La Méditerranée, l’un des points chauds (hotspots) planétaires de biodiversité marine et côtière (Cuttelod et al., 2008 ; Lejeusne et al., 2010) abrite non seulement près de 7% des espèces mondiales de poissons marins, mais compte de nombreuses espèces vivant aussi bien en zones tempérée que tropicale (Bianchi et Morri, 2000). Avec 28% d’espèces endémiques, 18% de la flore et 7,5% de la faune marine mondiale, elle héberge environ 10 000 espèces marines (http://www.rac-spa.org). Cette importante diversité s’explique notamment par les facteurs géologiques et paléogéographiques, mais également par les facteurs environnementaux, tels que le climat, la température, les gradients de salinité et l’hydrologie. Les conditions environnementales passées du bassin méditerranéen, dont son crise messénienne quasi total il y a 5 ou 6 millions d’années, ont fortement influencé l’existence et la répartition géographique actuelle des espèces ichtyologiques de la région (Abdul Malak et al., 2011).
Dans cette mer semi-fermée, Quignard et Tomasini (2000) estiment la diversité ichtyologique à 664 espèces dont 86 Chondrichthyes et 575 Osteichthyes. L’essentiel des espèces ichtyologiques sont inventoriées dans la tranche bathymétrique infralittorale qui abrite des habitats divers et complexes dont certains sont soumises aux actions anthropiques, comme les fonds à coralligène et les herbiers à posidonie (Quignard et Tomasini, 2000 ; Abdul-Malak et al., 2011). En effet, cette pression croissante et parfois ciblée a engendré dans de nombreuses régions nord-occidentales de la Méditerranée la raréfaction d’un nombre non négligeable d’espèces de poissons d’intérêt écologique et économique dont certaines sont rares ou peu connues, comme en témoigne le livre rouge de l’UICN des poissons de Méditerranée (Abdul-Malak et al., 2011). En effet, la communauté scientifique considère que sur les 222 espèces de Perciformes natives à la Méditerranée 4% sont considérées menacés (Threatened), 26 % aux données déficientes (Data Deficient) et 70% sans préoccupations majeures (Least Concern) (Abdul-Malak et al., 2011).
Sur les côtes de l’Algérie, estimées à environ 1622 km, la situation ne diffère guère puisque sur un total de 194 ostéichtyens inventoriés sur les fonds chalutables du secteur oriental des côtes algériennes (Refes et al., 2010), seulement quelques espèces d’intérêt halieutique et/ou écologique sont étudiées. L’essentiel des travaux concernent l’écologie ou la biologie halieutique des Serranidae (Derbal et Kara, 1995, 1996 ; Kara et Derbal, 1999 ; Derbal et Kara, 2007) et des Sparidae (Chaoui et al., 2005, 2006 ; Harchouche et al., 2005 ; Zeraouli-Khodja et Amalou, 2005 ; Derbal et Kara, 2006, 2008 ; Derbal et al., 2007 ; Benchalel et al., 2010 ; Lechkheb et al., 2010 ; Benchalel et Kara, 2010 ; Benchalel et Kara, 2013 ; Bensahla et al., 2013 ; Bouguamou et al., sous-presse ; Derbal et al., 2013). D’autres familles aussi diversifiées que celles des Serranidae et les Sparidae sont peu connues sur les côtes Algériennes, comme c’est le cas des Labridae qui compte environ 70 genres et 521 espèces (Nelson, 1994), dont 17 espèces sur 19 décrites en Méditerranée (Quignard et Pras, 1986 ; Bauchot, 1987 ; Fischer et al., 1987 ; Abdul-Malak et al., 2011) sont présentes sur les côtes orientales de l’Algérie, aussi bien sur des petits fonds mixtes (Djabali et al., 1993 ; Derbal et Kara, 2001, 2010 ; Hannachi et al., 2014) que sur des fonds chalutables (Refes et al., 2010), à l’exception de Labrus mixtus et Symphodus bailloni.
Présentation de l’espèce
Systématique
La position systématique des Labridae et de l’espèce Symphodus tinca (Tortonese, 1975 ; Bauchot et Pras, 1980 ; Quignard et Pras, 1986 ; Bauchot, 1987 ; Nelson et al., 2004) sont précisées dans le chapitre II (inventaire des Labridae).
* Origine du nom français de S. tinca :
Le nom crénilabre provient directement de son ancien nom scientifique : Crenilabrus du latin crena = crénelé, en référence à la forme de l’opercule des crénilabres, et labrum en référence aux grosses lèvres de ce poisson. Pavo = Paon (en latin) en raison de ses couleurs et donc son ancien nom est Crenilabrus pavo.
* Origine du nom scientifique S. tinca :
Symphodus: du grec [symphysis] = jonction naturelle et odont = dent. Dents fusionnées à chaque mâchoire. tinca : nom latin de la tanche d’eau douce.
Synonymes taxonomiques et appellations vernaculaires
Selon la littérature relative à la taxonomie des Labridae (Tortonese, 1975 ; Bauchot et Pras, 1980 ; Quignard et Pras, 1986 ; Bauchot, 1987 ; Fischer et al., 1987 ; Weinberg, 2013 ; http:// www.fishbase.org/), Symphodus tinca est connue aussi sous les espèces suivantes :
– Crenilabrus tinca (Linnaeus, 1758)
– Labrus tinca (Linnaeus, 1758)
– Labrus lapina (Forsskål, 1775)
– Labrus polychrous (Pallas, 1814)
– Labrus pavo (Linnaeus, 1758)
– Lutjanus lapina (Forsskål, 1775) .
Les appellations vernaculaires de cette espèce varient d’un continent à un autre, d’une région à une autre et d’un pays à un autre. Nous citerons quelques appellations dans certains pays de la rive méditerranéenne :
● Europe : crènilabre paon, crénilabre tanche, vieille, rouquier, roucaou (France), ruchè tanca (Monaco), peto, Señorita (Espagne), lappana, lappira viddi (Italie).
● Pays arabes et du Maghreb : kaydam el tawss en dialecte arabe, scour (Maroc), zob al sultan (Tunisie), la vache dans l’est Algérien.
Eléments de diagnose
Caractères de la famille des Labridae
La famille des Labridae, créée par Cuvier en 1816, représente un groupe de poissons de tailles (20 cm – > 1 m), de formes et de couleurs particulièrement variées. Elle constitue la deuxième plus grande famille des poissons marins après les Gobiidae (Randall et al., 1990). Elle compte 70 genres et 521 espèces (Nelson, 1994) dont 8 genres et 19 espèces inventoriées en Méditerranée (Quignard et Pras, 1986 ; Bauchot, 1987 ; Fischer et al., 1987). Cette famille se distingue par un corps ovale, habituellement allongé et comprimé latéralement. La bouche est terminale, relativement petite, plus ou moins protractile et souvent munie de lèvres épaisses. Les dents des mâchoires sont caniniformes, les plus antérieures se répartissent en une ou deux paires et sont généralement plus grandes et dirigées vers l’avant (Fig. 1). La voûte buccale est dépourvue de dents, mais il y a des dents molariformes sur les os pharyngiens. La nageoire dorsale est unique et continue, et porte généralement 8-21 épines et 7-14 rayons mous. La nageoire anale a 3 épines et 7 14 rayons mous. Les écailles sont généralement de grande taille à modérée de forme cycloïde. Un total de 25 à 80 écailles (jusqu’à 100 écailles chez les jeunes) longent la ligne latérale. Le nombre des vertèbres varie entre 23-41. La nageoire caudale est tronquée ou légèrement arrondie. La ligne latérale est continue, régulièrement arquée ou décrivant une courbe abrupte au-dessous de la partie molle de la dorsale, soit en 2 parties .
Caractères du genre Symphodus
Le corps des espèces du genre Symphodus est ovale et légèrement comprimé avec une tête de taille égale ou supérieure à la hauteur du corps. Le museau est long, pointu ou peu pointu, redressé vers le haut ou relativement court. La bouche est petite ou de grande taille et protractile avec des lèvres pliées. L’opercule a une surface sans écailles ou écailleuse, plus ou moins colorée. Les petites dents des mâchoires sont disposées en une seule rangée. Souvent, il y a une tache noire sur le pédoncule caudale. La ligne latérale contient moins de 40 écailles. Souvent un dimorphisme sexuel apparait nettement chez les deux sexes (Bauchot, 1987).
Caractères de l’espèce Symphodus tinca
Symphodus tinca est parmi les plus grandes espèces de Labridae de Méditerranée. Son corps est ovale et comprimé latéralement. Les mâles peuvent atteindre 44 cm de longueur totale tandis que les femelles ne dépassent que rarement les 25 cm. Cette espèce est relativement massive. La bouche est protractile avec des lèvres épaisses et charnues. Les dents sont puissantes et de type caniniforme. On reconnaît aisément le crénilabre tanche par les trois bandes horizontales qui ornent ses flancs. Une ligne foncée en forme de V relie les yeux en passant sur le front. Le dimorphisme sexuel est très net chez cette espèce. La coloration des mâles est vert jaune ou vert-bleu, ses nageoires pectorales sont jaunes, avec une tache sombre à leur base tandis que les autres nageoires sont de couleur foncée et présentent des points bleus ou rouges. Cette coloration est plus marquée en période de reproduction. Chez les femelles, la livrée est gris-brun, avec toujours la présence des trois bandes longitudinales caractéristiques sur les flancs. Le pédoncule caudal est orné d’une tache noire (Quignard et Pras, 1986 ; Bauchot, 1987) (Fig. 3).
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPİTRE I : GÉNÉRALİTÉS
1. Présentation de l’espèce
1.1. Systématique
1.2. Synonymes taxonomiques et appellations vernaculaires
1.3. Eléments de diagnose
1.3.1. Caractères de la famille des Labridae
1.3.2. Caractères du genre Symphodus
1.3.3. Caractères de l’espèce Symphodus tinca
1.4. Distribution géographique
1.5. Eléments d’éco-biologie
1.6. Exploitation
1.6.1. Pêche
1.6.2. Importance halieutique des Labridae
2. RÉFÉRENCES
CHAPİTRE II : İNVENTAİRE DES LABRİDAE
1. INTRODUCTION
2. MATERIEL ET METHODES
2.1. Inventaire
2.2. Indices écologiques
2.2.1. Richesse spécifique
2.2.2. Abondance
2.2.3. Dominance
3. RESULTATS
3.1. Diversité, taxonomie et critères de diagnose
3.1.1. Coris julis (Linnaeus, 1758)
3.1.2. Labrus mixtus (Linnaeus, 1758)
3.1.3. Labrus merula (Linnaeus, 1758)
3.1.4. Labrus viridis (Linnaeus, 1758)
3.1.5. Symphodus cinereus (Bonnaterre, 1788)
3.1.6. Symphodus mediterraneus (Linnaeus, 1758)
3.1.7. Symphodus melops (Linnaeus, 1758)
3.1.8. Symphodus ocellatus (Forskal, 1775)
3.1.9. Symphodus roissali (Risso, 1810)
3.1.10. Symphodus tinca (Linnaeus, 1758)
3.1.11. Thalassoma pavo (Linnaeus, 1758)
3.1.12. Xyrichthys novacula (Linnaeus, 1758)
3.2. Ecologie
4. DISCUSSION
5. CONCLUSION
6. RÉFÉRENCES
CHAPİTRE III : BİOMÉTRİE
1. INTRODUCTION
2. MATERIEL ET METHODES
2.1. Morphométrie
2.1.1. Morphologie externe
2.1.1.1. Caractères numériques (méristiques)
2.1.1.2 Caractères métriques
2.1.1.3. Analyse statistique
2.1.1.4. Dimorphisme sexuel
2.1.2. Otolithométrie
2.1.2.1. Localisation des otolithes
2.1.2.2. Extraction et conservation
2.1.2.3. Analyse statistique
3. RESULTATS
3.1. Caractères numériques
3.2. Caractères métriques
3.3. Dimorphisme sexuel
3.4. Otolithométrie
4. DISCUSSION
5. CONCLUSION
6. RÉFÉRENCES
CHAPİTRE IV : ÂGE ET CROİSSANCE
1. INTRODUCTION
2. MATERIEL ET METHODES
2.1. Etude de l’âge
2.1.1. Prélèvement, stockage et préparation des écailles et des otolithes
2.1.1.1. Ecailles
2.1.1.2. Otolithes
2.1.2. Lecture d’âge
2.1.3. Relation entre la longueur totale du poisson et le rayon de l’écaille ou de l’otolithe
2.1.4. Dépôt des anneaux et croissance marginale
2.1.5. Détermination de l’âge par la méthode rétrocalcul
2.2. Modélisation de la croissance
2.2.1. Croissance linéaire absolue
2.2.2. Croissance relative ou relation taille-masse
2.2.3. Croissance pondérale absolue
3. RESULTATS
3.1. Âge
3.1.1. Périodicité de la formation de l’anneau d’arrêt de croissance
3.1.2. Relation entre la longueur totale du poisson et le rayon de l’écaille ou de
l’otolithe
3.1.3. Calcul des tailles moyennes aux différents âges (rétrocalcul)
3.2. Croissance
3.2.1. Croissance linéaire absolue
3.2.2. Croissance relative
3.2.3. Croissance pondérale absolue
4. DISCUSSION
5. CONCLUSION
6. RÉFÉRENCES
CHAPİTRE V : REPRODUCTİON
1. INTRODUCTION
2. MATERIEL ET METHODES
2.1. Sex-ratio
2.2. Examen macroscopique des gonades
2.3. Rapport gonado-somatique
2.4. Rapport hépato-somatique
2.5. Adiposité
2.6. Taille à la première maturité sexuelle
2.7. Coefficient de condition où l’indice pondéral
2.8. Analyse statistique
2.9. Fécondité
2.10. Histologie
3. RESULTATS
3.1. Sex-ratio
3.2. Stades de maturation
3.3. Rapport gonado-somatique
3.4. Rapport hépato-somatique
3.5. Adiposité
3.6. Taille à la première maturité sexuelle
3.7. Coefficient de condition ou indice pondéral
3.8. Fécondité
3.9. Histologie
4. DISCUSSION
5. CONCLUSION
6. RÉFÉRENCES
CONCLUSION GÉNÉRALE