du droit immobilier et le garant de la dรฉlimitation fonciรจre (Cf. IV.1).
En outre, son champ de compรฉtence lui permet de pouvoir amรฉnager les limites dโun fonds, avec lโaccord contradictoire des parties, afin dโรฉviter la crรฉation dโune servitude lors dโun bornage (Cf. IV.2).
Enfin, les mutations fonciรจres peuvent permettre de simplifier les relations de voisinage en รฉteignant les servitudes par un mode spรฉcifique appelรฉ confusion. Toutefois, ce mode dโextinction peut masquer quelques particularitรฉs parfois contraignantes (Cf. IV.3).
Lโรฉtablissement dโune servitude en fonction de la limite cadastrale
La loi du 15 septembre 1807 a instituรฉ et centralisรฉ le cadastre en France sous Napolรฉon (le 1 er Empire). Le systรจme fiscal ayant pour base la superficie de lโassiette de la propriรฉtรฉ fonciรจre existait avant cette date mais les documents graphiques permettant de sโy reporter furent les premiers dressรฉs par des gรฉomรจtres du cadastre. Selon les attentes de Napolรฉon, il devait avoir, ร lโรฉpoque, une valeur fiscale et juridique (pour รฉviter les procรจs) bien que cette derniรจre soit, depuis, tombรฉe en dรฉsuรฉtude . Le cadastre est malgrรฉ tout un outil graphique largement utilisรฉ par toutes les professions liรฉes au foncier, en particulier par les gรฉomรจtres experts. Depuis sa crรฉation il a largement รฉvoluรฉ de mรชme que les mรฉthodes permettant de lโรฉtablir. Toutefois sa prรฉcision est relative, selon les mises ร jour effectuรฉes. Le gรฉomรจtre expert est le seul professionnel en France ร pouvoir ยซ officialiser ยป les limites figurรฉes aux plans cadastraux, pour que celles-ci marquent lโassiette de la propriรฉtรฉ. Pourtant lorsquโil nโy a pas de modification du foncier son intervention nโest pas requise. Par consรฉquent lโรฉtablissement dโune servitude peut รชtre fait dans une รฉtude notariale directement sur un plan cadastral. Les modalitรฉs dโexercice (notamment lโassiette) et mรชme, parfois le bien-fondรฉ du droit rรฉel alors crรฉรฉ sont parfois inadaptรฉs ร la situation prรฉsente en raison dโerreurs cadastrales.
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Table des matiรจres
Introduction
Partie I. Les liens entre servitudes et bornage
I.1 Les difficultรฉs liรฉes ร la notion de servitudes
I.1.1 Distinction et confusion entre les limites de fonds, de propriรฉtรฉ et de possession
I.1.2 La prescription dโune servitude
I.1.3 Lโimprรฉcision des servitudes conventionnelles, une source de conflit
I.2 Servitudes et amรฉnagements fonciers, des notions complรฉmentaires
I.2.1 Diviser un terrain suivant lโemprise dโune servitude
I.2.2 Diviser des lots en ยซ drapeau ยป en utilisant une servitude rรฉciproque
I.3 Bornage et servitude, une conciliation complexe pour les gรฉomรจtres-experts
I.3.1 Lโimportance du devoir de conseil du gรฉomรจtre-expert dans un bornage
I.3.2 Incorporation dโune servitude dans un procรจs-verbal de bornage
I.3.3 Un gรฉomรจtre a-t-il le pouvoir de rรฉgulariser durablement une situation de prescription (acquisitive ou extinctive) ?
I.4 Comment rรฉgulariser une servitude avant, pendant, ou aprรจs une opรฉration fonciรจre ?
I.4.1 Lโรฉtablissement dโune servitude en fonction de la limite cadastrale
I.4.2 Le redressement dโune limite pour รฉviter la servitude
I.4.3 Comment rรฉgulariser une servitude devenue inutile aprรจs une opรฉration fonciรจre ou nรฉe postรฉrieurement ร celle-ci ?
Partie II Les limites des rapports entre bornage et servitudes
II.1 Une nature juridique diffรฉrente empรชchant intrinsรจquement un rapprochement ou toute concordance
II.1.1 Le champ dโapplication du bornage, plus restreint que celui des servitudes
II.1.2 La qualification juridique des actes impacte lโรฉtendue des pouvoirs de chacun
II.1.3 Servitudes et bornage : obligations diffรฉrentes en matiรจre de publicitรฉ
II.2 Le rรดle du gรฉomรจtre diffรจre selon la procรฉdure de bornage (amiable ou judiciaire)
II.2.1 La conciliation nโest pas toujours permiseau gรฉomรจtre
II.2.2 La portรฉe dโun procรจs verbal de bornage amiable dans un bornage judiciaire
II.2.3 Lโintervention du juge en matiรจre de servitude, lors dโun bornage judiciaire
II.3 Les limites des servitudes au-delร du bornage
II.3.1 Servitude ou tolรฉrance aux abords du domaine public ?
II.3.2 Mise en รฉvidence dโun empiรฉtement lors dโun bornage
II.3.3 Prescrire une charge au-delร de ses limites
Conclusion
Bibliographie
Table des annexes
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