Les lacs, une composante du système Terre
Les lacs sont des étendues d’eau stagnante situées sur les surfaces continentales dont le renouvellement des eaux est très long. François Forel, un des pères fondateurs de la limnologie, décrivait les lacs ainsi dans son ouvrage Der Seenkunde : allgemeine Limnologie en 1901 : « On désigne par lac une masse d’eau stagnante sans communication directe avec la mer, située dans une dépression du sol fermée ». Cette définition permet de séparer ces masses d’eau des rivières, fleuves et cours d’eau. L’origine du mot qui vient du latin « lacus » prenait déjà en compte le sens de dépression terrestre. Lacus voulait à la fois dire cuve, lac ou encore étendue d’eau stagnante. La création ou la disparition d’un lac se fait sur des temps géologiques assez longs. Cependant, selon les conditions et les causes de sa création ou de sa disparition, ces temps sont très variables. Par exemple, la formation du lac Baïkal, le plus vieux lac du monde, a commencé, il y a plus de 30 millions d’années après l’agrandissement d’une faille tectonique (Mats et al., 2011). Les grands lacs américains sont apparus quant à eux après la fonte de la glace de l’inlandsis laurentidien, il y a seulement 10 000 ans (Larson and Schaetzl, 2001). En règle générale, un lac peut émerger si une dépression terrestre existe avec un sol assez imperméable pour retenir l’eau, à condition que l’évaporation soit plus faible que l’apport en eau. L’origine de la dépression peut être diverse et variée. Hutchinson (1967) a créé une classification des lacs en fonction de leur origine. À cet effet, il proposa une classification avec 11 types de lacs divisée en 76 sous-types qui fait consensus dans la communauté limnologique.
L’origine des lacs peut expliquer certaines de leurs caractéristiques. Par exemple, les lacs sur une faille tectonique sont très profonds. Le lac Baïkal est un parfait exemple en la matière, avec une profondeur maximale atteignant 1 700 m. Le lac Tanganyika sur le grand rift africain est le second lac le plus profond (1 471 m). Ces lacs sont très allongés puisqu’ils suivent la forme d’une faille. Les lacs de type volcanique ou météorique ont l’aspect d’une cuvette bien caractéristique. Les lacs glaciaux sont quant à eux souvent très transparents. En effet, lorsque le glacier se retire et fond, les roches meubles sont érodées et les roches dures restent intactes ce qui induit des eaux très pures puisqu’elles contiennent peu de matières organiques et de sédiments. On peut aussi remarquer que ces lacs ont une bathymétrie particulière qui dépend de la manière dont fond le glacier. Pour plus de détails, Yao et al. (2018) a classifié et a décrit les lacs glaciaux, puis a expliqué la cause de leur forme en fonction de leur type.
Les lacs sont une composante à part entière du cycle de l’eau. La majeure partie de l’eau sur Terre est contenue dans les océans, à raison de 96 % du volume total, dont une fraction communique avec l’atmosphère et les surfaces continentales. Les lacs stockent seulement 0.8 % de l’eau terrestre sous forme liquide (Messager et al., 2016). Ils recouvrent moins de 4 % des surfaces continentales (Lehner and Döll, 2004; Verpoorter et al., 2014) et sont répartis de façon inégale. La fonte des glaces de la précédente ère glacière dans l’hémisphère nord a laissé un grand nombre de lacs au Canada et en Scandinavie, ce qui explique une plus grande proportion de lacs dans ces endroits par rapport au reste du monde (Downing et al., 2006). Les lacs interagissent avec un grand nombre de composantes du cycle de l’eau. Froehlich et al. (2005) remarquent que ces interactions se font dans des proportions très diverses selon les lacs. Ils ont pu l’observer en mesurant des proportions d’isotopes comme ceux de l’oxygène.
Grâce aux larges circulations d’air dans l’atmosphère, l’eau évaporée des océans peut ensuite être redistribuée sur les surfaces continentales via différents types de précipitations. L’eau a la possibilité d’être stockée en altitude sous forme de neige. Elle peut également s’infiltrer dans le sol ou s’écouler en surface. On définit alors le bassin versant, un domaine où l’eau converge à travers le ruissellement, les cours d’eau et les fleuves vers un même point d’arrivée, appelé exutoire. Celui-ci se situe pour les fleuves sur les côtes des mers ou des océans. Cependant, dans certains cas, l’eau n’a pas d’échappatoire et reste donc piégée dans les terres. Ainsi, un lac se forme, on le qualifie d’endoréique. La fonte des neiges alimente en partie ces cours d’eau. Les lacs, présents dans le bassin versant, interceptent une partie de cette eau et la stockent, ce qui module l’écoulement dans le bassin considéré (Spence, 2006). Par exemple, Bowling and Lettenmaier (2010) montre que 80 % de la neige fondue est interceptée par les lacs en Alaska. L’eau contenue dans les lacs peut se renouveler en moyenne au bout de quelques semaines jusqu’à quelques années (Brooks et al., 2014). L’atmosphère a aussi des échanges directs avec les lacs. Les précipitations peuvent alimenter le lac et celui-ci peut évaporer en restituant de l’eau à l’atmosphère. Selon l’imperméabilité du sol, l’eau peut s’y infiltrer et être stockée dans des nappes phréatiques ou s’écouler à travers la roche jusqu’à l’océan. Des techniques comme la comparaison d’isotopes permettent de quantifier ce transfert d’eau entre les lacs et le sous-sol (Petermann et al., 2018). La proportion d’isotopes de l’oxygène, de l’hydrogène et du radon évolue différemment selon les milieux et les conditions météorologiques, ce qui permet d’estimer le temps de résidence de l’eau et donc les échanges avec les nappes souterraines ou le soussol.
Les interactions avec le climat
Les échanges entre les lacs et l’atmosphère ne sont pas anodins. Pour illustrer cela, nous pouvons examiner l’exemple assez remarquable de la précipitation neigeuse au-dessus des grands lacs américains en hiver. L’air froid et sec qui se déplace au-dessus des grands lacs se charge en eau avec l’évaporation de ceux-ci relativement plus chauds. La colonne d’air est alors déstabilisée avec une température plus élevée à sa base et donne naissance à des mouvements convectifs. Des nuages se créent et se développent tout le long de leur trajet au dessus des grands lacs. Quand ils quittent la zone d’influence du lac, la masse d’air se refroidit. Ainsi, l’humidité relative augmente jusqu’à atteindre le point de saturation. Cela se produit quand la température de l’air est en dessous du point de gel, des précipitations neigeuses apparaissent alors. Wright et al. (2013) ont étudié ce phénomène et montraient dans quelles conditions ces chutes neigeuses sont les plus importantes. Plus généralement, les lacs ont de nombreux effets sur les couches les plus basses de l’atmosphère. En effet, celles-ci répondent aux changements de propriétés de la surface sur des temps relativement courts, de l’ordre de l’heure. Au contraire, en excluant les cas de convections profondes, les couches de l’atmosphère plus hautes sont surtout influencées par des dynamiques de plus grande échelle comme celles engendrées par la force de Coriolis.
Comme on le constate avec l’exemple précédent, les lacs ont un réel impact sur le climat local. Le premier effet des lacs sur la Couche Limite Atmosphérique (CLA) est le lissage des températures de l’air. L’eau contenue dans les lacs a une capacité calorifique très élevée et le stockage de chaleur dans ceux-ci se fait sur une plus grande profondeur que pour d’autres types de surface. Ainsi, le lac absorbe le surplus d’énergie en diminuant les maxima de température et le restitue pendant les périodes plus froides (Bonan, 1995). Le lac étant une source importante d’humidité, il peut provoquer des événements de pluies plus fréquents et plus intenses. Par exemple, dans la région du lac Victoria en Afrique, les précipitations sont doublées la nuit par rapport aux régions environnantes (Van de Walle et al., 2020; Thiery et al., 2015). Les mouvements de circulation d’air sont grandement affectés par la présence de lacs. Chuang and Sousounis (2003) ont pu montrer à l’aide de plusieurs simulations du modèle PSU–NCAR-MM5, comment les grands lacs américains influent sur la circulation de l’atmosphère. L’état climatique de la Terre a de nombreux impacts sur les lacs qui sont sensibles à ces changements. Adrian et al. (2009) énumèrent quelles sont les variables clés des lacs qui sont affectées par le changement climatique et quantifient l’impact selon les différentes régions du monde. Ces changements imprègnent au cours du temps la couche de sédiments. Ainsi, les lacs peuvent archiver l’évolution du climat (Leavitt et al., 2009). Cette fonction est plus communément appelée intégrateur du système climatique. La cause principale du réchauffement climatique actuel est attribuée aux émissions anthropiques de gaz à effets de serre (Friedlingstein et al., 2010; Intergovernmental Panel on Climate Change, 2014). Les lacs peuvent réguler le changement climatique en absorbant et stockant du CO2 dans les sédiments (Cole et al., 2007; Tranvik et al., 2009). Dans d’autres cas, les lacs vont plutôt contribuer à émettre des gaz à effet de serre comme le méthane (Bastviken et al., 2004). L’émission de méthane non-anthropique provient entre 8 % et 16 % des lacs (West et al., 2016). Ces émissions peuvent évoluer avec le changement climatique comme celui-ci a un impact sur la structure thermique des lacs qui influence l’émission du méthane dans certains cas (DelSontro et al., 2016; Rasilo et al., 2015)).
Cette sensibilité climatique concède une certaine vulnérabilité des lacs au réchauffement global actuel, ce qui conduit par exemple à des problèmes d’approvisionnement en eau des êtres humains. Le changement d’état des lacs comme l’augmentation de la turbidité, de la salinité ou encore la fréquence des brassages qui perturbe la teneur en oxygène de l’eau peut affecter la faune et la flore. Dans certains cas, les lacs s’eutrophisent et permettent le développement de certaines algues (Wagner and Adrian, 2009). Ces conditions augmentent par exemple la mortalité piscicole. À court terme, la température de surface des lacs est la première variable affectée par le réchauffement climatique. Celle-ci a par exemple rapidement augmenté dans certains lacs alpins autrichiens où Dokulil (2014) mesurent une augmentation de 0.6◦C par décennie, Weckström et al. (2016) mesurent un réchauffement de plus 1◦C sur le mois de septembre pour certains lacs entre 1998 à 2009, Woolway et al. (2017) confirment ces tendances pour les lacs autrichiens.Sur un échantillon de 235 lacs, cette augmentation est en moyenne égale à 0.34◦C par décennie entre 1985 et 2009 avec un intervalle entre −0.7◦C et 1.3◦C. L’augmentation globale des températures dépend non seulement du climat local, mais aussi de certaines caractéristiques du lac. Cette augmentation sur plusieurs décennies affecte ainsi les températures des eaux plus profondes (Richardson et al., 2017). Sur douze lacs observés, Dokulil et al. (2006) montrent que l’augmentation de température des eaux profondes de certains lacs européens est comprise entre 0.1◦C et 0.2◦C par décennie depuis le milieu du vingtième siècle. Le réchauffement climatique actuel a un réel impact sur les lacs sur le long terme comme en témoigne ce stockage de chaleur par les eaux profondes. Vanderkelen et al. (2020) ont estimé que les lacs et réservoirs ont stocké 2.6 ± .2 · 10²⁰J d’énergie entre 1900 et 2020. Ce phénomène peut être amplifié, car les lacs gèlent moins longtemps avec le réchauffement climatique (Weckström et al., 2016; Thompson et al., 2009). En effet, pendant la période de gel, il y a plus de rayonnement réfléchi vers l’atmosphère que si l’eau du lac est libre. Il y a donc moins d’énergie stockée pendant les périodes de gel. Cela doit cependant être nuancé puisque la couche de glace sur le lac isole aussi de la perte de chaleur vers l’atmosphère. Ces changements de température en surface et en profondeur au cours des saisons affectent la stratification et les brassages internes des lacs (Piccolroaz et al., 2015; Zhong et al., 2016).
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Table des matières
Introduction
Les lacs, une composante du système Terre
Les interactions avec le climat
Importance des lacs dans la modélisation du climat
Objectifs de cette thèse
1 Représentation du bilan d’énergie d’un lac
1.1 Le lac, une composante du bilan d’énergie terrestre
1.2 Bilan d’énergie d’un lac
1.3 Structure thermique d’un lac
1.4 Processus physiques à l’intérieur d’un lac
1.5 Classification des lacs
1.6 Modélisation du bilan d’énergie d’un lac
2 Modélisation des lacs dans ORCHIDEE
2.1 Présentation d’ORCHIDEE
2.2 Les différentes surfaces considérées par ORCHIDEE
2.3 Bilan d’énergie ORCHIDEE/SECHIBA
2.4 Présentation de FLake
3 Analyse de sensibilité du modèle FLake
3.1 Introduction
3.2 Méthode
3.3 Synthèse des résultats
3.4 Article 1
4 Paramétrisation des surfaces et des profondeurs des lacs
4.1 Répartition des lacs à l’échelle globale
4.2 Spatialisation des profondeurs
5 Evaluation du couplage ORCHIDEE FLake
5.1 Introduction
5.2 Méthode
5.3 Synthèse des résultats
5.4 Article 2
Conclusion
Synthèse
Perspectives
Bibliographie