Les méthodes d’évaluation de la consommation de sel
Avant de développer des interventions infirmières et dans le but qu’elles soient pertinentes et efficaces, il est nécessaire d’avoir préalablement établi un portrait précis du problème en question, ici la consommation de sel, et ce dans la population ciblée (Sidani & Braden, 2011). De plus, la consommation de sodium est le résultat d’une catégorie comportementale complexe qui regroupe différents comportements alimentaires influencés par le système socio-économique et la culture. Plusieurs difficultés peuvent alors être rencontrées lorsque l’on désire mesurer l’apport quotidien en sel, entre autres à cause des sources variées de l’apport nutritionnel, mais aussi à cause des variations individuelles quotidiennes de consommation (Ferreira-Sae et al., 2009; McLean et al., 2017). Ainsi, une évaluation précise de l’apport en sodium des individus est essentielle afin de permettre initialement d’établir adéquatement le portrait de consommation de ce nutriment dans la population choisie (Hawkes & Webster, 2012).
Par la suite, il sera possible de mieux comprendre les relations entre l’apport en sel et la santé/maladie, ainsi que les réponses des individus aux interventions ciblant la consommation de sel (McLean et al., 2017). Il existe deux façons de mesurer l’apport alimentaire des individus : les biomarqueurs et les méthodes auto-rapportées. Le biomarqueur, mesuré à partir d’un échantillon biologique, sert d’indicateur de l’apport alimentaire, du métabolisme des aliments ou de l’état nutritionnel (Naska et al., 2017). L’excrétion urinaire de sodium de 24 heures (un biomarqueur indicateur de l’apport en sel) est actuellement considérée comme la méthode de référence pour mesurer l’apport en sodium (Arcand et al., 2016; Campbell et al., 2015; McLean et al., 2017).
En effet, environ 85% à 90% du sodium ingéré sur une période de 24 heures est excrété dans l’urine, le reste étant excrété dans la sueur et les selles (McLean et al., 2017). Cependant, la collecte urinaire de 24 heures représente un fardeau considérable pour les participants (Hawkes & Webster, 2012), et plusieurs cas de sous-collecte et de sur-collecte ont été signalés dans les études. Une autre limite de cette méthode repose sur son manque de représentativité de la consommation à long terme. Le sodium urinaire de 24 heures estime le sel consommé au cours des dernières 24 heures, ce qui permet donc difficilement d’estimer l’apport en sel global sur des périodes plus longues (mois, saison, ou année). Plusieurs collectes urinaires de 24 heures complétées à plusieurs moments différents dans une année constitueraient ainsi la meilleure méthode pour évaluer l’apport en sodium des individus (McLean et al., 2017).
Cependant, en utilisant la méthode des collectes urinaires multiples de 24 heures afin de récolter des données sur le sel consommé, le recrutement ainsi que la complétion des études par les participants deviennent beaucoup plus difficiles. Dans de grandes études épidémiologiques ou de cohortes, cette méthode apporte de nombreuses contraintes liées au coût et au temps et un faible taux de réponse peut être anticipé (McLean et al., 2017).
De plus, bien que cette méthode permette de doser la quantité de sel ingéré, elle ne permet en aucun cas l’identification des sources alimentaires du sel consommé, élément essentiel pour la planification d’interventions infirmières futures. Ceci dit, ce biomarqueur reste toujours pertinent, mais l’ajout d’autres mesures, comme celles auto-rapportées, devient primordial pour le développement d’interventions ciblées.
Le questionnaire de sel discrétionnaire
Le sel discrétionnaire, soit le sel ajouté à table et lors de la préparation et de la cuisson des repas, peut être une source considérable de l’apport total en sodium (Ferreira-Sae et al., 2009; McLean et al., 2017). Cette donnée ne peut être captée par le questionnaire de fréquence alimentaire, ce qui ressortait comme une faiblesse dans les différents articles recensés lors de la revue de littérature effectuée par McLean et al. (2017). L’ajout d’un questionnaire quantifiant le sel discrétionnaire devenait donc un élément essentiel puisque cette source de sodium peut contribuer de façon importante à la consommation totale de sel.
Au Brésil, une étude utilisant le rappel de 24 heures, un questionnaire de fréquence alimentaire spécifique pour le sodium et la mesure du sel discrétionnaire a constaté un apport d’environ six à sept grammes de sel/jour par le sel discrétionnaire, valeur nettement supérieure à celle apportée par les aliments transformés à teneur riche en sel (Ferreira-Sae et al., 2009). Cette étude a donc identifié le sel ajouté comme le contributeur principal de la consommation de sel chez la population étudiée et a servi d’assise pour l’élaboration d’études subséquentes portant sur les déterminants psychosociaux de ce comportement alimentaire ainsi sur le développement d’interventions infirmières visant une réduction de la consommation de sel (Cornélio et al., 2013; Cornélio et al., 2016; de Freitas Agondi, Cornélio, Rodrigues, & Gallani, 2014). Cependant, il est bien reconnu que les habitudes alimentaires sont très influencées par les contextes socio-économique et culturel des populations et les sources de consommation ne sont donc pas toujours les mêmes. Dans les pays industrialisés, la source la plus importante de sodium provient des aliments transformés riches en sel (Johnson et al., 2017). Il est donc essentiel de s’intéresser particulièrement à cette source d’apport chez la population adulte canadienne francophone.
Le questionnaire de fréquence alimentaire ainsi que le questionnaire de sel discrétionnaire ont donc été choisis comme outils de mesure pour l’évaluation de la consommation de sel chez la population adulte canadienne francophone dans le cadre de ce projet de recherche. 12 Cependant, le développement de nouveaux questionnaires, afin qu’ils soient considérés comme pertinents et fiables, doit suivre un processus rigoureux et certaines propriétés de mesure doivent être évaluées avant de pouvoir les utiliser. La prochaine section présentera donc les éléments essentiels qui doivent être évalués lors du développement de nouveaux instruments de mesure.
Les instruments de mesure en lien avec la théorie
Après avoir présenté leur théorie des auto-soins dans la maladie chronique, les auteurs ont développé, deux ans plus tard, un outil de mesure à partir de celle-ci. Elles l’ont nommé « l’inventaire des auto-soins dans la maladie chronique » (Self-Care of Chronic Illness Inventory – SC-CII) (Riegel, Stromberg, & Jaarsma, 2014). Cet instrument comporte 20 items visant à identifier la fréquence à laquelle les auto-soins liés au maintien (huit items), à la surveillance (cinq items) et à la gestion des signes et symptômes (sept items) sont réalisés par les patients. Ultérieurement, trois autres instruments de mesure ont été développés à partir de la théorie des auto-soins dans la maladie chronique, mais ils ciblaient alors spécifiquement l’hypertension artérielle, le diabète et la maladie coronarienne (Ausili et al., 2017; Dickson, Lee, Yehle, Abel, & Riegel, 2017; Vaughan Dickson et al., 2017). Dans l’outil portant sur l’hypertension artérielle, on retrouve parmi les auto-soins de maintien l’évaluation de la consommation de sel. En effet, il est demandé aux participants d’indiquer à quelle fréquence ils s’engagent dans le comportement « adopter un régime faible en sel à la maison et au restaurant » (Dickson et al., 2017).
Cet outil permet donc d’identifier si le patient s’engage dans un comportement de saine consommation de sel. Cependant, il ne permet pas d’évaluer en détail ce comportement, c’est-à-dire de quantifier la consommation de sel et d’identifier les sources majeures de l’apport en sodium. Ainsi, cet instrument de mesure n’a pas été choisi afin d’évaluer la consommation de sel chez la population adulte canadienne francophone puisqu’il manquait de précision. En effet, l’objectif des outils développés dans le cadre de ce projet de recherche est ultimement d’élaborer des interventions infirmières pertinentes et précises afin de promouvoir une saine consommation de sodium.
Les processus sous-jacents aux auto-soins
Selon les auteures de cette théorie, deux processus sous-jacents aux auto-soins expliquent leur complexité, soit le processus de prise de décision et celui de réflexion (voir figure 2). À travers leurs travaux antérieurs sur les auto-soins dans le contexte de l’insuffisance cardiaque, les auteures se sont aperçues que les patients utilisaient rarement un processus de prise de décision méthodologique et rationnelle. En effet, compte tenu des situations ambiguës du monde réel, où les options sont vagues et les décisions doivent être prises rapidement, les patients utilisent davantage un processus de prise de décision naturaliste dans lequel la prise de décision est faite de manière automatique, impulsive et contextualisée. L’autre processus sous-jacent aux auto-soins est celui de la réflexion.
Ce processus est lié à l’acquisition de connaissances. Selon les auteures de la théorie des auto-soins dans la maladie chronique, certains patients possèdent peu de connaissances sur les auto-soins et adoptent peu d’autosoins. D’autres patients possèdent peu de connaissances, mais s’engagent activement dans leurs auto-soins de manière irréfléchie, sans comprendre exactement pour quelles raisons ils le font. Certains autres patients possèdent des connaissances sur les auto-soins et ont réfléchi sur ceux-ci, mais choisissent délibérément de ne pas les adopter.
Finalement, il y a d’autres patients qui se sont engagés dans leurs auto-soins de manière réfléchie et raisonnée. Les interventions infirmières diffèreront ainsi selon le processus de réflexion du patient sur ses auto-soins (Riegel et al., 2012).
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Table des matières
Chapitre 1 : Introduction
1.1 Problématique
1.2 Recension des écrits
1.2.1 Le problème de la surconsommation de sel
1.2.2 Les liens entre la consommation de sel et les maladies cardiovasculaires
1.2.3 Les méthodes d’évaluation de la consommation de sel
1.2.4 Le questionnaire de fréquence alimentaire
1.2.5 Le questionnaire de sel discrétionnaire
1.3 Les propriétés de mesure d’un questionnaire
Chapitre 2 : Cadre théorique
2.1 Les concepts centraux
2.2 Les assomptions et les propositions
2.3 Le concept des auto-soins de maintien
2.4 Les instruments de mesure en lien avec la théorie
2.5 Les processus sous-jacents aux auto-soins
2.6 Les facteurs d’influence des auto-soins
Chapitre 3 : Objectifs et hypothèses
Chapitre 4 : Méthodologie, résultats et discussion
4.1 Résumé
4.2 Abstract
4.3 Article
Chapitre 5 : Considérations finales
Chapitre 6 : Conclusion
Bibliographie
Annexes
Annexe 1 : Formulaire de consentement pour le test-retest
Annexe 2 : Formulaire de consentement de l’étude
Annexe 3 : Questionnaire de sel discrétionnaire
Annexe 4 : Questionnaire de fréquence alimentaire spécifique pour le sel
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