Les levures Malassezia
Évaluation de l’efficacité d’un shampooing contenant du miconazole et de la chlorhexidine dans le cadre du traitement de la dermatite à Malassezia chez le chien
Le shampooing Malaseb®, composé de chlorhexidine à 2% et de miconazole à 2% est commercialisé en France depuis 2010. Il possède une autorisation de mise sur le marché pour les traitements de la dermatite séborrhéique associée à Malassezia pachydermatis et Staphylococcus intermedius chez le chien et de la dermatophytose due à Microsporum canis chez le chat.
Objectif
Cet essai, mis en place à partir d’Octobre 2009 au Centre Hospitalier Universitaire d’Alfort sur une période de deux ans, avait pour objectif d’évaluer les efficacités clinique et mycologique d’un shampooing associant la chlorhexidine à 2% et le miconazole à 2%, sur une période de 30 jours, sur des chiens pour lesquels une dermatite à Malassezia avait été diagnostiquée.
Le protocole a été conçu et réalisé par l’équipe de dermatologie-parasitologie de l’Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, qui nous a transmis leurs données brutes pour leur exploitation dans cette thèse.
Protocole
Critères d’inclusion
A été inclus dans le protocole avec l’accord de son propriétaire tout chien sans distinction de race, de sexe ou d’âge présenté à la consultation de dermatologie de l’ENVA et pour lequel une dermatite à Malassezia a été diagnostiquée.
Le diagnostic de dermatite à Malassezia a reposé sur l’observation conjointe des trois critères suivants :
– la présence d’un prurit chronique et récidivant ;
– la mise en évidence de lésions compatibles avec une dermatite à Malassezia : alopécie, érythème, lichénification, excoriations ou état kérato-séborrhéique ;
– la mise en évidence d’au moins une levure Malassezia à l’examen microscopique de calques cutanés.
Le diagnostic de dermatite à Malassezia a ensuite été confirmé par la mise en culture sur boîtes de contact contenant le milieu de Dixon modifié. Il n’y avait pas de nombre minimum de colonies fongiques pour faire partie du protocole.
Critères d’exclusion
A été exclus de l’étude tout chien ayant reçu au moins l’un des traitements suivants dans les quinze jours précédant la première consultation à l’ENVA :
– un traitement topique antifongique ou antiseptique ;
– un traitement systémique antifongique ou antibiotique.
Critères évalués
Les chiens inclus dans l’étude ont été revus en consultation de dermatologie pour un suivi à J30.
Aux deux visites à J0 et J30, les scores suivants ont été calculés :
– score clinique : remplissage de la grille « MalDESI » (Malassezia Dermatitis Extent and Severity Index) spécialement mise en place pour cette étude (annexe 2). Il s’agit d’un score composite basé sur l’évaluation de 5 lésions primaires et secondaires : érythème, lichénification, excoriation, alopécie et état kérato-séborrhéique pour 36 zones « stratégiques » du corps. Chaque critère est noté de 0 (aucun signe) à 4 (atteinte sévère). Le score minimal est donc de 0, le score maximal de 656.
– score de prurit : établi par le propriétaire sur une échelle graduée qualitativement de « chien sans prurit » à « chien avec très sévères démangeaisons ». L’échelle a ensuite été retranscrite en pourcentages pour l’exploitation statistique des données. Les propriétaires ne disposaient donc pas des valeurs chiffrées lors du remplissage de l’échelle pour éviter de les influencer.
Cette échelle qualitative (figure 11) est classiquement utilisée en dermatologie vétérinaire et est inspirée des échelles de douleur utilisées en milieu hospitalier.
Figure 11 : Document rempli par les propriétaires pour l’évaluation du prurit de leur chien, avec la correspondance quantitative en face
– score cytologique : pour établir ce score, des morceaux de cellophane adhésif ont été apposés sur la peau et retirés d’un coup sec, sur la face ventrale du cou, sur l’abdomen (entre les mamelles L4 chez la femelle, sur la ligne blanche en avant du fourreau chez le mâle), sur le périnée de l’animal et/ou sur un autre site lésionnel si une des régions précédentes n’était pas touchée. Ce geste a été répété trois fois par site avec le même morceau de cellophane pour assurer une quantité suffisante de matériel. Après coloration rapide (RAL) et dépôt sur une lame, la moyenne du nombre de levures sur 10 champs consécutifs a été calculée au microscope (objectif 100 à immersion). Si le nombre de Malassezia était trop important pour être compté, le nombre 100 était automatiquement attribué.
La moyenne du site avec le plus grand nombre de Malassezia a été relevée.
– nombre de colonies après mise en culture : pour établir ce score, des boîtes de contact contenant le milieu de Dixon modifié ont été apposées sur la face ventrale du cou, sur l’abdomen et le périnée. Chaque boîte est appliquée pendant 3 secondes sur la peau puis transmise au laboratoire de Mycologie de l’ENVA pour la mise en culture. A l’issue de 4 jours d’incubation à 32°C, le nombre de colonies de levures Malassezia a été compté pour chaque site anatomique. Si le nombre de colonies de Malassezia était trop important pour être compté, le nombre 1000 était automatiquement attribué.
Les levures ont été identifiées en fonction de l’aspect des colonies et des cellules. L’identification de l’espèce M. pachydermatis a été confirmée par repiquage sur le milieu de Sabouraud, c’est-à-dire sur un milieu dépourvu d’acides gras à longues chaînes, donc ne permettant pas la croissance des espèces lipodépendantes.
Protocole thérapeutique
Pour tout chien inclus dans l’essai, le shampooing a été appliqué à J1 (lendemain de la première consultation), J4, J8, J11, J15, J22 et J29, soit un total de 7 shampooings. Les modalités d’utilisation du shampooing ont été expliquées à chaque propriétaire :
• Mettre des gants, mouiller entièrement le chien à l’eau tiède puis appliquer le shampooing en plusieurs points et masser le pelage ;
• Utiliser suffisamment de produit pour faire mousser le pelage et la peau ;
• Veiller à appliquer du shampooing autour des lèvres, sous la queue et entre les doigts ;
• Eviter le contact avec les yeux ;
• Laisser agir 10 min en massant puis rincer à l’eau et laisser sécher à l’air libre dans un endroit à l’abri des courants d’air.
Les antiparasitaires externes sont autorisés et prescrits à J0 : sélamectine en spot on (Stronghold®).
Les antifongiques, antibiotiques, antiseptiques et antiprurigineux sont interdits pendant l’étude.
Les solutions auriculaires sont autorisées à condition qu’elles ne soient appliquées que dans le conduit auditif externe.
Chiens guéris / non guéris à la fin du protocole
On considère à la fin du protocole comme :
-‐ guéris « cliniquement » les chiens présentant à J30 un score clinique inférieur ou égal à 21 et un score de prurit inférieur ou égal à 21%, c’est-à-dire un prurit très léger ou occasionnel. Parmi ceux-ci, certains présentent un score mycologique>70 et représentent un échec mycologique ;
-‐ guéris « mycologiquement » les chiens présentant un nombre de colonies à la mise en culture≤70 (d’après CAFARCHIA et al. (2005)) sur les 3 sites testés. Parmi ceux-ci, certains présentent un score clinique>21 et/ou un score de prurit>21% et représentent un échec clinique.
Résultats
Profil type à J0
Dix-neuf chiens ont été inclus dans l’étude entre octobre 2009 et octobre 2011.
Parmi ces dix-neuf chiens, cinq n’ont pas été retenus pour l’exploitation finale des données : les chiens n°1, 3 et 4 n’ont pas été revus à J30 et les n°10 et 16 ne présentaient pas de levures Malassezia à J0 à la mise en culture des boîtes de contact. Quatorze chiens ont ainsi été retenus ; leurs caractéristiques figurent dans le tableau 3.
Tableau 3 : Caractéristiques des chiens retenus pour l’exploitation finale des données EKS= état kérato-séborrhéique, Eryth= érythème, Alop= alopécie, Lich= lichénification, Excor= excoriations.
On compte 3 mâles et 11 femelles. La moyenne d’âge des animaux retenus pour l’exploitation finale des données était de 7 ans et 2 mois, avec des animaux allant de 2 à 11 ans. La répartition des âges est représentée dans la figure 12 :
Figure 12 : Répartition de l’âge des animaux conservés pour l’analyse des données
On constate qu’on a un grand nombre d’animaux jeunes (4 chiens d’âge inférieur ou égal à 3 ans) et un grand nombre de chiens âgés (8 chiens d’âge supérieur ou égal à 9 ans).
On compte 4 Shi-tzu, 3 Shar Pei, 2 Bergers Allemands, 1 Caniche, 1 Beagle, 1 Pitt-bull, 1 Fox terrier et 1 Cocker.
La répartition des zones atteintes chez les cas retenus est assez homogène. Les lésions sont présentes principalement au niveau de la face ventrale du cou, de l’abdomen, des aisselles, de l’aine et du périnée.
Un érythème, souvent franc, a été retrouvé chez tous les individus et localisé dans la majorité des cas au moins à l’abdomen et aux grands plis. Les autres lésions fréquemment retrouvées sont un état kérato-séborrhéique (92,9% des cas) et une alopécie (85,7% des cas), plus ou moins généralisés. Les lésions d’excoriation et de lichénification sont retrouvées chez respectivement 50,0% et 71,4% des cas (figure 13). Ces dernières se retrouvent chez les animaux présentant des scores de prurit élevés.
Figure 13 : Fréquence des différentes lésions au sein de la population étudiée à J0
Ces lésions sont visibles sur les figures 14 et 15.
Figure 14 : Érythème, alopécie, EKS et lichénification à J0 sur l’abdomen d’un Shi Tzu de 10 ans (chien n°4) (ENVA)
Figure 15 : Alopécie, érythème et lichénification à J0 sur les membres postérieurs et l’aine d’un WHWT de 8 ans (chien n°1) (ENVA)
Évolution des paramètres et étude statistique
Évolution du prurit
Onze chiens sur les quatorze (soit 78,6%) ont présenté une diminution de l’intensité du prurit pendant la période du traitement (figure 16). Le prurit des trois autres (chiens n°5, 17, 18) s’est aggravé selon les propriétaires. Il faut à ce stade rappeler que l’évolution du prurit est effectuée par les propriétaires uniquement, ce qui représente un biais important.On constate que plus de la moitié des chiens traités (8/14 chiens) ont une diminution du prurit supérieure à 50% en l’espace d’un mois selon leurs propriétaires.L’évolution des minimum, maximum, médianes et moyennes entre J0 et J30 sont representées dans le tableau 4. On peut y constater la nette amélioration de la médiane et de la moyenne du prurit.Ainsi à la première consultation, le chien moyen présente un prurit « moderé » à « sévère » si l’on se rapporte à l’échelle de prurit fournie aux propriétaires. Après le traitement, ses démangeaisons sont plutôt « légères ».
Évolution des lésions dermatologiques
• Évolution des scores MalDESI
Tous les chiens traités ont présenté une amélioration clinique notable entre J0 et J30, visible grâce à la diminution du score MalDESI (figure 17).
Figure 17 : Évolution individuelle des scores MalDESI entre J0 et J30
On peut constater que tous les scores individuels ont diminué au moins de moitié en l’espace de 30 jours de traitement. Cinq chiens (soit 36%) ont présenté une amélioration de plus de 81% du score MalDESI pendant le temps de l’étude.
A la fin de l’étude, les mêmes zones étaient atteintes mais de façon moindre (figures 18 à 23).
Figures 18 et 19 : Alopécie, érythème et papules sur l’abdomen d’un Fox Terrier (chien n°17) atteint de dermatite à Malassezia à J0 (Gauche). Régression de l’érythème, diminution des papules à J30 (Droite). (ENVA)
(Gauche). Régression de l’érythème et début de repousse des poils à J30 (Droite). (ENVA)
L’évolution des minimum, maximum, médianes et moyennes entre J0 et J30 est indiquée dans le tableau 5. On peut y constater la nette amélioration de la médiane et de la moyenne des scores MalDESI.
• Évolution des différentes lésions dermatologiques individuellement
Si l’on s’intéresse aux différentes lésions dermatologiques individuellement, on peut constater que l’amélioration entre J0 et J30 concerne les cinq types de lésions précitées et est supérieure ou égale à 50% pour chacune de celles-ci (figure 24).
Figure 24 : Régression des différentes lésions entre J0 et J30 chez les 14 cas cumulés
Les excoriations sont presque inexistantes à J30, ce qui est aussi une conséquence de la diminution du prurit associée. La lésion sur laquelle l’application du shampooing semble avoir le moins d’effets est la lichénification qui est un témoin de la chronicité de la dermatose.
Évolution des résultats de la mise en culture
Onze chiens (soit 79,0%) ont présenté une nette diminution du nombre total de colonies (cou + abdomen + périnée) entre J0 et J30 à la mise en culture des boîtes de contact (figure 25).
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Table des matières
INTRODUCTION
Première partie : Les levures Malassezia
1. Histoire de la taxinomie du genre Malassezia
2. Classification des levures Malassezia
3. Caractéristiques du genre Malassezia
3.1 Reproduction
3.2 Structure de la paroi des levures Malassezia
3.3 Filamentation
3.4 Croissance et nutrition
4. Les différentes espèces de Malassezia
4.1 Espèces lipo-dépendantes
M. furfur
M. sympodialis
M. globosa
M. obtusa
M. restrica
M. slooffiae
Autres espèces
4.2 Espèce non lipo-dépendante
Caractéristiques culturales
Morphologie cellulaire
5. Portage cutané de levures Malassezia chez le chien sain
6. Pouvoir pathogène des Malassezia
6.1 Zymogène
6.2 Lipases
6.3 Lipoxygénases
6.4 Autres
7. Défenses de l’hôte et réponse immunitaire vis-à-vis des levures Malassezia
7.1 La peau : barrière naturelle entre l’hôte et les levures Malassezia
7.2 Réponse immunitaire vis-à-vis des levures Malassezia
a. Non spécifique
b. Spécifique
8. Dermatite à Malassezia chez le chien
9. Facteurs favorisants de la dermatite à Malassezia
10. Dermatite à Malassezia chez les autres espèces
10.1 Chez le chat
10.2 Chez les autres espèces
11. Diagnostic d’une dermatite à Malassezia
12. Traitements actuels de la dermatite à Malassezia chez le chien
12.1 Les différentes options thérapeutiques chez le chien
a. Traitements systémiques
Dérivés azolés systémiques
Allylamines : terbinafine
b. Traitements topiques
Dérivés azolés topiques
Chlorhexidine
Autres traitements topiques
12.2 Efficacité des différentes options thérapeutiques
a. Principes de la médecine factuelle
b. Contrôle par la médecine factuelle de l’efficacité des différentes options thérapeutiques pour la dermatite à Malassezia chez le chien
Deuxième partie : Évaluation de l’efficacité d’un shampooing dans le cadre du traitement de la dermatite à Malassezia chez le chien
1. Objectif
2. Protocole
2.1 Critères d’inclusion
2.2 Critères d’exclusion
2.3 Critères évalués
2.4 Protocole thérapeutique
2.5 Chiens guéris / non guéris à la fin du protocole
3. Résultats
3.1 Profil type à J0
3.2 Évolution des paramètres et étude statistique
a. Évolution du prurit
b. Évolution des lésions dermatologiques
c. Évolution des résultats de la mise en culture
d. Évolution de la cytologie
3.3 Chiens guéris / non guéris à la fin du protocole
3.4 Satisfaction des propriétaires
4. Discussion
4.1 Protocole
a. Absence de groupe témoin
b. Faible nombre de cas inclus dans le protocole
c. Absentéisme à J30
d. Critères d’exclusion de l’étude
e. Fréquence d’utilisation du shampooing
f. Évaluation du prurit par les propriétaires
g. Score cytologique et sa sensibilité
h. Paramètre supplémentaire à évaluer
i. Durée du protocole
j. Identification de l’espèce de Malassezia à la mise en culture
k. Chiens guéris/ non guéris à la fin du protocole
4.2 Résultats
a. Efficacité du shampooing
b. Prédisposition des races inclues dans l’étude
c. Âge des chiens
d. Causes sous-jacentes
e. Chiens guéris/ non guéris à la fin du protocole
f. Corrélation cytologie/ mise en culture
g. Innocuité du shampooing
Troisième partie : Comparaison de trois modalités thérapeutiques pour le traitement de la dermatite à Malassezia chez le chien
1. Objectif
2. Matériel et méthodes
2.1 Critères d’inclusion
2.2 Critères d’exclusion
2.3 Critères évalués
2.4 Groupes et traitements
2.5 Protocole thérapeutique
2.6 Suivis à J20 et J40
2.7 Chiens guéris / non guéris à la fin du protocole
2.8 Analyse statistique
3. Résultats
3.1 Profil type
a. Chiens inclus et caractéristiques
b. Lésions
c. Étude statistique des caractéristiques des chiens inclus
3.2 Évolution du prurit, des lésions et de l’examen cytologique
a. Lors de la première visite (J0)
b. Évolution du score de prurit
c. Évolution de la clinique
d. Évolution de l’examen cytologique
3.3 Chien guéris / non guéris à la fin du protocole
3.4 Effets secondaires
4. Discussion
4.1 Protocole
a. Critères d’inclusion
b. Critères d’exclusion
c. Prescription d’un anti-parasitaire externe
d. Évaluation du prurit
e. Score cytologique
f. Absence de culture mycologique
g. Chiens guéris / non guéris à la fin du protocole
4.2 Résultats
a. Comparaison de l’efficacité des différents traitements
b. Prédisposition des races
c. Lésions cutanées
d. Causes sous-jacentes de la dermatite à Malassezia
e. Chiens guéris / non guéris à la fin du protocole
f. Effets secondaires
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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