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Cytogénétique et biologie moléculaire des LAM
L’importance du caryotype des blastes leucémiques quant à sa capacité à prédire la réponse initiale au traitement et la guérison à long terme a été reconnue dans les années 1980 [1]. Les analyses cytogénétiques des cellules leucémiques conduisent à l’identification d’aberrations chromosomiques clonales non-aléatoires retrouvées chez 50 à 70% des patients atteints de LAM [3]. Plusieurs sous-types de LAM selon la classification FAB sont associés à des anomalies cytogénétiques comme la t(15;17) pour les LAM3, l’inv(16) ou la t(16;16) pour les LAM4 avec éosinophiles, et la t(8;21) pour certaines LAM2. [3]. La présence d’une de ces quatre anomalies décrites ci-dessus permet d’assigner un pronostic favorable à un patient donné. D’autres anomalies ont permis de définir des groupes de risque cytogénétique dits intermédiaire et défavorable, les patients sans anomalie cytogénétique décelée, c’est-à-dire à caryotype normal soit 50% des patients étant initialement considérés comme ayant un pronostic intermédiaire [4].
Les progrès en biologie moléculaire ont secondairement permis de caractériser le groupe hétérogène des patients avec un caryotype de risque dit intermédiaire, dont la majorité sont en fait normaux [1]. Grâce aux techniques de biologie moléculaire, de nombreuses mutations ont été identifiées chez ces patients, permettant de mieux préciser leur pronostic (Figure 3). Aujourd’hui la recherche de mutations au niveau des gènes NPM1, FLT3 et CEBPA est réalisée en routine [5]. La duplication interne en tandem de FLT3 (FLT3-ITD) est associée à un pronostic défavorable [6]. En son absence, les mutations de NPM1 sont de pronostic favorable, tout comme les doubles mutations de CEBPA [1]. Des mutations au niveau d’autres gènes ont été identifiées (Figure 4), dont la valeur pronostique n’est pas totalement précisée. En effet, certaines, comme celles affectant DNMT3A, peuvent être détectées en combinaison avec des mutations au niveau de FLT3 et/ou de NPM1 par exemple, rendant plus difficile l’analyse de leur potentiel pronostique [1].
Ainsi les méthodes de cytogénétiques ou de biologie moléculaire sont-elles devenues un élément essentiel du bilan pronostique effectué en routine, au diagnostic, chez les patients atteints d’une LAM. La combinaison des approches morphologiques, immunologiques et cytogénétiques et moléculaires permet d’affiner le pronostic des patients en termes de réponse initiale au traitement, de risque de rechute et de survie. Ainsi elles permettent d’orienter le choix du type de traitement à mettre en place dans une optique d’optimiser le rapport bénéfice / risque pour le patient. L’approche moléculaire permet aussi de suivre l’efficacité des traitements par une quantification extrêmement sensible d’un marqueur spécifique des cellules leucémiques d’un patient donné (mutation du gène NPM1, par exemple). Ce suivi de la maladie résiduelle, qui permet d’adapter l’intensité du traitement à son évolution, a aussi la capacité à prédire précocément la survenue d’une rechute [3].
LEUCÉMOGÉNÈSE DES LAM
De nombreux facteurs participent à la leucémogénèse des LAM, incluant prédisposition génétique, mutations géniques, dérégulation épigénétiques et expression anormale de micro-ARNs.
Mutations des gènes de classe I et de classe II et LAM
Des modèles in vitro et pré-cliniques ont montré que plusieurs mutations étaient nécessaires pour aboutir à une LAM. Ainsi, il est classiquement admis que la leucémogénèse des LAM se produit, en présence, d’une part de mutations activatrices au niveau de gènes dits de classe I qui stimulent les voies de transduction du signal et induisent la prolifération cellulaire, et d’autre part, de mutations au niveau de gènes dits de classe II qui affectent le plus souvent des facteurs de transcription et compromettent la différenciation hématopoïétique normale. Les mutations de FLT3, KIT et RAS appartiennent aux mutations de classe I. Les transcrits de fusion RUNX1/RUNX1T1, CBFB/MYH11 et PML/RARA sont des exemples de mutations de classe II, tout comme celles affectant CEBPA et RUNX1 [7,8].
De travaux plus récents ont mis en lumière la présence de mutations au niveau de gènes impliqués dans la régulation épigénétiques tels qu’ASXL1, DNMT3A, IDH1, IDH2, et TET2 [9]. Ces travaux ont montré que le schéma classique de leucémogénèse des LAM – mutations affectant des gènes des classes I et II – devait être repensé en y intégrant ces dernières [2].
Mutations des gènes modificateurs épigénétiques et LAM
De nouvelles mutations dans les gènes liés au contrôle épigénétique de la transcription, qui comprennent la méthylation de l’ADN et les modifications des histones, ont été mises en évidence chez les patients atteints de LAM [2]. Cette nouvelle classe de gènes mutés inclut, sans s’y limiter: ASXL1, DNMT3A, IDH1, IDH2 et TET2. Les mécanismes par lesquels ces mutations contribuent au phénotype des LAM demeurent imparfaitement compris [1]. Il semble que leur rôle soit primordial pour l’auto-renouvellement des cellules souches hématopoïétiques. La plupart de ces mutations semblent associées à un plus mauvais pronostic et sont plus fréquentes chez les patients âgés [1].
Les gènes HOX
Les vertébrés possèdent quatre complexes de gènes Hox, chaque groupe de gènes Hox étant situé sur un chromosome différent et l’ordre des gènes sur chaque chromosome étant identique. On considère que ces complexes sont issus d’une double duplication d’un chromosome ancestral au cours de l’évolution. Ainsi, une première duplication a créé un couple de complexes, puis ce couple s’est à nouveau dupliqué. Pour ces raisons, les gènes Hox sont considérés comme des paralogues. Chez l’homme, les gènes HOX sont répartis en quatre groupes, comprenant au total 39 gènes, et situés sur des chromosomes différents. Le locus HOXA, situé sur le chromosome 7, en p15, comprend 12 gènes. Le locus HOXB situé sur le chromosome 17, en q21, comprend dix gènes. Le locus HOXC, situé sur le chromosome 12, en q13, comprend neuf gènes. Enfin, le locus HOXD, situé sur le chromosome 2, en q31, en comprend huit. Pour chaque groupe, 13 paralogues sont disposés de la position 1 à 13 dans un ordre 3’-5’ (Figure 5). Il existe un haut degré d’homologie dans leurs séquences et une certaine redondance fonctionnelle. Les gènes Hox sont caractérisés par la présence d’une boîte homéotique: une séquence conservée de 183 paires de bases qui est un motif hélice-tour-hélice. Le motif hélice-tour-hélice est constitué d’environ 20 acides aminés. Il est caractérisé par deux hélices α, qui sont en contact avec l’ADN et reliées par un tour court. Les protéines HOX, ayant une spécificité et une sélectivité limitée pour l’ADN, ont besoin d’interactions avec des cofacteurs comme PBX et MEIS pour augmenter leur affinité vis-à-vis d’une séquence d’ADN cible [10].
Les gènes HOX sont exprimés dans les cellules souches hématopoïétiques ainsi qu’au niveau des progéniteurs hématopoïétiques. Les différents groupes de gènes HOX ont des profils d’expression spécifiques à chaque lignée hématopoïétique [11,12]. De ce fait, les gènes HOXA sont exprimés dans les cellules myéloïdes, les gènes HOXB dans les cellules érythrocytaires et les gènes HOXC dans les cellules lymphoïdes. Etonnamment, les gènes HOXD ne sont pas exprimés au cours de l’hématopoïèse, malgré le fait qu’ils aient des régions régulatrices similaires aux gènes des autres groupes [13].
De nombreuses études ont montré que les protéines HOX collaboraient avec des membres du groupe TALE (three-amino-acid loop extension), dont font partie les protéines des familles PBX et MEIS. Ces interactions sont de spécificité et d’affinité modérées en situation normale. Les protéines HOX des groupes 1 à 10 interagissent avec les protéines PBX, les protéines MEIS sont limitées aux protéines HOX des groupes 9 à 13 [14]. Les protéines HOX des groupes 9 et 10 peuvent interagir avec les protéines PBX et MEIS [10]. L’interaction entre les protéines PBX et HOX permet d’augmenter très significativemet l’affinité et la spécificité des liaisons des protéines HOX à l’ADN. Dans la transformation leucémique, comme dans la régulation de la formation des tissus au cours de l’embryogénèse, une interaction a été établie entre les protéines HOX et les gènes TALE. [13].
Rôle des gènes HOX dans les LAM
De nombreuses études ont montré que les gènes HOX pouvaient promouvoir le développement de LAM ou de LAL en formant des fusions chimériques avec d’autres gènes (Figure 6) [15,16]. Récemment des études ont montré que leur niveau d’expression était également important pour le développement des LAM. Les gènes HOX peuvent être indirectement impliqués dans les LAM au travers de réarrangements chromosomiques impliquant leurs régulateurs en amont, tel que MLL. Normalement MLL régule positivement la transcription des gènes HOX en se liant à la région proximale de leur promoteur. Les protéines de fusion impliquant MLL activent la transcription des gènes HOX plus efficacement que MLL seul, et plus particulièrement, les membres de l’extrémité 5’ du groupe HOXA; ceci notamment grâce à la présence de co-activateurs comme MEIS1. Ceci a pour conséquence de bloquer la différenciation myéloïde et d’activer la prolifération cellulaire [10]. La dérégulation de l’expression des gènes HOX a aussi été associée à la présence de mutations de la nucleophosmin 1 (NPM1). NPM1 est une protéine chaperonne qui fait la navette entre le noyau et le cytoplasme. Sa localisation prédominante se situe au niveau du noyau. Le déplacement de NPM1 à nouveau vers le cytoplasme intervient uniquement dans les LAM entraînant la sur-expression des gènes HOX. Alors que HOXA4, HOXA6, HOXA7, HOXA9, HOXB9 et MEIS1 sont surexprimés aussi bien en présence de MLL et NPM1, les gènes HOXB2, HOXB3, HOXB5, HOXB6 et HOXD4 sont surexprimés uniquement dans les LAM où NPM1 est cytoplasmique (muté). Le mécanisme exact de l’association entre la mutation de NPM1 et la surexpression des gènes HOX reste peu clair. Une explication possible serait que NPM1 perturbe directement l’expression des gènes HOX, ou bien que les mutations de NPM1 bloquent la différenciation des premiers progéniteurs hématopoïétiques dans lesquels les gènes HOX sont surexprimés [10].
Chez l’adulte, les mutations de NPM1 sont présentes dans environ 30% des cas de LAM de novo. Elles sont associées à un large éventail de sous-types cytologiques de LAM. On les trouve principalement dans les LAM avec caryotype normal et duplication en tandem interne de FLT3 (FLT3-ITD). Ces leucémies n’expriment ni le CD34, ni le CD133/PROM1. Les profils d’expression génique des blastes de LAMs avec mutations de NPM1 sont caractérisés par une signature moléculaire qui inclut une surexpression des gènes HOX et de MEIS1. Parmi les gènes HOX surexprimés dans les LAM avec NPM1 muté, classiquement, neuf appartiennent au groupe des HOXA, et six au groupe des HOXB.
Debernardi et al. a évalué le niveau d’expression de quatre micro-ARNs connus pour cibler les gènes HOX ou pour être situés dans les groupes de gènes HOX (hsa-miR-181a, hsa-miR-10a, hsa-miR-10b et hsa-miR-196a) dans des LAM à caryotype normal. Pour trois de ces micro-ARNs, hsa-miR-10a, hsa-miR-10b et hsa-miR-196a, situés dans des régions intergéniques au sein des groupes HOX, leur niveau d’expression était significativement corrélé aux niveaux d’expression de la plupart des gènes HOXA et HOXB – sauf HOXA1, HOXA13, HOXB1 et HOXB13 -, et de MEIS1 et PBX3 [17]. Cammarata et al, étudiant l’expression spécifique des micro-ARNs dans les LAM ayant une mutation de NPM1 et/ou une FLT3-ITD, a trouvé une signature de premier plan, consistant principalement en une surexpression de hsa-miR-10a, hsa-miR-10b, hsa-miR-196a et de hsa-miR-196b. [18].
La protéine MEIS1
MEIS1 est une protéine homéodomaine d’extension, qui joue un rôle majeur au cours de l’hématopoïèse normale, ainsi que durant la leucémogénèse des LAM. Dans l’hématopoïèse normale, l’expression de MEIS1 diminue dans les cellules hématopoïétiques, d’autant plus qu’elles s’engagent dans une voie de différenciation [19]. Les membres de la famille MEIS peuvent former un hétéro-complexe stable avec les protéines PBX, de manière dépendante ou indépendante de l’ADN. De plus, l’interaction avec MEIS induit une localisation nucléaire des protéines PBX en empêchant leur export nucléaire. A noter que MEIS1 est un cofacteur commun à deux gènes divergents de la famille HOX, HOXA9 et HOXB3 [14]. MEIS1 est fréquemment surexprimée chez les patients atteints de LAM.
LES LEUCÉMIES AIGUËS PROMYÉLOCYTAIRES
Les leucémies aiguës promyélocytaires (LAP) correspondent à un ensemble de LAM dont la caractéristique principale est l’accumulation, dans la moelle osseuse, de blastes bloqués dans leur processus de différenciation au stade promyélocytaire. Historiquement, les premières LAP ont été décrites en 1957 chez trois patients suédois par Hillestad. Celui-ci considérait cette entité comme la forme de LAM la plus agressive, associant envahissement sanguin par des promyélocytes et une prédisposition à des saignements sévères [20].
Cette maladie rare, qui représente environ 10 à 15% des LAM [20], est bien caractérisée sur le plan cytologique. Elle correspond à la LAM3 de la classification FAB, et font partie des leucémies à anomalies cytogénétiques récurrentes de bon pronostic selon la classification de l’organisation mondiale de la santé (OMS). Elles sont caractérisées par l’existence, dans plus de 95% des cas, de la translocation chromosomique réciproque et équilibrée t(15;17)(q24;q21) conduisant à la juxtaposition du gène promyelocytic leukemia (PML), situé sur le chromosome 15, en 15q24.1, et du gène du récepteur de l’acide rétinoïque (RAR) situé sur le chromosome 17, en 17q21.2 [21-26]. Ce gène chimérique code la protéine de fusion PML-RARα aux propriétés oncogéniques multiples.
Ce sous-type de LAM est caractérisé par une grande sensibilité à l’acide tout-trans rétinoïque (ATRA) qui est un agent différenciant capable de restaurer jusqu’à son terme le programme de différenciation des granuleux chez ces patients [27].
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Table des matières
INTRODUCTION
1 LES LEUCÉMIES AIGUËS MYÉLOÏDES
1.1 EPIDÉMIOLOGIE DES LAM
1.2 PRÉSENTATION CLINIQUE DES PATIENTS ATTEINTS DE LAM
1.3 DIAGNOSTIC DES LAM
1.3.1 Cytologie des LAM
1.3.2 Immunologie des LAM
1.3.3 Cytogénétique et biologie moléculaire des LAM
1.4 LEUCÉMOGÉNÈSE DES LAM
1.4.1 Mutations des gènes de classe I et de classe II et LAM
1.4.2 Mutations des gènes modificateurs épigénétiques et LAM
2 LES LEUCÉMIES AIGUËS PROMYÉLOCYTAIRES
2.1 SUR LE PLAN CLINIQUE
2.2 SUR LE PLAN BIOLOGIQUE
2.2.1 Sur le plan cytologique
2.2.2 Sur le plan cytogénétique
2.2.3 Sur le plan moléculaire
2.2.4 Sur le plan immunophénotypique
3 RÉGULATION ÉPIGÉNÉTIQUE DE LA TRANSCRIPTION
3.1 LA MÉTHYLATION DE L’ADN
3.2 LES MODIFICATIONS DES HISTONES
3.3 L’EMPREINTE GÉNOMIQUE
3.3.1 La région DLK1-DIO3
3.4 EPIGÉNÉTIQUE ET LAM
4 LES MICRO-ARN
4.1 GÉNÉRALITÉS
4.2 BIOGÉNÈSE DES MICRO-ARN
4.3 LES MICRO-ARN CIRCULANTS
4.4 MICRO-ARN ET LAM
4.4.1 Mir-196b
4.4.2 Mir-10a
5 OBJECTIFS DE LA THÈSE
RESULTATS
DISCUSSION
ANNEXE
BIBLIOGRAPHIE
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